- Grand-mère ! Je suis rentrée !
Elle jeta son sac dans l'entrée et se précipita vers le jardin, où, comme elle l'espérait, elle trouva la vieille femme penchée sur son potager, murmurant des mots doux à ses plantes en les bichonnant. Elle l'observa un moment sans se manifester, apaisée par le havre de paix sous ses yeux. La vieille mais majestueuse demeure et sa propriétaire étaient tout ce qu'elle possédait, mais pour elle, c'étaient des trésors inestimables.
Depuis 3 ans, elle vivait ainsi, partagée entre ses études et sa grand-mère adoptive, elle ne s'était jamais sentie aussi heureuse. En quittant l'orphelinat, elle avait laissé derrière elle l'angoisse et la terreur du lendemain pour s'ouvrir et connaître le bonheur.
Secouant la tête pour chasser de son esprit ses pensées inutiles, elle s'avança en souriant.
- Grand-mère !
La vieille femme sursauta et lui sourit, comme chaque soir et l'embrassa sur les deux joues avec tendresse. La jeune fille s'assit face au plateau comprenant un service à thé anglais pour deux personnes avec des assiettes rempli de gâteaux et desserra la cravate de son uniforme.
- Alors, racontes-moi ta journée !
La vieille femme essuya ses mains pleines de terre sur sa blouse et s'assit face à sa petite fille adorée qui lui rapporta les anecdotes du jour avec sa gaieté coutumière.
L'heure du thé, c'était l'heure où la future et vieille femme se retrouvaient seules, avant que le ballets de domestiques ne viennent s'occuper d'elles sans leurs laisser une minute de répit. Alors, elles parlaient, parlaient, intarissables, ne voulant pas perdre une minute, ni même une seconde de cet instant privilégié.
Leur rencontre remontait à plus de 3 ans, quand la petite orpheline pleurait tout les soirs en attendant que ses parents qui lui étaient pourtant étrangers viennent la chercher, seule recroquevillée comme les autres sous ses draps trop légers pour la saison froide. A cette époque, Mme Mihako venait de terminer le deuil de son fils unique, mort dans un accident de voiture. Son majordome et plus fidèle confident, lui avait conseillait de choisir un nouvel héritier, pour que quelqu'un lui succède après sa mort qui hélas, était toute proche. La vieille ne se faisait pas d'idée, elle savait que ses jours étaient comptés.
Refusant de léguer sa fortune à ses ingrats de neveux, elle avait décidé d'adopter un enfant.
Ce jour-là resterait gravé dans leur mémoire à toute deux. Mme Mihako avait prit rendez-vous il y a 3 mois et avait du attendre que son dossier soit validé pour se présenter. Elle était donc aux portes de l'orphelinat mais n'osait les franchir. Elle s'était donc assise sur un banc tout proche, se félicitant d'être arrivée en avance et souffla un bon coup. Quelque peu calmée, elle se tourna vers la jeune fille assise près d'elle, plongée dans un livre. L'adolescente leva les yeux de son bouquin et lui sourit avec un douceur et une grâce naturelle.
- Vous venez faire une adoption, demanda-t-elle avec sérieux.
- Oui mais je n'arrive pas à franchir le pas, avoua la vieille femme en soupirant.
- De quoi avez-vous peur ?
- De l'inconnu, répondit-elle. Je ne sais pas ce qui m'attend derrière ces murs.
La petite fille, d'au moins 13 ans, avait fermé son livre et sondait son interlocutrice de son regard d'or blanc avec un sérieux qui ne devait pas être à son âge. La vieille femme l'avait regardé mal à l'aise mais n'était pas parvenu à décrocher son regard de celui de l'enfant.
- Alors, mettez-vous quelques secondes à la place des enfants, lui avait-elle dit sans méchanceté aucune. Imaginez leur angoisse. Ne pas savoir d'où l'on vient et où l'on ira, n'est-ce pas le pire ?
Mme Mihako l'avait fixé, les yeux comme des sous-coupes puis lui avait sourit tendrement. Le tout premier sourire qu'elle lui adressait.
- Tu fais partie de ces enfants, n'est-ce pas, l'avait-elle interrogé.
La petite avait hoché la tête, n'éprouvant aucune honte de ne pas connaître ses parents et d'être une pupille de l’État. Puis, elle s'était levé et avait tendue sa main blanche et douce vers celle, fripée et terne de la vieille femme et lui avait rendu son sourire.
- On peut y aller ensemble, si vous voulez.
Alors la sagesse prit la main de l'innocence et elles marchèrent vers l'inconnu.
La petite fille l'avait quitté pour se joindre à ses camarades d'infortune et la vieille était entré dans le bureau du directeur pour en ressortir quelques dizaines de minutes plus tard avec son dossier remplit.
Après de nombreuses visites et discussions enflammées, Yuki Mihako avait officiellement adopté Lana.
Depuis, elles étaient inséparables et se concertaient pour tout. Yuki, loin d'être gâteuse prenait un malin plaisir à taquiner son héritière sur les relations qu’elle ne tarderait pas à entretenir avec les représentant de la gente masculine qui la répugnait tant.
En se remémorant cette journée qui avait changé leur vie, elles pleurèrent toutes les deux, émues. Yuki fut la première à réagir. S'essuyant les yeux du revers de la main, elle sourit à sa protégée et regarda l'heure.
- Notre pause est terminée depuis bien longtemps, ma petite, fit-elle dans un soupire.
- Attendons Tim, proposa Lana un sourire espiègle étirant ses lèvres.
Yuki hocha la tête et entama le compte à rebours accompagnée de Lana :
- 5...4...3...2...1......
- Mademoiselle Lana !
Les deux femmes éclatèrent de rire en voyant le majordome arriver, affolé de voir que la jeune fille était encore là. Il se stoppa net en comprenant qu'elles se moquaient de lui et soupira, résigné.
Ébouriffant les cheveux de la jeune fille, il la sermonna doucement :
- Que faites-vous encore ici ? Il faut que vous alliez étudier, petite fille.
Lana sourit. Tim se comportait plus en grand-frère qu'en employé. Il veillait constamment sur elle et lui passait tous ses caprices. De bonne grâce, elle se leva et partit dans sa chambre, travaillant jusqu'à 7h. Soulagée de ses obligations scolaires, elle se changea en sifflotant et partit vers le sous-sol, une pochette CD sous le bras. A son arrivée, Yuki avait pris soin de se renseigner sur les hobbies de sa petite protégée et avait aménageait une salle de sport à son attention, munie de tout le matériel dernier cri qu'elle avait trouvé. Lana lui en serait éternellement reconnaissante.
Elle ouvrit la porte, choisit un CD et se plaça au centre de la salle. Le morceau débuta sur un rythme entraînant. Lana s'étira, méticuleuse suite à un claquage douloureux. Puis elle se leva et se mouva au rythme des vibrations, coupée du monde matériel, les yeux clos, maîtres de son propre monde. Elle dansa une heure ainsi, inconsciente du temps, de l'espace jusqu'à ce que Tim l'interpelle. Elle s'arrêta et coupa la musique, essoufflée mais revigorée.
- Tu es là depuis longtemps, demanda-t-elle.
Il regarda méticuleusement sa montre, l'ombre d'un sourire au coin des lèvres et lui répondit :
- Depuis une dizaine de minutes.
Lana rougit. Elle n'avait pas la moindre idée de ce que donné sa chorégraphie vu de l'extérieur. Tim, devinant la raison de son trouble, la rassura :
- Tu devrais t'inscrire à un concours de danse. Tu ferais des merveilles !
Lana le remercia d'un sourire et sortit à sa suite. Elle monta prendre une douche avant le repas et s'attabla avec sa grand-mère et Tim. Vous devez vous dire qu'un majordome n'a pas à manger à la même table que ses employeurs, mais à la demande de Lana, Yuki l'avait convié à leur table.
Ainsi se déroulaient les journées de l'adolescente, entourée et aimée après 13 ans de solitude mais surtout d'incertitude. A présent, elle ne pleurait plus dans son lit mais attendait avec impatience que vienne le lendemain.
La pauvre enfant, hélas, n'était pas au bout de ses peines. |