Après s’être dit bonne nuit, les deux jeunes gens se séparèrent et Selena se changea pour enfin se blottir dans son lit. Une fois installée, la chatte se frotta à son bras en ronronnant.
__ Alors comme ça tu es une fille. Tu m’en cache encore des choses ?
La chatte la regarda, la tête penchée sur le côté. Pendant une seconde, la jeune femme se mit à croire que l’animal l’a comprenait.
__ Je crois que je deviens folle à force de côtoyer ce monde. Bonne nuit.
Elle se mettait maintenant à converser avec les animaux. Epuisée aussi bien physiquement que mentalement, elle ne mit que quelques minutes avant de tomber dans les bras de Morphée. Sa nuit fut peuplée de songes étranges. Il lui semblait que des voix de femmes l’appelaient au loin, elles avaient l’air impatientes, comme si leur temps était compté. Cependant elle ne se réveilla qu’au petit matin. La chatte était venue lui lécher la joue de sa langue râpeuse, ce qui fit rire la jeune femme. Elle se leva et sut retrouver le chemin de la salle de bain. Fière d’elle, elle se prélassa dans l’eau. Elle se prépara beaucoup plus rapidement que la veille, aidée par Samira qui arrivait toujours au moment où il fallait lui lasser son uniforme. Elle retrouva, comme tous les matins qu’elle passera au palais, ces amis pour un bon petit déjeuner. Tout comme la veille, Anton lui demanda de la suivre mais cette fois-ci ils se dirigèrent vers les écuries. Selena, qui n’avait jamais fait d’équitation, avait toujours été intimidée et impressionnée par ces animaux. Le jeune homme poussa la porte coulissante et ils furent accueillis par des hennissements que la jeune femme traduisit comme joyeux. Anton se mit à leur parler tout haut, comme si leurs discussions étaient des plus intéressantes. Il s’arrêta devant un box et fit signe à la princesse de le rejoindre. Cette dernière se place derrière Anton, légèrement en retrait.
__ Je te présente Flanelle, celle qui t’accompagnera dans tout tes voyages jusqu’à… Nouvel ordre.
La jeune femme osa un coup d’œil vers la jument et fut époustouflée. Celle-ci était palomino, c’est-à-dire de couleur marron clair, assez cuivrée et la crinière presque blanche. Elle avait un port de tête fier, des yeux expressifs et devait faire entre un mètre soixante et un mètre soixante-dix au garrot. Elle avait également une étoile blanche sur le front qui lui donnait un air malicieux.
__ Elle a 8 ans et attendait impatiemment un ou une cavalière.
__ Elle est magnifique. Mais je ne suis jamais montée à cheval.
__ C’est le moment d’apprendre.
Il ouvrit la porte du box et lui fit signe d’entrer. Hésitante, la jeune femme fit quelques pas. Elle tendit la main vers l’animal.
__ Tu peux lui parler.
La jeune femme haussa un sourcil. Elle pouvait toujours essayer.
__ Bonjour Flanelle, je suis Selena.
La pouliche redressa la tête.
« Enchanté princesse. »
Elle sursauta. Une femme avait répondu à la place du cheval. Elle regarda autour d’elle mais ne vit que le visage d’Anton qui semblait s’amuser de la situation.
__ Tu n’as rien attendu ? Il y a quelqu’un d’autre ici.
__ Effectivement, j’ai très bien entendu. C’est Flanelle qui te parle.
__ La jument m’a parlé ? C’est totalement absurde.
__ Alors réessaie. Mais cette fois, parle-lui de la même manière.
__ Dans ma tête ?
__ Exactement.
« Comme je le fais en ce moment »
La jeune femme fut surprise pour la seconde fois. C’était la voix d’Anton qui avait résonné dans sa tête. Elle se concentra tout de même sur Flanelle.
« Alors comme sa tu peux me parler ? »
« Bien entendu. Je suis ravie de faire équipe avec toi jeune Selena. »
La jeune femme eut un grand sourire et ses yeux s’illuminèrent.
__ C’est génial Anton ! Comment se fait-il que je puisse parler à un cheval ?
__ Tu peux parler à n’importe quel animal en fait. Il faut seulement que celui le veuille. Tu peux également parler avec toutes les personnes qui t’autorisent l’accès à leur pensée en quelque sorte.
Elle le dévisageait, stupéfaite.
« Ferme la bouche demoiselle, ta mâchoire va se décrocher. »
Elle lança un regard ébranlé à la pouliche et crut discerner dans ses yeux une expression rieuse. Anton éclata de rire.
__ Trêve de plaisanterie, il est temps de se mettre au travail.
Le Gardien lui montra comment équiper sa jument et la sangler correctement. La pouliche ponctua la leçon de plaisanterie, histoire de débrider la jeune femme. L’humeur joyeuse de l’animal avait un effet apaisant sur cette dernière. Ils se rendirent dans la cour et Selena, aidée du jeune homme, mit son pied à l’étrier et se hissa sur le dos de Flanelle.
« Un vrai poids plume. »
Anton fit claquer sa langue contre son palais et la jument se mit en route. Le jeune homme expliquait les bases de l’équitation à Selena pendant que celle-ci faisait des tours de carrière pour s’adapter à ce nouveau mode de transport. Elle apprit petit à petit à avoir une bonne assiette et ensuite à trotter. Flanelle lui facilitait grandement la tache mais la jeune princesse ne se débrouillait pas trop mal. Au bout de deux heures de dur labeur, le Gardien stoppa le cours. Ensemble ils rentrèrent la jument et rejoignirent le palais. La jeune femme était enthousiaste et confia à Anton qu’elle venait de se trouver une passion dont elle ne soupçonnait pas l’existence.
« Merci »
Anton sursauta. Il ne s’attendait pas à entendre la voix de sa protégée dans son esprit. Emu, il lui répondit d’un signe de tête. Ils virent tout à coup Samira débouler à une vitesse folle. Elle salua d’un grand sourire les deux amis puis se tourna vers Selena.
__ Une fête aura lieu demain en votre honneur. On va enfin pouvoir s’amuser !
La princesse la dévisagea, perplexe.
__ Ne fait pas cette tête, je suis sure que nos fêtes sont beaucoup plus cool que dans ton ancien monde.
__ A quoi ça ressemble alors ?
Samira croisa les bras, songeuse, puis son visage s’éclaira.
__ Je vais chercher ton amie et pendant ce temps tu prépares Flanelle. Ensuite je te décrirais tout en détail durant la promenade.
Selena, emballée, trottina jusqu’aux écuries. La perspective de revoir Flanelle et Bridgess la mettait d’humeur joyeuse. Elle venait de seller la jument quand les deux jeunes femmes apparurent. Quelques minutes plus tard, elles traversaient la cour du château en direction de la ville. La princesse se délectait de la légère brise qui lui caressait le visage. Elle ne s’était jamais sentit aussi bien que depuis qu’elle était arrivée sur ce monde, son monde. Elles commencèrent à apercevoir quelques chaumières et les gens s’inclinaient à leur passage. Bridgess n’avait pas l’air d’être très perturbée, Selena elle, semblait gênée par cette marque de respect. Elles débouchèrent sur la même clairière ou trois jours plus tôt Selena faisait ses premiers pas dans son monde. Samira fit signe aux deux filles de descendre de cheval. Selena laissa Flanelle à ses occupations et s’approcha du soldat.
__ Alors cette petite fête ? s’exclama Bridgess.
Samira lui fit un grand sourire.
__ Il y aura de la danse, un festin, et beaucoup de monde. Des couturières se rendront dans vos chambres pour prendre vos mensurations. Je crois que vous allez être époustouflé par les tenues qu’elles vont vous concocter.
Bridgess, enthousiaste, se mit face au soldat.
__ Il y aura des beaux garçons aussi ?
Selena leva les yeux au ciel. Son amie ne changera jamais.
__ Bien sûr, en tout cas plus beaux que ceux de votre monde, répondit-elle en haussant les épaules.
Bridgess écarquilla les yeux et Selena éclata de rire.
__ Tu es facilement impressionnable ‘Gess.
Cette dernière prit un air faussement blessé.
__ Et toi alors ? Tu as le garçon le plus charmant qui soit sur cette terre et tu ne le remarque même pas !
__ Même si elle le voulait elle ne pourrait jamais l’avoir, répliqua Samira.
__ Et pourquoi donc ? Tu ne veux pas prêter ton frère adoré c’est ça ? dit-elle sur un ton de reproche.
Samira balaya sa critique d’un geste de la main.
__ Je ne suis pas jalouse, une princesse et son Gardien ne peuvent pas s’unir. C’est comme ça depuis la première reine.
__ Comment ça ? demanda Selena, perdue.
__ L’union entre une princesse et son gardien et strictement interdit et pourrait mettre la vie de celle-ci en danger.
Bridgess fit une grimace.
__ Ce n’est vraiment pas cool. Tant pis, il est pour moi alors.
Selena croisa les bras, blasée. Les trois jeunes femmes discutèrent encore quelques temps puis Samira informa ses nouvelles amies que le soleil n’allait pas tarder à décliner. Selena réfléchit aux paroles du soldat. Etrangement le fait de savoir qu’une union entre princesse et Gardien était impossible l’a rendait triste. Pourtant elle était persuadée de ne rien ressentir pour Anton puisque qu’elle avait craqué sur William. Tout à coup elle fut rongée par le remord, elle n’avait plus repensé à William depuis son arrivé ici. Décidemment elle faisait vraiment une mauvaise petite amie. En rentrant elle alla dans sa chambre sans prendre de diner et, couchée près de la chatte, sentit tous ses muscles se détendre.
__ Alors tu as passé une bonne journée minette ?
« Je m’appelle Azalée »
La princesse fut tellement surprise qu’elle faillit tomber du lit. Elle avait déjà oublié qu’elle pouvait parler aux animaux dans ce monde de fou. Elle se lança donc.
« Enchanté Azalée. »
« Je t’en prie, cela fait déjà trois nuits que l’on dort ensemble. Au fait cela ne te dérange pas ? »
« Non, ce lit est bien assez grand pour trois personnes. »
« Et bien bonne nuit très cher princesse. »
« Bonne nuit mi… Azalée »
Quand Sorya reprit connaissance, elle se trouvait dans un endroit froid, humide et pestilentiel. Ses yeux mirent du temps à s’adapter à la pénombre et après quelques minutes, elle put inspecter la pièce. Elle était étendue sur une paillasse faisant office de lit, un seau se trouvait à sa droite et des barreaux l’empêchaient de sortir de sa prison. Puis, en tournant son regard à gauche, elle vit un homme couché sur le flanc.
__ Jack !
Tant bien que mal, elle réussit à se lever puis se pencha sur le corps inanimé de son mari. Elle lui prit le poignet et attendit de sentir son pouls. Il respirait toujours. Rassurée, elle poussa un long soupir. Il était simplement inconscient. Elle porta à nouveau son attention sur les barreaux de leur cellule. Pouvait-elle les briser grâce à la magie ou peut-être simplement les tordre ? Refoulant toute anxiété, elle inspira profondément et se concentra. Elle rassembla toute sa force, focalisa toute sa volonté sur les barreaux et enfin leur donna l’ordre de se briser. Elle ouvrit un œil, il ne s’était rien passé. Elle recommença en donnant l’ordre cette fois-ci de les tordre. Toujours rien. Elle commençait à perdre espoir. Elle s’acharna de cette manière pendant plusieurs minutes puis elle crut entendre un rire. Il devint de plus en plus fort et la fit frissonner de peur. Puis une silhouette se dessina devant sa cellule.
__ Pas la peine de t’épuiser, j’ai bloqué toute sorte de magie dans cette prison.
L’individu fit quelques pas en avant et La reine put découvrir l’identité de son kidnappeur. Ce n’était autre que William. Elle fut stupéfaite. Elle aurait dû se méfier du jeune homme quand elle l’avait vu la première fois, dans sa propre maison.
__ Bonjour Sorya, je vois que tu es surprise. Pourtant tu aurais dû t’en douter, je ressemble énormément à mon père.
Sorya ne comprenait plus. Cet homme était mort des années auparavant. Comment était-ce possible ?
__ Comme tu peux t’en rendre compte aujourd’hui, mon père a eu un enfant avant de mourir, moi. Bien entendu, il ne souhaitait pas que sa vengeance disparaisse avec lui, alors j’ai repris le flambeau.
Il s’avança jusqu’à ce que son visage touche presque un des barreaux.
__ Cependant, à la différence de mon père, je suis beaucoup plus puissant. Et surtout…
Il eut un sourire sadique.
__ Je ne ferai pas la même erreur que lui, mes sentiments ne me contrôlent pas.
Le regard stupéfait de Sorya laissa la place à de la rage profonde.
__ Tu finiras comme ton père, siffla-t-elle.
__ C’est ce qu’on verra. En attendant vous êtes coincés ici et ta fille n’a que cette bande d’imbécile pour la protéger.
La reine voulut se jeter sur le jeune homme mais elle percuta les barreaux.
__ Je t’interdis de toucher à Selena.
__ Tu n’es pas en mesure de donner des ordres, cracha-t-il.
Elle bouillait intérieurement. Elle aurait tout donné pour lui régler son compte sur le champ. Il fit demi-tour et s’éclipsa dans le couloir. Elle ne put entendre qu’une phrase.
__ On n’en a pas fini tous les deux !
Elle s’écroula et pour la première fois depuis des années, se mit à pleurer.
William jubilait. Son plan marchait comme prévu. Il lui suffisait maintenant d’attirer Selena et sa petite bande jusqu’à lui. C’était la partie du plan qui lui déplaisait le plus. Il fallait attendre, ce qui l’insupportait. Il entra dans ses quartiers et se laissa tomber dans le canapé. La patience n’avait jamais été son fort. Tant pis, il allait prendre sur lui. La récompense en serait que plus méritée. Il réussirait là où son père a échoué ainsi que tous ceux avant lui. Il savourait déjà sa victoire.
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