Chapitre 2 : Tout ce que tu sauras, un jour...
Je m'appelle Draco Malefoy et je suis un imbécile.
Je suis forcé de reconnaitre cet état de fait, malgré la blessure cruelle que cela inflige à mon ego. Mais celui-ci a été tellement malmené ces derniers temps qu'un coup de plus n'y changera pas grand-chose.
Alors oui, je reconnais tout : oui, Potter était un pari, oui, le mettre dans mon lit a été d'une simplicité enfantine, alors que j'imaginais cela impossible. Il faut croire que je l'idéalisais déjà.
Oui, j'ai aimé. J'ai tout aimé, du début à la fin. Oui, Potter est incroyable.
Moi qui me croyais parfait, j'ai trouvé mieux que moi. Ironie du sort, celui sur qui je m'acharnais s'est avéré être le type le plus ahurissant que je connaisse. Comment j'ai dépassé les horribles lunettes, les vêtements ridicules et les cicatrices ? C'est simple, je l'ai vu nu. Sans vêtements, ni lunettes.
Simplement paré de ses cicatrices, témoins inconscients de son courage.
J'ai compris qu'il ne se vantait pas de ses exploits, il se contente de les porter, inscrits en lui.
J'ai compris qu'Harry ne pouvait pas être dissocié de Potter, et que ce personnage était d'une beauté qui défiait tout ce que je connaissais.
J'en ai pleuré.
Il ne s'en est pas rendu compte, bien sûr, jamais je ne lui aurais montré mes émotions.
Mais je lui ai dit, plus tard. Je lui ai dit et répété. Là encore, j'ai fait en sorte qu'il ne puisse pas comprendre ce que je voulais dire, mais je devais lui dire. Lui dire toute cette beauté qui se dégageait de lui. Lui dire toutes ces émotions qui montaient en moi.
Je n'étais pas amoureux, non, j'étais simplement soufflé. Hébété. Perdu. J'ignorais qu'il existait des choses aussi prodigieuses que Potter. Des choses qui étaient à l'opposé de mon éducation. Des choses que j'avais consciencieusement appris à mépriser, et qui m'ont ému aux larmes quand je les ai découvertes.
La douceur du cou de Potter, ses bras puissants. Sa virilité, sa fragilité.
Ses apparentes contradictions, qui auparavant m'avaient paru stupides, et qui se résolvaient d'elles-mêmes. Simplement lui, Harry Potter.
Pas Potty, pas Potter, pas Harry. Harry Potter. Une seule personne. Un homme.
Que j'ai détesté pendant sept ans. Que j'ai baisé une nuit. Que j'ai appris à connaitre, et avec qui j'ai passé de très bons moments. Avec qui j'ai rompu de la pire des façons : en l'ignorant.
Je le reconnais, c'était minable. Je suis minable.
Encore un pari. Merci, les gars.
Mais aujourd'hui, le nouveau pari, c'est de le récupérer. Le récupérer ? Quelle blague. Pour cela, il faudrait qu'il m'ait un jour appartenu.
Et si appartenance il y a eu, c'était dans l'autre sens. C'est lui qui a pris possession de moi, qui a pénétré à travers tous les pores de ma peau pour venir habiter les moindres parcelles de mon corps. Il est entré une fois, et il n'a plus jamais voulu ressortir. Il faut avouer que je n'ai pas fait beaucoup d'efforts pour le chasser de mon esprit, ou de mon corps d'ailleurs.
Alors il s'agirait plutôt de le conquérir. Et si lui faire baisser sa garde sur un plan sexuel a été relativement facile, lui faire comprendre que je le veux, entièrement, complètement, exclusivement et sans compromis risque d'être compliqué. Surtout après l'avoir si méchamment jeté.
Comment lui dire que ses fesses ne me suffisaient plus ? Comment lui dire que son corps n'était rien pour moi, rien si le reste n'était pas accessible ? Comment lui faire comprendre que si je me suis éloigné, c'était uniquement pour me sauver ?
Comment faire pour gagner ce pari ? Comment oser l'approcher alors que je le vois tous les jours dépérir un peu plus, par ma faute ? Comment ne pas lui faire encore plus de mal que ce que j'ai déjà fait ?
Toutes ces cicatrices que j'avais l'habitude d'admirer… Qui ornent son corps et ne disparaitront jamais. Je me rends compte aujourd'hui que peut importe à quel point je l'ai blessé, il s'en remettra. Les cicatrices du cœur, elles, ne sont pas si indélébiles. Il oubliera. Aucun de ses amants ne lui posera la question, je serai tout simplement absent de la fresque de sa peau.
Impossible. Cela ne peut pas se produire. Cela ne doit pas se produire. Il n'a pas le droit de m'oublier.
De toute façon, nous souffrons tous les deux. Il faut faire quelque chose. Pour moi, pour lui, et pour le pari.
Je ne sais pas encore comment, mais je trouverai un plan. Je suis Draco Malefoy, je m'en sortirai toujours !
*****************************************************
Être un Malefoy est vraiment l'un des plus grands plaisirs de mon existence. Identifier avec la plus haute précision les intérêts de toutes les parties, échafauder un plan des plus ambitieux, le réaliser avec audace, et récolter les fruits de mon intelligence. Y a-t-il plus grand plaisir au monde pour un Serpentard ?
Y a-t-il plus agréable que de ne plus rien avoir à faire après avoir rallié Hermione Granger à sa cause ? Cette fille était si prévisible, si…Gryffondor. Un petit discours, exposé de la situation, même pas besoin de larmes (elle n'y aurait pas cru), et je l'avais déjà gagnée. J'ai certes dû reconnaitre certains torts dans cette affaire, mais selon mes calculs, Harry Potter valait bien que j'abandonne un peu de ma mauvaise foi naturelle.
Elle a dit m'avoir observé avec attention, et avoir bien remarqué que j'étais moi aussi tombé amoureux. Je ne vois pas du tout comment elle a pu s'en rendre compte.
Elle m'a dit aussi qu'elle m'attendait, et qu'elle pensait que je viendrais la voir plus tôt. Mais je pense qu'elle voulait simplement me provoquer. Me faire un peu payer la souffrance de son meilleur ami. Elle s'imagine que je l'ai mérité. Je n'ai pas osé la contredire sur ce point.
Elle a accepté de m'aider, en me faisant parvenir certains documents. J'ignorais alors de quoi il pourrait s'agir.
Elle m'a dit d'attendre quelques semaines, et plusieurs « livraisons », avant de contacter Harry. Elle m'a dit que la manière serait tout, lorsqu'il s'agirait de le reconquérir (je n'ai pas pu m'empêcher de la corriger : « conquérir ». Elle m'a regardé comme si j'étais le Veracrasse le plus idiot que Merlin ait créé).
Elle m'a dit que si je ne m'y prenais pas très bien, tout son plan (« notre plan », nouveau regard de Veracrasse) tomberait à l'eau, et qu'elle ne pourrait alors plus grand-chose pour moi. C'est bien, je n'avais déjà pas beaucoup de pression.
Une semaine plus tard, je reçus au petit-déjeuner un paquet, délivré par un hibou de l'école. Je commençais à me poser des questions, surtout qu'en l'ouvrant, je ne trouvais qu'un autre paquet, un peu moins volumineux. Qui s'amusait à se moquer de moi ? Une étiquette attira mon attention : « Ne pas ouvrir en mauvaise compagnie. » Granger. Elle n'avait qu'à signer Gryffondor, cela aurait eu le même effet !
« Mauvaise compagnie » ! Il faudrait tout de même que j'explique un jour à Granger que la seule raison pour laquelle j'avais pu entreprendre cette opération de conquête de Potter était l'approbation et les encouragements de ma maison, au travers de ce pari. Elle n'était pas la seule à avoir des yeux, et elle n'était pas la seule à vouloir le bien de ses amis. Serpentard fonctionnait différemment, tout simplement.
Une fois mes amis partis, je profitai de ma solitude pour découvrir ces fameux documents : des lettres qui m'étaient destinées, des extraits de journal intime sur des feuilles volantes, des notes, des phrases, des citations,… De la part d'Harry. Des textes, tous en rapport avec notre relation.
J'ignore quels mots seraient capables de décrire ce que j'ai ressenti à cet instant.
Le sentiment soudain que ce que l'on croyait passé et disparu pour toujours était vivant. L'espoir. La surprise. L'incrédulité. Le soulagement. Le bonheur. Une vague de Harry Potter qui m'a submergé d'un seul coup, et qui m'a porté loin, très loin. Au-delà du bout du monde.
L'amour, je crois.
Et les paquets sont arrivés. De manière irrégulière, deux, trois, quatre fois par semaine. Toutes les lettres d'Harry. Tout ce qu'il voulait me dire sans jamais me l'envoyer. Tout ce que je ne devais jamais lire. Tout ce qui m'a rendu amoureux.
Amoureux. Je me rends compte que c'est un mot stupide, mais il n'y en avait pas d'autre pour décrire ce que j'étais, ce que je ressentais. Alors je l'ai gardé. Je l'ai nourri. Je me le suis répété, parfois, le soir, avant de m'endormir. Je le voyais, dans mon esprit, grossir de jour en jour. Et c'est lui qui m'a inspiré le moyen, le moyen parfait de reconquérir Harry.
Oui, je dis bien « reconquérir ». Parce que j'ai aussi réalisé que tout ce que j'avais toujours voulu était juste là, à portée de main. Et j'avais tout gâché. Sans le savoir, sans le vouloir presque, j'avais déjà conquis Harry. Et sans aucun effort, en étant simplement moi-même.
Le reconquérir exigeait donc que je sois particulièrement moi-même, et que je fasse même un petit effort. Cette fois-ci, tout le monde saurait. Et cela me rendrait heureux.
J'avais déjà soumis mon plan à Hermione. Pas dans les détails, je voulais qu'il soit le premier à le découvrir dans sa totalité, mais elle avait validé le déroulement général des opérations.
J'avais prévu d'attendre encore une semaine avant de passer à l'action, mais le dernier paquet m'avait inquiété. Il disait renoncer. Il disait qu'il allait laisser ses sentiments disparaître. Il était las, fatigué de m'aimer sans retour, de tout me donner et de ne rien recevoir. Je ne pouvais le laisser faire une chose pareille ! Des sentiments si précieux ! Si longuement consolidés, si bien entretenus, si forts, si intenses, si beaux !
Je devais l'arrêter. Ou plutôt, je devais l'encourager, il devait m'aimer.
Après avoir reçu toutes ses lettres, lui écrire en retour (et lui écrire une lettre courte et percutante, afin de m'assurer qu'il la lirait jusqu'au bout !) s'est avéré difficile. Très difficile. Combien de brouillons froissés, déchirés, raturés, jetés à travers la chambre, de rage de ne trouver les mots exacts ? Combien d'essais infructueux ? Combien de déclarations trop tendres, que je savais invraisemblables ?
Toutes ces tentatives avortées, tout ce que tu ne liras jamais.
Tout ce papier gâché, support inadapté. Le papier brûle, se déchire, tombe en poussière, se dissout dans l'eau, est détruit à la moindre occasion ! Comment une chose aussi friable, aussi éphémère pourrait-elle porter des sentiments aussi durables que les miens ? Ridicule.
Les mots ont fini par venir, après les larmes de frustration. Concision. Mon cœur en trois lignes. Un calcul simple : la lettre n'avait pas besoin des détails. J'avais pris la décision de lui raconter les détails. Dans le creux de l'oreille, à même sa peau, au plus profond de ses fesses. Il saurait tout, par ma voix. Vecteur bien moins dérisoire, c'était acceptable.
Le sort fut moins compliqué. J'avais toujours été l'un des meilleurs en Sortilèges et en Enchantements. Une seule nuit blanche, et le tour était joué. Le lendemain matin, tout était prêt.
Même moi. J'aurais aimé dire que j'avais le trac, mais ce n'était pas le cas. J'avais triché, je connaissais ses sentiments et j'avais accepté les miens. J'étais sur le point de me déclarer devant toute l'école, et je n'avais pas la moindre chance d'être rejeté. Tout bien considéré, j'aurais dû être le sorcier le plus confiant au monde !
Je n'en étais pas là. Mais j'avais la confiance de ceux qui ont conscience de faire ce qui doit être fait, et d'être les seuls à pouvoir le faire. Peut-être que cela ne marcherait pas. Après tout, même en magie, le risque zéro n'existait pas...
Mais je devais le faire. Je n'avais pas le choix. Je le devais à Harry, je me le devais à moi-même et à notre relation (et pas du tout à tous les Serpentards qui me devraient 50 Gallions dès demain, cela n'a joué aucun rôle). Je le devais, au nom de ce qu'Harry avait éveillé – réveillé ? – en moi, et qui sans lui n'aurait jamais vu le jour.
Alors je l'ai fait.
J'ai sorti cette fameuse lettre, celle qui m'avait coûté tant d'efforts.
Je me suis levé, seul, alors que tous mangeaient bruyamment.
Ma concentration a fait taire toute la tablée Serpentard.
Mon sort a attiré sur moi l'attention des professeurs. Rassurés une fois qu'ils ont vu qu'il était inoffensif, certains n'ont pu s'empêcher d'admirer la beauté du vol de mon oiseau de papier.
Toutes les tables se sont tues, une à une, suivant la progression de mon messager.
Et puis il l'a vu. Il l'a remarqué. Il n'a pas immédiatement compris qu'il lui était destiné.
Et puis il a su. Il n'y a pas cru, mais l'oiseau s'est posé devant lui.
Il a respiré ma fleur et il a compris.
Délicatement, lentement, il a déplié la lettre. A-t-il savouré le regard de tous les autres sur lui à ce moment-là ? Je ne pourrais en jurer, mais je crois que pour une fois, il a aimé cela.
Et puis il l'a lue. Une fois, deux fois, trois fois.
Et puis son sourire.
Tout ce que je ne lirais jamais, hein ? Et pourtant, je crois que j'ai bien fait pour une fois, de fouiner dans les affaires des autres, n'est-ce pas Harry ? |