Si je n'avais pas plongé tête la première dans les abysses qu'étaient ses yeux, je n'en serais pas là. Si je n'avais pas compté les poussières d'or qui s'étalaient sur ses pommettes, goûté aux délices défendus de ses lèvres, appris par coeur chaque courbure, chaque cambrure de son corps, comme un élève prodigue, je n'en serais pas là.
C'était trop tard, maintenant que je m’étais noyé dans les profondeurs de ses ténèbres, que je m’étais imprégné de son odeur. C'était trop tard, maintenant que j’étais devenu avide de son goût, de son amertume et de son acidité, je pouvais deviner le moindre battement de cil, de coeur.
Qu'en sera-t-il de moi, lorsqu'elle m'aura croqué, qu'elle se sera lassée de moi. Je m'enivre de la froideur de ses pupilles, j'en frissonne, et j'en redemande. Je me balade dans le désert aride de ses cheveux brulants, je m'assèche, je meurs, et j'en redemande.
J'aimerais me glisser dans le velours de sa voix. M'aventurer dans les décors lunaires de son passé, de son présent et de son futur. Je m'oublie, je lui cède ma place. Ce soir, il pleut, parce qu'elle a cessé de sourire. Demain, il n'y aura pas d'aurore, si elle ne m'aime plus. Que la terre ne tourne plus et que le ciel me tombe dessus si elle décide de me laisser.
La première fois que je l'avais vue, j'avais 32 ans, et elle avait la moitié de mon âge. C'est elle qui s'est amusée de mes habitudes, de mon addiction à elle. C'est elle qui avait les idées les plus aventureuses, les attitudes les plus mûres et j'avais l'impression de revivre mes années juvéniles, inconscientes. Nous avions échangé les rôles, elle m'avait transformé en adolescent énamouré et elle était devenue ma première expérience, elle était la dominante, elle écrivait notre histoire selon son humeur et j'aimais être l'acteur principal de ses mélodrames. De la comédie au drame, du film d'horreur au film muet, nous avions joué tous les scénarios possibles. J'avais joué tous les scénarios possibles, tandis qu'elle supervisait les scènes dangereuses, écrivait les dialogues et mettait en scène les moments doux.
Nous ne nous étions pas rencontrés par hasard, j'étais prédestiné à tomber dans ses bras. Ma vie professionnelle prenait l'eau, pendant que ma vie sociale coulait totalement, la suite logique des choses voulaitque j'entame une relation à sens unique avec une enfant. Elle était devenue ma bouée de secours dans la mer noire et agitée qu'était ma vie. Je m'y accrochais désespérément, elle était la seule chose qui me retenait de me laisser aller à la noyade. Nous dérivions ensemble. |