Disclaimer : Les personnages m'appartiennent.
Note : Pour Maël, la grande des grandes.
J'ai réouvert les yeux un matin de septembre. Il faisait chaud et je sentais des gouttes de transpiration glisser sur ma peau. Le sang pulsait dans mes veines, mon coeur battait trop fort et ma tête était lourde. J'ai levé la main, difficilement, ne comprenais rien. Où, pourquoi, comment, quand, mais, attend, respire. J'ai déplié mes doigts, un par un, les ai posé sur mon coeur, lui demandant silencieusement de se calmer. J'essayais de réfléchir, de comprendre, de me rappeler. Rien, rien. Bordel. Je me serais cogné la tête contre les murs si j'avais pu. J'ai compté jusqu'à trente, ai cherché à tatons je ne sais quoi. Je commençais à avoir peur. Comme toujours, toujours. Mes doigts tressautaient, mes mains se sont mises à trembler et les larmes me sont montées aux yeux. Je me suis répété les phrases rassurantes, les phrases qui m'ont aidé, avec lesquelles j'ai grandi, qui m'ont fait survivre et avancer. Je me suis répété ces phrases tout en respirant régulièrement, ne me forçant pas, ne me brusquant pas. Ne pas, ne jamais, pour ne pas tomber. Mon coeur a décidé d'arrêter de danser la java et j'ai soupiré. Je me suis aggripé, à ce que j'ai trouvé, des barreaux froids, un drap, mon t-shirt. J'ai essayé de bouger les jambes, tout en me concentrant. Une décharge m'a parcouru, mon corps entier s'est contracté, mes yeux se sont exorbités et j'ai retenu un cri. Une douleur qui partait de ma jambe m'a traversé, ma électrisé. Mes mains se sont posées par réflexe sur l'origine du mal et ont serré, fort, très fort, le plus possible. Mes yeux partaient dans tous les sens, des questions tourbillonaient, se cognaient, se choquaient dans ma tête. Je me suis redressé, donnant, tout, respirant trop fort et me mordant les lèvres jusqu'au sang. J'étais assis, j'ai regardé autour de moi. Un lit, des compresses, des médicaments, des seringues, des serviettes. Une odeur de désinfectant et de sang séché. J'étais dans une infirmerie et je n'avais aucune idée de la manière dont j'y été arrivé.
J'ai fermé les yeux, ai soufflé. Me suis mis une baffe mentale et me suis dit d'agir que, bordel, il fallait que j'agisse avant de tomber, grandir, balayer les peurs et avancer. Avancer, juste, avance, s'il te plait. J'ai regardé ma jambe et mes sourcils se sont froncés. Un énorme pansement la recouvrait, imbibé d'un produit jaunatre qui sentait trop fort. J'ai essayé de comprendre, encore, en vain. Jai scruté la pièce des yeux, cherchant des indices, tout et rien, histoire de me rassurer et de me raccrocher à quelque chose. Histoire d'agir comme n'importe qui, de bomber le torse et d'avoir l'air d'un homme. Le sol, les murs, étaient fait de pierre froide et humide. Un crucifix tronait au dessus d'une imposante porte en bois. J'ai réprimé un frisson. Où est-ce que t'es encore tombé, bordel?
La peur montait en moi trop vite. J'ai serré les poings, me suis mordu la langue, ai essayé de descendre du lit. Je posais mon pied à terre dans une grimace de douleur quand la porte s'est ouverte à la volée. J'ai sursauté, ai posé la main sur mon coeur. Chut, chut, j't'en prie, arrête, tais-toi, te fais pas remarquer, fond toi dans la masse et avance. Il s'est avancé vers moi, grand, habillé d'une soutane et un sourire rassurant plaqué sur le visage. J'ai reculé par réflexe et il a rit. Il m'a tendu la main, s'est présenté. Prêtre de l'église dans laquelle nous nous trouvions. Eglise. Non mais, ben voyons! Qu'est-ce que je foutais dans une église, ma jambe atrophiée et ma tête rivalisant avec une bouilloire au bord de l'implosion, hein? Je l'ai regardé avec des yeux tels des soucoupes, mes mains recommencaient à trembler et j'essayais tant bien que mal de les cacher. Il s'est assis à côté de moi, ses grandes jambes pendaient au dessus du vide et son crâne dégarni luisait sous les rayons du soleil. Alors, tu ne te rappelle de rien, hm? Non, non, pas vraiment. J'ai la jambe en bouillie, mon coeur va lâcher si les émotions m'envahissent encore et je voudrais juste m'enfuir, s'il vous plait. J'ai rien dit, l'ai regardé, cherchant une réponse dans ses grands yeux bleus. Il s'est raclé la gorge, a serré le chapelet entre ses doigts, s'est installé plus confortablement. La guerre. Blessé. Plus de place en infirmerie. Si jeune, on a prié. Mais sauvé, sauvé. Paumes collées, merci seigneur. J'étais paralysé pendant plusieurs secondes. Tout m'est revenu sans que je m'y attende et ça a été la plus violente des giffles. Je l'ai regardé encore. Non, non, il n'avait pas l'air de savoir. Comment, en même temps? Et puis, de toute façon? C'était la guerre, oui. J'étais blessé, certainement. Mais, attendez, pas comme les autres. On était que des gamins terrifiés et déboussolés, on devait tuer pour la paix, on comprenait rien et on nous avait pas demandé notre avis. Alors, je ne sais pas d'où, pourquoi et comment, mais j'ai tourné mon fusil alors que j'étais dans un trou d'obus, et j'ai tiré. Je me suis mutilé, j'aurais pu me tuer. Pour partir, m'enfuir, penser à moi et emmerder. J'ai sourit, ai rougit. Il m'a regardé bizarrement et j'ai baissé la tête. Je me suis libéré de ça, tout seul, et j'étais fier.
Il m'a aidé à descendre et m'a dit de venir manger, Nathan. J'ai eu un mouvement de recul, il a montré la plaque sur une petite table. J'ai soupiré. On est arrivé tant bien que mal dans une salle immense, en dehors de l'église, moi m'accrochant à lui et lui se baissant, soutenant, réprimant des gémissements dûs à l'effort. Mes mains se serraient autour de lui, mon visage se contractait. Il m'a assis d'un côté d'une table ébène dont la longueur m'a laissé pantois. Et il est arrivé. Un matin de septembre, dans une église trop grande pour être vraie, le tournant décisif de ma vie s'est présenté à moi comme une évidence. Il tenait des plats de ses bras frèles, les regardant comme s'ils étaient les trésors les plus précieux, fournissant un effort immense. Sa tenue était trop grande, une espèce d'habit de moine diforme. Ses cheveux noirs retombaient sur ses épaules, son visage, le plus beau des beaux, paraissait fatigué. Il a tout posé sur la table dans un soupir de soulagement. M'a regardé. Frisson. Mon coeur battait, si fort! Ses yeux se sont grand ouverts, il s'est incliné. Le prêtre a fait un geste sec de la main, m'a dit d'excuser, il est encore jeune, et mon destin est repartit. Il me parlait, me servait, me disait de manger et n'attendais pas mes réponses pour passer au sujet suivant. J'ai décollé les yeux de ma porte. L'ai interrompu. Ai demandé qui était-ce. Oh, et bien, enfin, bon. Un orphelin, 18 ans, ici depuis toujours, un enfant somme toute difficile, ne vous en préoccupez pas, vous reprendrez bien un peu de viande. Ses yeux me fuyaient et j'aurais voulu questionner. Mais c'était déjà beaucoup, énormément, alors juste, son prénom? William, mais, Bill. D'accord, d'accord... je me suis tu le reste du repas et il a continué son monologue, parlant de choses que je ne comprenais pas, de Dieu, de la vie, du respect et des valeurs.
Il m'a accompagné dans une chambre quand je lui ait dit que je ne sentais plus ma jambe. Il m'a allongé, m'a souhaité bonne nuit, et j'ai soupiré. Mes yeux se fermaient quand la porte s'est entreouverte, légèrement, à peine, timidement. Je me suis redressé, un peu trop vite. Main sur le coeur, arrête, arrête. J'ai froncé les sourcils, ai dit d'entrer d'une voix que j'aurais voulu plus assurée. Il s'est avancé, à petits pas, tête baissée et son parfum imprégnant la pièce en même temps que mon coeur. Il m'a montré un plateau avec tout un attirail de soin. J'ai vivement secoué la tête, et je jurerais l'avoir vu sourire. J'aurais tout donné pour revoir ça. Sa main s'est posée sur ma cuisse et j'ai réprimé un frisson. Aucun mot, il a changé mon pansement, m'a regardé dans les yeux parfois. Juste, furtivement, il voulait voir, et je lui donnais toutes les autorisations. Il a eu finit bien trop vite. J'ai caressé son bras. Merci. Il s'est mordu les lèvres, a balbutié un « de rien » et s'est enfuit. Sa voix a résonné dans ma tête, mon coeur, tout mon être et je comprenais pas. Je suis resté là, assis dans ce lit, une main sur ma cuisse et les yeux perdus dans le vide. La vie est une drole de garce, quand on y pense.
Des bruits, répétitifs. Des gémissements étouffés, des mots chuchottés. Je me suis réveillé, ai froncé les sourcils. J'ai cherché à tatons ma veste, l'ai enfilé, me suis levé non sans peine. J'ai suivi les bruits à travers les couloirs froids et angoissants. Je me tenais à la pierre, aux statues, à tout. Quelque chose n'allait pas, non, non. Merde. La foi, les valeurs et la morale, quelque chose n'allait pas. Trop beau, trop pur, trop parfait. L'innocence, la vertu. J'avançais, plus vite, malgré la douleur. Vite, vite. Agis, agis. La porte était entre-baillée. J'ai regardé sans qu'ils me voient. J'ai retenu un hoquet, un cri, un vomissement. J'ai serré les poings, froncé les sourcils. Ma vie a changé à jamais. Le prêtre s'enfonçait en lui, le tenant fermement, gémissant dans son oreille et lui glissant des mots à taire. Bill était coincé, violé, bailloné. Pénétré sans aucune douceur, sans aucun conscentement. Violé jusque dans son âme, dans tout son être. Les larmes se déversaient sur ses joues et ses yeux étaient fermés, fort, pour ne pas voir, ne pas comprendre, ne pas penser, ne pas en rajouter. Le prêtre a joui, s'est retiré. Je suis retourné dans ma chambre et, bordel, le mot colère a illuminé mon esprit pour ne plus jamais en partir.
Le lendemain, j'ai emballé les quelques affaires que j'avais, ai tout balancé par la fenêtre. Je me suis habillé, suis sorti de la chambre. Passé devant les cuisines en allant dans la grande salle. Il l'a frappé une dernière fois, l'a jeté à terre, lui a braillé un ordre et est sorti sans lui lancer un regard. J'ai compté, trente, me suis avancé. J'ai fait comme si, semblant de rien, ai bombé le torse et me suis tu.
La journée a passé, lentement, j'attendais. Le soir venu, mes mains tremblaient encore et je leur ai supplié d'attendre demain. Il est allé se coucher, et je n'ai pas attendu, pas pris le temps de réfléchir ou d'hésiter. Je suis entré en trombes dans la chambre de Bill, lui ai fait signe de se taire. Il était terrorisé et j'ai eu envie de me baffer. Je me suis avancé, le regardant dans les yeux. Comprend, je t'en pris, comprend. J'ai pris sa main, lui ai demandé silencieusement la permission. Je l'ai posé sur mon coeur et ai attendu. Il le sentait, le ressentait. Son visage s'est transformé et il a à son tour pris ma main. L'a posé sur son coeur. A patienté quelques instants, m'a sourit. On s'est promis, on s'est donné, dans un geste, dans un regard. J'ai serré ses doigts, ai ramassé ses affaires et l'ai entrainé derrière moi. Il était collé à mon dos, sa tête baissé. On a parcouru les couloirs, nos coeurs battaient la chamade. Sortis. Récupérer mes affaires, et partir.
- C'est pas être lâche, s'enfuir?
Il a soufflé ça dans mon dos et m'a fait sursauté. Je nous ai caché derrière un arbre, ai caressé sa joue.
- Je n'ai pas déserté, et tu ne t'enfuis pas. On s'affranchit, on se libère.
Il m'a sourit. A pris ma main. Dépendants l'un à l'autre, libérés pour mieux s'appartenir. Affranchis. |