Je suis mort.

Non, non! Attendez! Partez pas, c'est pas fini!

Donc je disais: je suis mort. Mais ce n'est pas triste hein! Bien au contraire!

Je ne vous raconterai pas ma vie d'avant, elle n'en vaut pas la peine. Elle, elle est triste par contre, donc on va éviter le sujet. A la limite retenez juste que j'étais vendeur au porte à porte en confitures bio. C'est bien ça, c'est joyeux ça la confiture bio.

Donc, le jour où je suis mort -ça fait tout drôle de dire ça- je me suis retrouvé dans un environnement tout blanc. D'un blanc laiteux un peu flou et vaporeux. Exactement comme je m'imaginais la mort: un grand rien avec plein de néant dedans. J'avoue que j'ai commencé à flipper... Moi et ma conscience plutôt bavarde tout seul au milieu de rien pour l'éternité! Je me voyais déja en train d'essayer de me bayonner de l'intérieur pour faire taire ces pensées inquiétantes et assourdissantes dans autant de vide. Et puis au bout d'un moment, loin devant moi, j'ai vu avec soulagement au milieu de cet océan de blanc un tout petit point noir. Finallement peut-être y a-t-il autre chose que "moitoutseul" dans cette immensité déserte. Peut-être m'étais-je fourvoyé sur la nature de la vie après la mort? Peut-être qu'au lieu d'un grand vide tout vide y avait-il un grand vide avec des points noirs! Un genre de néant pubère! Mais à y regarder de plus près le petit comédon n'était pas rond mais rectangulaire!

Alors j'ai plissé les yeux pour essayer de mieux voire vu que je n'arrivais pas à bouger mon corps. En fait le petit point était un truc éloigné. Dans tout ce blanc les distances sont faussées me direz-vous. Et le petit point s'est rapproché, rapproché, rapproché, jusqu'à ce que je distingue nettement une porte. Une porte! En bois! Avec une poignée en fer, comme celle des toilettes de mon ancienne vie! D'ailleurs elle y ressemblait étrangement. Y aurait-il des toilettes dans la vie après la mort? Sur le coup j'ai éludé la question et, je ne sais pas pourquoi j'ai toqué. Trois fois pour pas faire original. C'est vrai quoi c'est solennel comme instant non? Je viens de mourir, j'ai traversé le grand tunnel noir vers la lumière blanche, tunnel qui débouchait sur le grand vide immaculé précédement décrit dans lequel je trouve une porte! Forcément, ce qu'il a derrière doit être de tout premier plan! Donc pas question de jouer la cucarracha sur la porte en bois!

Toc! Toc! Toc!

Et j'ai attendu. Je pensais que quelqu'un viendrait m'ouvrir. Un genre de passeur en aube, sourire chaleureux et paternel, chargé d'accueillir les âmes défuntes et de les guider dans leur nouvelle vie... Au lieu de ça j'ai entendu à travers le bois:

"Allez-y entrez! J'ai les mains prises, je peux pas ouvrir!"

Donc, en essayant de garder un minimum de dignité j'ai tourné la poignée de la porte des toilet... non! Du monde de l'après vie! Et je suis entré.

A ma grande surprise c'était une cuisine. Et il y avait un grand type dégarni qui me tournait le dos. Un long tablier blanc maculé de farine attaché dans le dos, le gaillard semblait occupé sur un plan de travail où je pouvais distinguer des coquilles d'oeufs, une brick de lait et du sucre en poudre...

"Monsieur Saint Pierre?" M'aventurais-je. Surpris par la tournure des évennements.

"Non! Désolé il est en RTT!" Me répondit l'homme tout à son office sans même se retourner. "Je le remplace occasionnellement!"

"Jean-Paul?" Osais-je, croyant reconnaître la silhouette du pontif.

"Qui ça? Jean-Paul?" Haussement d'épaules du dos massif. "Tu veux dire Carol?... Ben non!"

L'homme se retourna enfin.

"Je sais pas ce que vous avez tous avec vos chrétineries mais faut arrêter! Y a pas que les religieux qui peuvent avoir des responsabilités ici nom du PDG!... Vous voulez une crêpe?"

J'ai mis quelques secondes avant de reconnaître Telly Savalas.

"Inspecteur Kojak!" M'esbaudiais-je devant la monstruosité sacrée du défunt acteur qui venait de m'accueillir dans ma nouvelle vie.

"Je préfère Telly! Sachons rester humbles, ici nous repartons tous de zéro. Tu veux une crêpe oui ou non?"