- Jiro, tu viens ?
Le garçon ne savait plus sur quel pied danser. Lana ne semblait pas bien s'en rendre compte mais la famille Mihako était l'une des familles les plus riches de la région. On lui devait la prospérité grâce à la chaîne de musées, contenant des pièces rares et inestimables datant des samouraïs.
Et lui, Jiro, avait le privilège d'être l'hôte et le fidèle compagnon de la dernière héritière, détendue et ouverte d'esprit malgré tout. Cependant, il ne se sentait pas à l'aise à l'idée d'aller dans l'immense manoir au bord de la côte. En plus, il arrivait main vide, comme un touriste. Ce constat ne fit que le gêner un peu plus et il devint livide.
"Que va penser Mme Mihako ?" s'angoissait-il, s'arrêtant devant le portail massif, tétanisé de peur.
Lana, perdant patience le prit par la manche de son uniforme et le força à franchir l'imposant portail. Jiro la suivit, un frisson lui parcourant la colonne vertébrale. Lana avança d'un pas assuré puis, elle ralentit apercevant la carrosserie d'un camion d'ambulance, puis celle d'une voiture de police. Lâchant Jiro, elle partit à toute allure, prise d'une angoisse soudaine.
"Pitié, grand-mère, ne me laisses pas toute seule" pria-t-elle intérieurement passant devant une voiture de police.
Pourtant, elle savait que tôt ou tard, Yuki allait la laisser seule. Même si la vieille dame était active pour son âge, elle n'en restait pas moins fragile et Lana en avait eu conscience dés leur rencontre. Pourtant, ça ne l'avait pas empêcher de lui ouvrir son cœur et de l'aimer avec une intensité qui lui était jusque là, totalement inconnue.
Traversant la maison à toute vitesse, elle déboula dans le jardin potagé comme une bombe et s'arrêta, surprise de voir autant de monde. Puis, elle s'avisa qu'une bonne partie des personnes présentes étaient regroupées en cercle et fixé quelque chose sur le sol, effarées. Tétanisée, elle se força à avancer et vit le regard des ambulanciers se poser sur elle avec une tristesse à peine voilée.
- Grand-mère, appela-t-elle, d'une voie amoindrie par l'angoisse.
Le dernier rang d'uniformes s'écarta et Lana se figea nette avant de pousser un cri à fendre l'âme. Bousculant tout le monde, elle se retrouva près de sa protectrice, les jambes baignant dans le sang de la victime et se mit à la secouer violemment.
Elle cria encore, appelant vaguement l'être adoré. Un cri, un seul qui n'atteignit jamais la vieille Yuki. Elle s'était déjà défaite de ses couleurs et avait abandonnée la vie. Lana hurla et la secoua mais il était trop tard.
Son ventre avait été fendu d'un bout à l'autre, laissant les entrailles apparentes. L'odeur de sang lui faisant tourner la tête, la jeune fille cligna des yeux, refusant de s'éloigner.
Pourtant, deux secouristes l'écartèrent avec quelques difficultés. Elle résista, haïssant les hommes qu'ils la séparaient de sa seule famille. Puis, elle aperçut Tim, un bras brulé, pâle comme la mort mais ayant gardé son souffle de vie.
- Tim !
Elle se jeta dans ses bras en pleurant. Tim la serra contre lui, soulagé qu'elle n'est pas assisté à la scène. Il la berça, oubliant la douleur de son bras pour la protéger.
- Lana... Petite fille, bredouilla-t-il.
Jiro assista à la scène dans un état second. Il la connaissait depuis plus de 10 ans et avait été témoin de chaque changement, chaque épisode de sa vie. Il connaissait ses peurs, ses doutes, ses peines et sa joie. Sa renaissance quand sa route avait croisé celle de la vieille Yuki, toutes les deux malmenées par la vie. Il l'avait vu s'adoucir, devenir une jeune fille (enfin !) et s'ouvrir aux autres avec un pincement au cœur. Désormais, il n'avait plus l'exclusivité sur sa belle amie brune aux yeux sombres, ses cheveux doux comme le pelage des félins. Il ne serait plus le seul à admirer ses courbes de dryade. Mais, après tout, elle était heureuse et c'était cela qui lui importait le plus au monde.
Mais là, elle était malheureuse et ça aussi, ça lui importait énormément. D'un geste impulsif, il la serra contre lui, lui épargnant la vue de la morte - ô tant aimée- pour se forcer à retrouver son calme. Elle était orpheline, mais ça n'était pas un statue nouveau pour elle mais subir la mort d'un être cher, s'en était trop pour ses nerfs.
- Du sang, psalmodiait-elle. Du sang de partout....
- Chhhhhhut, murmurait-il inlassablement en renforçant son emprise sur les épaules secouées par les sanglot de la jeune fille.
A plusieurs reprises, le commissaire chercha à parler à la jeune fille mais Tim veillait et ne le laissa s'approcher de la jeune fille traumatisée.
Une demie-heure plus tard, trop fatiguée pour pleurer, elle s’arrêta et plongea dans un mutisme effrayant, le regard vide.
- Jiro, l'appela faiblement Tim, au bord de l'évanouissement.
Le garçon s'approcha, après s'être assuré que sa compagne ne bougerait pas.
- Tu pourrais héberger Lana chez toi, au moins pour ce soir, demanda-t-il.
Jiro hocha la tête, pâle comme un linge et prit Lana par les épaules.
- Lana ? Tu vas venir chez moi pour ce soir, d'accord ?
Elle hocha la tête, trop faible pour parler et continua à fixer l'horizon d'un œil torve. Jiro demanda qu'on les ramène en voiture tandis que Tim rabrouait des domestiques pour qu'elles préparent un sac pour la nuit à leur jeune maîtresse. Jiro l'échangea contre le sac de cours de la jeune fille et la prit dans ses bras, devinant qu'elle ne parviendrait pas à marcher. Passant ses bras autour du cou de son ami, elle cacha son visage et se remit à pleurer en silence. Jiro ne fit rien pour la consoler sachant très bien que c'était inutile. Elle continuerait à pleurer encore des jours, voir des semaines, sans rien pouvoir faire d'autre. Quant à lui, il resterait près d'elle, compagnon silencieux, subvenant à ses moindre besoin sans parler, jusqu'à ce qu'elle veuille bien de lui.
Avec une farouche détermination, il s'avança vers la voiture et déposa Lana à l'arrière avant de prendre place près d'elle et de la prendre dans ses bras, protecteur.
"Je la protègerai, quoi que ça me coûte" se jura-t-il.
Car, il le savait, l'affaire était loin d'être terminé et héritière serait la cible des prochaines attaques. |