"Putain! Mes gosses!"

Les deux marmots avaient jailli dans mon esprit comme deux ampoules s'allumant dans l'obscurité alors que je portais la crêpe dégoulinante de Grand Marnier à ma bouche.

Telly surpris lâcha la sienne qui vint s'écaser sur le formica de la table de la cuisine autour de laquelle nous nous étions assis pour fêter mon arrivée.

"Ah" Soupira le grand chauve en repoussant son assiette.

"Quoi ah! Putain je laisse deux gosses seuls avec leur mère! Et toi tu dis juste ah!"

Les réminiscences de mon avant mort et le souvenirs des aimés que je laissais derrière moi venaient de noircir soudainement le tableau de mon départ dans ce nouveau monde.

Je mangeais des crêpes avec l'inspecteur Kojak alors qu'au même moment mon épouse et mes enfants revêtus de noir pleuraient sûrement devant mon cercueuil!

"On y passe tous!" Répondit doucement Telly en posant sur moi un regard triste. "On appelle ça les remords..."

"Qu'est-ce qu'ils vont devenir sans moi?" M'inquiétais-je imaginant leur détresse face à mon absence. Culpabilisant je posait ma crêpe dans l'assiette.

"Ils vont continuer de vivre. Tout simplement! Ce n'est pas parce que tu es mort que la Terre s'arrêtera de tourner! C'est sûr c'est dur pour eux. Comme ça l'est pour toi! Mais tu n'y peux rien, c'est comme ça!"

Un sentiment de colère commença à monter irrépressiblement comme une marée haute.

"T'es sûr que je peux rien faire? Merde! J'ai même pas pu leur dire au revoir!"

 "Je sais." Assenna Telly.

 "Mais... Mais... Il doit bien y avoir un moyen!" Mes pensées se bousculaient, passant des souvenirs de vacances heureusesà la plage, aux gosses avec leur petits cartables partant à l'école, à ma femme et ses nuisettes affriolantes, à l'image d'eux pleurant ma tombe pendant que je me goinfrais de crêpes avec l'inspecteur Kojak dans une cuisine américaine hall d'accueuil de l'après vie.

Une envie de tuer me pris. J'en voulais à Dieu, puisqu'au final il semblait bien exister et même diriger ce nouveau monde. Il faudrait d'ailleurs que je prenne rapidement rendez-vous avec lui! Dieu? Mais oui c'est ça!

"Le Christ!" Criais-je. "Il est bien revenu sur Terre après sa mort lui! Et si lui il a pu, pourquoi pas moi?"

Telly esquissa un sourire et se caressa le crâne.

"Un bon gros canular!" Murmura-t-il un sourire en coin. "Et les vivants sont tous tombés dans le panneau! Il n'y a acun moyen technique de revenir parmi les vivants quand on est mort c'est la logique même. Concernant Jésus, ce sont les hallucinations d'une ivrogne sortant d'un bar à côté de son tombeau qui ont lancé la rumeur à l'époque."

"Mais pourtant... Ce... Ce n'est pas possible! Il doit y avoir un moyen! Ce... Ce ne peut..."

"Si tu ne me crois pas vas lui demander! Il vend des hot-dog en ville maintenant!"

Je commençais à me résigner. Même la résurrection du messie était une fausse piste. J'étais condamné à laisser derière moi les miens et vivre seul dans ce nouveau monde coupé de ce que j'aimais avec Jésus en marchand de hot-dog en ville...En ville? Il y avait donc une ville dans l'après vie! Ces derniers mots coupèrent court mes pensées nostalgiques me ramenant brutalement à la réalité de l'instant. Moi dans une nouvelle vie. Peut-être y avait-il un but à tout ça! En tout cas j'avais beaucoup de choses à apprendre et à découvrir.

Le gros Telly avait du comprendre ce qui se disait dans ma tête car il posait sur moi un regard apaisé et amusé.

"C'est un nouveau départ! Ce qui est derrière toi au delà de cette porte n'est plus qu'un lointain souvenir. Profites du présent au lieu de cogiter!" Me dit-il en montrant la porte par où j'étais arrivé.

Je me sentis comme un gosse. Tout petit devant l'inconnu. Ne sachant plus quoi penser je fixai la porte par laquelle j'étais né une seconde fois en quelque sorte.

Un clignotement au dessus du cadre attira mon attention. Une petite led rouge s'allumait et s'éteignait.

"Ah! Un nouvel arrivant!" Clama Telly en souriant. "Il arrive à pic celui-là, il reste des crêpes!"

On frappa à la porte doucement. Telly, de la même manière qu'il m'avait introduit invita l'arrivant à entrer d'une voix sûre.

La porte s'ouvrit et une tête apparut dans la commissure. Un vieux bonhomme dégarni, un regard brillant derrières de larges lunettes.

"Merde! Bernard Clavel!... Vous aussi?" Ne pus-je retenir.