Stellane
Auteur : haniPyanfar
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Troisième partie : Yann Kerrye et Harry Potter
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13 : D'une prison à une boîte de nuit.
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Jeudi 2 août, Azkaban, milieu d'après-midi.
Yann Kerrye était assis sur un banc dans le Hall d'entrée de la prison, il était pâle comme un linge et tremblait de tous ses membres. A côté de lui, Harry Potter ne savait trop quoi faire. Dans cette pièce lugubre, il faisait sombre et froid. Au dehors, les vagues cognaient contre les rochers et les embruns ricochaient sur la lourde porte de bois cloutée de fer. On était en août et on se serait cru en hiver.
Ils étaient seuls. Les deux gardiens de service s'étaient calfeutrés dans leur guérite en attendant que le " supplice " soit terminé. Chaque jour, à une heure qui n'était jamais la même pour que les prisonniers vivent dans l'angoisse, les Détraqueurs se répandaient dans les couloirs de la prison et se nourrissaient des derniers moments de bonheur des pensionnaires - enfin au bout de neuf ans, les anciens Mangemorts emprisonnés n'en avaient plus beaucoup - puis ils réveillaient leurs pires cauchemars. La durée de cette horrible intervention était variable, de dix minutes à deux heures environ les plus mauvais jours.
Harry avait obtenu très vite de Kingsley Shacklebolt la permission d'emmener Yann à Azkaban pour voir son " père ". Le chef des Aurors leur avait remis un portoloin qui servait d'habitude au transfert des condamnés de la Cour de Justice à la prison. Yann avait pu ainsi expérimenter un nouveau moyen de transport magique. Il avait eu très peur et s'était - intentionnellement ? - accroché fortement au bras de Harry. Il est vrai que survoler la Mer du Nord, même par beau temps, n'était pas de tout repos.
Les gardiens prévenus les avaient emmenés dans une galerie haute, une sorte de chemin de ronde qui permettait de surveiller les prisonniers quand ils étaient en bas, dans la cour, à l'heure de la promenade. Puis ils s'étaient éloignés rapidement vers leurs locaux. Normalement, les Détraqueurs devaient apparaître une dizaine de minutes plus tard. Appuyé à la rambarde, Harry désignait à Yann certaines personnes que Draco Malfoy devait connaître. Mais lui-même ne parvenait pas toujours à mettre un nom sur les visages.
Ils avaient bien changé, les orgueilleux Mangemorts ! Voûtés, les traits creusés par les épreuves, les cheveux longs et blanchis, ils se traînaient comme ils pouvaient sous le soleil d'été, pour en profiter un peu avant de regagner leurs sombres cellules. Ils se parlaient à peine et les quelques pas qu'ils faisaient les laissaient sans forces.
Yann avait paru horrifié devant ce spectacle. Harry lui-même en était bouleversé. Personne ne savait ce qui se passait réellement à Azkaban. Même neuf ans après la fin de la guerre, la plupart des sorciers trouvaient encore que la condamnation à perpétuité des fidèles du Lord Noir était méritée. Mais en fait c'était une mort lente qui rongeait les prisonniers et éclaircissait leurs rangs d'année en année.
Harry avait enfin localisé Lucius Malfoy et l'avait désigné à Yann. C'était devenu un vieillard ! Bien entendu, le jeune homme ne l'avait pas reconnu. Une déception de plus sans doute mais ils n'étaient pas là pour ça. A ce moment, une sonnerie stridente avait retenti. Les prisonniers s'étaient tournés vers les murs de la cour en plaquant leurs mains sur leurs oreilles et en fermant très fort les yeux. Et les monstres étaient apparus, dans leurs longues robes noires, leurs mains purulentes tendues devant eux, gémissant tragiquement. Un froid mortel les accompagnait.
D'habitude, ils ne montaient pas vers la galerie, il n'y avait jamais personne là-haut. Mais très vite, ils sentirent la présence de deux jeunes âmes remplies de bons souvenirs à aspirer et de mauvais à réveiller. Ils se précipitèrent vers leurs appétissantes nouvelles proies. Malgré la douleur qui l'envahissait, Harry résista assez bien à l'assaut. Il tenait sa baguette prête à agir au bout de son bras. Il réalisa soudain que Yann n'avait pas encore appris à produire un Patronus. Le sien serait seul face à la horde. Mais il se savait fort sur ce coup-là. Il avait déjà vaincu toute une armée de Détraqueurs.
Seulement, il n'avait pas prévu que l'épreuve serait aussi dure pour Yann. Ce dernier était sans défenses et les vagues maléfiques déferlaient sur lui. Les bons souvenirs du temps de la Sardine étaient noyés dans une terreur qui le paralysait et lui serrait la gorge à l'étouffer. Le jeune homme revivait un moment affreux et il peinait à le situer dans sa mémoire envolée. Il ne tenait plus sur ses jambes. Il serait tombé si Harry ne l'avait pas soutenu fermement par la taille tout en l'entraînant vers l'extrémité de la galerie.
Manque de chance, ce jour-là, les monstres devaient faire leur sale boulot pendant deux heures. Les visiteurs ne durent leur salut qu'au Patronus de Harry. Entre eux et les Détraqueurs avides, le Grand Cerf lumineux surgit et repoussa la horde. Les deux jeunes hommes reculèrent lentement vers la sortie et s'échappèrent pendant que le Patronus chargeait les monstres affamés.
Harry boucla la porte hermétique et ils s'effondrèrent tous les deux sur le sol glacé du couloir. Il leur fallut un bon moment pour se remettre de cette terrible épreuve. Ensuite, ils descendirent en silence vers le Hall et s'assirent en attendant de pouvoir repartir. Leur portoloin était programmé pour les ramener au Ministère une demi-heure plus tard. Ils étaient saufs mais la magie des Détraqueurs avait fait son œuvre.
Harry avait assez bien résisté à la torture. Connaissant la puissance du sortilège, il avait fermé en partie son esprit. Il aurait bien conseillé à Yann d'en faire autant si le but de l'épreuve n'avait pas été justement de réveiller la mémoire perdue du jeune homme. Celui-ci avait pris de plein fouet les attaques violentes des Noirs Esprits. Il ne se remettait pas, il tremblait et claquait des dents. Harry ne l'avait jamais vu dans un tel état, même quand ils avaient dû aller ensemble dans la Forêt Interdite au temps de Poudlard.
Alors il donna libre cours à son plus beau côté Griffondor. Il attira Yann dans ses bras et le berça comme un enfant en murmurant des paroles apaisantes, comme il l'avait fait avec Stellane lors de la disparition de son père. Personne ne pouvait les voir et même si l'un des gardiens avait été présent, il aurait agi de même.
Ce n'était pas Draco Malfoy, son ex-ennemi, qu'il tentait ainsi de réconforter mais un jeune homme brisé par un noir sortilège. Il se faisait des reproches. Il se souvenait de ce que Ma Kerrye lui avait dit : malgré son âge et à cause de son amnésie, Yann était aussi fragile qu'un adolescent. Plutôt que des Détraqueurs, il aurait dû lui faire rencontrer les Vélanes, en souvenir de la mère de Stellane. Le choc aurait été plus supportable.
Il resserra son étreinte autour de Yann et se sentit soudain troublé par l'abandon du corps encore tremblant qu'il tenait contre lui. D'habitude, c'était une fille qui se lovait ainsi dans ses bras, une fille avec des seins et un parfum féminin, avec des phéromones de femme. Là, c'était un jeune homme blond dont il ne savait plus très bien ce qu'il représentait pour lui. Deux images se superposaient : un Serpentard orgueilleux et distant ou un jeune homme souriant ... qui l'avait embrassé le jour de son anniversaire. Malgré le lieu sinistre et les circonstances, il eut chaud tout à coup. Il cessa de parler et ne bougea plus.
Yann reprenait peu à peu ses esprits. Jusqu'à ce qu'il se rende compte de l'endroit où il était : dans les bras de Harry ! Pas question de bouger ! Il poussa un soupir et se blottit un peu plus contre l'épaule accueillante. Le parfum boisé de son compagnon chassait l'odeur d'algues et d'iode de la prison. Il avait fermé les yeux, il était bien.
Ils restèrent ainsi quelques minutes. Puis Harry murmura d'une voix un peu rauque :
"Je suis désolé. Les Détraqueurs ont-ils réveillé en toi un si mauvais souvenir ?
Yann retrouva aussitôt l'horrible impression ressentie. Mais comment l'expliquer ? Il se redressa un peu. Peut-être qu'en parlant avec Harry il pourrait mieux la comprendre. Il se mit à raconter, avec des pauses silencieuses.
-Ce n'était pas un souvenir d'avant. Je n'étais pas Draco Malfoy, je n'étais même pas Yann Kerrye. Juste quelque chose de vivant, dans un lieu sombre qui bougeait et qui faisait du bruit ... J'avais les yeux ouverts mais je pouvais à peine bouger. J'avais froid et chaud à la fois. Soif aussi. Mais je ne savais pas ce qu'étaient le froid, le chaud, la soif. Je ne savais rien, j'étais vide ...
L'image se précisait peu à peu, l'épouvante qui l'avait alors accompagnée revenait. Son regard était fixe, rivé sur le mur qui lui faisait face.
... J'avais très mal à la tête. C'était comme si ... comme si on avait raclé mon cerveau avec une espèce de râteau ... qu'on jetait tout ce qu'on avait ramassé dans un trou ... une tombe ... qu'on recouvrait le tout d'une dalle de pierre ... avec par dessus un grillage de fer aux mailles serrées ... et puis tout s'enfonçait, disparaissait ... il ne restait rien ... rien ... juste le vide ...
Il était pâle mais ne tremblait plus. Harry le regardait, abasourdi. Yann était en train de lui raconter ce qui s'était passé quatre ans auparavant, juste après l'Ante Memoria lancé par Nott. La disparition totale des souvenirs et le long voyage en train d'un jeune homme réduit à un état végétatif ... qui poursuivait avec un air un peu halluciné :
... Ça a duré longtemps, je crois que je mourais. Et puis des hommes sont arrivés et je ne savais même pas que c'étaient des hommes. Des présences vivantes. Je crois que si ça avait été des loups ou des serpents, je me serais identifié à eux, j'aurais eu l'impression de faire partie de leur clan, de leur tribu. Ensuite ça a été un long tunnel noir et je me suis réveillé dans un lit, à l'hôpital ...
Il s'était redressé et parlait d'un ton plus assuré. Le sentiment de panique qui l'avait submergé s'éloignait. Il continua plus calmement :
... Tous ces souvenirs me sont revenus d'un coup, c'est pour ça que j'ai si mal réagi. Mais ça ne sert à rien. Je n'en sais pas plus sur mon passé. Je sais seulement que je ne retrouverai jamais la mémoire. C'est fini, Harry. Je ne suis pas Draco Malfoy si je n'en ai pas le souvenir. Je ne suis même pas Yann Kerrye ... M'aimes-tu quand même encore un peu ?
La question ambiguë était sortie toute seule. Yann avait repris ses esprits et son côté Serpentard le poussait à exploiter la situation. Il tentait de sonder les sentiments de Harry à son égard. Il le sentit tressaillir et se raidir. Il reprit vivement :
-Les mots ont dépassé ma pensée. Je voulais dire : as-tu encore un peu d'amitié pour moi ? Je ne te suis rien, et je ne suis rien non plus pour Stellane. Je vais devoir repartir à Penzance. La Sardine, c'est maintenant mon seul foyer. Là-bas, j'ai une mère, des amis. Viendras-tu me voir de temps en temps ?
-Mais tu ne peux pas partir comme ça ! protesta Harry. Tu es sorcier, tu dois vivre dans notre monde. Si les gens te reconnaissent comme l'héritier Malfoy, tu l'es, même si tu ne t'en souviens pas. L'amnésie est une maladie reconnue par la médecine. Ici aussi tu as des parents et des amis. Je ne veux pas que tu t'en ailles !
Le cri venait du cœur mais quel sens pouvait-on lui donner ? Yann n'était sûr de rien. Au moins, Harry ne le rejetait pas. Il releva la tête. Ils se regardaient, les yeux dans les yeux. Ils se sourirent en même temps. Leurs pensées vagabondèrent.
" Comment dois-je le prendre, Harry ? Comme un espoir ? "
" Je ne pensais pas m'être autant attaché à lui ! A lui, Yann ou Malfoy ? "
-Il me reste quelques jours de vacances, reprit le jeune visiteur. Y a-t-il encore dans le monde magique des choses que j'ignore et que tu aimerais me montrer ?
-Plein ! Il y en a plein ! Tiens samedi, je t'emmène à la Cave. C'est une boîte de nuit sorcière. Tu t'amuseras plus qu'ici. Désolé de t'avoir infligé ce supplice.
-N'en parlons plus. C'était une expérience à faire.
Ils ne dirent plus grand chose jusqu'à l'heure du retour. Ils étaient assis côte à côte. Leurs épaules et leurs hanches se touchaient, troublant leurs pensées respectives. Ils avaient chaud, ils étaient bien. A leur arrivée Place Grimmauld, Harry fit seulement la remarque :
-Demain, il faudra aller voir le psychomage qui t'a examiné à propos de ton amnésie. Tu dois être le seul au monde à pouvoir raconter ce qui s'est passé. Il vaut mieux le faire tant que que tes impressions sont encore toutes fraîches. Ce sera un grand progrès dans l'étude de l'Ante Memoria. Peut-être que cela donnera une piste pour un contre-sortilège.
Indomptable Harry qui refusait toujours de s'avouer vaincu ! Yann hocha la tête. Lui n'y croyait plus.
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Samedi 4 août 2007, 11 heures du soir.
Les boîtes de nuit, qu'elles soient sorcières ou moldues, se ressemblaient beaucoup : un bruit assourdissant, des lumières tantôt tamisées, tantôt violentes, des boissons fortes, une foule joyeuse et mouvante, des lieux de plaisir faits pour contenter les corps et vider les esprits. Yann connaissait ça, même si la Sardine n'était le week-end qu'un petit night-club avec un orchestre amateur, pour des habitués et des jeunes du voisinage. Mais il y avait tout de même des différences.
D'abord, lui et Harry était arrivés en transplanant. De loin, la boîte de nuit ressemblait à une vieille bâtisse abandonnée au milieu de nulle part mais dès qu'on franchissait un périmètre magique, elle révélait son enseigne " La Cave " et ses lumières clignotantes. Cela semblait bien petit pour la foule qui s'y pressait mais l'intérieur était agrandi magiquement. A l'entrée, le vigile et les videurs étaient munis de baguettes magiques alors que les clients devaient déposer les leurs au vestiaire.
La salle était rectangulaire, entourée de box cloisonnés sur les deux largeurs et de petites tables rondes sur une des longueurs. L'autre côté était occupé en partie par le bar et son zinc étincelant. Les cocktails préparés par le barman portaient des noms bizarres, inconnus de Yann pourtant connaisseur. Les plateaux apportant les commandes lévitaient du comptoir au consommateur et repartaient avec des gallions et des mornilles sans jamais se télescoper ou se tromper de table.
Des dizaines de globes de verre contenant chacun un gros serpentin lumineux flottaient sous le plafond voûté. Ils s'éloignaient discrètement des tables où des amoureux se bécotaient ou au contraire, se concentraient au-dessus de la piste de danse centrale, constamment occupée d'une bonne centaine de couples.
La musique sortait de longues baffles accrochées aux quatre coins de la salle. Le DJ se déchaînait dans une alcôve brillamment éclairée, placée en hauteur du même côté que le bar et fermée par une vitre vibrante. C'était un sorcier aux cheveux flamboyants, au corps mince et toujours en mouvement. Face à la salle, il faisait de grands gestes à la manière d'un chef d'orchestre et son visage souriait ou grimaçait comme celui d'un acteur. Il dirigeait la soirée de main de maître. Sorciers ou moldus, lents ou rapides, les morceaux de danse se succédaient sans interruption.
Yann ne connaissait ni le dernier tube de Célestina Moldubec - Viens sur mon balai oh oui ! ... - ni le funcky jazzie des Bizarr' Sisters - Ga Hi ! Ga Ho ! Ga yip yip yip ! -, mais les sons lourds et lancinants résonnaient joyeusement à ses oreilles et balançaient agréablement son corps. Il était installé avec Harry, Justin, Neville, Terry, Parvati et Hannah dans un box réservé et buvait du ... " Vodkyrak groseille verte " qui fumait un peu dans son verre. " Vodka, whisky, arak, et quatre épices sorcières chaudes, adouci d'un jus de fruit et de glaçons, lui avait glissé en douce le plateau de service. N'en abusez pas, ça saoule."
Il y eut soudain du remue-ménage dans le box voisin du leur. Une dizaine de garçons et de filles venaient d'arriver. Entre voisins de table, ils eurent vite fait connaissance. C'étaient des jeunes Américains en voyage d'agrément après leur dernière année d'études à l'université de Salem. Ils étaient à Londres pour fêter ça et ça se voyait. Les contacts se nouèrent rapidement.
Justin fut embarqué sur la piste par une brune pétillante, Parvati et Hannah pêchèrent rapidement un flirt d'un soir et Harry se mit à draguer une jolie blonde au sourire ravageur. Ils s'éloignèrent vers le bar. Neville et Terry discutaient avec les jeunes gens restants dont la plupart semblaient déjà bien chargés d'alcool. Sauf un beau brun calé dans un angle de la banquette, qui restait silencieux et lançait des regards en coin vers Yann avec un petit sourire aux lèvres.
Celui-ci avait remarqué son manège et il avait compris le message. Lui non plus ne parlait pas. Depuis que Harry s'était éloigné avec sa blonde, l'ambiance lui paraissait moins joyeuse. Il était ... pas jaloux, non ... enfin si ... déçu plutôt. Harry l'avait laissé tomber comme une vieille chaussette ! Bon, puisque c'était comme ça, lui aussi allait s'amuser un peu.
Il se leva, eut un regard de connivence avec le beau brun - ça il savait très bien faire - puis il se dirigea vers une double porte ouverte juste à côté du bar, qui donnait à l'arrière de la boîte de nuit sur un jardin clos. Il passa intentionnellement à côté de Harry qui le suivit des yeux. L'Américain le rejoignit près de la porte et ils disparurent ensemble à l'extérieur.
Dès qu'ils furent dehors, le son de la musique s'atténua grandement. L'endroit était faiblement éclairé par quelques globes de verre. Il faisait très doux. Une petite brise rafraîchissait l'air. L'endroit idéal pour flirter ! D'ailleurs quelques couples enlacés baguenaudaient déjà parmi les buissons. Mais ils étaient les seuls garçons à y flâner ensemble.
Les présentations furent vite faites. L'Américain se nommait Edgar et bien entendu, il était gay. Ils fumèrent des cigarettes moldues que Yann avait toujours en poche même s'il les utilisait rarement, ils discutèrent, se rapprochèrent et ce fut Edgar qui le premier effleura du bout des doigts le visage de Yann. Dans l'ombre d'un pommier aux branches basses, ils s'enlacèrent et échangèrent des baisers entrecoupés de quelques confidences. C'était assez tendre, même s'ils avaient chaud tous les deux et que leur sexe commençait à durcir. Quoi, c'était juste un flirt, pour le plaisir !
C'était tout autre chose aux yeux de Harry qui avait quitté sa conquête assez brusquement et s'était avancé jusqu'à la double porte. Lui distinguait deux silhouettes étroitement serrées l'une contre l'autre et des baisers qui n'en finissaient pas. Le spectacle lui faisait une drôle d'impression. Il avait déjà vu deux homos se comporter en couple. Seamus et Dennis ne se gênaient pas en sa présence puisqu'il était au courant de leur liaison secrète. Mais voir Yann embrasser un garçon - voir Draco Malfoy embrasser un garçon ? - c'était tout différent.
Il regagna sa table et comme Terry et trois voisins de la table d'à côté, il se mit à boire. Les tournées de Whisky Pur Feu et de Bourbon Grande Epoque défilèrent. Seul, Neville ne buvait pas. Il était responsable des autres pour la soirée et se contentait de jus de fruits exotiques. A un moment, l'un des Américains sortit de sa poche un étui à cigarettes contenant des " bouts ", des petits cigares rouge sombre qui ne produisaient aucune fumée extérieure et étaient donc tolérés dans les boîtes de nuit sorcières.
Chaque bouffée aspirée avait un effet planant immédiat. C'était assez inoffensif et de courte durée. Toutefois, ces " bouts " ne faisaient pas très bon ménage avec l'alcool. Si bien que lorsque Yann revint dans la salle, avec les joues un peu rouges, après un détour par les toilettes pour se soulager de sa tension, il découvrit un Harry aux pupilles dilatées, ivre mais portant beau, jouant à la star adulée et blasée. Son plus mauvais rôle !
Les occupants de la table voisine avaient découvert que le célèbre Harry Potter était parmi eux. Ils avaient justement étudié la Grande Guerre contre Voldemort en dernière année et posaient toutes sortes de questions plus ou moins stupides. A l'exception d'Edgar, capitaine de soirée comme Neville, les garçons étaient bourrés et même les filles étaient pompettes. Le niveau de la conversation s'en ressentait.
La soirée se prolongea jusqu'à deux heures du matin mais l'ambiance joyeuse n'y était plus. Seul Justin continuait à bien s'amuser. Il ne manquait pratiquement aucune danse et comme il faisait rire ses partenaires, elles étaient parfois plusieurs à se trémousser à ses côtés et à faire le spectacle sur la piste. Les globes lumineux se pressaient au-dessus de leur groupe et à la fin, les autres danseurs applaudissaient.
Hannah avait disparu pendant un moment. Après avoir flirté avec un Américain, elle avait entraîné l'une des Américaines dans le jardin et ma foi, elles s'étaient amusées entre filles à pelote-moi ci, caresse-moi là. Sur la piste, Parvati fascinait son partenaire qui bavait un peu en la regardant avec des yeux de poisson frit, tout en dansant avec elle au corps à corps. En revenant de son escapade, Yann s'était assis à côté de Neville et observait le manège de chacun sans se mêler à la conversation. Lui aussi était passé aux jus de fruits. En bon barman, il n'abusait jamais de l'alcool.
Puis vint le moment où les capitaines de soirée décidèrent que c'était l'heure du départ. D'ailleurs, le plateau refusait de servir une dernière tournée " pour la route ! " Hannah et Parvati avaient regagné la tablée et bâillaient peu discrètement derrière leurs mains. Deux Américains ronflaient, la tête de l'un posée sur l'épaule de l'autre et la jolie blonde au sourire ravageur, qui avait l'alcool triste, pleurait sur ses échecs sentimentaux dans son " BloodySuzy framboise cassis ". La soirée bien commencée se terminait en eau de boudin.
Yann se demandait toutefois comment tout ce beau monde allait repartir sans casse. Il eut alors l'occasion de découvrir un nouveau moyen de transport sorcier. Devant la boîte de nuit, Neville leva haut sa baguette et un énorme bus violet à étages surgit de nulle part et s'arrêta pile devant eux. Ils y montèrent tous, les plus valides soutenant leurs camarades, et dans une accélération soudaine, l'engin démarra.
Heureusement, tous les passagers s'étaient assis, effondrés plutôt, dans les fauteuils car le trajet fut comme d'habitude chaotique. Après des détours et plusieurs arrêts, deux des passagers furent déposés sans douceur devant le 12 square Grimmauld. Ils entrèrent dans le Hall et soudain, Harry se tourna vers Yann et dit d'une voix impérative :
" Maintenant, Malfoy, je veux que tu m'embrasses ! "
Surpris, le jeune homme recula d'un pas et regarda attentivement son hôte. Harry avait les yeux dangereusement brillants et un sourire ensorceleur aux lèvres. Il leva la main et comme Edgar, caressa doucement la joue de Yann. Celui-ci secoua la tête et répondit :
-Harry, tu n'es pas dans ton état normal. Viens, il faut aller dormir.
Il l'entraîna dans l'escalier mais à mi-hauteur, le Griffondor s'accrocha à lui et reprit :
-Allez, Malfoy, embrasse-moi ! Tu l'as fait avec cet Américain que tu n'avais jamais vu. Pourquoi pas avec moi ?
-Parce que ce n'est pas le moment. Tu es ivre, tu ne sais plus ce que tu dis. Monte !
Il le poussa, lui fit gravir les dernières marches et l'amena jusqu'à la porte de sa chambre. Il voulut s'éloigner mais une main le retint par la manche. Harry le regardait avec des yeux ... suppliants et ses lèvres tremblaient un peu. Il murmura :
-Embrasse-moi, Draco ... s'il te plaît.
La tentation fut trop forte. Toute la soirée, le jeune homme avait espéré que Harry ferait un peu attention à lui. Au lieu de ça, le Griffondor avait flirté avec une blonde puis il avait bu plus que de raison. C'était bien la peine de l'emmener dans une boîte de nuit sorcière ! Maintenant, ils étaient là, tous les deux, dans ce couloir faiblement éclairé et Harry voulait un baiser.
Peut-être juste un baiser de bonne nuit, en toute camaraderie ? Non, c'était plus que ça. Harry avait besoin - envie ? - de quelque chose d'autre car le mélange boisson fumée planante le faisait sortir de ses gonds. Il voulait qu'il l'embrasse, vraiment. Lui aussi en avait envie, terriblement envie. Il se sentait attiré de plus en plus par ce jeune homme brun toujours un peu ébouriffé, par ces yeux verts brillants derrière les lunettes fines, par ce sourire ...
Il ne résista pas. Il tendit les bras, attrapa Harry par la taille et le serra contre lui en posant ses lèvres sur les siennes. Le Griffondor réagit aussitôt. Ses mais se posèrent sur la nuque de Yann et le baiser se fit tout de suite dévorant, passionné. Leurs langues se cherchaient derrière la barrière ouverte des dents. Leurs lèvres s'écrasaient et le souffle déjà leur manquait. Ils s'aspiraient l'un l'autre, aucun des deux ne parvenant à prendre le dessus. Alors leurs corps entrèrent en danse.
Leurs poitrines, leurs ventres, leurs cuisses se soudèrent. Leurs hanches bougeaient dans la même cadence, leurs sexes se frottaient l'un à l'autre et durcissaient. Harry recula d'un pas et se retrouva pressé contre le mur par un Yann à la bouche et aux mains avides. Les sensations vertigineuses lui brouillaient l'esprit autant que l'alcool et la fumée. Jamais il n'avait ressenti ça avec une fille. Etait-ce parce qu'il subissait au lieu de dominer ?
Il voulut retourner la situation à son profit. Il poussa Yann vers le mur en face mais les excès de la soirée se faisant sentir, il trébucha, faillit tomber et se raccrocha à l'épaule de son partenaire ... qui reprit brusquement pied dans la réalité. Mais qu'est-ce qu'il était en train de faire ? Il profitait d'un moment d'égarement de Harry pour ... pour ... non, pas pour le forcer, mais pour contenter son propre désir. Son partenaire était ivre et drogué, il ne savait plus ce qu'il faisait.
D'accord, lui était parfaitement conscient de ses actes et avec quelqu'un d'autre, il aurait sans doute continué le flirt commencé et serait même aller plus loin sans remords. Mais c'était Harry et Yann se rendait soudain compte qu'il tenait bien trop à lui pour profiter de la situation. Il repoussa fermement son partenaire et gardant la main sur sa poitrine pour l'éloigner de lui, il dit d'une voix éraillée :
-Bon, la séance de bécotage est terminée. Va dormir.
Il ouvrit la porte de la chambre, poussa Harry à l'intérieur, referma sèchement et gravit quatre à quatre les escaliers du deuxième étage. Il arriva en haut tout essoufflé et entra dans la salle de bain pour faire une pause et se rafraîchir. En dessous, Harry, à demi inconscient, s'écroulait sur son lit sans même se déchausser et plongeait dans un profond sommeil. Yann eut beaucoup plus de mal à se calmer et à s'endormir. Il fit de drôles de rêves et se réveilla avec une belle érection matinale.
Il fit sa toilette et descendit à la cuisine en se demandant ce que Harry allait penser au réveil de la séance de la veille. Il n'y avait là que Mimsy qui préparait le petit déjeuner.
-Kreatur est allé apporter à Maître Harry la potion des lendemains de fête, couina l'elfe. Il en a rarement besoin mais la soirée d'hier était sans doute bien arrosée. Maître Yann a aussi besoin d'une dose de potion ?
-Non merci Mimsy, ça va. Je vais attendre Harry pour commencer.
" Peut-être que le baiser lui aura plu, pensait-il. Peut-être qu'il me verra maintenant comme un partenaire possible. Il est hétéro, c'est d'accord, mais il m'a tout de même demandé de l'embrasser. Et pas un petit bécot sans importance ! Un vrai, avec la langue et tout le corps qui participe ! Il en faudrait vraiment très peu pour que je tombe amoureux de lui. Un sourire de sa part ce matin et je crois que je fondrais ... Il me plaît. Vraiment. Est-ce que je l'aime ?
Arrivé à ce point de sa réflexion, Yann se dit qu'il allait trop loin et trop vite. C'était un simple emballement du corps. Pas de l'amour. Et d'abord, qu'est-ce qu'il y connaissait en amour ? Avait-il ... Draco Malfoy avait-il aimé quelqu'un autrefois ? La mère de Stellane par exemple ? Harry lui avait dit qu'il n'était pas homo dans leur jeunesse. Pourquoi l'était-il à présent ?
Il en était là de ses pensées quand Harry apparut à la porte de la cuisine, souriant, l'air très en forme.
" Bonjour, Yann. Bien dormi ?
-Bonjour Harry. Oui, ça va. Et toi, pas trop mal aux cheveux ?
-Ah ! Mimsy t'a parlé de la potion anti-gueule de bois ! Très pratique ! La prochaine fois qu'on ira sur le Chemin de Traverse, je t'emmènerai chez l'apothicaire et je te montrerai les remèdes sorciers pour diverses occasions. J'en avais bien besoin ce matin ! Je me suis réveillé avec un mal de tête carabiné ! Comment s'est terminée la soirée à la Cave ? Je ne me souviens même pas être rentré à la maison ! C'est toi qui m'as emmené dans ma chambre ?
Yann n'en revenait pas ! Harry avait tout oublié ! Sous le coup de la déception, il répondit d'une voix traînante assez proche de l'ancienne voix de Draco Malfoy :
-Ne crains pas pour ta vertu ! J'ai juste ouvert ta porte et je t'ai poussé à l'intérieur. Ce n'est pas parce que je suis gay que je saute sur tous les hommes qui passent !
-Ce n'est pas ce que je voulais dire, s'offusqua Harry. Enfin, tu ne t'es pas gêné avec ton Américain !
-C'est le principe des sorties en boîte ! On drague, c'est tout ! Et toi, tu t'es bien amusé avec ta blonde ?
-Ouais, si on veut ! Elle n'arrêtait pas de parler ! Elle me racontait ses aventures avec les autres membres de son groupe et elle se lamentait sur son peu de réussite sentimentale ! Elle avait beau être jolie, elle était assez énervante ! Et en plus elle ne tenait pas l'alcool !
-Toi non plus si j'en juge par ton état en fin de soirée !
-C'est à cause des petits trucs rouges ! Je n'y avais jamais touché et je ne connaissais pas leurs effets secondaires !
-Je te croyais plus prudent vis à vis de la drogue !
-Ce n'est pas considéré comme une drogue sinon on ne les autoriserait pas à la Cave ! Il ne faut pas en abuser, voilà tout ! C'est juste fait pour se détendre !
-Oh ça, pour être détendu ... ! Il fallait te voir à l’œuvre ! Ton numéro de héros de guerre blasé était parfait. Les Amerloques buvaient tous du petit lait en t'écoutant discourir !
-Tu es jaloux ? Tu n'as attiré l'attention que du seul homo de la bande !
-Au moins il était sobre, lui ! Son haleine ne puait pas l'alcool et le truc bizarre !
Ils se regardaient en chiens de faïence. Mimsy et Kreatur se faisaient tout petits dans un coin de la cuisine. Tout à coup, la bouilloire posée sur les braises dans la cheminée se mit à siffler. Ce fut comme si un arbitre mettait fin à un match. Harry éclata de rire.
-Mais ma parole ! On est en train de se faire une scène ! Excuse-moi, je suis ridicule ! Désolé d'avoir gâché ta fin de soirée. Je ne sais vraiment pas pourquoi je me suis comporté aussi stupidement. Oublions si tu veux bien. Je pense qu'aujourd'hui, on a tous les deux besoin de s'aérer. Que dirais-tu d'aller sur un hippodrome ? C'est moldu mais j'aime les courses de chevaux. S'il te reste de la monnaie anglaise, tu pourras parier. Attention, c'est comme l'alcool ! Ça devient vite un vice ...
Ils déjeunèrent tranquillement en parlant de tout et de rien. Yann n'avait pas très faim. Le fait que Harry ne se souvienne pas du baiser lui restait sur le cœur. Enfin c'était bien lui qui avait demandé ...
Rectification. Harry avait demandé à Draco Malfoy de l'embrasser, pas à Yann Kerrye. Lui avait juste profité de la situation. Mais tout de même, pourquoi un hétéro quémanderait-il un baiser à un homo ? Pour quelle obscure raison ? Une sorte de vengeance envers son ex-ennemi ? Une attirance refoulée qui ne se manifesterait que lorsque Harry n'était pas sur ses gardes ? Une simple envie bizarre née de l'ivresse ?
Yann émietta son dernier toast et siffla le fond de sa tasse. Ne pas trop penser dans ces cas-là ! Va pour les courses de chevaux ! Mais tu ne perds rien pour attendre, Harry Potter ! J'ai décidé de te séduire et je réussirai ! Foi de ... de quoi au juste ? De Kerrye ou de Malfoy ?
Irrésistible Yann, avec son esprit calculateur inné d'avant et le singulier pouvoir de son charme androgyne d'après ...
o – o – o – o
A suivre.
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