Rue et voiture. Extérieur/Nuit.
L'air est glacial, dehors. La main de Phil quitte mon dos et j'enfile rapidement mon manteau, lui restant planté à côté de moi, les bras ballants. Il me semble perdu, alors que je l'observe du coin de l'œil, zippant la fermeture de mon blouson. Impression qui disparaît lorsque je relève les yeux sur son visage et qu'il se met à marcher d'un pas assuré. Je ne sais pas où nous allons, je sais juste que prendre la rue de gauche est un choix étrange pour rentrer, puisque mon appartement et le leur – celui de Sam et lui – sont dans la direction opposée. Je ne sais pas où nous allons… jusqu'à ce que j'aperçoive la Clio rouge pétard, garée en bordure du trottoir. Je pile d'ailleurs sur mes jambes en la voyant. Je dois ensuite trottiner pour que Phil ne remarque pas mon brusque arrêt, même si le silence de mes talons sur l'asphalte s'est certainement entendu.
Le bruit des portières se refermant me stresse, je gigote sur mon siège en essayant de ne pas penser que c'est la voiture de ma sœur et non pas celle de Phil. Rien que d'imaginer le pourquoi-Phil-n'a-pas-pris-sa-propre-voiture-? me rend mal à l'aise, me donne l'impression de m'incruster dans un truc qui ne me regarde définitivement pas. Le silence est compact dans l'habitacle de la voiture, et je n'ose pas le rompre à vrai dire. Que diable, un peu courage ma fille ! Au moment où je détache enfin mon regard du pare-brise, je vois Phil, de profil, la main sur le volant et l'autre sur son genou. Mais ce n'est pas cela qui me choque. C'est le petit manège qu'il répète toutes les deux ou trois secondes, ses ailes de nez frémissantes alors qu'il renifle discrètement la ceinture de sécurité. Et là, ce n'est plus de ma santé mentale dont je m'inquiète, mais de la sienne. Bel et bien de la sienne. Bordel, mais c'est quoi ce TOC ? !
Je me rencogne instinctivement dans mon coin, presque collée à la portière, les yeux à nouveau rivés sur le pare-brise. Me rends soudainement compte que je reconnais à peine les rues qui défilent, que ce n'est certainement pas mon quartier. Et mon esprit s'emballe à nouveau sur les fonctions psychologiques de mon beau-frère. Sur sa culpabilité dans la disparition de Sam. Et si… et s'il m'emmenait quelque part où personne ne pourrait jamais me retrouver ? Et s'il… – ok, on arrête le char là, San. Phil ? Un détraqué de psychopathe ? Nan, c'est décidément moi la cinglée, pas lui. Mais sérieux, Phil ? Ma main part toute seule pour me flanquer une claque retentissante et bien méritée.
« Hey ! Ça va ? », me questionne Phil d'une voix inquiète.
Je le vois nous regarder tour à tour – la route et moi –, une de ses mains se tendre vers moi, mais je me recule encore davantage de lui avant qu'elle ne me touche, mes joues me cuisant, et ce non pas à cause de la gifle auto-donnée. J'ai honte. Je débloque. Je ris jaune avant de lui répondre.
« J'essaye de me débourrer, j'avais juste la tête qui tournait. », je mens avec application, contrôlant mon ton pour tenter de paraître crédible. « Tu tiens le coup, toi, au fait ? ».
Je me raidis dans mon siège en réalisant très tardivement qu'il a bu un verre au Cornerstone. Et s'il a bu dans les trois précédents bars…
« Ouais, ouais. Pas de problème. »
Je ne me risque pas à demander où nous allons, je ne tiens pas à être encore plus ridicule que je ne le suis déjà. C'est moi qui ai dit : « On rentre ? », après tout. Donc on rentre. Je suppose.
Et puis je l'entends marmonner, ou jurer tout bas plutôt.
« Ah merde !... »
« Quoi ? », demande-je légèrement agressive, m'angoissant encore (silencieusement) sur notre destination.
« Faut que j'prenne de l'essence. »
« Ah. »
Coup de pot, coïncidence, chance, destin, hasard, bref-on-s'en-tape, la lumière d'une station apparaît après quelques minutes passées à rouler. Phil met le cligno, et parque la voiture devant une pompe à essence, 24h sur 24. L'odeur de celle-ci me monte à la tête dès qu'il ouvre la porte pour aller faire le plein, et je regarde par la vitre de ma portière. La station est tout bonnement déserte, excepté la boutique « spécial voyageurs » où un vendeur s'endort sur son comptoir. J'entends le ronronnement de la machine et les litres qui se déversent par le pistolet à essence. Et, ça s'arrête au bout de cinq minutes. La silhouette de Phil traverse le parking pour rejoindre la superette où le caissier somnolant sursaute quand les portes électriques coulissent pour laisser passer mon beau-frère. Aussitôt que je le vois discuter avec le vendeur, je me rue sur la ceinture de sécurité du conducteur et la hume à plein poumons, tout en jetant des coups d'œil répétitifs au-dehors pour m'assurer que Phil ne revient pas. L'arôme qui s'accroche à la matière en polypropylène m'est familier, connu. C'est un peu écœurée que j'en reconnais le principal élément : le parfum à la cannelle de Sam.
Je me redresse précipitamment, raide comme un piquet, en entendant des bruits de pas sur le goudron. Un regard à la vitre, et je peux constater qu'en effet, Phil arrive. J'ai rien fait, rien vu, rien dit et même rien pensé. Et je ne suis pas du tout dans le déni. Ça non !
La voiture s'affaisse de quelques millimètres lorsqu'il s'installe devant le volant. Cette fois, à peine le moteur a-t-il le temps de démarrer que je tends les doigts vers le bouton de l'autoradio, empêchant le silence de reconstruire son mur entre nous. J'appuie deux trois fois supplémentaires pour changer de station radio, et les chiffres bleus sur le cadran noir défilent jusqu'à ce qu'une chanson m'interpelle et me dise : « Hey ! C'est bon ! Tu peux arrêter de changer. ». Les chiffres cessent alors leur course effrénée, se posent pour afficher tranquillement l'heure, le 02 : 09 se met d'ailleurs à me narguer de tout son rayonnement bleuté. J'enfonce ma tête dans le coussin de l'appuie-tête pour essayer d'ignorer l'heure, et, le profil de Phil dans mon champ de vision, je tente de ne plus penser à rien.
Une main me secoue assez fort pour que je me réveille, assez délicatement pour que cela ne me fasse pas mal. Je chasse la mèche de mes cheveux qui s'est apparemment crue en droit d'envahir ma bouche, et soulève les paupières, me rendant compte seulement que je me suis endormie. Pourtant j'ai HORREUR de m'endormir en voiture. Je me sens toujours patraque par la suite.
« Désolé. », marmonne Phil, « Mais on est devant chez toi. ».
Ah oui. Le vent froid qui s'infiltre par l'entrebâillement de la portière, même si le corps de Phil lui fait quelque peu barrage, achève de me faire frissonner et de me réveiller complètement. Une jambe après l'autre, j'entreprends de m'extraire de la bagnole et Phil se recule pour que je puisse me tenir debout sur le trottoir. Je claque la porte, fouille mes poches en marchant quelques mètres – jusqu'aux marches de mon immeuble – et sors mes clés triomphalement en manquant de crier « Euréka ! ». Et de m'étaler sur la première marche, par la même occase. Cinq marches à escalader et mon corps en pudding pâteux se scandalise de l'effort demandé.
Occupée à trouver la serrure dans le noir (et aussi la bonne clé), je remarque, après un temps de tentatives avortées, que Phil n'est pas derrière moi. Je crois pas avoir tout saisi… Je le retrouve planté à côté de la voiture, dans la lumière du lampadaire. Je le trouve con de pas venir. Et puis mon cerveau percute que je ne l'ai pas franchement invité à rester chez moi.
« Phil ! Qu'est-ce que t'attends pour te ramener ? », je l'interpelle, faisant mine de ne pas saisir le pourquoi de son hésitation. Mission de rapatriement des troupes : réussie, Commandant Cerveau !
Bien, maintenant… nouvelle mission pour vous, Soldate San ! Trouvez le bon trou pour la clé ! Ou la bonne clé pour le trou ! Enfin, trouvez le truc que vous voulez mais ouvrez-moi cette porte !
Mission : ouvrir la porte. Pourquoi j'ai pas pris mon pied de biche ?
Appartement. Intérieur/Nuit.
Mon appartement est tel que je l'ai laissé en sortant. C'est-à-dire en un bordel monstrueux. Rien que le placard à chaussures ouvert, les vestes et manteaux au pied du perroquet, rien que le couloir me fait honte. Je sens Phil piétiner derrière moi, attendant sûrement que j'avance pour pouvoir à son tour fouler le carrelage blanc de mon couloir et fermer la porte à clé. Je me morigène en avançant, consciente que Phil a déjà vu pire de ma part. Ce que je peux être stupide ! Après tout, ce ne sont pas des représentants masculins qui vont me faire tout un pataquès pour un peu de désordre, non ? Quoique… si. J'ai déjà eu un petit-ami qui était ultra-maniaque sur la propreté. On a cassé quand il est venu pour la première fois à mon appartement… Pour un peu de vaisselle sale dans l'évier et mon lit défait. C'était assez perturbant de se faire jeter pour ça. J'crois pas que j'aurais supporté bien longtemps un tel M. Propre, à bien regarder.
Un détail me revient. Ca fait « tilt » d'un coup dans ma tête. La boîte de cachets sur l'accoudoir du canapé. Je ne crois pas l'avoir déplacée… et je n'ai aucune envie que Phil la voit et s'inquiète à son tour de ma santé mentale. Minute… J'ai ingurgité des médocs et de l'alcool dans la même soirée ? Je suis dingue. Complètement marteau. Maintenant que c'est un fait avéré, passons. Faut que je récupère ma boîte.
« Phil ? Si tu veux tu n'as qu'à aller prendre une douche. »
Penché sur ses lacets, il me jette un coup d'œil et acquiesce.
« Dis, je suis plus fatiguée, j'ai pas envie d'aller me coucher. Tu veux dormir ou tu regardes un truc à la télé avec moi ? »
« Ok. »
« Cool ! Je vais faire des popcorns au caramel pendant que tu te douches ! »
Je le vois sourire devant mon enthousiasme. J'entre dans le salon et grimace. La couverture polaire repose à moitié sur le canapé, à moitié sur le sol. La boîte de cachets est tombée, éparpillant ceux-ci sur la moquette, et mon verre, calé contre l'accoudoir et le dossier du canapé, a conservé le dépôt blanc du médicament en poudre mêlé à l'eau. Le tapis est zébré de plis où se cachent les piles de la télécommande, quant à cette dernière elle doit trainer je ne sais où, le boîtier d'un côté, le clapet de l'autre. Et je ne parle même pas des coussins, de la carafe à demi pleine sur la table basse ou du canapé affaissé sur lui-même.
Si ma mère était là, elle dirait certainement que ce n'est pas possible, qu'elle ne m'a pas éduquée ainsi. Je me sens honteuse rien que d'y penser, moi qui laisse généralement ma génitrice s'égosiller gaiment contre mon comportement et ma mentalité impossibles. Je me baisse pour rassembler les cachets et attraper la couverture. Le bruit de la douche me parvient, en sourdine. Je me dépêche de tout arranger convenablement et passe en cuisine.
La porte du micro-ondes m'échappe des mains et se ferme dans un grand « bam », je fais tourner le bouton jusqu'à ce que le cadran lumineux affiche le temps de cuisson que je veux pour mes popcorns. Et le plateau se met à tourner, entraînant le sachet encore plat des popcorns dans sa lente danse. Je reste là, à le fixer, finis par secouer la tête en m'apercevant de mon vague à l'âme. Encore.
J'ai vite fait de trouver une casserole dans le placard, le sucre sur l'étagère du milieu, le verre d'eau et de mélanger patiemment le tout à l'aide de ma cuillère en bois.
J'aime quand le sucre blanc devient sirop transparent pour ensuite parader en belle robe rousse. Même si la patience est le maître mot pour faire un bon caramel. Sam le manque à chaque coup. Ce n'est pas faute de lui avoir montré pourtant…
Le caramel n'est qu'un long sujet de taquinerie entre Sam, Phil et moi. Nous deux contre elle. Phil déconnant, faussement sérieux, sur le fait qu'être une femme et que ne pas savoir faire le caramel peut être un prétexte de rupture. J'en rajoute en lui lançant qu'il a vraiment fait une mauvaise affaire en épousant ma sœur, il poursuit toujours en disant qu'il aurait dû m'épouser, moi. Et ma sœur rigole doucement à chaque fois, pas vexée ou irritée pour un sous, nous entraînant dans sa joie.
« Ton caramel est quasiment prêt. »
La voix de Phil, murmurée mais proche de mon oreille, me fait violement sursauter, ma cuillère échappant à ma main pour rebondir sur la gazinière et finir sur le sol. Le temps de réaliser, puis de me baisser pour la ramasser, je jure lorsque je constate la trace de caramel sur le carrelage, à moitié déjà sèche et me mets à racler avec mon ongle.
« Pardon. », s'excuse Phil avec une grimace, « Je peux faire quelque chose pour t'aider ? ».
Je repousse les mèches qui me tombent sur la figure et, continuant de gratter de mon ongle, je lui demande de sortir les popcorns du micro-ondes et de les mettre dans un saladier. Lorsque je me relève, pourtant, il n'a toujours pas bougé, et sa bouche me colle un bisou sur la joue, ses cheveux humides venant chatouiller ma tempe.
« Je vais plutôt choisir le film. ».
Je reste figée alors qu'il quitte la pièce, complètement étonnée. Phil me laisse toujours élire la vidéo. Pas une fois, dans les soirées que nous passons à trois, il n'a dérogé à cette règle, même quand Sam lui faisait du charme ou le menaçait pour que l'on regarde un de ses films d'horreur fétiches. Pas devant la petite, qu'il disait. Je faisais semblant de bouder cinq minutes, et il me laissait choisir, Sam s'indignant du favoritisme avec beaucoup d'amusement. A la réflexion, je me demande si ce n'est pas Phil qui choisit les films lorsqu'ils ne sont que deux. Phil ne supporte pas la vue du sang après tout, alors pas étonnant qu'il ne permette pas à Sam de choisir les films. Ça me fout la frousse. Est-ce qu'il s'est réellement décidé à me prendre pour elle ?
J'ai raté la pétarade des grains de maïs qui se transforment en pops sous la chaleur. C'est à quoi je pense, un peu déçue, alors que je verse moi-même les popcorns dans le saladier, puis me retourne vers la gazinière pour attraper mon caramel. Il est liquide à souhait, se nappant comme il faut sur la surface blanche et légèrement caoutchouteuse des pops. D'une cuillère à soupe je les remue sans ménagement, afin que le caramel s'incruste bien. Et, me saisissant du saladier, je sors de la cuisine pour rejoindre Phil au salon.
Je me fige sur le seuil, mes mains se resserrant fermement sur le saladier. Phil est assis en tailleur, à un mètre de la télévision qui expose presque indécemment le visage statufié, mais non moins souriant, de Sam. Et je jure que je n'ai qu'une seule envie : m'en remettre une encore plus forte que celle dans la voiture.
Comment est-ce que je peux être aussi conne ? Non, parce qu'un niveau aussi élevé ne devrait pas être autorisé dans le jeu. Comment ai-je pu oublier que je n'avais ni sorti la cassette du magnétoscope ni éteint celui-ci et que, forcément, en appuyant sur le bouton de la télé, le visage de Sam s'afficherait de lui-même ?
Pauvre conne, vraiment. Je ne sais même pas comment mes mains réussissent à tenir le saladier tiède, comment mes yeux arrivent à retenir les larmes tant mon nez me pique, généralement prémices des grands sanglots ou des interminables éternuements.
« Phil. »
C'est comme s'il ne m'avait pas entendu. C'est peut-être le cas, d'ailleurs.
« Phil ! »
Ma voix s'est élancée toute seule, avec ces accents désespérés que je déteste cordialement. Mes pieds se résignent à bouger, enfin, et ils me jettent à genoux, me faisant presque heurter le corps immobile de mon beau-frère. Je regarde mes mains vides, haletante de la vitesse que mon corps a pris sans daigner m'avertir, me rends compte que le saladier a atterri miraculeusement sur la table basse, puis l'envie féroce d'étreindre Phil dans mes bras surgit en une déferlante. Je me maîtrise et pose seulement ma main sur son épaule. Je hoquète lorsque son visage se retrouve quasiment collé au mien, nos nez se touchant presque. Ses yeux fouillent les miens, alors je le laisse faire même si je ne sais ce qu'il y cherche. « Les yeux sont les miroirs de l'âme. ». Une belle connerie, cette maxime, si quelqu'un veut mon avis.
« Tu… »
Inspiration, expiration et c'est reparti.
« Tu as choisi ? »
« Oui. »
Le souffle qui s'échappe de sa bouche vient heurter mes lèvres et mon menton. J'ai vraiment la frousse, là. Tellement que mes yeux s'agitent tous seuls, papillonnent joyeusement d'un bout à l'autre de la pièce, tout plutôt que le regarder.
« Mais je viens de changer d'avis. »
Sa respiration me frappe de nouveau, me rendant bizarrement fébrile et je tente de me reprendre, mon cerveau hurlant à l'abomination. C'est Phil, merde ! Le mec intouchable de par son statut de beau-frère, le mec qui m'a toujours semblé totalement asexué, plus encore lorsque Sam me confie leurs moments sous la couette. Je me rassure en me disant que je ne pourrais JAMAIS rien faire avec lui. Même pas envisageable, ce genre de scènes avec nous deux pour acteurs. Vu de l'extérieur, cela pourrait passer pour un mauvais remake deDeux sœurs pour un roi, si ça arrivait. Un très mauvais remake.
J'inspire à fond, décale mon visage sur le côté pour voir sa main posée sur le DVD d'Inception.
« Ah. Et on va mater quoi, alors ? »
« Attends. »
Et il plonge en avant pour se saisir de trois cassettes, qu'il déloge du meuble-télé. Il me les tend. Je réalise seulement en lisant l'étiquette du premier boîtier. « Mariage de Sam et Phil. » Oh la merde…
« Phil, tu veux vraiment qu'on regarde ça ? »
« Ouais. »
« Ok… »
Je lui prends les cassettes des mains, le chasse pour qu'il aille s'asseoir sur le canapé et insère la première dans le magnétoscope, après avoir retiré celle déjà dedans. Je me mets à trifouiller dans les plis du tapis pour retrouver la télécommande ainsi que ses piles, mais Phil me la donne, parfaitement reconstituée. Je zappe un peu, histoire de régler le son et l'image, puis reste désespérément ancrée à la moquette. Mes doigts la triturent d'ailleurs nerveusement. Je me raidis en entendant Phil réclamer :
« Sam, tu viens ? »
Merde merde merde merde merde et merde ! Pourquoi je lui ai dit qu'il pouvait m'appeler comme il voulait déjà ? Je jure que mes muscles dorsaux n'ont jamais pu être plus tendus qu'à ce moment-ci. Mais au secours, quoi !
« Sam. », répète-t-il d'un ton posé.
Bordel. Bon ok, je l'ai cherché après tout. Je lui ai dit qu'il pouvait. Il faut que j'assume maintenant. Allez… !
Je m'enfonce dans le canapé avec moult précautions, comme si celui-ci allait me mordre. Je n'ai qu'à tendre le bras pour attraper les popcorns, et je sens Phil passer le sien autour de mes épaules, me forçant à m'appuyer sur lui pour mieux nous caler. Mon pouce presse le bouton gris, rectangulaire « Lecture ».
Mes yeux sont grands ouverts, hypnotisés par l'écran de la télévision même si mon cerveau est en pause depuis un long moment, mes doigts collants sont partagés entre le caramel au fond du saladier et ma bouche, et je me sens flotter tellement la fatigue est présente. Je me redresse de stupeur lorsque mon regard tombe sur l'heure, affichée par le lecteur DVD. 08 : 07. Phil grogne, sûrement réveillé par mon brusque mouvement qui a fait tomber la couverture. Mon coude planté dans son ventre est également une possibilité. Il grogne, gigote, et ses paupières s'entrouvrent difficilement, collées par le sommeil. Je n'ose pas bouger le plus petit de mes orteils. La scène qu'affiche l'écran est probablement la dernière d'Inception et ça m'est bien égal. De toute manière, je n'ai quasiment rien suivi du film, toute engluée dans ma semi-léthargie comateuse. Je secoue Phil doucement, pour l'aider à émerger.
« Phil, c'est le matin. »
Je l'entends ronchonner quelques secondes, puis soupirer, et enfin il se redresse, se lève même.
« Je vais me coucher. »
Il disparaît dans ma chambre, alors que je continue de hocher bêtement la tête, enroulée étrangement dans la couverture rouge. Je finis par tituber, sauter à cloche-pied, à pieds-joints jusqu'au meuble-télé, et par éteindre pêle-mêle magnétoscope, lecteur DVD et télévision. Avant de rejoindre ma chambre, moi aussi.
Et, doucement, je clos la porte, nous poussant, nous enfermant ainsi tous les deux dans le mensonge. Le matelas est moelleux à souhait sous mon corps, la chaleur des bras de Phil réconfortante contre mon cou et ma hanche.
Alors, je crois que je vais essayer de faire comme tout le monde, puisque, de toute façon, c'est ce qui se passera. Que je le veuille ou non, le temps va passer et la douleur s'atténuera. C'est une loi universelle. Je vais juste essayer fort, très fort, de ne me souvenir que des bons moments. Parce que c'est tout ce qu'il reste à venir.
« Sam. »
Le murmure endormi de Phil, sa main qui caresse et retient fermement mes cheveux me donnent raison. C'est peut-être bien ça, le pire.
...
... Voilà c'est fini... merci beaucoup d'avoir lu jusque là et bonne continuation à vous, lecteur comme auteur. =) Bye! ^o^ |