Bonsoir!
Voici la suite de Poésie Française.... j'espère qu'elle vous plaira!
Ce soir-là, la patience de la Grosse Dame fut mise à rude épreuve. Déjà à l’arrivée de l’Intrus, elle s’était montrée sceptique : le vert sur le col de la robe du grand garçon qui lui faisait face lui était purement inconnu. Il faut dire que, compte tenu de sa corpulence, les voyages inter-tableaux qu’elle était en mesure de réaliser restaient limités. Elle ne connaissait que les élèves à col rouge, les Gryffondor, et ceux à col bleus, les Serdaigle, qui les côtoyaient parfois. Rarement, elle en croisait certains à col jaune : des créatures étranges et avec un air un peu niais, un peu perdu, qui la faisaient pouffer de rire. Mais c’était bien la première fois qu’un individu à col vert s’égarait dans cette partie du château, et cela l’intriguait au plus haut point. Bien qu’il eut été plus simple de demander directement à l’intéressé ce qu’il était exactement, la Grosse Dame émettait, intérieurement, de nombreuses hypothèses. Rupture de stock chez Madame Guipure ? Grève des elfes de Poudlard ? Désir bizarre du directeur de moderniser les robes de ses élèves? Elle l’ignorait, mais trouvait l’attitude de l’énergumène qui lui faisait face pour le moins saugrenue. En effet, il se tordait les mains sans relâche, et faisait les cent pas devant le portrait depuis bientôt une demi-heure.
Soudain, n’y tenant sans doute plus, le jeune homme se jeta au sol et sortit de son sac un vieux livre poussiéreux. Alors, ses traits se détendirent, et il poussa un soupir de soulagement en caressant les vieilles pages jaunies. Pour le moins surprise –aucun Gryffondor, pas même Hermione Granger, ne lui avait encore fait un coup pareil- la Grosse Dame tenta de se pencher, pour lire le titre de l’ouvrage qui semblait tant faire plaisir à cet élève particulier. Au terme de nombreux essais, elle y parvint enfin : le titre était « Les Amours Jaunes », et l’auteur, un certain Tristan Corbière. Ne connaissant ni l’un, ni l’autre, elle se renfrogna et bougonna, à l’adresse du garçon :
-Toi, le col-vert, arrête de lire des cochonneries devant mon tableau, et lis plutôt l’Histoire de Poudlard.
-C’est que, comprenez-vous, Madame, je l’ai déjà lue plusieurs fois, répondit Goyle d’un air ennuyé. Et puis, elle ne me serait d’aucune utilité dans un moment tel que celui-ci.
-L’Histoire de Poudlard ? D’aucune utilité ? Ah, si la petite Granger savait ça… Elle en enlèverait, des points à ta maison, gamin ! D’ailleurs, quelle est ta maison ?
Un peu décontenancé par cette question qu’il n’attendait pas, Goyle fut submergé par son ancien côté gauche et repris, maladroitement :
-Oh, eh bien j’habite dans le Londres sorcier, je ne sais pas si vous connaissez, enfin je suppose que non puisque Londres a du bien changer depuis que vous n’êtes plus qu’un portr… Je veux dire que, euh, ces dernières années, euh… Enfin, vous comprenez, et puis même, je ne vais pas vous dire où j’habite, à quoi ça vous sert, hum ?
Profitant de la stupéfaction de la Grosse Dame, il poursuivit, avec plus d’aplomb et de verve :
-Vous avez bien constaté mon état de stress : pourquoi vous acharner ainsi ? Et puis, qu’est-ce que ça peut bien vous faire, à vous, si seuls les vers de l’illustre Corbière peuvent me détendre? Vous ne connaissez pas, donc vous méprisez, c’est cela ? Ah, vous autres Gryffondor, les courageux, les téméraires, qui ont pourtant peur de l’inconnu ! Heureusement qu’il existe, dans votre maison, des personnes exceptionnelles –surtout une- qui s’ouvrent au monde, plutôt que de s’embourber dans vos principes Moyenâgeux !
La Grosse Dame arborait maintenant un air passablement ahuri. Etat qui ne risquait pas de s’améliorer, puisque Goyle poursuivait :
-Tenez, vous voulez que je vous en lise un passage ? Vous verrez : c’est autrement plus intéressant que l’Histoire de Poudlard –quand on l’a déjà lue plusieurs fois, j’entends. Vous êtes prête ?
N’ayant aucune idée de ce qui était en train de se produire, ni du danger auquel elle s’exposait inconsciemment, le portrait de la tour Gryffondor acquiesça. Alors, ses mains parcourant furieusement les vieilles pages, Goyle s’arrêta soudainement sur l’une d’entre elles, semblant plus jaunie que les autres. Elle était cornée, et comportait de nombreuses notes dans la marge. La vision de tels gribouillis sur les côtés d’un ouvrage rappela, de façon étrange, quelqu’un de sa maison à la Grosse Dame. Mais le cours de ses pensées fut interrompu alors que la voix grave, qui avait perdue de sa gaucherie, de Goyle s’éleva :
- Il s’agit de ça, de Tristan Corbière, poète français de son état, que j’aff…
-ça ? Vous dites « ça » ? Vous n’étiez pas sensé aimer et respecter la poésie ?
-C’est le nom de la poésie, voyons. Mais, je vous prie, laissez-moi vous la lire. Ça.
Des essais ? – Allons donc, je n'ai pas essayé ! Étude ? – Fainéant je n'ai jamais pillé. Volume ? – Trop broché pour être relié... De la copie ? – Hélas non, ce n'est pas payé ! Un poème ? – Merci, mais j'ai lavé ma lyre. Un livre ? – ...Un livre, encor, est une chose à lire !... Des papiers ? – Non, …
Les paupières de la Grosse Dame s’alourdirent, pour finalement se fermer complètement. Elle ne fut réveillée en sursaut que lorsque Goyle employa, une minute ou presque plus tard, un ton particulièrement inspiré en déclamant, de façon théâtrale:
- L'Art ne me connaît pas.
Il marqua une pause.
- Je ne connais pas l'Art.
Ces mots restèrent suspendus en l’air quelques secondes ; quelques secondes suffisantes pour permettre à Goyle de reprendre son souffle et se remettre de sa magistrale prise de parole. Il se tourna alors vers la Grosse Dame, un sourire charmeur aux lèvres.
-Alors ? Qu’en avez-vous pensé ? N’était-ce pas merveilleux ?
Celle-ci, tant bien que mal, tenta de dissimuler ses yeux rougis par le sommeil et entreprit de répondre, d’une voix claire :
-C’était… Hum… Charmant, vraiment ! Ce.. Cobrière, là, gagne vraiment à être connu. Travaillait-il au Ministère ? Il a l’air d’un érudit.
Goyle n’eut pas le temps de lui faire remarquer sa sottise que l’embrasure du portrait révéla la présence d’une jeune fille qu’il avait longtemps attendue. Elle était méconnaissable, comparée à l’image de rat de bibliothèque qui lui collait à la peau : comme lors du Bal de Noël, durant leur quatrième année d’étude, Hermione Granger était resplendissante. Le Serpentard rougit en se demandant si elle s’était préparée avec autant de soin pour lui qu’elle l’avait fait, plus tôt, pour Viktor Krum, mais il repoussa bien vite cette idée. Si elle était si bien apprêtée, c’était dans un seul but : ne pas paraître idiote à la fête d’anniversaire de Drago Malefoy, où les élèves les plus fortunés se rassembleraient…. Et ce but était plus qu’atteint. Les pensées de Goyle s’entremêlaient dans son cerveau, sans qu’il ne réussisse à réfléchir à quoi que ce soit de cohérent. Alors, il sourit d’un air benêt, comme il avait si bien su le faire ces dernières années.
Incontestablement, le charme n’opéra pas.
-Tu es sûr que ça va, Gregory ?
Un bruit étouffé parvint de derrière le portrait, alors que deux têtes faisaient leur apparition.
-Gregory ? Non mais j’hallucine Harry, elle appelle ce putain de Goyle « Grégory » ? Mais c’est pas possible, elle a reçu un Impardonnable ou quelque chose du genre ! Attends, elle va à la soirée de Malefoy, ET EN PLUS avec Goyle ?
-Je suis d’accord avec Ron, Hermione. Si c’est le côté riche, ambitieux, puissant, un peu bad boy, –quoique j’ai déjà tout ça, tu sais, pas besoin d’aller chercher trop loin- qui t’intéresse, même si c’est horrible de l’admettre, autant que tu fréquentes Malefoy. Je le déteste, on est d’accord, mais lui au moins a un minimum de classe.
-Harry, j’espère que tu déconnes… Tu vas pas la laisser avec Malefoy, quand même ? Mais toi aussi tu t’es pris un Impardonnable ?! Non mais tu réalises un peu ce que tu viens de dire ?! Et après c’est moi le con !
Alors que leur dispute se poursuivait, les deux Gryffondor ne réalisaient pas ce qui était en train de se produire, presque sous leurs yeux. Et pourtant, nul doute que le spectacle les aurait intéressés ! Gregory Goyle, agenouillé devant une sorte de princesse des temps modernes, couvait Hermione Granger, dont il tenait la main, d’un regard larmoyant d’amour alors qu’il déclarait, visiblement ému :
- Il n'est plus, ô ma Dame, D'amour en cape, en lame, Que Vous ! ... De passion sans obstacle, Mystère à grand spectacle, Que nous ! ...
La Grosse Dame, dans son tableau, souriait devant ce joli spectacle. L’être à col-vert n’était peut-être pas si stupide, après tout, et peut-être sa grande carcasse cachait-elle de grandes qualités de cœur.
Drago Malefoy, tapi dans l’ombre, témoin de toute la scène depuis son commencement, souriait, lui aussi. Il était plutôt fier de lui : malgré la conversation digne de Luna et Xenophilius Lovegood qu’il avait entendu peu de temps auparavant, il avait réussi à conserver son calme – et pourtant, la tentation d’exploser de rire était grande ! A son grand damne, il avait aussi du réprimer un hoquet de stupeur en voyant la Granger franchir le passage du portrait. Il ne fallait PAS qu’il réagisse ainsi en voyant la Sang-de-Bourbe ! Il s’agissait d’un jeu, rien de plus.
Au final, le moment où conserver son calme s’était avéré le plus dur venait de se dérouler à l’instant, devant la pathétique déclaration de Goyle envers Granger. Si sa couverture n’était pas aussi importante, il aurait bien volontiers explosé de rire, qu’on le remarque ou non.
Comme nous le disions, Drago Lucius Malefoy souriait…
Jusqu’à ce qu’un invité imprévu - le Chevalier du Catogan et son poney au poil hirsute - fasse irruption dans le tableau de la Grosse Dame –où ils étaient, compte tenu de la corpulence de son occupante principale, passablement serrés. Ne pouvant réprimer un rire, il tenta de se faire le plus discret possible.
-Huuuuum, fit le Chevalier en s’éclaircissant la gorge. Bon, Mademoiselle –la Grosse Dame rougit jusqu’aux oreilles- j’ai un message à vous faire passer, de la part du très célèbre et fortuné Drago Malefoy.
Alors que la Grosse Dame fronçait les sourcils, le teint d’Hermione vira au pivoine, tandis que les jointures des mains de Goyle devenaient blanches –malmenant ainsi la couverture des Amours Jaunes. Quant à Drago, toute trace de sourire avait disparu de son visage angélique.
-J’avais un poème à vous lire de sa part, mais bon, vous savez, les trajets en poney sont parfois ardus ! On n’imagine pas à quel point ils peuvent s’avérer périlleux. Et pourtant, j’ai dû combattre pour vous faire parvenir ce message à temps !… Je divague… Ah, oui, enfin, j’ai eu quelques petits soucis sur le trajet et… Enfin bref, je n’en ai qu’une ligne. Et le titre ! Ah ça oui, j’ai le titre, on n’a pas idée de déclamer un poème sans titre. « La Beauté ». De Bolaidre, si mes souvenirs sont bons. J’ai perdu le nom de l’auteur aussi. Enfin, ce n’est pas le principal, hein ? Voilà la ligne tant attendue : Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles! Voilà, c’est fini. Ça vous a plu ? C’est le premier poème que je lis en public. Comme vous devez être touchée, mademoiselle !
Devant l’embarras général, il ajouta :
-Ah, oui, vous avez les yeux bruns… Euh… Il faisait sans doute référence à ses propres yeux, alors. C’est peut-être une tentative de séduction novatrice… Comme vous avez de la chance ! Ah, vraiment !
Alors que le Chevalier déblatérait tant bien que mal des propos de plus en plus absurdes, Drago Malefoy se sentit soudain très fatigué… et en colère. QUI avait bien pu envoyer le Chevalier du Catogan, en son propre nom, pour débiter des inepties pareilles ? L’héritier Malefoy fulminait et ne prêtait plus attention au joyeux brouahah qui régnait désormais en face du tableau.
Et quand une main s’agrippa à son épaule brusquement, il hurla, tout naturellement. |