Sixième Mois : Septembre "J’ai dû enfermé Duo très loin, et j’espère qu’il ne cherchera pas à me tuer en revenant. C’est pour ça que…" "Que quoi ?" l’encouragea le jeune homme brun. "C’est pour ça que j’aimerai que l’on soit tous réunis…" DRIIING ! Sursautant tous deux au bruit plus qu’inattendu de la sonnerie, l’homme et l’entité échangèrent un regard d’interrogation. "Tu attendais quelqu’un ?" questionna Heero. "Non, et toi ?" "Personne. Je vais voir. Reste là." « On dirait l’ancien Soldat Parfait en pleine mission ! » souria mentalement Shinigami en suivant son ‘amant’ des yeux. Dans le couloir, Heero posa sa main sur la poignée, l’abaissa et ouvrit le battant… Pour le refermer tout aussitôt, la bouche ouverte et les yeux de merlan frit. "Qui c’est ?" demanda son compagnon du salon. Trop abasourdi, Heero ne répondit pas. Il reprit lentement sa respiration et se retourna pour ouvrir de nouveau la porte, priant il ne savait quel divinité pour que ce qu’il avait vu ne puisse être vrai. "Alors, Heero, heureux de nous revoir ?" "Mais que faîtes-vous là !" s’exclama le Japonais. "Pourrions nous entrer, s’il te plaît ? Nous serons mieux à l’intérieur." "Oui, bien sûr. Entrez." Heero fit un pas sur le côté pour permettre aux deux hommes de pénétrer dans la demeure. Il ne parvenait pas à les quitter des yeux. C’était hautement improbable de les voir reparaître après tout ce temps. Mince, ils avaient été déclarés morts ! Alors comment pouvaient-ils à l’instant se trouver devant lui ! "Heero, qui… ?" Coupé dans son élan par la vision des deux hommes présents au beau milieu du vestibule, Duo mit quelques secondes à se remettre de sa surprise… Avant de courir se jeter dans les bras du plus petit. "Papy G ! Comment c’est possible ! Z’êtes pas mort ! Hee-chan t’as vu ça ! Ils sont pas morts !" "Duo, je te rappelle que tu n’as plus huit ans et que mes belles années sont déjà loin." "Bah quoi ?" demanda innocemment l’Américain. "Pourrais-tu me lâcher, s’il te plaît. Tu es lourd maintenant." "Oups, pardon, prof", s’excusa le châtain. Duo se tourna vers Heero, toujours pétrifié sur le paillasson. "Bah Hee-chan, tu dis pas bonjour ?" Sans prononcer un seul mot, tous virent les yeux du jeune homme se glacer et son corps se mettre au garde à vous. "Arrête Heero !" ordonna le second homme. Interloqué, l’interpellé interrogea son ancien supérieur du regard. "Nous ne sommes plus en guerre, il n’est nullement nécessaire de te comporter en soldat, d’autant plus que nous nous trouvons chez toi." "Bien Professeur J", accepta le jeune homme, une lueur de reconnaissance au fond des yeux. Amusé, Duo fit signe de passer au salon. * * * "Nous n’allons pas y aller par quatre chemins", annonça d’emblée le Docteur J. "Nous sommes au courant que Shinigami a le contrôle du corps de Duo…" "Mais…" voulut intervenir Heero. "Bien qu’il n’ait aucune intention belliqueuse", finit J. "Pour une fois", souligna G. Shin et lui échangèrent un regard lourd de sous-entendus avant qu’un sourire complice ne vienne s’échouer sur leurs lèvres. L’entité reprit alors la conversation. "J’allais justement proposer une solution à Heero." "Et quelle est-elle ?" s’enquit le Docteur cybernétisé. Shin regarda Heero afin de s’assurer de son soutien, bien que celui-ci ne sache absolument pas ce qu’allait dire son compagnon. "Je pense que le meilleur moyen pour que Duo revienne – parce que je veux qu’il revienne – est qu’il se sente dans un environnement qu’il connaît et où il se sente en sécurité. Une sorte de terrain sécurisé où il soit sûr que rien ne peut lui arriver…" "Très bonne idée", approuva G. "Mais encore faut-il trouver cet environnement favorable… On ne peut pas dire que Duo ait connu énormément de stabilité dans sa vie, hormis ces dernières années…" "Nous." Les deux scientifiques et le natté se tournèrent d’un même ensemble vers Heero. Le Japonais semblait perdu dans ses réflexions. "Qui est ce ‘nous’ dont tu parles Heero ?" l’interrogea J. "Nous", répéta-t-il, comme une évidence. "Nous cinq, comme avant. Réunis." "C’est exactement là où je voulais en venir !" s’exclama Shinigami, heureux que Heero ait suivi le cours de sa pensée. "A cette époque-là, il était bien, et je ne sortais que pour lui éviter d’avoir du sang sur les mains… Oui, je pense que cela marcherait." L’accent de conviction avec lequel il s’était exprimé prouva aux professeurs que la solution à leur problème était toute trouvée. Le plus important désormais, était de parvenir à réunir les anciens pilotes de Gundams, au même endroit et au même moment – sans que ce ne soit une réception à Sank – et le plus longtemps possible. Compte tenu des occupations de deux d’entre eux et de l’épouse du dernier, cela ne serait pas une mince affaire. * * * Les cris redoublèrent de violence et Wufei leva les yeux au ciel. Il s’attendait à ce que Sally soit difficile à convaincre, mais rien n’aurait prédit une scène de ménage pareille… "Il est hors de question que tu y ailles seul ! Je viens avec toi, un point c’est tout !" "Et moi je te répète que c’est impossible. Nous devons recréer le même environnement que par le passé, et pour cette raison tu ne dois pas être là." "Maître Wufei a raison, madame. Il est primordial que les anciens pilotes soient réunis afin de réaliser un environnement familier et sécurisant pour monsieur Maxwell." "C’est Maxwell-Yuy, maître O…" "Parce que vous trouvez qu’une vieille planque au fond des bois, menacée d’être attaquée par le premier groupuscule anti-paix venu est sécurisante !" s’impatienta la jeune femme. "Je sais bien qu’il n’y a plus de risque du côté de OZ, mais il reste encore de nombreux opposants à la paix qui ne demandent qu’à se venger des pilotes de Gundams. Et vous proposez de les leur servir sur un plateau d’argent !" "Mais nous ne serons aucunement dans une vieille baraque au fond des bois, ma chérie", la contredit tendrement Wufei. * * * "Mais évidemment que je suis d’accord !" s’exclama le jeune homme blond. Se tournant vers son compagnon, il ne perçut qu’un demi-regard d’approbation à travers la mèche brune lui cachant la moitié du visage. "Nous sommes d’accord", confirma Quatre. "Doctor S, où pensez-vous que nous devrions nous retrouver ?" "H et moi avons pensé à ta propriété du Sud de la France. Cette région profite d’un climat assez clément en cette période de l’année, et les groupes rebelles n’y sont presque pas représentés. Cela te convient ?" "Parfait ! Je vais immédiatement prévenir Rachid et ses hommes d’aller vérifier les alentours de la maison et envoyer quelques aides ménagères pour la nettoyer. Elle est inoccupée depuis au moins six mois." Le jeune homme prit son téléphone et moins de dix minutes plus tard, tout était réglé. "Quatre ?" "Oui, Trowa ?" "Pense à décommander tes rendez-vous des prochains mois." "Tu as raison. Dans mon empressement j’ai failli oublier. Je vais m’arranger avec Cassy et Ouanda pour voir si elles peuvent au moins assurer les plus importants en mon absence. Et toi, pense à prévenir Cathy pour les représentations." "Je lui téléphonerai une fois que nous serons sur place. Elle risquerait de me faire culpabiliser de l’abandonner." Les deux jeunes hommes échangèrent un tendre sourire sous le regard bienveillant des deux vieillards. * * * L’immense parc paysagé était baigné par la lumière crue de cette fin d’été. La grande allée menant à la maison serpentait à travers une haie de rhododendrons roses et bleus mariés à de grands rosiers. De gigantesques pins maritimes parsemaient la pelouse tondue à ras de cercles foncés et les arbustes se disputaient avec les baies l’éclat de leurs feuilles cramoisies. La haute grille de fer forgé n’émit aucun grincement lorsque ses battants s’ouvrirent, libérant le passage à une berline de grand standing, aux vitres fumées et à la carrosserie immaculée. A vitesse réduite, elle avança dans l’allée et, passant à l’ombre des arcades végétales, se dirigea vers la maison qui surplombait les jardins. Alignés au sommet du perron, une demie douzaine d’hommes en livrée et de femmes en tabliers et bonnets de coton blancs attendait impatiemment que leur jeune maître les rejoignît. La plupart ne l’avait pas revu depuis plus de dix ans, et ils espéraient retrouver chez le grand homme du monde, un peu de la gentillesse caractéristique de l’enfant qu’il avait été. Les portières s’ouvrirent simultanément, et Quatre et Trowa sortirent du véhicule. Le blond esquissa un sourire heureux à l’adresse de leur comité d’accueil. L’acrobate fit quelques mouvements pour étirer ses muscles ankylosés par le long voyage qu’ils venaient d’effectuer. Il s’empressa de rejoindre son compagnon au bas des marches et, main dans la main, ils saluèrent le majordome, la cuisinière, le jardinier et les femmes de chambre. "Bienvenue, Maître Quatre. J’espère que vous avez fait bon voyage, les accueillit le responsable de la maisonnée." "Oui, merci Philippe. Vous avez clairement fait suivre les instructions que je vous avais données ?" s’inquiéta Quatre. "Oui, monsieur. Nous resterons parfaitement invisibles dès l’arrivée de Messieurs Yuy et Maxwell." "Merci infiniment, Philippe." La maisonnée s’inclina et les deux hommes pénétrèrent dans l’entrée, déposèrent leurs vestes et prirent place au salon où des rafraîchissements leur furent servis. Ils se délassèrent quelques minutes en silence puis montèrent ranger leurs affaires dans leur chambre. "Quand Wufei a dit qu’il arriverait ?" demanda Quatre. "D’ici deux jours. Il a finalement réussi à convaincre Sally de ne pas venir et qu’il serait de retour avant qu’elle ne soit ménopausée." Quatre émit un petit rire cristallin et, sur proposition du Français, ils passèrent le reste de la journée sur la plage privée attenante au domaine. * * * "Par Nataku ! Mais où sont-ils encore allés s’enterrer !" Le voyage avait été plus long que ce qu’il n’avait prévu, et son humeur déjà maussade suite à la dernière scène que lui avait fait Sally ne s’était pas arranger au fil des heures. Wufei avait mis plus d’un quart d’heure avant de trouver le petit village côtier abritant la demeure de son ancien compagnon d’arme, puis près d’une demie heure avant de tomber sur l’entrée de cette dernière. Il était pourtant persuadé que son sens de l’orientation était bien meilleur que cela du temps de la guerre… A son arrivée, il fut accueilli par Philippe qui l’introduisit immédiatement dans le salon où Quatre et Trowa l’attendait pour le thé. Après les salutations polies de l’Européen et les explosions de joie de l’Arabe, il s’enquit de la date d’arrivée des deux absents. "Heero m’a téléphoné ce matin pour m’annoncer qu’ils ne seraient pas là avant demain en fin de journée", l’informa Quatre. "Apparemment, Du… Shin-san, se reprit-il, avait encore quelques affaires à préparer, pour lui comme pour l’enfant." Un silence contemplatif s’installa durant quelques minutes puis le blond s’enquit de la santé de la compagne de Wufei. "Elle allait parfaitement bien ce matin lorsqu’elle me hurlait encore dessus que notre entreprise n’était que pure folie", ironisa le Chinois. "Oh, je suis désolé, Wufei !" s’exclama Quatre. "J’espère que tout s’arrangera une fois rentré", ajouta Trowa. "Ne vous en faites pas, c’est uniquement sa jalousie qui se réveille", expliqua Wufei. "Elle ne supporte pas de voir que je me précipite pour aider mes amis à sauver leur enfant alors qu’elle souhaite par dessus tout devenir mère !" Son ironie ne parvint pas à cacher la pointe d’appréhension qui perçait dans sa voix. Quatre tenta dès lors de l’aider : "Et toi, tu ne souhaites pas devenir père ?" "Bien sûr que si !" s’indigna l’asiatique. "Enfin, un jour je suppose mais, pour le moment, je ne suis pas prêt… Et Sally se montre de moins en moins patiente : d’après elle, plus on attend, moins elle a de chance d’être enceinte facilement." "Et elle a raison, appuya Trowa. Je ne veux pas te mettre la pression, mais Sally est plus âgée que toi, et les femmes ne sont pas… fécondes, toute leur vie." Pensif, l’intéressé baissa les yeux sur le magnifique tapis qui ornait le salon. Il savait que se amis avaient raison, mais il doutait encore tellement de ses capacités et du monde dans lequel ils vivaient qu’il ne se sentait pas prêt à donner la vie à des êtres qui pourraient ne pas être heureux. D’un mouvement de tête, il chasse ses pensées ternes et décida de reprendre le sujet dans quelque temps, une fois que les choses se seraient éclaircies dans son esprit. Pour le moment, un sujet plus vital devait être abordé. "Il faut que l’on parle de Deepack…" * * * "C’est encore loin ?" demanda le natté d’une voix plaintive. "D’après le GPS, il ne nous reste plus qu’une dizaine de kilomètres", répondit Heero d’une voix dont pointait une légère exaspération. "Encore ? Mais j’ai vraiment besoin de soulager ma vessie, moi !" "Et bien à moins de te contenter du bas-côté, tu attendras encore une petite demie heure." Le ton n’admettait aucune réplique. Shinigami se renfrogna dans son siège et pesta contre le petite peste qui ne cessait de cogner son envie pressante à grands coups de pied. Elle aussi en avait plus que marre de la route et il était réellement temps qu’ils arrivent. Enfin, les hautes grilles de la propriété de Quatre s’élevèrent face à eux et ils pénétrèrent dans les jardins encore fleuris. Heero arrêta la voiture au bas du perron sortit du véhicule et en fit le tour afin d’ouvrir la portière de son passager. L’Américain se mouvait effectivement avec une extrême lenteur compte tenu des précautions que lui avait adjoint le docteur Piétri. Son ventre désormais bien arrondi par les deux premiers trimestres de sa grossesse, il devenait difficile de passer inaperçu et les deux hommes s’étaient senti énormément mal à l’aise sous les regards des badauds, à l’aéroport comme sur les aires d’autoroute. Au contraire de Wufei, le Japonais et le natté furent directement accueillis par leurs amis qui vinrent à leur rencontre une fois Shinigami descendu de voiture. La joie et l’exubérance de Quatre contrastèrent magnifiquement avec la retenue et la passivité de Wufei et Trowa qui se contentèrent d’un bref signe de tête et d’un léger sourire aux nouveaux arrivants. Ils se saisirent de leurs bagages et les montèrent dans leur chambre tandis que Quatre leur servait un thé dans le salon. "Le voyage n’a pas été trop long ?" s’inquiéta-t-il à l’attention de son ami natté. "Une horreur", se plaignit ce dernier. "En plus, la petite n’arrête pas de me donner des coups de pied dans la vessie, et on ne peut pas dire que ça m’aide à calmer l’envie qui me tient depuis le milieu de l’après midi !" "Mais il fallait le dire de suite ! Les toilettes sont au fond du corridor de l’entrée, sur la droite." Sans se faire prier davantage, le châtain sortit du salon, laissant ses quatre amis libres de discuter en toute liberté. Heero engagea le débat : "Tu as bien précisé à ta maisonnée de ne pas se montrer ?" "Oui, ne t’en fais pas", le rassura Quatre. "Tu ne les verras même pas." "Merci. Ecoutez, je sais que la situation peut paraître un peu loufoque, mais c’est le seul moyen que nous ayons trouvé pour que Duo accepte de revenir. Je me doute que cela ne vous enchante pas, vous avez tous deux des obligations professionnelles, mais il fallait absolument que vous soyez présents." "Nous comprenons Heero", affirma Trowa d’une voix calme. "Nous ne serions pas venus si la gravité de la situation ne nous était pas apparue très clairement." Un fin silence s’ensuivit. Leurs pensées voltigeaient autour d’eux, chacun conscient du drame qui pouvait se jouer à tout instant. "Je pense que pour le moment, nous n’avons rien à craindre", déclara finalement Heero. "Il n’a montré aucun signe de nervosité depuis la visite des Mads, et Shin-san m’affirme que Duo est particulièrement calme. J’espère que la situation pourra se prolonger encore quelques jours, le temps de trouver une solution au problème de captivité de Duo." "Nous l’espérons tous, Yuy", appuya Wufei. Sur cette affirmation, leur sujet de conversation entra dans le salon, un immense sourire sur les lèvres. "Ayé ! On se sent mieux, y a pas à dire !" "Prière de nous épargner les détails, Maxwell !" ronchonna le Chinois, plus par habitude que par réel agacement. "Moi aussi je suis ravi d’être parmi vous les mecs !" répondit le natté. "Mais pour rentrer dans le vif du sujet, je pense qu’il faudra un peu plus que quelques répliques acerbes pour faire revenir votre ami." L’étonnement de cette intervention laissa bien vite la place à une atmosphère de gravité intense. Shinigami venait d’annoncer officiellement sa présence, et tous prenait peu à peu conscience du travail qu’ils avaient encore à accomplir avant que les choses ne redeviennent comme avant. « Mais ‘avant’ quoi ? » s’interrogea Quatre. « Notre ‘avant’ est fait de guerre, de souffrance et de pleurs. Nous ne pouvons pas nous permettre de revenir à ‘avant’. Il faut que nous construisions un ‘après’ encore plus beau et plus grand que le précédent. » * * * Les premiers jours glissèrent comme pluie d’automne à la surface de l’eau. Le calme et la bonne humeur prédominaient. Vite oublieux de la condition de ‘détention’ de son meilleur ami, Quatre sympathisa avec Shinigami, apprenant à le différencier de l’Américain tout en l’y associant. Leurs expériences et leurs émotions étaient étroitement liées, et l’empathe dut se rendre à l’évidence que l’un ne pouvait aller sans l’autre. Trowa le soutenait dans cette tâche, présence silencieuse et épaule de granit, lui changeant les idées et l’aidant à y voir plus clair. Wufei restait un peu en retrait, reprenant son rôle de solitaire asocial qu’il n’avait jamais vraiment quitté. Son calme apaisait les esprits et Heero l’avait surpris plusieurs fois au cours de cette première semaine en grande conversation philosophique avec Shinigami. L’entité en ressortait d’excellente humeur, prête à commettre la moindre bêtise. C’est sur ce point-là que Heero s’inquiétait le plus : Shinigami avait un sens de l’humour très développé que tous appréciait, mais une conscience des situations à risques en dessous de la normale humaine ! Bien que sans réel danger, les farces que leur jouait le démon commençaient à poser quelques petits problèmes : coupures d’électricité, piscine infestée de têtards, les poissons de l’aquarium du salon d’apparat dans l’étang du jardin… Le Japonais ne s’en faisait pas tant pour les problèmes domestiques que pour la santé de son compagnon et de leur enfant. En effet, bien qu’il n’ait jamais été pris sur le fait, Heero ne doutait pas un instant que Shinigami prenait quelques risques afin de réaliser ses tours. Au terme de cette seconde semaine, il espérait que le démon saurait s’arrêter à temps. * * * Trowa était sceptique et profondément inquiet. Cela ne lui était pas arrivé depuis qu’il avait dû décider de parler à Quatre pour lui demander s’il acceptait de vivre avec lui à l’issue de la seconde guerre. Mais cette fois-ci, le problème n’était pas son couple en lui-même, mais plutôt le personnage principal qui gravitait autour et qu’il ne parvenait pas à occulter de ses pensées. Car bien malgré lui, Trowa était fasciné par Shinigami. Non pas par son physique ni quoi que se soit d’aussi basique, mais par le fait de son existence même. Il ne savait pas si l’entité était réelle ou si elle avait simplement été créée par Duo dans une période particulièrement trouble de son enfance, si elle était la projection dans leur monde d’une quelconque créature légendaire tout droit sortie des films d’horreur à la sauce du XXème siècle ou bien si tout ceci n’était qu’une gigantesque farce de la part de Duo. Cette dernière hypothèse n’étant même pas envisageable vu l’état de nerfs dans lequel se trouvait son petit frère d’arme Japonais. Et la meilleure conclusion lui venant à l’esprit ne faisait que relancer ses interrogations et ses prises de tête, ce dont il se passait habituellement très bien ! Donc, Trowa se mit à observer Shinigami lors de ses discussions avec Quatre, conversations auxquelles il prenait de plus en plus part, histoire d’en savoir un peu plus sur son sujet de recherche. Il se rendit vite compte que Shinigami était bien plus complexe que Duo au début de leur collaboration. * * * Le tabouret était légèrement bancal, mais il s’en accommoderait pour aujourd’hui. Après tout, il n’en avait que pour quelques minutes et le tour serait joué… Enfin façon de parler, il faudrait encore attendre que le grand méché passe par là pour que cela réussisse. Ce grand dadais, bien que très gentil, commençait sérieusement à lui taper sur les nerfs à l’observer constamment de cette manière. Il n’était tout de même pas un de ces cobayes que J avait renfermés à une certaine époque dans des laboratoires secrets ! Il était donc temps de lui apprendre une bonne leçon. Et puis il en profitait : bientôt, la proéminence de son ventre le gênerait dans ses mouvements et il ne pourrait plus rien faire, si ce n’est grossir, grossir et encore grossir. Il avait vraiment hâte que cette grossesse se termine, ou que Duo revienne assumer son rôle, au choix. Mais non, encore une fois, c’était lui qui devait tout assumer, tout gérer. Finalement, Duo n’avait pas tant changé que cela depuis qu’ils se connaissaient. Perdu dans ses pensées et par le fait qu’il tentait tant bien que mal de conserver son équilibre perturbé sur le devant, Shinigami n’entendit pas des pas se rapprocher dans son dos. La personne s’arrêta juste derrière lui et assura la stabilité du tabouret du bout du pied. Le brusque arrêt du mouvement de bascule surprit le perché qui tomba en arrière dans son balancement. Il tenta de se rattraper au premier objet qui lui tomberait sous la main, mais le mur était entièrement lisse et il ne dut son salut qu’à la grande commisération de deux grandes mains plaquées soudainement sur ses fesses. Elles ne restèrent cependant pas bien longtemps en place et deux bras se tendirent sous ses aisselles pour l’empêcher de tomber rudement sur le sol. Un silence tendu s’installa, le temps de réaliser le danger que Shinigami venait de courir puis son rire retentit dans le couloir, rompant la gêne. "Bah dis donc ! Merci, vieux, je sais pas ce que j’aurai fait sans toi !" "Tu te serais fait très mal, sans aucun doute." D’un bond, le natté se retourna pour faire face à son sauveur. "Trowa ? J’étais persuadé que c’était Heero !" "Il est dans le jardin, il te cherche partout. Il a peur que tu fasses encore une bêtise…" "Moi !" s’étonna le farceur d’un air outré. "J’oserai pas, tu sais bien !" Ils se sourirent et Trowa l’aida à descendre du tabouret. Il le saisit par le bras et ils prirent la direction des jardins. "A qui était destiné cette farce ?" s’enquit le Français. "A toi", répondit franchement Shinigami. "Et en quelle honneur ?" "En l’honneur de ton regard plus qu’insistant que je sens sur moi à longueur de journée depuis plus de trois jours." Le ton presque glacial fit frémir Trowa qui se maudit pour son manque de discrétion. Il était loin le temps où il pouvait infiltrer et surveiller qui que se soit sans se faire repérer. "Tu es en colère ?" s’inquiéta-t-il. "Non, mais j’aimerai savoir ce qui te pousse à m’observer de la sorte." "Je ne sais pas", mentit le Français. Il sembla réfléchir pendant quelques instants et il allait répondre lorsqu’une sonnerie retentit dans le hall, annonçant l’arrivée inopportune d’un nouveau pensionnaire. Ils débouchèrent sur le perron en même temps que Quatre qui leva un sourcil en direction de ses amis, leur demandant qui cela pouvait bien être. L’arrivée d’une personne extérieure à leur groupe n’était pas pour lui plaire : d’après une discussion qu’il avait eu avec Shinigami la veille, Duo commençait juste à se détendre, bien qu’emprisonné dans les profondeurs de son esprit. Il espérait que ce visiteur ne retarderait pas plus la réapparition de son meilleur ami. La réponse ne tarda pas à se profiler à l’horizon sous la forme d’une limousine noire aux vitres teintées qui remonta l’allée avant de s’arrêter au pied du perron. Le chauffeur descendit de derrière le volant et alla ouvrir la portière arrière. Un éclat blond confirma les doutes de Quatre qui s’empressa d’aller à la rencontre de la visiteuse. "Réléna ? Que fais-tu ici ?" s’étonna-t-il. Il était persuadé que seules Cassy et Sally savaient où ils se trouvaient. Ainsi que les Mads, mais il doutait qu’ils aient un quelconque contact avec la jeune reine de Sank et Ministre des Affaires Coloniales. "Je viens rendre visite à mes amis", avoua-t-elle avec un sourire lumineux. "Cela ne dérange pas, au moins ?" "Non", hésita Quatre. "Es-tu au courant de la situation ?" Il l’entraîna sur les marches puis vers le salon pendant qu’elle lui répondait. Au passage, il remarqua que Trowa avait détourné l’attention de Shinigami et qu’ils ne se trouvaient plus dans le hall. "Oui, en quelque sorte. J’ai eu Sally par visiophone hier soir, et elle était furieuse de ne pas avoir de nouvelles de Wufei. Elle voulait savoir si je savais quelque chose. Ne voyant pas de quoi elle parlait, je lui ai demandé de m’exposer la situation et je me suis dit que pour faire plus vrai, il fallait que j’intervienne." Elle adressa un clin d’œil complice à Quatre à ses mots et ce dernier sourit en repensant au nombre incalculable de fois où la jeune princesse avait débarqué sans crier gare dans une de leurs planques, menaçant leur couverture à tous les coups. "Ce que je pouvais être bête à l’époque !" s’exclama-t-elle. "Non, tu étais juste amoureuse", complaignit l’Arabe. Il lui fit servir un thé et lui exposa le problème plus en détails. L’expression sérieuse qu’elle arborait lui confirma que la maturité et le professionnalisme dont elle faisait preuve dans ses fonctions n’étaient pas qu’une façade politique. "En quoi puis-je vous être utile ?" s’enquit-elle dès la fin des explications. "Pour être franc, je n’en sais rien. Shinigami dit que Duo commence seulement à se calmer. Peut-être devrais-tu discuter avec les autres avant de t’adresser directement à lui. Je ne sais pas comment il va réagir en ta présence." "Je comprends", assura-t-elle. "Notre rivalité d’antan est lin, mais s’il est revenu à cette époque, on ne sait jamais. Sais-tu où se trouve Heero ? Cela fait longtemps que je ne l’ai pas vu…" "Il était dans le jardin il y a moins d’une heure." "Merci, Quatre." Réléna retrouva Heero sous la véranda, à l’arrière de la maison. A son entrée, le jeune homme ne put empêcher un sourire d’ourler ses lèvres. Son amie était venue. Bien qu’il ne l’ait pas prévenue de la situation, il n’avait pas douté qu’elle débarquerait comme au bon vieux temps. Leur dernière rencontre remontait à plus de deux mois, et les récents événements ne leur avaient pas permis de se parler énormément. Malgré le béguin qu’elle avait eu pour lui dans son adolescence, Réléna avait été plus qu’heureuse en recevant le faire part de mariage de ses anciens camarades de résistance. Leur union lui avait fait plaisir et la récente grossesse de Duo les avait rapprochés. Car sa popularité et ses fonctions ne laissaient que très peu de temps à Réléna pour qu’elle se consacre à son propre bonheur et son célibat lui pesait. Elle avait bien rencontré quelques hommes qui avaient semblé s’intéresser sincèrement à elle, mais sa popularité les avait irrémédiablement éloignés. Elle se consacrait donc au bonheur de ses amis en attendant que vienne le tour du sien. Sa conversation avec son meilleur ami s’orienta bien vite sur les craintes de celui-ci au sujet de son compagnon. Elle tenta de le rassurer, puis prit congé, décidée à s’entretenir avec Wufei (Sally lui avait demandé de transmettre un heureux message à son mari) puis avec Trowa, dont le regard préoccupé ne lui avait pas échappé. Après tout, on a beau être princesse, il faut savoir bichonner ses vrais amis ! * * * "Trowa ? Est-ce que je peux te parler ?" Elle l’avait trouvé dans la cuisine, à préparer des muffins au chocolat. Un grand tablier bleu protégeait ses vêtements et l’odeur alléchante sortant du four annonçait au minimum deux fournées. Il lui signifia son accord d’un hochement de tête et elle grimpa sur un des hauts tabourets alignés le long de la table. La cuisine, aménagée à l’américaine, était spacieuse et très lumineuse et la table centrale assurait une certaine convivialité. La jeune femme observa quelques minutes le cuisinier improvisé. Il roula en petits pâtés la pâte à gâteau blanche criblée de pépites de chocolat et les disposa sur la plaque du four. Il les enduisit de jaune d’œuf puis ouvrit le four, sortit la première fournée et glissa la seconde plaque. Il dénoua ensuite son tablier, le rangea dans un des placards et vint s’asseoir face à la jeune femme. Elle décida de ne pas tourner autour du pot, connaissant son interlocuteur. "Y a-t-il un problème entre Quatre et toi ?" Il ne lui répondit pas immédiatement, semblant analyser la question et chercher ses mots pour formuler la meilleure réponse possible. Depuis le temps qu’ils se fréquentaient, elle avait appris à connaître le mode de pensées de ces jeunes hommes que la vie n’avait pas épargnés. "Non, je ne pense pas." "Donc tu n’en es pas sûr", appuya-t-elle. "Qu’est-ce qui te tracasse ?" Il garda le silence, la scrutant afin d’évaluer les informations qu’elle détenait. Elle venait d’arriver, elle ne pouvait pas déjà avoir remarqué son trouble. "C’est Shinigami ?" « Ou peut-être que si » "Comment le sais-tu ?" "Je suis très observatrice. En arrivant, tu étais bras dessus bras dessous avec Duo, et le regard que tu as jeté à Quatre m’a fait… frémir ! J’ai eu l’impression que tu lui en voulais. Mais je peux me tromper, bien sûr…" "Tu ne te trompes pas, pourtant. Ou plutôt, si, car ce n’est pas à Quatre que j’en veux mais à moi." Il s’interrompit, cherchant ses mots. Exprimer ses pensées n’était pas encore devenu une habitude, mais grâce à son compagnon, il avait fait énormément de progrès. Le plus grand étant bien évidemment l’apprentissage de ses émotions et leur expression. Mais formuler ses expressions à une personne qu’il ne voyait pas souvent, bien que lui donnant son entière confiance, n’était pas chose facile pour le jeune orphelin qu’il restait au fond de lui. Il prit une grande inspiration et se lança : "J’aime Quatre, c’est indéniable. Mais depuis l’arrivée de Shinigami, je me pose beaucoup de questions. Pourquoi et comment est-il arrivé là ? Qu’est-il réellement ? Cette grossesse a-t-elle une chance d’être menée à terme ? Et l’enfant ? Ce sont des questions que je ne devrai pas me poser : je leur fais confiance, et pourtant depuis mon arrivée ici, je doute. Je doute de moi, d’eux, de ma relation avec Quatre. Ca fait près de cinq ans que l’on se connaît et plus d’un an que l’on s’est unis. Et malgré tout notre amour, je sens qu’il nous manque quelque chose, qu’il me manque quelque chose. Et je crois que Duo et Heero l’on trouvé avant nous et cela me chagrine plus que je ne l’aurai pensé. Je ne sais même pas si Quatre y a pensé, nous n’avons encore jamais abordé le sujet." Il s’arrêta, sentant que le gros du problème allait bientôt être révélé. Il n’était pas certain de vouloir se l’entendre dire car cela le rendrait concret, mais arrivé au point où il en était, il était finalement trop tard pour faire marche arrière. "Lorsque nous avons commencé à nous voir en dehors du cadre professionnel, c’était la fin de la guerre : les missions s’enchaînaient à une vitesse impressionnante et OZ était partout. Il nus était très difficile de nous retrouver avec un minimum d’intimité et de… confort, mais à chaque fois, c’était merveilleux. Ensuite, il a fallu assister aux cérémonies et commémorations, aider les Preventers et Quatre a repris l’entreprise familiale. De nouveau, alors que je pensais que nous pourrions enfin avoir une vie de couple, son travail l’a accaparé, puis nous nous sommes mariés et chacun a repris ses activités avec de temps à autre un brin d’amour et d’intimité. Mais aujourd’hui…" Il respira un bon coup, une étrange boule nerveuse dans la gorge : "Aujourd’hui je doute que nous puissions continuer sans qu’un changement ne s’opère dans nos vies à tous les deux. Et j’ai peur que cela ne nous pousse à rompre." Enfin, il l’avait dit. C’était douloureux, mais cela devait sortir. Si le problème était resté à l’intérieur, il savait qu’il n’y aurait eu aucun moyen de le régler. Maintenant, il comptait sur Réléna pour l’aider à y voir plus clair. Il releva la tête vers elle et il la vit plongée dans une intense réflexion. Elle marmonna quelques mots qu’il ne comprit pas et secoua la tête comme si l’idée qu’elle énonçait ne lui plaisait pas. Au bout de quelques minutes qui parurent une éternité à Trowa, la jeune femme releva vers lui son visage doux et serein. "Je pense que tu as toi-même trouvé la solution, Trowa. Tu l’as énoncé très clairement. Il vous manque quelque chose, à toi et à Quatre, pour que votre couple aille encore mieux. Car tu dramatises un peu la situation tout de même, tempéra-t-elle avec un sourire amusé. Votre relation n’est pas au bord du gouffre, mais vous vous êtes installés dans une petite routine qui te pèse, et même si Quatre ne s’en rend pas encore compte, je suis sûre qu’il en souffre également. La solution la plus simple est, comme pour tout problème conjugal, d’en discuter avec lui pour savoir ce qu’il en pense." Une étincelle s’alluma alors dans les yeux d’émeraude du jeune homme et il acquiesça en silence à la proposition de son amie et conseillère. Ne restait plus qu’à trouver Quatre et le moment approprié pour lui parler. * * * Ayant rencontré Heero alors qu’il recherchait Trowa, Quatre lui demanda s’il n’avait pas vu son compagnon. "Il doit être dans la cuisine. Réléna aussi d’ailleurs, elle voulait lui parler." "Merci, Heero. Que fais-tu ?" "Je vais moi aussi chercher ce qui me sert de compagnon afin qu’il ne commette pas plus de bêtises qu’il n’en a déjà faite !" Ils se sourirent et Quatre prit la direction des cuisines pendant que Heero se dirigeait vers les jardins. A cette heure-ci, Shin-san adorait contempler la surface calme du lac. Parvenu dans le couloir menant aux cuisines, Quatre fut alléché par une délicieuse odeur de chocolat chaud. Aucun doute n’était permis : Trowa préparait des muffins au chocolat ! Un instant nostalgique, Quatre tenta de se rappeler la dernière fois que Trowa avait cuisiné rien que pour lui. Avec un froncement de sourcils, il se rendit compte que cela remontait à une éternité. Il fit voltiger ses cheveux en secouant la tête et poussa délicatement la porte de la pièce où se trouvaient son compagnon et leur amie. Il comptait bien leur faire une petite peur. Des bribes de conversation lui parvinrent : "… Nous n’avons jamais abordé le sujet." Quatre se figea sur le seuil de la cuisine. Trowa parlait de leur couple avec Réléna ? Depuis quand se livrait-il ainsi ? Même avec Catherine il ne discutait pas aussi franchement. Intrigué par cette conversation, Quatre décida de rester en retrait afin d’écouter la suite des propos de son compagnon. Malheureusement, Trowa ne semblait pas certain de ses paroles et une grande partie de ce qu’il dit ne lui parvint pas. "… Son travail l’a accaparé… Je doute… Nous pousse à rompre…" A ces mots, le blond dut se raccrocher au chambranle de la porte. Trowa envisageait de rompre ! Ce n’était pas possible, pas après tout ce qu’ils avaient traversé, enduré, surmonté ; pas après deux guerres, des oppositions familiales et les crises de leurs amis. Et pourquoi son travail à lui poserait problème alors que Trowa s’absentait parfois pour des tournées de plus de trois mois durant lesquelles ils n’arrivaient à se voir que quelques minutes, au plus quelques heures au total ? « Pourquoi cela serait ma faute ! Lui aussi n’est pas souvent à la maison. On en a déjà parlé pourtant, et nous nous étions mis d’accord sur le fait que ce serait difficile mais pas insurmontable ! Nos avons tout de même fait la guerre, et pendant ces périodes-là, nous ne pouvions ni ne devions nous voir… Alors pourquoi maintenant… ! » L’incompréhension totale dont il était victime lui noua brusquement l’estomac et il entendit un bourdonnement dans ses oreilles. Sa prise sur le mur se raffermit et il écouta de nouveau la conversation en cours, curieux et pourtant effrayé par ce qu’il allait entendre. Apparemment, Trowa attendait l’avis de Réléna. Et Quatre espérait fortement qu’elle balaierait les doutes du brun. "Je pense que tu as toi-même trouvé la solution, Trowa. Tu l’as énoncé très…" Quatre ne pouvait en entendre plus. Il tourna les talons et courut à travers la maison jusqu’à sa chambre. Il claqua la porte avec tant de force que le cadre suspendu à côté tomba à terre et se brisa. Il ouvrit la penderie avec autant de délicatesse, en sortit sa valise et entreprit de rassembler ses affaires. « Puisque c’est comme ça, autant partir maintenant. Ils se débrouilleront très bien sans moi ! » Il boucla son sac rapidement, n’ayant reprise que le strict minimum et il ressortit de la chambre à grands pas. Il fit un détour par les quartiers du majordome Philippe et lui ordonna d’un ton tranchant de lui faire amener une voiture. Ce dernier obéit, décontenancé par l’humeur de son maître. Quelques secondes plus tard, Quatre patientait sur le perron, priant pour qu’aucun de ses amis ne vienne lui demander le pourquoi de son départ précipité. Une fois de plus, il se maudit en entendant des pas se rapprocher. Des pas qu’il aurait reconnu entre mille. "Quatre ? Que fais-tu ?" La voix était douce et une pointe d’inquiétude, que seul le blond connaissait, perçait dans certains sons. Il respira profondément, tentant de ne pas laisser la colère prendre le pas sur son bon sens, et se retourna lentement vers l’ancien mercenaire. "Je m’en vais", déclara-t-il d’une voix dont il parvint à contrôler les tremblements. "Pourquoi ? Une urgence au boulot ?" Quatre tilta. Trowa mettait automatiquement son départ sur le fait du travail. Quel culot ! "Non, je pars parce que je ne veux pas rester ! Je pense que tu devrais réussir à trouver pourquoi." Le ton véhément de Quatre étonna son compagnon. Qu’avait-il bien pu faire ou dire qui puisse le mettre dans un tel état ? Il eut beau chercher, il ne voyait pas un élément de leurs conversations qui aurait pu le contrarier et le pousser à partir alors que le sort de Duo n’était pas fixé. "Je ne vois pas du tout de quoi tu parles, Quatre." Il avait parlé doucement, comme s’il s’était adressé à un animal blessé dont la réaction était imprévisible. Et à l’instant même, il avait l’impression d’être face à un chat en colère, le pelage hérissé et les griffes sorties, crachant tout ce qu’il pouvait. "Tu n’as qu’à demander à Réléna, je suis sûr qu’elle a une meilleure mémoire que toi !" A cet instant, la voiture demandée plus tôt s’arrêta au bas des marches et Quatre s’empressa de les descendre. Il ouvrit la portière arrière à la volée, balança son sac sur la banquette et fit le tour du véhicule jusqu’à la portière du conducteur. Il allait l’ouvrir lorsqu’une grande main lui saisit le poignet et lui fit faire demi tour. Il faillit perdre l’équilibre mais un bras passa autour de sa taille et il se retrouva collé au torse de Trowa, prisonnier de ses bras. "Lâche-moi !" s’énerva-t-il." Je te dis de me lâcher ! Je ne vais pas attendre sagement que tu me plaques !" "Mais qui a dit que je voulais rompre !" s’étonna Trowa. "Toi-même", cria le blond. "Il n’y a pas un quart d’heure, dans la cuisine ! Tu as vraiment la mémoire courte, dis-moi !" "Tu fais erreur, Quatre, je n’ai aucunement l’intention de rompre. Sauf si tu continues à te conduire de cette façon…" "Quelle façon ? Celle qui consiste à travailler comme un malade jusque tard afin de nous assurer un confort de vie relatif, ou celle qui fait que je t’attends désespérément tous les soirs lorsque tu pars en tournée ! Vas-y ! Dis-moi, laquelle ! Je t’écoute !" Exaspéré par le comportement de Quatre qu’il n’avait jamais vu aussi en colère, Trowa ne répondit pas mais se baissa, passa une main sous les genoux du blond et le porta tranquillement, nullement dérangé par les vociférations de son fardeau, sur un banc de bois disposé non loin. Il le posa et Quatre lui tourna ostensiblement le dos. Poussant un soupir face à la tâche qu’il allait accomplir, il s’assit et commença à parler. Bientôt, le blond lui sauta au cou en poussant un cri de joie. * * * Il regardait l’eau clapoter calmement contre le rebord en pierre depuis plus de deux heures. Cette vision avait des vertus apaisantes dont il s’étonnait encore. Il avait découvert ce petit renfoncement dans les fourrés à peine trois jours après son arrivée, alors qu’il tentait d’échapper à un Wufei. Depuis, il venait s’y réfugier dès qu’il en ressentait le besoin, notamment quand Duo s’agitait. Ses tentatives d’évasion étaient épuisantes, et depuis quelques jours, il lui semblait qu’elles s’espaçaient. Il espérait que c’était bon signe, et il avait commencé à baisser les barrières mentales le gardant, lui permettant entre autre de parler à la petite. Petite qui grandissait d’ailleurs à vue d’œil. Bientôt il serait de nouveau forcé de racheter des vêtements. « Encore heureux que je ne prends que du ventre ! » Un coup de pied lui répondit. Un petit murmure se fit entendre dans et il acquiesça. Il était presque l’heure de dîner. Il se releva et contourna le bosquet qui abritait le petit lac artificiel des regards depuis les fenêtres de la maison. Il s’engagea sur le petit sentier en gravillon qui remontait vers le perron en parallèle de la grande allée réservée aux voitures. Des voix lui indiquèrent qu’il allait bientôt rencontrer deux de ses amis, mais la distance ne lui permettait pas de les identifier. Il fit encore quelques pas avant qu’un cri de joie ne retentisse dans le parc. Il s’engagea alors dans l’allée, passa derrière Quatre et Trowa étroitement enlacés et remonta le perron avant de pénétrer dans le hall. Il se retrouva alors nez à nez avec Heero. Un sourire joua sur leurs deux visages et une douce tendresse envahit leurs yeux. Heero s’approcha du natté, passa un bras autour de sa taille légèrement épaissie et lui posa un baiser sur le front. "Tu as passé une bonne journée ?" "Excellente ! J’ai même pas eu à faire de bêtise, ni à chiper dans le frigo pour ça !" dit-il avec son plus beau sourire innocent. "J’ai trouvé un tabouret devant la chambre de Trowa et Quatre, ainsi qu’une bassine d’eau et un sac de plumes. Tu ne saurais pas à qui c’est par hasard ?" "Bien sûr que non, et même si je le savais, je ne dirai rien !" Il lui fit un sourire contrit et le brun accepta ses excuses silencieuses. Un grondement sourd se fit alors entendre et ils se regardèrent, étonnés, avant d’éclater de rire. "Je pense qu’il est temps d’aller manger", minauda Heero en l’entraînant à sa suite vers la salle à manger. Ils rejoignirent donc leurs amis autour de la grande table et le dîner débuta. Dîner au cours duquel deux grandes nouvelles furent annoncées : "Trowa et moi avons décidé d’adopter un enfant !" annonça le blond, rayonnant de bonheur et semblant prêt à dévorer son conjoint sur place. "Toutes nos félicitations !" s’écrièrent les quatre autres. Wufei fit ensuite teinter son verre pour attirer l’attention de l’assistance et se leva. "J’aurais préféré que nous vous l’annoncions ensemble, mais la situation actuelle ne me le permettant pas, je me fais le messager de ma femme. Ou plutôt de Réléna puisque c’est elle qui m’a apporté la nouvelle." Il lui adressa un sourire et reprit sa respiration avant de déclarer : "Sally attend un enfant !" Des cris de joie et de félicitations fusèrent autour de la table et les yeux remplis de fierté de Wufei brillèrent de bonheur. Les éclats de rire et les discussions animées se poursuivirent tard dans la soirée. * * * Ils venaient de se coucher quand une question fusa dans le noir. "Comment on va l’appeler ?" L’esprit déjà passablement embrumé par la fatigue et la joie de ce dîner, Heero soupira, ralluma la lampe de chevet et se redressa sur les coudes. Shin était allongé les yeux grand ouvert fixés sur le plafond et paraissait plongé dans une profonde réflexion. Ne voyant toujours pas où il voulait en venir, Heero s’adressa à lui avec douceur, désireux de ne pas troubler ses pensées : "De quoi tu parles ?" "De la petite. Il faut bien lui trouver un prénom. Tu as une idée ?" Pris au dépourvu, le Japonais ne dit rien. Il avait quelque peu mis de côté le fait que sa fille naîtrait dans environ trois mois, préoccupé qu’il était par le retour de Duo. Il n’avait même pas envisagé le besoin de discuter avec Shin du prénom de leur enfant. Mais à cet instant, il dut se rendre à l’évidence que si Duo ne revenait pas, il partagerait sa vie avec Shinigami. Non pas que cela soit déplaisant, il appréciait l’entité à sa juste valeur. Mais il y a une différence entre apprécier et aimer. "Je ne sais pas, avoua-t-il enfin. Tu y as déjà pensé toi ?" "Des centaines de fois ! Mais tout ce que je peux lui proposer ne lui convient pas. Alors je me suis dit que tu aurais peut-être une idée. Moi je suis venue à bout des prénoms américains et européens", ajouta-t-il en souriant. "Et bien", réfléchit Heero à vois haute, "déjà, par quelle lettre veux-tu que le prénom commence ?" "On hésite entre le K et le L, mais après cela dépend du prénom. Par exemple, j’aime beaucoup le prénom d’une des sœurs de Quatre, Cassy, mais c’est le seul prénom avec un C qui me plaise." Un silence de réflexion s’installa, chacun cherchant la solution au problème épineux qui se dressait devant eux. "Que penses-tu de Lana ?" proposa Shin. "Ca fait trop série télé", objecta Heero. Un coup de pied lui donna raison et la danse des prénoms commença : Linoa, Kyara, Keriane, Kristen, Kristel, Laurine, Laura, Kassandre, mais aucun ne trouva grâce aux yeux de la première concernée. "Que penses-tu de… Laora ?" demanda Heero. "C’est… très joli !" s’exclama Shin au moment où un coup de pied plus doux que les autres lui apprenait l’acceptation de la petite. "Et elle est d’accord", confirma-t-il. "Alors va pour Laora !" Dans l’euphorie du moment, Heero se pencha sur les lèvres de Shin et y déposa les siennes en un doux baiser. "Bonne nuit, mes amours", murmura-t-il. Il éteignit la lumière et se renfonça dans les profondeurs du lit, sentant bientôt un corps chaud se blottir au creux de ses bras. Tsuzuku |