Je l'avais emmenée une fois, sur un coup de tête, à la mer. J'avais quitté mon travail en trombe, comme un fou, prétextant pour la 3ème fois ce mois-là un décès dans ma famille. Je l'avais appelée cinq fois, et elle ne m'avait répondu qu'à la dernière sonnerie de mon dernier appel, comme elle le faisait à chaque fois. Elle était arrivée 47 minutes en retard. Bien sûr, j'avais compté chaque minute.
Nous avions passés l'après-midi dans l'eau, bercés par les vagues. Aucun tsunami, aucun animal marin légendaire, aucun ouragan n'aurait réussi à me faire sortir de l'eau à ce moment-là. Elle avait les bras noués autour de mon cou et je me sentais le plus heureux du monde. La galaxie entière tournait autour d'elle, et c'est moi qu'elle tenait dans ses bras. Je sentais la terre tourner à 1700km/h, comme je sentais sa langue jouer avec la mienne, ses dents martyriser mes lèvres, sa bouche dansant sur ma mâchoire.
Les vagues s'écrasaient sur nous, sur nos joues, entre nos lèvres. Et je sentais que nos baisers étaient trop salés pour être réels. A chaque fois que je fermais les yeux pour sentir chaque parcelle de nos corps enlacés, l'eau me giflait, et je souriais. C'était une bénédiction. C'était le miracle de ma vie. Je ne rêvais pas. Elle souriait, aussi, entre deux effleurements. Nous ne rêvions pas. Je n'avais qu'une envie, qu'on ne fasse qu'un, que ma peau se soude à la sienne, et j'avais beau poussé, ça ne changeait rien, ce n'était jamais assez. J'oubliais. J'oubliais son nom, son visage. Elle n'était plus une personne, un être, elle était la matière dont était tissée ma vie. Elle était tous les concepts abstraits que je n'avais jamais compris. Elle était toutes ses lumières vivantes qu'on ne voit que la nuit. Tout ce que mon cerveau acceptait d'assimiler était son corps roulant sous mes mains, ses doigts se baladant dans mes cheveux, son souffle court.
Je voulais que l'on se mette au soleil, qu'on ferme les yeux, l'un contre l'autre. Voir ses yeux clairs lorsque nous nous embrassions. Parler d'évasion pendant des heures, qu'elle me dise qu'on pourrait parcourir le pays sur un coup de tête. Qu'elle pose simplement sa tête sur mon torse, qu'elle connaisse la symphonie qui joue dans tout mon être lorsqu'elle est proche. Qu'elle me dise que tout était possible. L'horizon ne m'avait jamais paru aussi lointain et je n'avais jamais été aussi aveugle.
Je me surprends parfois à rejouer le film de ma vie, dans ma tête, sans lassitude. Et les images, les sensations, les odeurs continuent de me donner des frissons. Je continue d'inspirer profondément, comme je le faisais dans mes souvenirs. Je continue de voir ses yeux là où je devrais voir la platitude de ma vie, qui continue d'être. Là où je devrais voir la terre, qui continue de tourner, malgré tout. Je me surprends parfois à examiner les dialogues passés. Des mots, des rires, des phrases paradent dans ma tête, tatouant mon être de lettres incohérentes. Certaines paroles qui n'ont pas été prononcées au bon moment finissent de me hanter, pour de bon. Et je continue d'avancer, dans l'espoir vain, idiot et ridicule qu'un jour, je la reverrai. Maintenant, je me berce d'illusions, je me laisse aveugler, pourvu que mon esprit se calme et arrête de me sermonner. J'aurais dû lasuivre lorsqu'elle me parlait d'évasion, peut être qu'alors, je ne m'en voudrais pas autant maintenant. J'aurais dû calmer mon coeur qui s'acharnait contre ma poitrine quand elle s'acharnait sur mes levres, alors il ne serait pas aussi hystérique en cet instant. A tous les instants où je pense à ça. J'ai presque peur de dire que je pense à elle, et j'ai la couardise de la nommer "Notre histoire". Je personnifie ce que nous avons vécu, enespérant que c'est les faits qui me manquent, et pas elle. |