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au 31 Mai 21 :
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Bloody Idiot
Par Ongi
Originales  -  Romance/Angoisse  -  fr
2 chapitres - Complète - Rating : T+ (16ans et plus) Télécharger en PDF Exporter la fiction
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Première Partie

Fiction originale largement inspirée de « Cornerstone » du groupe Arctic Monkeys, écrite pour la fabuleuse Fractals. (J'espère vraiment que ça te plaira au moins un peu et que je n'ai pas trop massacré cette chanson… Je t'aime. 3).

...

Appartement. Intérieur/Nuit.

« Sam. »

« Sam… »

« Sam ! »

« Saaaaaaaaaaaaaaaaaaam ! »

Son visage rieur se tourne vers celui, faussement boudeur, de Phil, certainement blasé de devoir l'appeler une dizaine de fois pour obtenir une miette d'attention. Il me semble qu'elle resplendit en éclatant de rire une nouvelle fois, serrée contre Phil, bras dessus-dessous.

Le vent semble particulièrement s'amuser avec ses longs cheveux bruns, les lui renvoyant à la figure à chaque fois qu'elle pivote la tête à gauche, puis à droite, en face, à nouveau à droite et ainsi de suite… Phil ne se sépare pas de son rôle d'amoureux grognon, laissant Sam roucouler joyeusement et dire qu'elle trouve ça mignon. Pourtant il ne cesse de fourrer son nez dans sa nuque, de baiser ses joues rougies par le froid et le rire, d'embrasser ses paupières, son menton et ses lèvres.

Pause.

Arrêt sur image, donc.

Le visage rayonnant de Sam, en gros plan sur l'écran, presque flou à cause des pixels. Ses dents dévoilées par sa bouche souriante, blanc tranchant sous rose-rouge. Si joyeuse, si bouleversante de vie. J'ai les mains qui tremblent, le cœur qui bat douloureusement la chamade : j'ai besoin d'un cachet, et vite. Je regarde le médicament sombrer en un « plop » et se dissoudre lentement dans l'eau du verre, à la seule lueur pâlotte de la télévision.

Et cette putain de tristesse à la con aux accents de névrose qui ne veut pas partir !

Ma tête tourne. Je crois. Et, soudain, l'idée de rester assise, lovée dans le canapé, enroulée dans ma couverture polaire rouge et pelucheuse, à regarder le visage de ma sœur aujourd'hui disparue, morte peut-être, m'est tout bonnement insupportable.

Le sol tangue lorsque je me mets sur mes pieds, la télécommande du magnétoscope vole sur le parquet, les piles valsant sous le choc. Le goût du cachet sur ma langue est proprement écœurant et âcre, probablement dû au fait que je l'avale d'une traite, tremblante. Mes dents s'entrechoquent d'ailleurs au verre, provoquant une saveur sanguine qui se mêle à ma salive. J'ai froid. Mais c'est sûrement naturel puisque, mon édredon protecteur retiré, je me retrouve en sous-vêtements, peau dénudée, exposée à l'air libre, frais, mordant.

Essayer, tenter de fuir le goût et le sentiment de nostalgie, culpabilité et remords qui continuent à se glisser contre ma langue, dans ma gorge, me donnant l'envie et le réflexe de vomir. Même si tout ce que je pourrais actuellement cracher à la face du monde est la bile acide de mon estomac.

Mes jambes s'agitent toutes seules, me dirigeant vers ma chambre, me conduisant devant mon dressing. Parce qu'il faut être habillé pour sortir dehors, non ? Mes doigts enfilent ma robe noire sur mon corps, la descendent sur ma taille, et passent ma veste rouge, en remontent les manches sur mes coudes. Mon miroir ne me sourit pas, sans doute parce que ma bouche ne le fait pas. Elle est d'ailleurs bien trop occupée à se laisser barbouiller d'écarlate, pareille à mes yeux qui se noient dans le charbon de mon mascara. Mon visage se recule de la glace à laquelle il était collé, et je me sens quelque peu satisfaite du résultat.

Avec mon teint pâlichon, blafard, que renforce le noir autour de mes yeux videsmortsdechagrinetd'angoisse, avec le rouge pétaradant de ma veste à grosses mailles – celle que je mets uniquement lorsque je suis malade – et le cramoisi de mes lèvres serrées, je ressemble à une véritable plaie ambulante. Ne manque plus que le rouge de mes veines ouvertes, étalé sur mes avant-bras pour parfaire le tableau. Mais cela ferait mauvais genre, il me semble. Personne dans mon entourage ne s'est jamais ramené dans un pub avec les poignets dégoulinants de sang. Du moins, je ne crois pas.

Putain Sam, t'abuses ! Voilà que tu me fais retomber dans mes délires psychotiques d'adolescente morbide. Dire que je pensais vraiment avoir dépassé cette période...

Mes orteils disparaissent dans les chaussures à talons d'un vermeil verni, et je me demande quand suis-je arrivée dans le couloir de l'entrée. Pendant que je songeais gentiment à mes bloody rêves, certainement. De toute façon, je n'ai pas les couilles pour passer à l'acte. Je les ai jamais eues, c'est le cas de le dire. Autant, découper un animal, quelqu'un d'autre – n'importe qui – au scalpel ne me fait rien ressentir de particulier, autant l'acte sur mon propre corps me fait peur. Et pas seulement à cause de la souffrance.

Je me saisis de mes clés dans un bruit de métal qui se heurte. L'ouverture béante de la porte m'attire comme un trou noir mais je me force à aller éteindre la lampe dans ma chambre. Une pression sur le bouton et l'ampoule a son compte sans avoir le loisir de combattre contre son extinction. Par contre, l'écran de la télévision me met K.O. alors que je sors de la chambre. Gagner une bataille pour perdre la guerre est une expression qui résume bien la reddition qu'offre mon cerveau sous le poids pesant de la tristesse.

Le visage de Sam n'a pas bougé depuis sa mise en pause, toujours presque déformé par les pixels. Les piles de la télécommande roulent sous mes semelles, manquant de me faire tomber, tandis que mon doigt se pointe, se tend désespérément vers le gros bouton rougevicieux du poste de la télévision. La luminosité blanche disparaît en un « zap » éblouissant qui met à mal la vision de mes pupilles, plongées à présent dans la pénombre froide et bleutée du salon. J'ai envie de m'effondrer dans les confortables coussins du canapé moelleux et de chialer jusqu'à n'en plus pouvoir. J'ai envie de ça. De cette facilité si tentante. De ce « oui » à la tristesse, la mélancolie, la vautritude absolue. Au truc que j'ai eu envie de fuir à tout prix, il y a un quart d'heure à peine. Putain de contradiction émotionnelle. C'est trop de trop, ce soir, je SORS. Et ça va saigner.

Pub. Intérieur/Nuit.

La foule dans le pub de nuit me surprend, avant de réaliser qu'il est déjà minuit trente et que nous sommes samedi soir. Cornerstone est le pub où je vais le plus fréquemment. Bonne musique, personnel aimable et compagnons hurluberlus de beuverie sympathiques. Sans compter les lumières spasmodiques qui contribuent largement à l'atmosphère. Tout le monde est beau, mystérieux dans la semi-pénombre, brumeuse de la fumée des cigarettes, balayée par les faisceaux colorés qui vont et viennent de ci, de là. APPLE JACK. Deux mots qui vont bientôt résumer ma soirée. Enfin… ma nuit, plutôt, au vu de l'heure qu'affiche mon portable.

M'accouder au bar n'est pas une mince affaire. Je me fais bousculer un peu avant d'y parvenir, me logeant dans un espace réduit, entre Mister One et Mister Two. Lesquels me sourient d'ailleurs, lorsque je les frôle sans le faire exprès, que je leur adresse une moue d'excuse. Nope. Pas moyen de draguer ce soir. A moins de vouloir raviver la douleur en remuant le couteau dans la blessure et rajouter du sel par-dessus, l'amour n'est pas pour les plaies ambulantes. L'alcool si. J'avale ma première lampée, gardant en tête l'idée de me désinfecter. En tant que plaie émotionnelle, il serait dommage que je devienne une plaie émotionnelle purulente et envenimée, non ?

Mon téléphone sonne dans la poche de ma veste, et la laine rugueuse de celle-ci se frotte contre ma main qui va s'en saisir. Appel entrant de Lucy. Meilleure pote à laquelle je n'ai pas envie de parler parce que je n'ai envie de ne parler à personne. Mais je sais que si je ne décroche pas, je vais en entendre parler pendant des millénaires. Mon pouce presse le bouton vert et je plaque le combiné contre mon oreille, ce qui provoque un léger choc entre la surface lisse du téléphone et ma boucle d'oreille en toc.

« San ? Mais t'es où ? », s'écrie Lucy en poussant un petit perçant dans mon oreille, me faisant immédiatement regretter d'avoir décroché.

« Cornerstone. »

Mon ton las et ma réponse succincte ne semblent pas lui faire comprendre qu'elle appelle à un mauvais moment. De toute façon, Lucy ne comprend que ce qu'elle se donne la peine de comprendre. Regrettable trait de caractère.

« Et tu peux me dire ce que tu fiches là-bas ? », répond-elle sur un ton excédé.

« Bah… je bois. »

Je l'entends soupirer et je sais que c'est une très mauvaise chose. Mais vraiment très mauvaise. Pas une de ces choses qui vous bousille la soirée, mais une de ces choses qui vous fout en l'air la semaine. Remarque, pas de pot pour Lucy. Elle arrive trop tard. Ma sœur a déjà entrepris de me gâcher la semaine, voire les quelques années à venir, avec sa connerie de disparition. Ou bien sa connerie de mort. La police n'est pas vraiment au top de l'info et comme c'est elle qui me tient au courant de l'avancée de l'enquête…

Ça me fait penser que les parents avaient une voix complètement démontée au téléphone hier, quand on a été mis au courant des dernières découvertes (qui avoisinaient les zéros). J'ai bien songé à aller les voir, faire 500 cents kilomètres pour me blottir dans l'étreinte protectrice, paternelle et maternelle, mais ils ont dit que ce n'était pas la peine, que ma dernière année en deuxième cycle de médecine était importante, qu'il ne fallait pas que je la gâche et que je gâche tout mon travail. « CONNERIE. » a été ma seule pensée sur le moment. Une sœur disparue, peut-être m-o-r-t-eet mon avenir est plusimportant que la situation ? CONNERIE ! Définitivement. Je ne me suis calmée qu'après les avoir entendus expliquer. Que c'était eux qui allaient se déplacer jusqu'ici, en fin de compte. Qu'ils dormiraient sur mon canapé dépliable. Qu'ils arriveraient lundi, le temps de faire leurs valises et de s'arranger avec les voisins pour qu'ils s'occupent du chien, Gamba, et de la maison.

Je n'ai pas non plus vu Phil. Je suis bien allée toquer à la porte de leur appartement, à Sam et lui, mais personne n'a ouvert ou même donné signe de vie. Est-ce qu'il aurait foutu le camp, ayant pris peur ?

Est-ce qu'il est impliqué d'une quelconque façon dans la disparition de Sam ? Est-ce que la police l'a bouclé et ne m'a pas prévenue ?

« San ? San ? Saaaaaaaaaan ! », hurle Lucy depuis le combiné. « Bon sang, mais tu m'écoutes ? Je peux savoir pourquoi tu es au Cornerstone à te bourrer la gueule, et pas avec nous en train de fêter l'anniv à Mathieu en te bourrant la gueule, comme on avait dit ? »

Ah. Oups. Remarque, on s'en fout de Mathieu. De toute manière, c'est qu'un con. Et c'est bien fait pour sa gueule. Je vois même pas pourquoi Lucy se donne la peine de sortir avec un gars pareil. Si, je le sais, en fait : pour ne pas être toute seule et parce que – apparemment – c'est un bon coup. Et c'est moche. Mais ce n'est que mon avis.

« J'ai pas envie de le dire. »

Complètement vraie, cette réponse. J'ai pas envie de le dire. Alors je le dis pas. Point.

« Issane... », gémit Lucy pour tenter de me faire fléchir. Je la vois d'ici battre des cils en faisant sa moue de petite fille capricieuse.

« Quoi, Lucy ? »

Merde. J'ai rêvé ou mon ton a eu des accents-relents de désespoir ? On va dire que j'ai rêvé. Le souffle de Lucy s'entend au travers du téléphone, et je prends conscience qu'elle a retenu sa respiration. Mauvais. Le gars qui se presse contre moi pour atteindre le bar sent lui aussi mauvais – sauf que lui c'est au sens propre.

« Tout va bien ? », me demande sa voix, suspicieuse.

A mon tour de soupirer, avant de boire mon verre et d'en commander un autre. Non, ça ne va pas. C'est que maintenant que tu t'en rends compte ? Je ravale mon amertume puisqu'après tout elle ne sait pas qu'on joue aux devinettes.

« Ça ira mieux demain. », je lui assure en tapant le bout de mes doigts contre le verre, à nouveau rempli d'APPLE JACK, à une cadence régulière. Quelle vilaine menteuse je fais là !

Des doigts me tapotent l'épaule, alors je me retourne en lançant une grimace de dépit à mon APPLE. J'ai une sorte de hoquet violent lorsque je réalise que Phil est devant moi. Je pensais que c'était seulement un client qui voulait pouvoir atteindre le bar. Qu'est-ce qu'il fout là ? Puis je me reprends, m'adresse quelques claques mentales et annonce à Lucy que je la rappellerai plus tard, que je lui souhaite une bonne soirée.

Je tente de sourire à Phil, tout en fourrant mon téléphone portable dans ma poche, mais le résultat me parait plutôt faible. Lui n'essaye même pas. Il se contente de me regarder droit dans les yeux, une question au bord des lèvres, je le vois bien malgré la lumière rouge qui l'éclabousse par intermittence. Alors, je laisse, moi aussi, tomber le sourire, et hausse un sourcil interrogateur. Il lance, comme s'il plongeait la tête la première dans une eau glaciale, le regard un peu fou : « Qu'est-ce que tu fais ici ? ».

Je crois que ma stupéfaction me secoue tellement fort que je reste figée, pendant au moins cinq minutes. Le voir là, l'entendre dire ma réplique… Ça m'a juste… chamboulée. Comme une quille se fait renverser par une balle au chamboule-tout des fêtes foraines. Et, bêtement, je pense : « J'aurai même pas droit à la peluche du gagnant… j'suis que la quille après tout... ». Le sang me monte aux yeux, dévale la courbe de mes joues, dégouline de mon menton. Je n'ai même pas un dernier soubresaut. Pas le moindre. Rien. Niet. Nada. Que le mascara qui – j'en suis certaine – s'ajoute à ce ruissellement d'émotions, maculant consciencieusement ma figure. Je renifle, étale le sang transparent et le maquillage noir sur mes pommettes. Aucune envie de m'apitoyer davantage sur moi-même. Juste le choc de le voir, juste ça. Bien sûr, c'est le choc. Bien sûr…

Et Phil a besoin de moi. Autant le laisser gagner l'énorme nounours, j'aurai au moins ma conscience pour moi. Le laisser gagner, me chambouler à tout va est tout ce qui compte, maintenant. Même si Sam n'est pas là, plus là, pour qu'il puisse lui offrir la peluche.

Phil et moi… avons toujours entretenu une relation chien-chat, comme aiment les gens à l'appeler. Je le ressens plus comme si nous étions vraiment frère et sœur. Au tout début – quand Sam m'a présenté Phil – je l'ai gentiment testé. « T'es sûr que t'es assez bien pour ma sœur ? », insinuais-je assez régulièrement pour me moquer de lui. Et il me le rendait bien. Sam nous appelait « les enfants ». On a arrêté de se chipoter pour un rien lorsque Phil a demandé à ma sœur de l'épouser. Ca montrait qu'il était vraiment sérieux – même si personne ne reste en couple avec quelqu'un pendant quatre ans si ce n'est pas sérieux – et que ma sœur allait réellement être heureuse, fonder une famille et tout le tralala qui s'ensuit avec.

Le corps de Phil se presse d'un coup contre le mien, me pousse à reculer pour laisser passer quelqu'un derrière lui, et je me rends compte qu'une fois encore, j'ai dérivé sur le fil de mes pensées. Je relève les yeux sur son visage qui me surplombe, et je surprends un espoir peint sur son visage, d'une encre translucide.

« Alors ? », insiste-t-il comme si c'était une question vitale à sa stabilité psychologique.

« J'essaye de faire un coma éthylique. Ça rate pour l'instant. Toi ? », fais-je sur un ton indéniablement sarcastique que je ne parviens pas à retenir.

« Je sais pas. Je… j'ai fait quelques bars déjà... Le Battle Ship, le Rusty Hook. Et le Parrots Beak. ».

Je hoche la tête sans comprendre pourquoi il me raconte tout ça. Pas que ça me soit complètement égal et que ça me passe au-dessus de la tête, mais je ne vois pas où est son intérêt. Un besoin de parler ? De remplir le vide ? Je n'en sais strictement rien. Et puis je réalise. Ce sont les bars, avec le Cornerstone en plus, que Sam adore faire défiler dans une soirée. Tous les quatre. L'un après l'autre. Et l'idée qui germe dans ma petite tête dérangée me donne froid dans le dos, m'épouvante tout en me paraissant naturelle. C'est d'ailleurs avec crainte que je l'expose à Phil, mal assurée, ayant décidément peur qu'il le prenne mal, se vexe ou déborde d'une quelconque manière.

« Phil. », fais-je d'une voix plate, neutre.

« Oui ? », répondit-il avec une angoisse évidente.

« Est-ce que… », souffle-je pour m'encourager, « Est-ce que tu la cherches ? ».

Ses yeux s'écarquillent mais je ne sais pas comment l'interpréter. Ma question est-elle folle, cinglée ? Est-elle juste ? Dans tous les cas, cela revient au même : il ne me répond pas et m'évite du regard, en me donnant l'impression d'un gamin pris en flagrant délit. Mais je peux me tromper.

Son expression est douloureuse alors qu'il reporte enfin son attention sur moi.

« Non non. », jure-t-il à toute vitesse.

Et je vois bien qu'il ment. Soit c'est ça, soit je suis réellement folle.

« Je peux t'appeler par son nom ? »

Ça se voit tout de suite à son expression qu'il s'attend à être rejeté, à ce que je l'envoie balader. C'est peut-être ce que je devrais faire, non ? Mais autant je mourrais pour envoyer Lucy se faire voir, autant je ne désire pas faire ça à Phil. Parce qu'on partage un peu la même douleur. Du moins, on se partage la même personne depuis un peu plus de huit ans. On se partageait. Moi, ma sœur, et lui, sa femme. Notre Sam.

Je dois avouer que j'hésite un peu… oh et puis zut !

« Je ne devrais pas dire ça, mais… »

Son visage se penche un peu sur le mien pour mieux percevoir le son de ma voix, et j'hésite encore en voyant ses yeux sombres. Ma veste se déplace sur mon épaule, en tombe sur mon bras. Parce que mes doigts en agrippent la manche en laine infroissable comme une bouée.

« ... mais oui. Tu peux m'appeler comme tu veux. »

Je lis son « merci » sur ses lèvres, juste avant qu'il ne se penche encore davantage pour me prendre dans ses bras, enfouir sa figure dans mon cou. Une de mes mains se verrouille en un poing sur son t-shirt, au niveau de sa taille, tandis que l'autre s'amarre à sa nuque. Sa peau est chaude là où sont posées mes mains, précédemment habituées au froid du verre empli de glaçons. Et, bien qu'il me dépasse largement en taille, je ressens le besoin de le consoler comme je le ferais avec un tout petit garçon triste.

« Sam. », prononce-t-il dans le col de ma veste.

J'ai un élan de … de je ne sais quoi, qui me pousse à serrer plus fort. A forcer sur sa nuque pour que son visage se cale réellement dans le creux qui joint mon cou et ma clavicule. Je ne réalise pas vraiment que nous sommes au beau milieu du Cornerstone bondé, à se consoler l'un l'autre. Il se recule doucement et c'est le signal de la fin. Même si ses mains sont encore sur ma taille, les miennes pendent au bout de mes bras, molles. Le rebord du comptoir s'enfonce dans mon dos quand je me tends en arrière pour le regarder avec plus de recul. Son visage entier est rouge, et cela n'est pas dû à une quelconque lumière. Seuls ses yeux échappent à la règle, m'apparaissant bien secs. Fierté proprement masculine, je présume. Moi non plus je ne pleure pas, plus. Pas encore davantage.

Je me rappelle mon APPLE JACK abandonné au triste sort de ne pas être bu. Alors je tâtonne derrière moi, dans le vide, puis attrape le verre pour le mener à mes lèvres. Phil regarde par-dessus moi, me loge un gentil coup de coude dans le ventre et se fait une place à mes côtés en bousculant Mister Two. Le Zéro absolu qu'il engloutit d'une traite me fait perdre la manche, avec mon APPLE JACK à peine entamé aux deux tiers. Le silence se fait entre nous, et la musique sonore de la salle me percute brutalement, comme si le moment précédent nous avait coupés du monde extérieur à notre peine, et qu'il me revenait à présent en pleine figure. Et j'ai l'impression qu'on fait pression sur ma gorge, comme une main inflexiblement resserrée autour de mon cou. J'ai l'impression qu'on m'étrangle, véritablement. J'étouffe, j'essaye de me débattre mais rien n'y fait. Il faut que je parte d'ici.

« Phil ? On rentre ? »

La main dans mon dos, qui me conduit vers la porte, me dit oui.

 
 
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