« - Espèce de sale taré ! »
Le coup de matraque assené avec violence lui fit voir trente-six chandelles. Il s’effondra lourdement sur le sol de la cellule aux pieds du colossale gardien qui le toisait d’un regard meurtrier.
« - T’es fier de toi j’imagine ? Pourriture ! Meyer était un homme bien et toi avec tes saloperies de monstre de foire tu l’as tué ! »
Le coup de pied lui bloqua la respiration et vibra douloureusement contre ses côtes. Malgré son crâne cabossé et sa lèvre fendue, il ne pût se contenir plus longtemps et un éclat de rire aigu, insidieux éclata dans la pièce. Bolton, le gardien de l’Aile Nord d’Arkham, rugit de colère et l’interpréta comme une invitation. Dès lors les coups se mirent à pleuvoir sur sa tête.
Ainsi donc ce bon vieux Charlie avait passé l’arme à gauche ? Ce n’était guère surprenant après tout…un homme qui avait si peu d’humour ! Quand Bolton eût finit de se défouler sur lui, après de longues minutes, il quitta la pièce bouillonnant encore de rage et le menaçant de mort. Une journée habituelle en somme.
Ce n’était pas tant la violence usuelle de Lyle Bolton qui chiffonnait J, Non ! Ca il y s’était habitué depuis longtemps, ce qui le turlupinait c’était de savoir en quoi lui, qui était enfermé « h vingt-quatre » dans une cellule capitonnée avait à voir avec le geste du médecin. Il était singulièrement difficile de tuer quelqu’un quand on était saucissonner à l’intérieure d’une camisole. En particulier d’une camisole attachée par Bolton.
Il eût une vision de lui-même essayant de s’extirper de son « costume de vacances » et ne pût s’empêcher de rire derechef. Un Joker sait reconnaître une bonne blague. Indubitablement. Et voir Lyle Bolton débouler dans sa cellule en l’accusant de meurtre en était une sacrément bonne. Pauvre petit Charlie ! Il l’avait pourtant été terriblement amusant au début ! Il voulait savoir, il voulait…comprendre. C’était le cinquième psychiatre à se pencher sur son cas. Le cinquième qui arrivait à une conclusion différente de ses prédécesseurs : les pulsions morbides du Joker s’expliquait par sadisme né dans ses troubles du comportement liés à l’enfance et développé à la suite d’abus sexuels. Bigre ! Le diagnostic l’avait fait pleurer de rire pendant trois jours. Quel comique ce Charlie ! Mais à force de se « pencher » sur le cas de J, il avait sans doute finit par se laisser entraîner par son poids. La gravité avait fait le reste. Alors J avait fait pencher le bon docteur vers l’incertitude totale, voilà tout. C’est le problème avec les gens qui veulent toujours tout comprendre…il y a fatalement un moment où ils ne comprennent que ce qu’ils veulent.
Les médecins étaient follement divertissants. La plupart du temps J riait tout le temps pendant les séances. Certes le Joker avait une fois tué l’un de ses thérapeutes à la fin d’une séance, mais il n’avait aucun humour ! J n’y pouvait rien après tout. Lui, les trouvait fascinants avec tous leurs petits tests. En fonction des réponses, ils détectaient de nouveaux maux. Et chez les bons docteurs, chaque symptôme a une couleur : bleu pour le sommeil, rose pour le tonus, blanc pour l’agressivité, vert pour les angoisses (quelles angoisses ? J n’avait pas peur, il était incapable de se projeter aussi loin dans l’avenir. Pour avoir peur il faut planifier et catégoriser : mettre d’un côté ce qui nous rassure et de l’autre le reste, c’était foutrement compliqué… J ne vivait que dans l’instant, s’il s’abaissait à faire une chose pareille, il ne serait plus lui-même) mais le mélange des couleurs l’indisposait. La pâte boueuse de toutes ses pilules dans son estomac contrariait sa définition de l’esthétisme. Alors J avait décrété que non merci ça ira comme ça, la vie en chimie technicolor ne l’intéressait pas !
Il était toujours étendu sur le sol, coincé dans sa camisole quand son hilarité se calma, sans qu’il se rappela ce qu’il l’avait déclenché. Il tenta de se relever mais la douleur le fit grimacer. Mauvaise idée, contemplons le plafond en attendant que ça passe… J sentit un liquide chaud couler lentement le long de sa tempe et glisser dans son cou. Hum ! Est-il bien recommandable de taper sur la tête d’un fou pour le soigner ? La question méritait d’être posée.
Cinq ans ! Cinq ans que Baty-Mad-Bad l’avait fait boucler ici ! Et c’est qu’il avait laissé des consignes le bougre ! Il n’avait le droit de parler qu’à ses psychiatres auxquels ils n’avaient rien de particulier à dire et qui étaient incroyablement mal élevés avec leurs questions insistantes. Le reste du temps, il restait bouclé dans sa cellule. Quand Bolton n’était pas posté devant la porte. J était isolé des autres pensionnaires de l’asile, cloué au sous-sol de l’aile la plus ancienne et la plus délabrée d’Arkham. Il n’aimait pas être enfermé dans le noir, il était gentil maintenant, pourquoi on ne le laissait pas aller faire un petit tour dehors ? Il commençait vraiment à s’ennuyer ferme. Surtout que Bolton n’était pas vraiment du genre causant.
Il était son gardien personnel, chargé par Elliott et Bartholomew, les patrons de ce grand cirque, de le rendre inoffensif au cas où J perdrait les pédales et tenterait d’égorger un autre docteur compréhensif. En fait le gardien avait réinterprété les consignes des médecins et du juge Vaughan, de manière somme toute, très personnelle. J était devenu son putching-ball, mais ce n’était pas bien grave dans la mesure où il avait une bonne résistance à la douleur, merci Baty.
Non le gros problème relationnel entre les deux hommes venait surtout du fait que Bolton n’avait absolument aucun sens de l’humour, ce qui avait tendance à rendre le clown morose. Une petite blague ? Il ramassait une beigne. Un jeu de mots ? Boum ! Une autre beigne. Bolton était désespérément insensible au comique de situation. Non vraiment, plus il y réfléchissait et plus J s’inquiétait de la santé mentale de ce bon vieux Lyle. Un homme qui n’a pas d’humour a forcément un problème.
Indubitablement. |