Stellane.
Auteur : haniPyanfar
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Troisième partie : Yann Kerrye et Harry Potter
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Chapitre 16 : Renaissance.
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Samedi 11 août 2007, square Grimmaurd, 8 heures.
Ce matin-là, quand Harry descendit déjeuner, il faisait grand jour. Mimsy était absente. Kreatur pleurnichait dans un coin. Et le jeune homme blond n'était pas là.
"Maître Yann n'est pas encore levé ? s'étonna Harry.
-Maître Draco est parti ! sanglota l'elfe.
-Parti ? Mais où ? Quand ?
-Maître Draco m'a interdit de le dire.
-Kreatur, c'est moi ton Maître ! Réponds ! Quand Maître Yann est-il parti ?
L'elfe se tortilla un peu, se balançant d'avant en arrière sur ses courtes jambes, puis devant l'air menaçant de Harry, il se décida à parler.
-Ce matin au petit jour. Maître Draco m'a demandé de lui ouvrir la porte. Il n'avait pas sa baguette magique. Il portait un gros sac. Maître Draco semblait souffrir, ajouta l'elfe d'un ton accusateur. Il m'a demandé de la potion antidouleur. Il en a pris une cuillerée. Il n'a même pas voulu boire un thé ou manger quelque chose ! Alors je lui ai ouvert la porte, il m'a serré la main comme à un ami, - Maître Draco est si bon ! - Et puis il est parti.
Kreatur sortit de sa poche un grand mouchoir à pois verts et argent, renifla dedans, essuya ses gros yeux en balles de tennis et recommença aussitôt à sangloter. Harry était effondré. Parti ! Mais où ?
-Maître Yann t'a-t-il dit où il allait ? demanda-t-il d'une voix rauque.
-Non Maître Draco ne l'a pas dit, répondit l'elfe d'une voix pleurnicharde. Il m'a seulement demandé de dire adieu à Mimsy de sa part. Est-ce que Maître Draco est parti pour toujours ? Kreatur le regrettera beaucoup. Maître Draco est si gentil !
Kreatur n'avait jamais voulu appeler Yann autrement que par son ancien prénom. Et il l'utilisait aussi souvent que possible. Il avait conservé sa préférence pour les familles de Sang Pur.
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Deux heures auparavant.
Il faisait à peine jour. Yann descendait l'escalier menant au hall d'entrée. Il s'aperçut alors qu'il ne pouvait pas ouvrir la porte. Il n'avait pas emporté sa baguette magique. Marre des sorciers et de leurs attributs ! Il rentrait chez lui, dans son monde, chez les Moldus. Il n'avait pas besoin d'un petit bout de bois pour y vivre tranquillement ! Il s'était dirigé doucement vers la cuisine et avait appelé Kreatur. L'elfe était apparu aussitôt. Il adorait Yann et faisait ses quatre volontés.
Le jeune homme avait des courbatures un peu partout. La séance de la veille avait laissé des traces. Il avait demandé à l'elfe la potion antidouleur. C'était une liqueur bleue, il en avait déjà pris le jour où il s'était fait mal pendant une leçon de sortilèges. Les remèdes magiques lui manqueraient, les médicaments moldus étaient beaucoup moins efficaces ! Si seulement c'était la seule chose du monde sorcier qu'il regretterait !
Il sentait l'amertume lui brûler la gorge. La veille, Harry l'avait insulté d'une façon intolérable, même si ses accusations étaient dirigées contre son autre lui-même, ce Draco Malfoy en qui il ne se reconnaissait pas. Il lui avait dit de foutre le camp à plusieurs reprises ! Hé bien, il allait être servi ! Portant son gros sac de voyage, Yann se dirigeait vers King Cross.
Harry ! Dire que la veille au soir il lui avait fait l'amour ! Un peu abruptement peut-être mais c'était si bon ! Et il l'aimait toujours ! De plus en plus même ! La séparation lui déchirait le cœur. Mais il ne pouvait pas faire autrement. Jamais Harry ne verrait en lui un jeune homme quelconque qu'il aurait pu rencontrer par hasard et dont il serait tombé amoureux.
D'ailleurs, il l'avait clamé haut et fort, il était hétéro ! Quelle bêtise ! Dirigeait-on vraiment les élans de son cœur ? L'attirance entre deux personnes dépendait-elle uniquement de leur sexe ou même simplement de leur apparence ? Non, c'était beaucoup plus subtil, plus aléatoire aussi. Pourquoi, de tous les hommes qui l'avaient approché depuis quatre ans, pourquoi avait-il fallu qu'il s'éprenne du seul qu'il ne pouvait pas avoir !
Yann marchait dans les rues désertes de Londres en ruminant son chagrin et sa colère. Il mit presque une heure pour atteindre son but. Le premier train pour le sud de l'Angleterre partait à huit heures cinquante au quai trois. Il acheta son billet. Puis, même s'il n'avait guère faim, il décida d'aller prendre un petit déjeuner au buffet de la gare.
Il n'était pas le seul. C'était le début du week-end, des vacances même pour certains. Beaucoup de Londoniens partaient à la campagne ou à la mer et comme lui, prenaient un café ou un thé en attendant l'heure de leur départ. Yann acheta un journal moldu, ça faisait un bout de temps qu'il n'avait pas de nouvelles de son monde, il devait se remettre dans l'ambiance.
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" Où a-t-il bien pu aller ? se désolait Harry. Il n'a presque plus d'argent moldu. Il a joué son dernier billet aux courses de chevaux. Il a perdu bien entendu ! Mais je suis bête ! Il peut payer par d'autres moyens ! Il a une carte bancaire et un chéquier, comme en avaient les Dursley ! Alors il est à la gare ! Il voulait rentrer chez lui. Mais c'est ici chez lui ! Pas dans une auberge en bord de mer ! Je vais le chercher ! "
Aussitôt dit aussitôt fait ! Harry transplana à King Cross, du côté sorcier. Le quai était vide et la locomotive rouge immobile et silencieuse. Il eut une hésitation avant de traverser le pilier entre les quais neuf et dix mais un léger sort de confusion lui permit de passer inaperçu.
Que de monde ! Ça n'allait pas être facile de retrouver Yann au milieu de ces gens pressés, de ces familles avec leurs bagages, de ces groupes de touristes bavards encombrant les passages souterrains. Harry se haussait sur la pointe des pieds pour essayer de repérer une chevelure blonde caractéristique mais il ne voyait rien.
Il parcourut tous les quais, regarda dans tous les trains en partance, se précipitant dès qu'il apercevait des cheveux clairs. Mais Yann n'était nulle part. Le temps passait, Il était huit heures trente. Soudain une voix annonça le prochain départ du train pour Plymouth avec correspondance pour Truro et pour Penzance. Et là, au bout du quai, en haut d'un escalier, un jeune homme apparut, portant un gros sac et tenant à la main un journal plié.
Beau. Svelte. D'un blond très pâle. Perdu dans ses pensées.
Qui s'arrêta quand un obstacle se dressa devant lui.
Un jeune homme brun, les cheveux en bataille, l'air déterminé.
Ils se regardèrent deux, trois, cinq secondes. Les autres voyageurs les bousculaient au passage. Harry attrapa le bras de Yann et le tira derrière lui jusqu'à l'extrémité du quai où se trouvait une guérite vide aux vitres si sales qu'on ne voyait pas au travers. Peu importait d'ailleurs !. S'il y avait eu quelqu'un, Harry l'aurait éjecté d'un sortilège ! Il n'était plus à ça près !
Il réduisit le bagage, le fourra dans sa poche, entoura fermement de ses bras son compagnon muet de stupeur et transplana vers le square Grimmauld, devant la maison, là où le lendemain les Vélanes devaient arriver par portoloin. Manque de chance, les sortilèges n'étaient pas activés et il y avait un vieil homme assis sur le banc déglingué. Usage de la magie en présence d'un Moldu ! Harry allait écoper d'une grosse amende.
Mais il s'en foutait ! D'ailleurs le spectateur les regardait sans les voir. Il parlait tout seul et semblait vivre dans un autre monde. Il était connu dans le quartier. Il avait un peu perdu la boule après un accident de voiture qui avait tué sa femme et sa fille. Il ne dirait rien même si un fouineur du Ministère se pointait pour l'interroger ou pour lui jeter un sort d'Oubliettes.
Yann non plus ne parlait pas. L'apparition de Harry l'avait pris par surprise. Mais arrivé devant la porte, il dégagea brusquement son bras et regarda son ravisseur avec colère. Il entra tout de même sans protester. Pas la peine de se donner en spectacle dans la rue. Et Harry avait son bagage dans sa poche.
Il suivit le brun au salon, croisa son regard et garda la bouche close, même s'il en avait gros sur le cœur ! Ce n'était pas à lui de parler en premier. D'ailleurs qu'est-ce qu'il y avait à dire ! Il fut tout de même surpris quand devant lui, Harry devint très rouge et se mit à bredouiller des excuses. Un mauvais rêve ... De Malfoy justement ... Il était mal réveillé ... Pas habitué à trouver un garçon dans son lit à son réveil ... Puis sa voix se raffermit un peu.
"Yann, vraiment, je te demande pardon. Ce n'est pas pour diminuer ma faute, mais tu ne sais pas, tu ne peux pas te rappeler ce qui s'est passé pendant la guerre. Ça faisait longtemps que je n'avais pas rêvé de la bataille de Poudlard. Un souvenir réveillé par notre visite là-bas sans doute. C'était un cauchemar, Yann, en vrai et dans mon rêve. Tout s'est brouillé dans ma cervelle, le présent et le passé. Peux-tu accepter mes excuses et oublier mes paroles blessantes ? Je ne pensais pas ce que je disais, je te le jure !
Mais Yann avait encore en tête les accusations violentes de Harry et son air mauvais quand il les avait prononcées. Il répondit d'une voix dure :
-C'est trop facile ! Par trois fois tu m'as foutu dehors ! Hé bien je m'en vais ! C'est mieux ainsi. Jamais tu ne verras en moi un garçon quelconque que tu pourrais ... je ne dis même pas aimer, disons apprécier. Tu auras toujours l'autre devant les yeux et dans la tête. C'est son nom à lui que tu as dit hier en me faisant ... en me baisant. Je n'en peux plus de ton Malfoy. C'est décidé. Je m'en vais. Rends-moi mon bagage.
-Reste au moins pour Stellane !
-C'est lâche de mettre cette innocente petite fille en avant. Non je ne veux pas la décevoir. Il vaut mieux que je parte avant son retour. Tu lui expliqueras. Donne-moi mon sac.
-Mais elle n'a pas arrêté de parler de toi dans ses lettres. Tu es son père, que tu le veuilles ou non. Tu ne peux pas être aussi indifférent devant la peine que tu vas lui faire. Elle t'aime !
-Non. Elle est comme toi. Elle aime Draco Malfoy. Pas ce que moi je suis. Je te le demande pour la dernière fois. Rends-moi mon sac, je veux partir d'ici ! Tout de suite !
-NON !
Le cri était double. Il y avait celui de Harry et il y avait celui de Stellane. Elle était debout à la porte du salon. En robe à fleurs et en sandales, un gilet noué sur ses épaules, un chapeau de paille à la main. Visiblement, elle venait de la cuisine où elle devait être arrivée depuis quelques minutes par la poudre de Cheminette, en compagnie de Mimsy. Son visage était décomposé par le chagrin.
Elle lâcha son chapeau et se jeta sur Yann avec une telle brusquerie et une telle force qu'il trébucha, chancela et tomba assis dans le fauteuil qui se trouvait heureusement juste derrière lui. Déséquilibrée par la chute, elle lui atterrit dessus, à genoux, les mains en avant, s'accrochant sans douceur à ses épaules, alors que d'instinct, il l'attrapait par la taille. Mais ce ne fut pas suffisant pour éviter la rencontre entre leurs deux têtes.
Le front de Stellane cogna violemment contre celui de Yann, juste à l'endroit de l'étoile pour elle, juste au niveau de ce que les sages appellent le troisième œil pour lui. Il y eut une sorte d'éclair et un bruit étouffé ressemblant à une explosion souterraine. Ils s'immobilisèrent tous.
L'homme blond et la fillette.
Harry changé en statue.
Mimsy et Kreatur à la porte.
Les secondes défilèrent. Soudain Harry sortit de sa stupeur et voulut s'avancer vers Yann et Stellane cramponnés l'un à l'autre. Mais il fut repoussé par un obstacle invisible. Quelque chose de magique se passait. Il émanait de l'homme et de l'enfant un champ de force qui les isolait à la manière d'un Protégo. Ils avaient fermé les yeux. Ils semblaient plongés dans un autre monde.
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Broummmfff ! ! ! Le bruit sourd avait résonné en même temps dans la tête de Yann et dans celle de Stellane. Ils avaient alors quitté le monde réel et s'étaient retrouvés tous les deux dans une caverne obscure. Face à face, mais séparés par une pierre grise, un gros rocher plat enserré dans un maillage de métal. Une étoile unique brillait faiblement juste au-dessus d'eux.
Soudain du front de Stellane jaillit un mince ruban d'argent qui se dirigea en ondulant vers le front de Yann. Il y avait là une étroite ouverture. Il se faufila à l'intérieur ... Ce n'était pas un ruban ... C'était une suite d'instantanés magiques, un peu décolorés, s'animant au ralenti. Des images anciennes. un peu floues, sans suite logique, mais toutes habitées par un homme blond et une petite fille.
Se tenant par la main, devant un château imposant.
Dans une pièce claire remplie de livres.
En compagnie de nombreuses personnes, toutes ou presque de la même famille.
A côté d'un grand homme avec une superbe moustache et d'une dame souriante.
D'autres encore ...
Une voix enfantine commentait rapidement chaque image. " Le Château Borodisov. La bibliothèque où tu travaillais et où je m'amusais. La Maisonnée, les nombreux parents du Comte et de sa femme ... Et puis, les Vélanes de la Forêt. Une fête au village. Les Fils et Filles du vent m'apportant des petits cadeaux ...
Au fur et à mesure du passage des images, devant eux, les mailles du filet qui enserrait le rocher sautaient, lâchaient les unes après les autres, de plus en plus vite, comme une couverture qu'on détricote, jusqu'à libérer totalement la lourde pierre. Mais celle-ci ne bougea pas et le ruban d'argent cessa de passer d'un front à l'autre.
"Qui es-tu, enfant ? demanda l'homme blond. Quelle est cette histoire que tu me montres ?
-C'est notre histoire père. Je suis ta fille.
-Je suis désolé. Je ne me souviens pas.
-Attends père. Je vais essayer d'autres images.
Un nouveau ruban d'argent.
Une fillette en jupe verte et corselet noir dans un aéroport.
Un lieu plein de gens bizarres portant de longues robes.
" Le Ministère de la Magie " accompagnait la jeune voix.
Un autre château, plus petit. Une dame faisant des dessins avec des fils croisés. Un petit être apportant le thé.
" Le manoir Malfoy. Ta mère et son elfe Poky. Ça, tu t'en souviens ? "
-J'ai vu ce château une fois je crois. Mais je ne connais pas ces personnes.
Un homme aux cheveux bruns et toute une bande d'amis. Un gâteau d'anniversaire ...
" C'est Harry. Tu le connais bien lui. Il s'est occupé de moi quand tu n'étais pas là ... Au moins ça, cette image-là, ça devrait te dire quelque chose ?
-Harry ! Bien sûr que je le connais. C'est vrai qu'on a fêté son anniversaire il n'y a pas longtemps. Mais il était plus vieux que sur ton image. Je l'aime tu sais. Mais lui ne m'aime pas. Pas comme je voudrais. C'est pour ça que je veux m'en aller ... Qu'est-ce qui se passe ? Le rocher a un peu bougé. Il y a de la lumière en dessous. Juste un petit rayon qui a réussi à passer. C'est quoi à ton avis ?
-C'est ta mémoire père. Elle essaye de sortir. Mais je ne sais plus quelles images te montrer. Je n'avais que trois ans quand tu as disparu. Je n'ai pas d'autres souvenirs qui te concernent. Attends ! Si ! Il y a cette photo magique que je garde toujours près de mon lit. Et puis un jour, je ne sais pas si c'est vrai ou si j'ai rêvé, je t'ai vu quand tu étais petit, assis sur les genoux de la dame du château. Tu avais le nez un peu pointu et tu respirais dans son cou en disant que ça sentait bon.
L'image était précise tout à coup dans la tête de Yann ... non, il s'appelait Draco en ce temps-là. Et le rocher roula encore un peu.
-C'est comme si des souvenirs avaient été implantés un jour dans mon cerveau, continuait la petite fille ... Je sais ! Le jour où tu m'as dit au revoir en posant ton front contre le mien. Tu devais aller quelque part, je suis restée chez Harry et tu n'es jamais revenu ... J'ai raconté ces histoires à Mimsy sans savoir si elles étaient vraies ou si je les avais inventées. Y avait-il des paons dans ton château ? Tu ne les aimais pas et avec ta baguette magique, tu leur as jeté un sortilège ! Et puis Harry et toi, vous alliez dans la même école. Tu dormais dans une chambre ronde avec plusieurs camarades ! Père ! Tu te souviens ?
Le même bruit sourd résonna dans les têtes réunies.
Et le rocher explosa.
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Un petit éclair entre les deux fronts soudés. Broummmfff !
Soudain Stellane fut projetée en arrière. Harry la rattrapa au vol. Elle était inconsciente. Son visage était très blanc, sauf son front qui semblait brûlant. Affolé, il la déposa sur le canapé. Mimsy se précipita vers elle. Yann, lui, s'effondrait dans le fauteuil comme un pantin, la tête penchée en arrière, les bras pendant de chaque côté des accoudoirs. L'étoile de la fillette, imprimée sur son front, brilla encore quelques secondes puis s'effaça.
" Maître Draco ! couina Kreatur en courant vers lui et en lui prenant la main.
-Miss Stellane ! gémissait l'elfe à côté de la fillette évanouie.
Le choc les avait tous les deux mis à mal. Il y eut un moment de panique. Harry n'avait jamais assisté à une scène magique de cette sorte, même dans ses fonctions d'Auror expérimenté. Mais il se reprit rapidement.
-Kreatur, trouve dans notre pharmacie l'extrait de mandragore. File chez l'apothicaire si nous n'en avons pas. Du calme Mimsy ! Stellane reprend déjà des couleurs. Je ne sais pas ce qui s'est passé mais c'était certainement une expérience traumatisante pour elle et pour Yann. On va les soigner. Ils vont se remettre.
-Je vais chercher de l'eau fraîche et des compresses, dit la petite elfe en se redressant.
Passée la première émotion, elle avait retrouvé rapidement son sang-froid. En deux plop, elle fut de retour et posa un linge froid sur le front de la fillette qui soupira aussitôt de soulagement sans ouvrir les yeux. Kreatur réapparut tout essoufflé à peine quelques minutes plus tard. Il avait fait un saut sur le Chemin de Traverse et rapportait l'ingrédient demandé. Harry déboucha le petit flacon et le passa sous le nez de Stellane. L'odeur puissante lui fit ouvrir les yeux. Elle parut surprise de se trouver couchée sur le canapé mais elle se redressa aussitôt et regarda vers le fauteuil.
-Qu'est-ce qui s'est passé ? Père ! Qu'est-ce que tu as ?
Harry passait déjà le flacon sous le nez de Yann, espérant son réveil. Mais le jeune homme blond ne bougea pas. Son évanouissement semblait plus profond que celui de la fillette. Son corps était flasque, sa tête pendait de côté, visage d'un blanc crayeux, yeux clos, lèvres entrouvertes. Il avait l'air de souffrir.
Si l'essence de mandragore, souveraine contre les pertes de conscience, ne faisait pas d'effet, c'était plus grave que Harry ne le pensait. Il fallait appeler un médicomage. Stellane s'était levée, un peu chancelante, soutenue par Mimsy. Le jeune sorcier fit léviter Yann à sa place, sur le canapé, et par la Cheminette, il appela Sainte Mangouste.
Il y avait toujours des guérisseurs de garde dans la salle des urgences. Il avait souvent eu recours à eux quand un Auror était blessé au cours d'une mission. Il donna une brève explication. Moins d'une minute plus tard, un médicomage arrivait par la cheminée. Yann était toujours inconscient, Stellane était blottie dans le fauteuil, les poings serrés sur sa bouche, au bord des larmes.
Elle se croyait responsable de l'accident. Elle avait bondi sur Yann pour l'empêcher de partir et il était tombé. Elle ne se souvenait pas très bien de ce qui s'était passé ensuite ... Quelque chose de bizarre ... D'ailleurs, c'était sans doute aussi l'avis du guérisseur car, après avoir examiné le jeune homme mal en point, il s'adressait à elle :
-Stellane, c'est ça ? Monsieur Potter vient de me raconter ce qu'il avait vu. Il pense à un événement magique, peut-être un sortilège. Que s'est-il passé à ton avis ? De quoi te souviens-tu ?
-Je ne sais pas trop ... Nous nous sommes cognés ... Tout est devenu noir ... Il y avait des voix dans ma tête ...
-Des voix ... Que disaient-elles ? Qui parlait ?
-Une petite fille ... et un homme ... Elle racontait une histoire ... Il ne la croyait pas ... Sauf quand elle a parlé de Harry ... Je ne sais plus ... Il y a eu cette lumière ...
Elle se mit soudain à pleurer à gros sanglots. Mimsy se précipita vers elle.
-Ne t'inquiète pas Stellane, ce n'est pas ta faute. Il faut te reposer ... Je vais lui prescrire une potion calmante, ajouta le médicomage en se tournant vers Harry. Pour ce jeune homme c'est différent. S'il ne réagit pas à l'essence de mandragore, il faudrait peut-être l'envoyer à Sainte Mangouste ... Non ... Vous préférez qu'il reste ici ... Vous dites qu'il est amnésique ... Un Ante Memoria ! C'est inguérissable ... Un instant ! La fillette dit que des voix parlaient dans sa tête ... Vous avez vu sa marque reproduite sur le front du jeune homme ... Elle a fait de la légilimencie sans le savoir ! Elle racontait une histoire. Il ne la croyait pas ! Sauf quand elle a parlé de vous ! ... Il s'est vraiment passé quelque chose. Vous devriez faire venir le psychomage qui s'est occupé de ce jeune homme. Il sera plus qualifié que moi dans cette affaire ...
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Il ne pouvait pas bouger. Il avait mal à la tête. Il était dans le noir. Des fantômes ondulaient autour de lui. Il entendait des voix, des bribes de phrases. Tout tournait. Des images lui apparaissaient, ne duraient qu'une seconde et s'évanouissaient. Tout se mélangeait. Et puis il y avait cette odeur entêtante qui lui remplissait les narines. Où était-il ? Est-ce qu'il allait mourir ?
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Stellane était assise toute droite à côté du lit où reposait son père. Elle veillait sur lui. C'était le soir, Harry était descendu dîner en vitesse à la cuisine. Ils se relayaient pour qu'il y ait toujours quelqu'un à côté du malade au cas où il se réveillerait. Pour le moment, il dormait tranquillement. Il n'avait pas ouvert les yeux une seule fois mais il ne semblait plus souffrir.
Un second médicomage était venu voir le malade au début de l'après-midi. Il paraissait tout excité. Il lui avait posé des tas de questions, lui demandant toujours plus de détails sur ce qui s'était passé le matin. Au début, elle ne pouvait rien dire de plus. Toutefois, elle avait compris peu à peu que la petite fille, c'était elle à trois ans et que l'homme, c'est son père avant sa disparition.
Ce qui intéressait surtout le guérisseur, c'était l'histoire qu'elle avait raconté pendant sa transe. Elle en avait retrouvé une partie quand il avait pratiqué sur elle un léger sort d'Hypnose. C'était le moment où elle évoquait l'enfance de son père, la dame au parfum, les paons blancs et surtout l'école avec Harry. Tout ce qu'elle croyait avoir inventé ou rêvé. Le plus étrange, ça avait été quand il avait pratiqué le même sortilège sur son père.
"Monsieur Potter, avait-il dit, quand Monsieur Kerrye a passé les tests à Sainte Mangouste, nous avons déjà essayé l'Hypnose. Sans résultats, vous vous en souvenez. C'est ce qui nous a permis de détecter l'Ante Memoria. Si maintenant ce jeune homme réagit au sortilège, cela voudra dire qu'au moins une parcelle de sa mémoire existe toujours et s'est réveillée."
Il avait pointé sa baguette sur la tête de son père et il avait dit : " Hypnotycos ! " Une sorte de nuage rose était apparu sur le front pâle et avait ondulé pendant plusieurs minutes. Le jeune malade qui avait l'air de souffrir s'était soudain apaisé. Il n'avait pas ouvert les yeux mais il avait murmuré deux mots : " Maman ... Père ... " Puis il avait semblé s'endormir paisiblement. Il ne tressaillait plus, Ses mains ne se crispaient plus par secousses. Son visage s'était détendu et sa respiration était régulière.
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Une image ... Une image qui cessait de tourbillonner. Qui s'arrêtait tout à fait et qui l'enchantait ... Un petit garçon portant un costume de velours vert brodé d'argent s'avançait en souriant vers une dame très belle, assise dans un rocking-chair, sous une tonnelle, au milieu d'un jardin. Il y avait partout de l'herbe verte et des massifs de fleurs.
Sa mère.
Elle lui tendait les bras, le prenait sur ses genoux et l'attirait sur sa poitrine en murmurant son nom : " Draco ... " Il s'appuyait sur son épaule et fermait les yeux. Un vent léger faisait voleter ses cheveux. Il respirait un doux parfum et se demandait vaguement si c'était sa mère qui sentait si bon ou si c'était l'odeur des fleurs. Il n'aurait bougé pour rien au monde.
Une voix froide le rappelait à l'ordre.
Son père.
Il prononçait une phrase commençant par " Un Malfoy ne ... " Mais un cri étrange couvrait le reste. " Léon ! Léon ! " Sur la pelouse en contrebas, un des deux oiseaux blancs qui s'y pavanaient déployait en éventail sa queue magnifique en criaillant. Son père interrompait sa réprimande et se tournait vers les volatiles d'un air orgueilleux. Son trésor ! Ses précieux paons blancs que tous lui enviaient ! Il en oubliait de gronder son fils.
Son fils qui, bien que détestant les deux bestioles, leur adressait un silencieux merci. Il était merveilleusement bien. Sa mère le berçait en chantonnant. Son père s'était tu. Les paons aussi. C'était un moment de pure félicité .
Un long moment de grâce qu'on voudrait indéfiniment prolonger.
Un moment magique qu'on n'oubliait jamais ...
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Dimanche 12 août 2007, square Grimmauld, chambre du malade.
Cette fois, c'était Harry qui veillait le jeune homme paisible allongé dans son lit. Kreatur, qui était resté près du malade toute la nuit, n'avait signalé aucun changement. Aucune parole, pas de mouvement, même pas un froncement de sourcil. Celui que l'elfe appelait toujours " Maître Draco " dormait profondément et petit à petit, dans son esprit, il redevenait vraiment " Draco ".
Toute son enfance revenait dans sa mémoire, souvenir après souvenir, bon ou quelquefois moins, par exemple quand son père lui enseignait rudement les règles à respecter chez les Sangs Purs et particulièrement chez les Malfoy. Pièce après pièce, le puzzle se reconstituait à partir de la première image dans le jardin. Le jeune homme revivait sa prime jeunesse.
Il n'avait rien d'autre à faire que de se laisser porter par les images. C'était parfois un peu décousu. Il était très jeune, presque un bébé, puis tout à coup il avait onze ans et recevait une lettre venant de Poudlard. Une scène chassait l'autre mais en douceur, comme le font en général les souvenirs dans une tête. Parfois, les images s'arrêtaient d'elles-mêmes et il dormait vraiment, sans rêver. Puis un nouveau cycle de souvenirs recommençait. C'était à la fois reposant et agréable.
Harry était plus tourmenté. D'abord, il était coincé dans cette chambre pour la journée car en bas, deux Vélanes étaient en visite. C'était Hermione qui les avait accueillies et qui servirait cette fois de mentor à Stellane. Elle avait amené sa fille Rose qui avait maintenant presque quatre ans. Les femmes et les filles n'étaient pas sensibles au charme des Vélanes. Les garçons malheureusement si. Harry soupirait. La journée promettait d'être longue.
Pour Yann, il n'y avait pas grand chose à faire. Le psychomage avait prescrit une potion nourrissante très concentrée. Il suffisait d'en déposer quelques gouttes sur les lèvres du malade pour qu'il soit rassasié. Par contre, il fallait le faire boire régulièrement en utilisant un petit hanap d'argent qui gardait le liquide au frais. Il n'y avait pas de remède particulier pour sortir le jeune homme de sa torpeur, seulement pour le calmer en cas de crise. Visiblement quelque chose se passait dans sa tête, il fallait juste laisser faire et attendre.
En bas, Stellane ne parvenait pas à se concentrer sur son travail. Ses Tantes avaient apporté toute une collection de champignons à reconnaître et à classer en comestibles, neutres ou vénéneux. Ils se ressemblaient beaucoup et il fallait être très attentif pour les distinguer les uns des autres. La fillette se trompa à plusieurs reprises. Elle ne pensait qu'à son père qui ne se réveillait toujours pas. Elle expliqua alors la situation aux Vélanes.
Elles parurent très intéressées, surtout Ruellane, la plus âgée. Elle avait été l'une des suivantes de l'ancienne Première, celle qui était présente à la naissance de Stellane et qui aurait tant voulu en faire l'Orcelle, le chaînon manquant au nombre d'or des Vélanes. Et quand la fillette parla de l'effet que son étoile avait produit sur son père, la Vélane parut très agitée. Hermione qui assistait à la scène était aussi surprise qu'elle.
"Ton étoile aurait réveillé la mémoire de ton père ? Mais personne n'a jamais guéri d'un Ante Memoria ! s'exclama-t-elle.
-Je ne sais pas à quoi vous faîtes allusion, reprit Ruellane, mais le signe que Stellane porte au front possède chez nous une grande puissance. Notre caverne originelle en est criblée. Nous y conduisons nos blessés et nos malades, ainsi que les parturientes dont l'accouchement se passe mal. La mère de Stellane aurait peut-être pu survivre si on avait pu l'y emmener. Les animaux magiques comme les licornes noires, les dragonnettes et les chats-tigres la connaissent et s'y rendent tout seuls s'ils sont blessés. Je suis curieuse de voir cela. Peux-tu nous conduire auprès de ton père ?
Stellane traduisit du mieux possible pour Hermione.
-Je vais monter la première et faire sortir Harry, dit la jeune femme. Il a déjà assez de soucis sans tomber amoureux de l'une de vous en plus. Sans offense bien sûr !
Les Vélanes se mirent à rire. Elles étaient encore plus divines dans ce cas-là. Quand le jeune sorcier fut à l'abri dans un débarras du deuxième étage, elles entrèrent dans la chambre du malade. La plus jeune le trouva magnifique avec ses cheveux blond pâle étalés sur l'oreiller.
-Prends garde, Liellane, dit la plus âgée. C'est à cause de sa chevelure que Zinellane est tombée amoureuse de lui, au point de le rechercher lors d'une Matrimoniale. Mais j'y pense tout à coup ... Stellane, j'étais présente ce jour-là. Si les souvenirs passent par ton étoile, je pourrais te confier celui-là et tu le transmettrais à ton père ! ...
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Soudain tout se brouilla de nouveau dans la tête du malade. Les images dansaient, apparaissaient, s'en allaient. Et puis l'une d'elle surgit et se fixa. Dans une grande pièce aux murs couverts de livres se tenaient un homme assez âgé et un autre plus jeune qui lui ressemblait. En face d'eux, il y avait une Vélane en majesté, un Vélaa et six autres Vélanes disposées en demi-cercle. C'était une réunion à propos d'une fête qui aurait lieu bientôt.
Brusquement la porte s'ouvrait et un jeune homme apparaissait . Visiblement, il ne s'attendait pas à une telle assemblée. Son visage prenait aussitôt un expression émerveillée, celle que la vue de Vélanes provoquait toujours chez les mâles humains, sauf apparemment sur les deux qui étaient présents. Le plus jeune attrapait l'étourdi par le bras et le tirait vivement dehors.
Dans la salle, une des Vélanes avait le même air extasié que le visiteur impromptu. La jeune Zinellane, suivante de la Première, venait de tomber amoureuse d'un humain. " Ses cheveux murmurait-elle. Je n'en ai jamais vu d'aussi beaux. Ils sont de la couleur de l'argent quand il reflète le soleil." La Première la faisait taire d'un regard mais Zinellane gardait sur le visage un air rêveur.
L'image s'effaçait et d'autres arrivaient par saccades. Cette fois, il y avait des cris et du remue-ménage. Une chambre. Une jeune Vélane allongée dans un lit, deux humaines immobiles, l'air consternées, un homme tenant un bébé dans ses bras et les mêmes personnes que dans la scène précédente. Certaines des Vélanes se transformaient, elles avaient un bec d'oiseau et des ailes membraneuses. C'était la Première qui criait mais on ne comprenait pas ses paroles. Les images étaient dérangeantes et ne duraient pas longtemps. Une voix enfantine commentait :
-Père, c'est ce qui s'est passé au Château Borodisov. Je t'en supplie, souviens-toi ..."
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"Stellane, murmura le jeune homme blond. Puis il répéta plus fort : Stellane ! "
Il sourit mais n'ouvrit pas les yeux.
-Père je suis là, chuchota près de lui une fillette resplendissante.
Soudain, on se rendait mieux compte de son aura de Vélane. Cette expérience l'avait confortée dans le deuxième aspect de sa personnalité. L'étoile était un héritage de sa mère et c'était cette partie d'elle qui avait agi pour le bien de son père. Elle en était heureuse et fière.
Hermione la regardait avec stupéfaction. Tant de pouvoirs chez une enfant si jeune ! Elle caressa la tête de Rose, sa fille chérie, en pensant qu'il était beaucoup plus facile d'être une simple sorcière, sans avoir en plus le poids d'une autre vie complètement différente à gérer et à assimiler. Un avenir complexe attendait la jeune Stellane !
La journée passa assez vite. Le repas végétarien du jour était justement à base de champignons, d’œufs et de blé épeautre. Le dessert était une mousse neigeuse aux poires. Harry dégusta sa part en compagnie de Kreatur qui venait régulièrement aux nouvelles. Plusieurs fois dans la journée, le malade répéta le nom de Stellane et à chaque fois, il souriait. Ainsi c'était pratiquement sûr, la mémoire du jeune homme blond était en train de se reconstituer.
Le psychomage qui était passé en fin d'après-midi, après le départ des visiteuses, en était persuadé. C'était une avancée extraordinaire dans l'étude de l'Ante Memoria ! Les souvenirs n'étaient pas supprimés mais comprimés dans un recoin du cerveau et ils ne pouvaient en sortir que dans certaines conditions. Il fallait trouver lesquelles.
Le guérisseur était tout excité. Harry était plus réservé. Un choc violent avait été nécessaire pour obtenir ce résultat. Mais il avait surtout fallu l'étoile de Stellane. Or celle-ci était unique ! Le psychomage, lui, imaginait déjà de contacter les Vélanes pour accéder à la fameuse caverne guérisseuse ... Enfin il devrait pour cela laisser place à une collègue féminine ... Fichues hormones qui rendaient les hommes si faibles face à l'attraction de l'autre sexe ! Enfin, la nature était ainsi faite ...
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Pierre à pierre, brique à brique, galet par galet, le passé se recomposait. Stellane ! Sa fille chérie ! Trois ans à l'aimer, à la protéger, à l'admirer aussi, à l'élever avec douceur mais avec une fermeté qui lui venait de sa propre enfance, à lui parler en anglais parce que c'était son pays et qu'un jour, ensemble, ils y retourneraient. Trois ans de bonheur en Bulgarie où il était arrivé un jour ...
Ce fut là que tout dérapa. Il n'était pas dans ce lointain pays par hasard, même si les premières Vélanes qu'il avait vues étaient plus anciennes dans sa mémoire. Un souvenir brûlant lui revenait Un jeune homme déboussolé descendant d'un avion, muni d'un mince bagage, encore tremblant de peur après ce premier contact avec les moyens de transport moldus.
Un exilé, un condamné par la Justice de son pays, un sorcier privé de tous ses pouvoirs, jeté sans ménagement dans un monde dont il ne connaissait ni la langue, ni les coutumes.
Draco Malfoy, seul , abandonné au milieu de nulle part.
Et même si sa jeune collègue allemande l'avait tout de suite pris en charge, ça avait été tout de même une dure épreuve.
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Dans son lit, le malade commença à s'agiter. C'était la nuit et Kreatur était de garde. Voyant les tremblements et l'air de souffrance de son cher Maître Draco, l'elfe plopa dans la chambre de Harry et le réveilla en le tirant par le bras. Le jeune sorcier se rendit rapidement dans l'autre chambre et entreprit de soigner le malade avec le remède laissé par le psychomage en cas d'aggravation.
Il fallait poser sur le front du jeune homme une compresse imprégnée d'un liquide très froid et la changer tous les quarts d'heure. Comme beaucoup de potions magiques, le liquide était plutôt malodorant. Le résultat ne se fit sentir qu'au bout d'une heure, alors que Harry s'apprêtait à faire de nouveau appel aux urgences de Sainte Mangouste. Soudain le malade se calma et de nouveau reposa paisiblement.
Il remontait le passé. Il avait revu en plusieurs flashs le procès, le verdict et l'apposition sur son bras du sceau de sa condamnation, le séjour à Azkaban avec les Détraqueurs qui rôdaient - Quoique à un moment, il avait senti à côté de lui une présence rassurante. Quelqu'un le tenait dans ses bras ... - La bataille de Poudlard avait été environnée de cris, de sortilèges verts et de flammes galopantes.
C'était très rapide. Les images se succédaient sans trêve, comme si maintenant que ses souvenirs revenaient, ils se reconstituaient en accéléré. Un flot de sang irriguait son cerveau à chaque battement de son cœur et à chaque fois, la scène changeait. Un parfum désagréable accompagnait le défilement des images. L'odeur de la peur dans le froid des souterrains, de la panique dans une immense salle bourrée de vieilleries, de la terreur même devant un homme aux yeux de serpent ... Lord Voldemort !
Le désespoir aussi quand tout à coup apparaissait une image qui s'incrustait et se prolongeait longtemps. En haut de ... - la Tour d'Astronomie - un jeune homme pointait sa baguette magique sur un vieillard désarmé qui lui parlait doucement. Il hésitait et finissait par abaisser son bras alors que surgissaient ...
... Des Mangemorts avec Severus Snape, le Maître des Potions, face au Professeur et Directeur Albus Dumbledore. Cette fois, ce n'étaient pas seulement les images et les sons qui revenaient mais aussi les noms des lieux et des personnages. C'était Poudlard et Snape lançait l'Avada contre Dumbledore. Cette scène était horrible mais elle s'effaçait aussi et soudain, tout se calmait.
Poudlard, l'école où il avait passé sept ans et où il avait de bons souvenirs. Les cours où il brillait par son savoir et son intelligence, le Quidditch, - Merlin le Quidditch ! - avec ses matchs passionnants, ses balais de compétition et son vif d'or insaisissable ! La Grande Salle à Manger ! Les hiboux du courrier ! Les camarades dans la salle commune des ... - oui des Serpentards ! - et aussi dans le dortoir en bas d'une tour ronde !
Grégory Goyle et Vincent Crabbe ! Le deux grands costauds qui le protégeaient des autres ! Théodore Nott le sournois, si intelligent et si rusé ! Millicent Bulstrode que les garçons appelaient entre eux le bouledogue ! Pansy Parkinson avec qui il avait sauté le pas en dernière année, plus ou moins sur l'ordre de son père qui voyait leur union d'un bon œil. Elle n'était pas jolie jolie mais elle était Sang Pur et elle avait une grosse dot. Quoique Astéria Greengrass ...
Et le beau Blaise Zabini, aux yeux en amande et au corps de rêve, sur qui il avait flashé dans sa prime adolescence, s'attirant une sévère remontrance de son père quand il s'en était aperçu . " Un Malfoy ne fantasme pas sur les garçons ! En tant que futur chef de famille, tu ne dois t'intéresser qu'aux filles mon fils ! Pas de déviance dans la famille ! " Il se l'était tenu pour dit.
Pourtant au fur et à mesure que ces souvenirs remontaient à la surface, il avait l'impression de passer à côté de quelque chose. Les années d'école ne s'étaient pas déroulées aussi facilement. Tout n'était pas aussi rose. Quelque chose clochait. Il y avait encore cette odeur amère et l'écho d'un combat acharné contre quelqu'un, contre plusieurs personnes, des ... Griffondors ! Harry Potter, Hermione Granger, Ronald Weasley !
Il y avait lutte à mort entre eux et lui. C'était la haine qui brûlait son cœur ! Contre Potter en particulier ! Il l'appelait comment déjà ? Le Balafré, c'est ça ! Un garçon maigre, toujours mal habillé et mal coiffé, portant d'horribles petites lunettes rondes ! Mais une prophétie lui prédisait soi-disant un grand destin. Potter le Survivant ! Il le jalousait et le détestait. Il se moquait de lui, l'injuriait, lui faisait les pires crasses ...
Non, il y avait autre chose. Un jour, - le souvenir n'appartenait pas à l'école mais à un autre lieu - il l'avait revu ... avec Stellane ! Et la haine avait disparu.
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C'était le matin. Après l'heure d'agitation de la nuit, le malade s'était calmé et avait repris un sommeil paisible, troublé seulement de quelques courtes crises. Kreatur se précipitait aussitôt, posait dévotement une compresse sur le front de son Maître et tout rentrait dans l'ordre. Maintenant, Harry et Stellane se tenaient près du lit où reposait le jeune homme blond.
"Tu crois qu'il va se réveiller bientôt, Harry ?
-Il faut attendre, Stellane. Tu sais ce qu'a dit le psychomage.
-Et il aura retrouvé la mémoire ?
-Nous verrons. Mais le fait qu'il ait appelé son père et sa mère est un bon signe.
-Mais c'étaient peut-être ses autres parents, ceux de Yann Kerrye ?
-Je ne crois pas. Il a prononcé plusieurs fois ton prénom. Yann ne te connaissait pas. Non, je pense comme le psychomage. Sa mémoire se refait petit à petit. Tu sais, c'est long, vingt-sept ans de vie ! Il doit avoir des tas de bons souvenirs à récupérer !
-Des mauvais aussi tu crois ?
-Sûrement oui. On en a tous. C'est peut-être à ces moments-là qu'il a l'air de souffrir. Kreatur, tu peux aller te reposer. Je vais rester près de lui.
-Moi aussi.
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Il entendait des voix. Pas dans sa tête, dans ses oreilles. Une fillette, un homme. Il ne comprenait pas très bien de quoi ils parlaient mais c'était la première fois qu'il sentait une présence à ses côtés. Il voulait leur faire signe mais il ne pouvait pas bouger son bras. Ses yeux restaient obstinément fermés. Etait-il paralysé ? Cette funeste pensée le fit se raidir. Son cou se tendit, ses poings se serrèrent ...
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"Harry ! Regarde ! On dirait qu'il se réveille ! Papa, papa, tu m'entends ?
-Attends, Stellane ! C'est peut-être juste une autre crise !
-Non, je t'assure ! Regarde ! Sur son front ! Mon étoile qui brille ! Père ! C'est moi ! Stellane, ta fille ! Je suis avec Harry. Harry, tu sais ? Ton ami, mon parrain ! Réveille-toi, je t'en prie ! Je t'en supplie ! Papa !
Elle sanglotait. Elle avait attrapé la main du jeune homme et la serrait entre les siennes. L'étoile qui avait brillé quelques secondes s'effaçait. Harry se pencha vers le malade.
-Yann ? Draco ? Tu nous entends ? Malfoy ?
Mais de nouveau, Draco - ou Yann comment être sûr ? - se détendait et replongeait dans ce sommeil qui n'en était pas un, retournait à ses souvenirs. Sa reprise de conscience avait été brève mais deux mots l'avaient frappé. Yann ... Draco ...
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C'était un endroit totalement différent. Un lieu rempli de monde, de bruit et de musique. Il était derrière un comptoir, il préparait une boisson colorée, il souriait, il était heureux. Yann ... Il s'appelait Yann, il était chez lui, dans un pub qui s'appelait la Sardine Rieuse. On était samedi. Ses copains musiciens faisaient danser les clients sur la petite piste près du bar. Belle soirée !
Brusquement l'image tremblait, se brouillait ...
Il était dans un autre pub, avec Harry, avec les copains de Harry. Ils l'appelaient Yann ... La Cave oui ... Il y avait ce jeune homme solitaire, assis à la table voisine. Les autres discutaient. Harry flirtait au bar avec une fille ... Il sortait, l'autre le rejoignait, ils s'embrassaient ... Il aimait les garçons ... Non il aimait UN garçon ... Il aimait Harry ...
D'autres images qui défilaient ... Lui et Harry avec en main une baguette magique ... Sorciers ... Lui et Harry sur des balais volants ... Quidditch ... Dans un train rouge ... Quai neuf trois quart ... Dans une serre remplie de fleurs jaunes ... Neville Londubat ... Au Château de Poudlard ... Parc, Forêt Interdite, Araignées géantes ... Longs couloirs, salle décorée de rouge et or ...
Une tapisserie représentant un sorcier apprenant l'art de la danse à des trolls … Une armoire à disparaître ... Le Feudeymon avec Harry sur un balai ... Non, ces trois images sautaient et se télescopaient ... Pas Yann ... Draco ... Non Yann ... Non Draco ... Draco Malfoy ... Draco avant ... Yann après ...
Sa tête explosait. Il se tordait sur son lit. Il ouvrit une bouche hurlante et du fond de ses tripes, un cri sortit " NON !"
Ses yeux s'ouvrirent et il vit.
Une gamine, une fille de quoi ? sept ans ? Sa fille. Stellane ... Stellane ? Si grande déjà ?
Et derrière elle, Potter. Oui, Harry Potter lui même.
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Un cri " NON !"
Un corps qui se redresse. Une voix hésitante.
Un nom. " Stellane ? "
Un autre. " Potter ? "
Et soudain un air horrifié. Le même nom " Potter ! " répété d'une voix hautaine et méprisante, pendant qu'une rougeur intense couvrait ses joues.
Car au moment même où ce nom jaillissait à nouveau de ses lèvres, une scène insoutenable lui brûlait les yeux et la mémoire.
Lui ! Avec un homme !
Avec celui-là, son ennemi, son antonyme, son perpétuel fardeau !
Lui avec LUI ! … En train de baiser ! ...
Presque aussi vite, il devint blanc comme un linge et retomba en arrière. L'autre pâlit à son tour puis rougit jusqu'aux oreilles.
La même scène au fond des yeux.
Une voix basse, incertaine. Un nom " Malfoy ? "
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A suivre dans la quatrième et dernière partie : Draco, Stellane, Harry.
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