Pas d'ami comme toi - Stéphane Eicher "Dylan, J'en suis réduit à t'écrire une lettre ridicule, parce que j'ai pas le courage de te dire tout ça en face, parce que les mots viennent tous seuls et que je serais capable de m'enfuir. J'ai tellement peur que je fais ça pendant que tu dors. On sait jamais, hein. Ridicule. Tu dois te demander pourquoi cette lettre, pourquoi maintenant. Tu vas comprendre, tu vas comprendre, juste, lis tout, d'accord, je t'en prie lis tout. D'ici une heure tu vas te lever, je vais entendre des draps bouger, ta gorge grogner et ta porte s'ouvrir. Et mon cœur va s'arrêter de battre. Encore, encore. Comme toujours quand tu es là, quand je te sens, te ressens, là au fond de mon ventre, quand je sais que tu es à côté et que je vais te voir. Tu vas arriver dans la cuisine, bafouiller un « bonjour » et m'embrasser la joue. Et tu ne me verras pas rougir, serrer les poings et me retenir de te demander encore. Tu ne sentiras pas mes poils se hérisser, ma respiration s'accélérer, ne comprendras pas que mon cerveau me hurle de me retenir de tout ça. Et je vais te regarder, te détailler, t'observer, fixer tout de toi dans mes rétines et aimer ça. Tu ne verras rien de tout ça et ça m'arrange, ça m'arrange. Quand tu traverses la pièce En silence Que tu passes devant moi Je regarde tes jambes La lumière Tombant sur tes cheveux Tu vas préparer ton café et t'étirer. Et moi je vais défaillir, en vouloir plus, et me cacher sous la table. Tu vas attendre, te retourner vers moi et me sourire. Et je vais te regarder, bienveillant, penser que la plus belle personne que la planète ait jamais portée se trouve devant moi, que si un malheur t'arrivait ce serait la fin pour moi. Parce que, parce que. Et puis tu viendras t'asseoir, en face, ton pied replié sous tes fesses. Tu te pencheras un peu vers moi, t'excuseras mentalement de ta légendaire humeur du matin, et tu ne comprendras pas que je suis en train de mourir, juste mourir. Et puis tu poseras ta main sur la mienne, pencheras la tête sur le côté, après ta première gorgée, et me demanderas si ça va. Je ne pourrais qu'hocher la tête, parce que bordel non, non ça va pas ! Je voudrais te hurler que non, non Bill, ta main sur la mienne non, ton odeur qui envahit la pièce et la douceur de ta peau, ta voix et tes yeux, non ça va pas, ça va plus, plus maintenant, moi j'en peux plus, de mon ventre qui se tord et de mon cœur qui bat trop fort, trop vite, que j'essaye de cacher mais que j'aimerais que tu vois, toi, tout seul ! Non ça va pas Dylan, mais je serais sans voix, j'y arriverais pas, comme toujours. Regarde ce que tu me fais, Dy', putain de colocataire, putain d'ami.
Quand tu t'approches de moi Ton parfum Me fait baisser les yeux Et si tu touches mes mains Je m'arrange Pour ne pas y penser
Je n'ai pas d'ami Comme toi
Et quand ça ira, quand tu seras bien réveillé, tu lâcheras ma main. Et je serais vide, totalement et complètement vide. Mais, encore, tu ne le verras pas, et je fixerais mon sourire pour que tu crois que tout va bien. Pour ne pas voir tes sourcils se froncer, ta tête se pencher encore et ta voix me demander si ça va, Marc, t'es sûr que tu vas bien ? T'es tout pâle, tu veux un cachet, t'as mal quelque part ? Pour que, surtout pas, tu te lèves, t'agenouilles devant moi, pose une main sur mon front et l'autre sur mon ventre. Pour que tu ne m'achèves pas. Alors tout ira bien, malgré tout. Tu approcheras le journal de toi, regarderas uniquement la première page et soupireras. Alors je calerais mon menton sur la paume de ma main et attendrais. Et tu te mettras à parler, te révolter, contre tout et rien. Vouloir expliquer le monde et ses problèmes. Vouloir les résoudre et être prêt à te mettre debout sur la table pour le hurler. Et j'essaierais, je te jure, mais je ne pourrais pas m'empêcher de rire au bout d'un moment, de voir la veine de ta tempe ressortir et tes mains s'agiter. Tu t'arrêteras, te pinceras les lèvres, me taperas doucement le bras et bouderas. Juste un instant, juste comme ça, pour faire comme si. Puis tes yeux riront à ta place. Et la journée commencera. Et même si t'auras pas réglé les problèmes du monde, même si j'y aurais pas plus compris quelque chose, j'aurais appris, bordel, j'aurais encore un peu plus appris ce que veut dire le mot amour. Tu vois, j'suis qu'un con, ridicule. Ridicule.
Je comprends mieux le monde En t'observant Je crois que j'y vois plus clair Je n'ai pas trouvé la clef Du mystère Mais je m'en suis approché
Je n'ai pas d'ami Comme toi
Je sais pas si t'as compris. Je pense, j'imagine. Je voudrais que tu m'aimes, que tu me veuilles, rêves de moi, penses à moi, tout le temps. J'ai peur qu'un jour tu partes, tu disparaisses à jamais et que plus rien n'existes. Si tu me laisses, si tu pars, c'en est fini, juste, fini. De moi, de tout. Je veux encore savoir, encore comprendre, ressentir ça, et je me fous des autres, de ce qu'ils pensent. Je veux que tu m'apprennes le monde. Que tu essayes de tout régler, de tout comprendre. Que tu me fasses encore aimer la vie, me dire de regarder partout et tout le temps. Que tu veuilles tout, tout de suite, sans penser au reste, sans penser aux conséquences. Que mon cœur batte encore, plus fort, et qu'un jour il explose. Pour toi, pour moi, pour nous. Alors reste, là, juste là, s'il te plait. S'il te plait.
Ne te lasse pas de moi J'ai encore Beaucoup à découvrir Mais danse autour de moi J'abandonne Si tu danse autour de moi
Alors voilà, voilà. On y est, et mon cœur est presque mort. Et ma gorge se tord, les frissons prennent place, et la peur est trop grande. Beaucoup trop grande. Alors je vais aller poser cette lettre, sur ton lit, doucement. Et tu la liras, tu la liras. Je le sais, je le sens. Parce que je t'aime, Dylan.
Je n'ai pas d'ami Comme toi
Marc. » Un bout de papier serré fort entre sa main, un brun pleurait, si fort. Serré contre un autre homme, sa bouche plaquée contre la sienne. Il gémissait, chuchotait, doucement, des « Marc moi aussi » qui faisaient exploser son cœur. |