Il fait nuit, aucune étoile n’éclaire le ciel. J’avance en silence encore bouleversé par ce que je viens de voir. Si l’horreur a un visage, je crois l’avoir rencontrée en ce lieu pourtant béni par les Dieux. Que vais-je dire aux aïeux de la tribu, me croiront-ils lorsque je leur expliquerai ce que j’ai vécu ?
J’en tremble encore. Mère, s’il te plait, fais que cela ne soit qu’un rêve. Un cauchemar affreux qu’il vaut mieux oublier…
Je montais les marches avec souplesse, pressé d’en finir avec cette tâche idiote imposée par mes pères, lorsque des relents nauséabonds me frappèrent au visage. Je reculai sous le choc, portai la main à mon nez, une bile amère aux bords des lèvres.
Quelle était cette puanteur ? Si c’était ça l’épreuve à passer, elle me paraissait de très mauvais goût. Tout en maudissant ceux qui me l’avaient attribuée, je bravai les effluves et entrai dans le temple.
Il faisait sombre, j’apercevais à peine les quatre murs de l’édifice et les colonnes qui accueillaient l’autel au centre. Mais le plus anormal était la chaleur, étouffante, oppressante, elle renforçait l’odeur abominable qui m’étouffait.
Je fis encore un pas mais à ce moment quelque chose poussa un râle terrifiant. J’en perçus le souffle fétide sur ma peau, caresse doucereuse qui me fit frissonner. Je me figeai en proie à la peur et allait faire demi-tour lorsqu’un œil jaune, immense, s’ouvrit devant moi. Il brillait étrangement dans la semi-obscurité du lieu, on aurait dit que la lumière l’éclairait par dedans. Son iris était veiné de sang et sa pupille d’un noir intense m’aspirait irrémédiablement comme dans un puits sans fond ; je m’y serais sans doute perdu si une voix ne s’était pas alors élevée.
- …mal…
Je sursautai.
- Qu.. quoi ?
- Mal, répéta le murmure rauque.
- Vous.. vous avez mal ? Demandai-je bêtement, mon cœur battait la chamade.
- Mal…
La paupière s’est fermée, et tout ce que j’ai vécu ensuite n’a été que successions d’images. Je ne sais même pas si elles étaient réelles ou bien le fruit de mon esprit perturbé. Je me souviens avoir vu la chose bouger, son corps se soulever lentement et de légers frémissements parcourir sa peau. Puis il y a eu cette mare de sang. Un liquide foncé et poisseux qui s’écoulait d’une coupure profonde. La plaie était infectée, j’ai vu des cloques monstrueuses se former tout autour et éclater en une gerbe de pus. De la vapeur blanchâtre s’en échappait et s’ajoutait à la fournaise qui régnait dans le lieu. Dans une autre vision, j’ai assisté à un affrontement entre deux hommes, l’un avait les yeux jaunes. Il s’est fait blesser au flanc et alors une brume de tentacules épineux est sortie de sa blessure. Ça n’a été au départ qu’un mince filament mais il s’est rapidement développé et a commencé à dévorer le pauvre hère ! Ce dernier s’est débattu hurlant à la mort, faisant virevolter son épée qui immanquablement ne rencontrait que le vide comme si les fouets de l’ennemi n’avaient pas de texture. J’ai ressenti ensuite une intense brûlure qui m’a fait me plier en deux. Sans le faire exprès, j’ai relâché la pression de ma main sur mon nez et ai été de nouveau percuté par l’odeur de pourriture. Ma tête s’est mise à tourner. Le monde est devenu flou. Je me rappelle seulement d’une dernière chose : une main qui s’approchait de moi.
Je frémis à cette pensée, heureux presque d’avoir fui à ce moment-là. Qui sait ce qui serait arrivé si la main m’avait attrapé. Je dois me dépêcher de rentrer. Les autres doivent apprendre la présence de cette chose dans le temple de nos ancêtres.
Maaje avançait dans la nuit sans étoiles. Il ne vit pas s’étendre à l’horizon derrière lui, aussi silencieuse qu’un battement de cils, la brume aux tentacules empoisonnés.
Il ne réalisait pas encore non plus qui, il venait d’abandonner.
|