Nous croyons conduire le destin, mais c’est toujours lui qui nous mène.
Denis Diderot
19 Décembre 2012
La chambre de l’hôtel Grand Court baignait d’un soleil matinal éclairant timidement les papiers peints ocre. A travers la fenêtre, Jérusalem s’éveillait doucement, son ardeur freinée par les épais murs de séparation l’entourant. Au milieu de l’enchevêtrement d’habitations aux architectures disparates, le Dôme du Rocher tentait de réconcilier ce qui ne pouvait pas l’être. Les ruines avec les immeubles, la pointe des clochers et l’arrondi des coupoles, les tuiles rouges contre les toits nus. La ville sainte reflétait ses habitants : très loin d’être éternelle et indivisible.
Quelques coups timides à la porte interrompirent cette contemplation.
-Veuillez nous excuser pour le retard, voici l’adresse de la boutique de Mr ‘Ljha. C’est à quelques minutes seulement d’ici. Souhaitez-vous…
-Ça ira, je trouverai.
Le maître d’hôtel n’eut pas le temps de réagir et se retrouva en quelques secondes, par un miracle qu’il ne put expliquer, seul face à une chambre vide.
Quelques étages plus bas, l’ascenseur atterrit dans un bip délicat, ouvrant ses battants automatisés sur le gigantesque hall marbré. Ses pas résonnèrent sur le sol brillant, ses chaussures se reflétant dans la surface lustrée du vase solitaire posé en plein milieu de cette immensité carrelée. Le réceptionniste baissait les yeux derrière son guichet, comme isolé par sa grandeur. Passant les portes tournantes, le vent frais lui fouetta le visage, sa force accentuée par le mouvement rotatif.
N’y prêtant aucune attention, son corps se mit en marche, bravant avec une aisance surnaturelle le vent qui tentait de lui faire barrage, persistant dans son effort vain jusqu’à l’entrée dans la vieille ville. A partir de là, les hauts murs compressant les étroites rues pavées empêchaient le souffle hivernal d’y pénétrer.
-Tu n’espérais tout de même pas qu’une minuscule brise m’arrêterait.
Au fur et à mesure de son avancée, les échoppes se multipliaient tout comme les touristes matinaux. Le ciel était obscurci par les avancées de toit d’où pendaient vêtements, tapis et tissus. Au ras du sol, les fruits mûris se disputaient la place avec d’innombrables bibelots, entassés de part et d’autre du passage. Retrouver sa destination au milieu de ce fourre-tout de boutiques mêlant en leur sein tout ce qui se vendait ici-bas, n’allait pas être aisé.
Pourtant, après à peine un quart d’heure d’errance, le magasin d’antiquités surgit au détour d’un renfoncement, croulant sous un bric-à-brac indescriptible. Pas de doute sur l’identité du propriétaire, elle était fièrement inscrite en lettres d’or sur la devanture. A contrario, la définition que ce dernier faisait du terme « antiquités » pouvait faire débat. Les amphores centenaires y côtoyaient des souvenirs bons marchés, les tapis tissés étaient recouverts de paillassons souhaitant la bienvenue en diverses langues. Au milieu de ce désordre organisé, Ibrahim ‘Ljha émergea et s’avança tout sourire.
-Si vous cherchez un souvenir authentique, vous êtes au bon endroit. Contemplez toutes ses merveilles, chacune d’elle a une histoire, presque une âme.
-Une âme ? Tu ne sais même pas de quoi tu parles. Epargne ton charabia, je ne suis pas ici pour un souvenir, je cherche un objet très spécial…provenant de Qumran.
Le vendeur stoppa son blabla et évalua le discours à tenir, d’une voix déjà beaucoup moins assurée.
-Quel genre de relique est ce que vous cherchez ?
-Du genre liée aux manuscrits de la mer Morte et à leurs détenteurs.
Une lueur brilla dans le regard d’Ibrahim, comme si son sens aiguisé du commerce lui indiquait une opportunité à saisir.
-Vous, vous me plaisez. Les connaisseurs ont une véritable notion de la valeur des choses et je sens que vous faites partie de cette catégorie, reprit-il, revigoré par ce qu’il venait d’entendre. Vous avez de la chance, je suis le seul antiquaire de la région à posséder encore une des jarres ayant contenu les manuscrits. Une pièce unique, qui fait des envieux. Chaque jour, on tente de m’acheter ce témoin des derniers esséniens. Restez ici, je vais vous montrer.
-Une amphore minable ? Qui crois-tu que je sois ?
Ibrahim se figea, choqué par la condescendance presque haineuse qui émanait de cette voix. Un silence pesant tomba sur les deux protagonistes.
-Lorsque j’ai évoqué un objet très spécial, je parlais de la seule découverte digne d’intérêt d’Eleazar. La seule qu’il a, contre toute attente, choisi de confier secrètement à ton grand-père. Et je ne crois pas un seul instant que son seul but était d’éviter la mainmise de l’état.
Le teint halé du commerçant était en train de virer ostensiblement, pâlissant à vue d’œil. Malgré tout, il parvint à conserver une illusion de sang-froid.
-Vous vous trompez, articula calmement Ibrahim. Hélas pour vous, il ne subsiste rien de ce qu’Eleazar Sukenik a ramené ici. Contrairement à ce que vous semblez croire, les manuscrits ont tous été rachetés par l’état et beaucoup de jarres n’ont pas survécu au déménagement depuis Béthléem.
-Arrête de te foutre de moi Ibrahim !!
-Je ne crois pas vous avoir permis une telle familiarité, se rebella-t-il fébrilement. Et d’ailleurs comment connaissez-vous mon prénom ?
-Tu as le même que ton aieul, facile à retenir. Et nous savons tous les deux que ce n’est pas la seule chose qu’il ta léguée, n’est-ce pas ?
-Ca suffit maintenant, dites-moi qui vous êtes et ce que vous me voulez !
-Plonge dans tes souvenirs : lorsqu’Ibrahim senior t’a transmis l’objet de ma quête, il t’a prévenu. Droit dans les yeux, il t’a averti que le jour viendrait où je me tiendrai devant toi pour récupérer ce qui m’appartient. Je me trompe ?
Cette fois, le teint de l’homme était devenu blafard, il ne parvenait plus à contrôler sa nervosité. Transpirant, tremblant de tous ses membres.
-Non, ce n’est pas possible, vous ne pouvez pas être…je…désolé mais je ne vois pas de quoi vous parlez, se reprit-il immédiatement conscient de son erreur.
Evidemment trahi par son hésitation, il cherchait un moyen de conserver son secret intact, compromis par son trouble.
Alors sa peur se mua en terreur. D’une voix calme et aussi cristalline que celle d’un enfant, l’être, car Ibrahim comprenait maintenant que cette personne n’était pas humaine, s’adressa à lui.
-Au fond de ton magasin, peut-être dans un coffre verrouillé avec la clé que tu portes continuellement autour du cou, se trouve un petit objet rond, noir comme l’ébène et totalement lisse hormis trois lettres gravées en caractères minuscules.
Le sang d’Ibrahim se glaça.
-Vu tes yeux rougis, je dirais que certaines personnes proches de toi ont dû toucher cette relique et n’ont pas réussi à supporter les conséquences de son pouvoir. Ton frère ? Ou même ton fils que je vois sur la photo que tu gardes au fond de ton magasin ? Les humains sont tellement faibles, se donner la mort doit être la seule preuve de courage dont ils sont capables face à la vérité.
-Quelle vérité ?
En guise de réponse, le bras droit de l’être se leva et, de son index fin, dessina trois majuscules largement espacées sur la fine couche de poussière recouvrant le comptoir.
C V L
Puis le doigt continua ses gestes assurés, comblant les interstices. Lorsque les mots se complétèrent, le marchand resta bouché bée.
-Impossible…Vous ne pouvez pas être…
-Etre qui ? Je t’en prie, continue Ibrahim.
-Je ne peux pas, je n’ai pas le droit.
Un rire moqueur éclata. Aussi strident qu’un hurlement.
-C’est vrai j’oubliais, ta religion l’interdit. Comme tous les hommes, tu restes prisonnier de tes convictions, emmuré dans les limites de ton éducation religieuse. Et même lorsque l’on t’assène la vérité, tu es incapable de l’accepter.
Mais assez perdu de temps, je n’ai pas que ça à faire. Va me chercher l’objet !
Ibrahim sentit l’ordre pénétrer son cerveau et devenir une évidence que rien ne pouvait contredire. Quelques instants plus tard, il ouvrait le coffre sur le comptoir contre les avertissements générationnels.
-Et maintenant, que les marques du Christ révèlent leur vraie nature.
Le marchand ne put qu’assister impuissant au spectacle imposé : l’être pris de sa main droite le coupe-papier posé négligemment à côté de la caisse et s’automutila en l’enfonçant dans sa paume gauche.
-Mais qu’est-ce que vous… ?
Sans réussir à finir sa phrase, il vit avec stupéfaction l’objet tranchant dessiner une croix en profondeur dans la peau ensanglantée. Ce qui l’effrayait le plus était qu’il ne distinguait aucune expression de douleur ni aucune émotion sur le visage inhumain qui le regardait fixement.
Le rouge perlait à grosses gouttes, tombant dans une lente cascade depuis le membre entaillé. Dans un mouvement rapide, l’être jeta l’arme improvisée par terre, plongea sa main intacte vers le coffre ouvert et se saisit de la pierre. Avant qu’Ibrahim ne puisse prononcer le moindre mot, l’être s’enfonça la relique dans la plaie béante au creux de sa paume. Au contact du caillou, le sang s’illumina d’une couleur vive, transformant la blessure en brasier.
Tout à coup, tel un volcan en fusion, la plaie expulsa un souffle brûlant d’une force considérable. Ibrahim se protégea les yeux alors qu’une tornade retournait sa boutique et s’échappait jusqu’à aller renverser l’étal du magasin en vis-à-vis. Malheureusement pour lui, aucun regard extérieur ne se tourna vers lui, les passants continuant leur bonhomme de chemin dans une indifférence totale, désignant pour quelques-uns la brise capricieuse comme coupable. Résigné à ne pouvoir être sauvé, Ibrahim détourna son regard des touristes pour se focaliser vers ce qui le préoccupait
Quelque chose avait changé dans l’apparence de l’être mais il ne put dire quoi de prime abord.
Jusqu’à ce qu’il ose soutenir son regard.
Ses yeux.
Ils avaient changé.
Noirs, sombres comme les ténèbres.
Et c’est alors que, dans une vision terrifiante, l’être lui fit entrevoir sa vraie nature uniquement par un sourire.
Mais un sourire tellement glacial qu’il lui donna une chair de poule et des frissons comme jamais il n’en avait eus. Un sentiment plus fort que la peur.
En une fraction de seconde, il se sentit défaillir. Ses jambes se dérobèrent sous lui comme si toute énergie avait quitté son corps. Son échoppe tournait autour de lui, son monde s’évanouissait.
Ibrahim tomba à terre aux pieds de cet être qui venait de le terrasser comme on écrase une mouche.
Tombant dans les limbes, il ferma les yeux lentement, gravant une dernière vision dans sa mémoire.
Des chevilles nues.
Chacune marquée par une cicatrice en forme de croix.
Deux chevilles crucifiées.
*
L’avion se remplissait petit à petit, chacun des passagers essayant péniblement de se frayer un chemin jusqu’à sa place. Par le hublot, l’aéroport Ben Gourion allumait ses lumières qui venaient se substituer au soleil déclinant de cette fin de journée. Tout au long de la classe économique, des sièges bleus, recouverts de tissus imprimés de mauvais goût, parsemaient l’intérieur de l’appareil. Beaucoup moins confortable qu’à l’aller mais il faudrait faire avec car c’est ici que tout commencerait.
Un couple fit alors irruption dans le compartiment. Lui, au moins quinquagénaire, cherchant par tous les moyens à effacer les signes visibles du temps. Teinture risible, peau artificiellement halée, lunettes de soleil plantées sur le sommet du crâne, pantalon blanc en toile et chemise négligemment mais intentionnellement ouverte sur un torse épilé. Son regard se promenait sans discrétion sur les passagères ainsi que sur les hôtesses.
Elle, son contraire : petite, naturellement décoiffée, un short de randonnée, une chemise froissée et des baskets usées. Sa seule préoccupation paraissait d’amener leurs bagages à bon port, se refusant à demander une seule fois l’aide de son mari dans une volonté farouche d’indépendance.
Dans un manque de confiance flagrant, la femme vérifia plusieurs fois l’emplacement indiqué sur ses billets puis entreprit une croisade perdue d’avance pour monter seule leurs affaires dans les box réservés à cet effet. Quelques sièges plus loin, son mari, assistant à la scène, s’approcha d’elle et poussa un soupir d’énervement.
-Fais un peu attention à ce que tu fais, les bagages sont remplis de bouteilles de la ferme, maugréa-t-il en posant délicatement les sacs au-dessus. Heureusement que je suis là, je ne sais pas comment tu t’en sortirais sans moi, ajouta-t-il sans se préoccuper des regards désapprobateurs.
Puis, sans un mot de plus pour sa moitié, il alla se rasseoir plusieurs rangs devant, de l’autre côté de la coursive. Lasse, elle se laissa tomber de fatigue sur son fauteuil, lâchant toute cette honte qu’elle retenait en elle et laissa couler une larme. Elle tourna machinalement la tête vers le siège voisin, son regard signifiant clairement un besoin vital de se confier.
-Désolée pour le spectacle, vous comprenez pourquoi j’ai volontairement réservé deux places très éloignées, murmura-t-elle comme une invitation à une conversation qui lui apporterait du réconfort, même auprès d’une oreille inconnue.
-Pourquoi ces excuses ? D’après la scène à laquelle je viens d’assister, vous n’êtes pas celle des deux qui doit revoir son comportement.
-Merci… même si pour vous cela parait évident, c’est toujours un plaisir à entendre. Les soutiens se font rares au sein du milieu que nous fréquentons.
-Je ne veux pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais peut-être que si vous observiez plus attentivement autour de vous, vous trouveriez quelqu’un pour vous épauler, d’une manière ou d’une autre.
Le regard de la femme changea et une lueur de reconnaissance apparut, comme si elle avait en un instant ouvert les yeux. Elle tendit la main.
-Je m’appelle Sophie, enchantée.
-De même.
Au moment où leurs doigts se rencontrèrent, pour l’être qui était il y a quelques heures dans le magasin d’Ibrahim, une certitude devint évidence : tout se déroulerait comme prévu, rien ne pourrait mettre à mal son esprit calculateur. Les hommes avaient même trouvé un nom pour son plan : le destin. Et si le hasard était bien la seule arme de Dieu, alors ce dernier avait perdu la partie.
Une onde de chaleur parcourut sa main gauche, là où la plaie déjà cicatrisée avait marqué la paume de son sceau. Seule la dernière relique manquait mais la majeure partie de ses pouvoirs était revenue. Il était désormais temps de leur montrer ce qu’était la fatalité. L’avion survolait Jérusalem à plusieurs milliers de pieds, le moment était idéal.
Sa concentration se porta un peu plus à l’est, dépassant les murs d’enceinte pour atteindre la mer Morte. Au fond de cette étendue salée, une faille sismique, qui avait donné lieu à tant de tremblements de terre bibliques et mythologiques, était bien là. Ses cicatrices rougirent puis s’empourprèrent, brûlant sa peau sans qu’une once de douleur ne l’atteigne. Sa puissance se libéra et alla écarter la fissure longue d’une dizaine de kilomètres. Plusieurs milliers d’années après Sodome et Gomorrhe, la terre trembla avant de s’ouvrir dans une puissance incommensurable. Depuis le hublot, le spectacle était parfait, livrant son jugement qui dévorait toute parcelle de vie par un choc divin. Les murs de Jérusalem s’écroulèrent et, au milieu de ce vacarme à peine perceptible à cette hauteur pour le commun des mortels, la ville sainte s’effondra, le dôme brillant disparaissant au fond des ténèbres.
-J’ai peur.
-Pardon ?
-Je suis phobique de l’avion, c’est horrible.
Les stigmates reprirent leur couleur initiale et un sourire s’afficha sur son visage.
-Focalisez-vous sur autre chose. Et si nous discutions un peu, cela vous changerait les idées.
-Pourquoi pas. De quoi pouvons-nous parler ?
-De tout et de rien. Tenez, je viens de terminer un ouvrage très intéressant et enrichissant sur le destin.
-Je ne crois pas en ce genre de choses, la fatalité, nos chemins tracés et toutes ces foutaises, désolée.
-Quel dommage….Et si nous prenions un exemple, cela vous convaincrait-il ?
-Essayons.
-Imaginez que notre rencontre ne soit pas le fruit du hasard et que ce destin farceur ait voulu que nous soyons ici côte à côte afin que nos vies changent après ce vol.
-Comment ma vie pourrait-elle changer par une simple conversation ?
-Ses voies sont impénétrables il parait. Un dialogue peut apporter tellement, qu’il soit simple discussion sans intérêt ou confidence intime.
-Vous avez raison. J’ai eu un confident il y a quelques temps, répondit-elle d’un ton nostalgique.
-Et qu’est-ce que cela vous a amené ?
-Enormément de choses.
-Positives j’espère.
-Oui, pour la plupart.
-Alors pourquoi est-ce que cet homme est sorti de votre vie ?
-C’était…compliqué. J’ai dû faire un choix à contrecœur.
-Et vous le regrettez ?
Elle réfléchit dans un long silence.
-Oui…
-Pourquoi vivre avec ces regrets ?
Elle sourit, les yeux embués de larme.
-Je ne sais pas comment ni pourquoi mais vous m’avez fait changer d’avis, le destin existe peut-être. Et j’avoue que je suis heureuse d’en découvrir une partie, même si la finalité est impénétrable comme vous le dites si bien.
Impénétrable ?
Pas pour tout le monde.
*
20 Décembre 2012 – 8h
Seule dans la chambre, Sophie examinait les valises étalées sur le lit, dégorgeant de vêtements n’attendant que d’être rangés. La nuit avait été courte et la tâche qui lui incombait n’en serait que plus longue.
Dehors, les lampadaires éclairaient de leur lumière orangée les troènes recouverts par la neige, se dandinant au gré du vent froid de décembre. Elle pouvait apercevoir au loin le ballet des voitures quittant difficilement le lotissement sur l’asphalte blanc. Bizarrement, elle n’éprouvait aucune appréhension à savoir que son mari allait prendre la route, au contraire. La passionnante rencontre qu’elle avait vécue pendant le vol du retour l’avait ragaillardie, la poussant à assumer ses choix. Et elle se l’avouait à elle-même : ce matin, elle était pressée que Philippe parte enfin au travail, qu’elle puisse renouer avec celui qui lui manquait tant. Cette fois, elle était aux manettes de son destin et elle allait consciemment faire prendre à sa vie un virage radical.
Sophie s’assit sur le lit et sortit son portable du tiroir de la table de nuit en bois vieilli. Pas encore, plus que quelques minutes. D’un pas délicat, elle s’avança sur le parquet verni et se dirigea vers la porte entrouverte. Le couloir de l’étage n’était éclairé que par une faible lueur provenant du rez-de-chaussée. Mais, contrairement à cette luminosité intimiste, une voix forte et brutale lui parvenait, réfutant toute impression de calme.
Depuis la cuisine, Philippe était déjà scotché au téléphone, sûrement en sirotant son café d’une manière qu’elle ne supportait plus, assénant en boucle une sempiternelle diatribe à un de ses soi-disant amis.
-Tu te rends compte de ce que je viens de vivre ? A quelques heures près, je ne revenais pas, répétait-il vantant son aventure qu’il estimait unique. Quand je pense au paysan dans sa ferme paumée à trente bornes de Jérusalem qui essayait de me refourguer sa viande artisanale, le pauvre il est six pieds sous terre.
Profitant de savoir son mari occupé, elle saisit discrètement son téléphone et composa un SMS laconique : Bonjour toi, comment vas-tu depuis tout ce temps?
Sophie connaissait bien son interlocuteur : elle savait que cette question banale et totalement anodine suffisait à en dire beaucoup plus. Au moment où l’accusé de réception fit vibrer son smartphone, la voix de Philippe s’interrompit. Elle retint son souffle et sursauta lorsqu’il éclata dans un rire forcé et tonitruant.
-Remarque tu as raison Gérald : au moins cela en fera toujours un qui ne viendra pas nous faire chier en France.
Elle soupira de soulagement et se détendit. Pour une fois, Sophie était ravie de l’indifférence que lui portait son mari. Au niveau inférieur, le débat se poursuivait avec un niveau intellectuel tellement élevé qu’il mettait logiquement en rapport pauvreté, immigration, Moyen-Orient et tremblement de terre. Comment avait-elle pu tomber amoureuse de cet homme ?
-J’y vais, à ce soir.
Si cette phrase ne retentissait pas à ses oreilles tous les matins à la même heure, elle aurait pu la croire destinée à un autre. Le claquement de porte résonna, précédant un silence bienfaiteur. L’estime de Philippe en était à ce point : croyant tout acquis, il ne prenait même plus la peine de la moindre marque d’affection ou de tendresse.
Sophie écarta les valises. Son couple avait changé depuis leurs débuts mais certainement pas comme elle l’avait espéré. A l’époque, elle avait craqué pour son côté macho, attisant la virilité que dégageait son physique rassurant. Attendant patiemment au fil des années que le protecteur prenne le pas sur le séducteur, elle avait assisté impuissante à son passage du côté obscur. Son ventre gonflant proportionnellement à ses prises de responsabilités au sein de la maison d’édition qui l’embauchait, Philippe ne vivait désormais que pour sa petite personne, se jugeant supérieur à n’importe qui. Le faiseur d’auteurs, voilà comment il se plaisait à se titrer avec une arrogance sans nom. Quant à Sophie, elle était devenue « la femme de », se reléguant au second plan et mettant en veille toute affirmation de personnalité, ne vivant que par son mari. Jusqu’à aujourd’hui.
A ce moment précis, une enveloppe illumina son téléphone. Elle se jeta dessus et lut à voix haute et assumée : Je vais bien merci, encore plus maintenant que tu me donnes enfin des nouvelles. Tu m’as manqué, j’espère te revoir très bientôt.
Un léger sourire empourpra son visage, mal habitué à toute marque d’affection. Elle sentit une excitation monter en elle alors qu’un jeu interdit se mettait en place. Des frissons parcouraient son corps, suivant les gestes tendres que son imagination lui faisait miroiter.
-Et moi j’espère autre chose, avoua-t-elle en pianotant sur son clavier tactile : De même, j’ai à me faire pardonner mon silence à tes nombreux messages. Comment m’excuser ?
L’hameçon était lancé et le poisson ferré, il se jetterait sur l’appât à coup sûr. En attendant la réponse, elle posa l’appareil et se dirigea vers la salle de bains. Après avoir ôté sa nuisette, elle se glissa sous la douche. L’eau chaude détendit instantanément ses muscles et le gel lavant l’embauma de son parfum féminin. Puis elle enfila son peignoir et s’apprêta à redevenir femme : cheveux lissés, maquillage rose discret sur les paupières, rouge écarlate sur les lèvres et nuque parfumée, Sophie piocha dans son armoire la tenue qu’elle avait déjà choisie depuis plusieurs minutes.
La lingerie serait sobre mais terriblement efficace : blanche surmontée d’un liséré de dentelle noire, seul le push-up apporterait un artifice dans cette simplicité. Pas de string, le tanga mettrait ses formes en valeur de façon beaucoup moins vulgaire. Elle connaissait ses atouts et surtout savait ce qui le mettrait en émoi, facilitant considérablement le choix. Elle déplia le minishort noir qui bomberait ses fesses généreuses et accentuerait sa cambrure, décrocha un chemisier blanc qu’elle laisserait négligemment entrouvert.
Le vibreur déclencha un frisson d’adrénaline qui parcourut son corps. J’ai une petite idée, je pourrais te la murmurer. Je suis disponible dès que tu l’es.
Trop simple. Elle ne pouvait plus attendre, le péché avait déjà envahi son esprit, occupant toutes ses pensées. Dans 1h à l’endroit habituel. A prendre ou à laisser.
Sophie enfila une paire de collants opaques, s’habilla, se rehaussa sur ses bottes et admira son reflet dans le miroir. A partir de maintenant, elle ne penserait qu’à elle et, dans le cas présent, qu’à son plaisir. La mère au foyer quitta la maison en femme étincelante que le moindre souffle suffirait à embraser.
*
Je prends, à tout de suite.
Assis à la table haute qui séparait la minuscule kitchenette du salon, Florent reposa son Blackberry à côté du mug de café dès le message envoyé.
-Ça c’est une bonne semaine, se murmura-t-il en souriant d’autosatisfaction.
Il n’avait aucun scrupule à jouer ainsi, faisant avaler de faux sentiments à cette mère au foyer crédule. Avec un physique comme le sien, les femmes buvaient ses paroles, espérant avoir trouvé le véritable prince charmant. Affichant une sensibilité romantique, il ne cherchait en réalité qu’à assouvir sa libido débordante, la rassasiant de partenaires aussi différentes qu’excitantes.
Florent actionna l’interrupteur des volets roulants et se dirigea vers la large baie vitrée. Du haut de sa tour de grand standing, la Bastille enneigée se dévoilait à son regard, la poudre blanche couvrant le sommet de la colonne de Juillet. Se postant à côté de l’écran plat, il estima l’état des chaussées, évaluant par là même le retard que le temps lui occasionnerait.
Le rendez-vous était à dix minutes de son appartement, il avait largement le temps de chambouler son organisation. Meilleur vendeur de l’agence immobilière dans laquelle il travaillait, il pouvait se permettre toute fantaisie avec ses horaires, à la grande jalousie de ses collègues. Peu importe, ils n’étaient que des vendeurs à la sauvette, que des faire-valoir de son bagout qui lui valait des commissions mensuelles plus que conséquentes.
Soudain, il perçut un léger bruit provenant de la chambre.
-Merde, je l’avais oubliée, pesta-t-il.
Et pourtant, la rencontre qu’il avait faite hier en début de soirée était tellement incroyable qu’il en était presque venu à croire au destin. L’espace de quelques secondes en tout cas. Florent sortait d’une très belle vente, ayant arnaqué un couple simplet en leur refourguant une ruine proche de l’aéroport Paris-Charles de Gaulle. La journée avait été banale, rien à signaler qui ne sortait de son quotidien, et il détestait ça. Rien n’était plus déprimant que la routine. Mais il n’était pas du genre à attendre que la roue tourne, il allait la provoquer, la forcer à lui donner une soirée digne de lui. Le seul bar à plusieurs kilomètres à la ronde se trouvait au sein de l’aéroport. Une dizaine de minutes plus tard, il s’installait au comptoir.
-Un double scotch, s’il vous plaît.
Et il attendit sa destinée, tout simplement.
C’est alors qu’une odeur vint perturber ses sens, un parfum de Thierry Mugler qu’il aimait par-dessus tous les autres, une fragrance devenue trop commune au regard des sensations qu’elle éveillait en lui. Il tourna la tête et l’aperçut : jeune, aussi grande que lui, mince, une longue chevelure noire raidie sur une peau d’ébène. Son jean épousait des jambes interminables, des seins ronds se devinaient sous un tissu fin et sa bouche pulpeuse le faisait déjà fantasmer. La chance sourit aux audacieux.
Pourtant, quelque chose clochait. La déesse semblait fatiguée, ses yeux rougis dégageaient une impression de lassitude.
-Bonjour, vous allez bien ? lui avait-t-il demandé avant même qu’elle n’ait pu s’asseoir.
Elle l’avait dévisagé longuement puis, après un sourire furtif, s’était gracieusement posée à ses côtés.
-Non, mais je suppose que mon histoire ne vous intéresse pas.
-Vous vous trompez, en plus j’ai la réputation d’être un excellent confident, mentit le beau parleur.
Se sentant en confiance avec ce bel inconnu, elle avait alors déballé toute sa vie, sachant pertinemment au fond d’elle qu’ils ne se reverraient jamais. Tel un journal intime servant de défouloir, cette oreille attentive ne la trahirait pas.
La belle plongea dans ses souvenirs pour évoquer son enfance au Kenya puis son installation en France alors qu’elle n’était qu’adolescente. Le dépaysement et les anecdotes croustillantes furent remplacés par le drame, sans aucun doute provoqué par un déracinement dont on ne se remet pas. Des parents qui divorcent dans la douleur, son père les abandonnant pour retourner vivre au pays. Elle, jeune adulte, trimant dans des petits boulots ingrats pour aider sa mère urgentiste. Et en secret, son projet fou qui avait enfin abouti : retrouver ce père déserteur.
-…et c’est ainsi que je me suis retrouvée il y a quelques jours dans un village presque primitif à plusieurs centaines de kilomètres de Nairobi, conclut-elle d’une voix étranglée.
L’histoire s’était arrêtée là, elle n’avait pas pu continuer et il ne lui en voulait pas. Au contraire il en avait eu bien assez. Cela avait suffi à calmer ses rêves de femme idéale, il n’était ni psychiatre ni assistante sociale. Mais il avait au moins réussi à faire bonne figure jusqu’à la fin de cet interminable récit.
C’était maintenant à son tour, le moment était propice pour que Florent déploie tout son savoir-faire. Il avait alors déroulé la panoplie de séduction qu’il était rodé à utiliser, de la compassion à l’effleurement en passant par le sourire ravageur. Pour un résultat à la hauteur de ses espérances car, ce matin, elle était là, dans son lit, encore transpirante des efforts de la nuit.
-Hadiya, lève-toi, ordonna-t-il d’un ton totalement différent de celui qu’il avait employé encore quelques heures auparavant.
Les draps se froissèrent dans un soupir. Immédiatement, Florent se ravisa, tentant le pari risqué de ne pas passer pour un salaud.
-Excuse-moi mais j’ai une urgence au boulot, tu vas devoir te dépêcher…
-Pas la peine de te justifier, j’ai compris, lui répondit-elle avec une force qu’il ne soupçonnait pas. Quand tu sortiras de la douche, je ne serai plus là.
-Ne le prends pas comme ça, j’ai des impératifs. Ce n’est en aucun cas une façon de me débarrasser de toi. Cette nuit était magique, pour ma part.
-Je ne suis pas aussi naïve que toutes celles que tu mets dans ton lit Florent, cela ne sert à rien d’essayer de me ménager.
Il resta abasourdi par le franc-parler d’Hadiya, ne trouvant aucune répartie à cette vérité. Sans un mot, il s’enferma battu dans la salle de bains attenante. Tendant l’oreille, il put percevoir des pleurs de l’autre côté. Puis le claquement des talons sur le parquet s’éloignant pour atteindre le salon.
Et si, pour la première fois, il avait commis une erreur ? L’eau ruisselant sur ses muscles, il prit le temps de l’introspection. Jamais une de ses conquêtes ne s’était opposée à lui, peut-être cela valait le coup d’essayer de la retenir ?
Sans attendre un instant, il sortit de la cabine, s’habilla en hâte et ouvrit la porte donnant sur le séjour. Malheureusement, elle avait tenu parole. L’appartement était vide, même son odeur si enivrante semblait s’être évanouie avec elle.
Après tout, tant pis pour elle. La fatigue avait dû déclencher chez lui un moment de faiblesse, l’amenant vers des remords qu’il n’éprouvait jamais. En vérifiant son téléphone, il constata un numéro appelé qu’il ne connaissait pas. Il le sauvegarda dans ses contacts, on ne sait jamais ce que l’avenir réserve. Devant le long miroir qui trônait dans l’entrée, il s’admira et reprit confiance. En l’espace de douze heures, il avait profité d’une mannequin ébène au corps sculptural et allait maintenant baiser une mère de famille aux formes généreuses.
-Belle semaine, confirma-t-il en sentant déjà son entrejambe durcir.
Il se saisit des clés de sa Giulietta et laissa le logement à son image : vide.
*
En raccrochant, Gladys se sentit défaillir et dût s’asseoir. Le mélange d’émotions fortes et d’épuisement physique faisait son effet. Elle oscillait entre soulagement et colère, joie et appréhension.
Des jours qu’elle attendait ce coup de fil, qu’elle ne vivait ni ne dormait, espérant heures après heures des nouvelles de sa fille fugueuse. Déjà affectée par son propre divorce, elle avait sombré dans la dépression à l’instant où Hadiya lui avait annoncé son intention de retrouver son père. Pourquoi s’entêter à renouer des liens avec ce lâche ? Abandonnant sa famille en France, découragé par les difficultés financières, il avait préféré retrouver son village kenyan et sa pauvreté solidaire. Il ne méritait en aucun cas de serrer leur fille entre ses bras, ce droit devrait être refusé aux déserteurs. Mais le caractère trempé d’Hadiya avait eu raison de Gladys et elle avait baissé les bras, la laissant entreprendre ce voyage vers ses origines, sans aucun contact avec sa mère pendant ce temps.
Puis ce matin, enfin, la sonnerie avait retentit : les excuses de sa fille semblaient sincères, elle avait promis de tout expliquer à sa mère, quand elle le voulait.
-J’arrive, avait immédiatement annoncé Gladys.
Même à son âge, elle gardait cette pudeur des sentiments. L’autorité ne permet pas de laisser transparaitre ses émotions. Elle reprit le téléphone et composa le numéro de l’hôpital Saint-Antoine. Malgré l’habitude, l’attente lui semblait insupportable aujourd’hui. Lorsqu’une voix familière décrocha, elle laissa à peine le temps à son interlocutrice de se présenter.
-Chantal, c’est Gladys. Tu vas devoir me trouver une remplaçante pour ce matin, j’ai une urgence familiale. Vraiment désolée.
-Bonjour quand même, ironisa sa responsable.
-Excuse-moi, je suis un peu…enfin…pas dans mon état normal, je te raconterai.
-Je vois bien…Mais que veux-tu que je te dise ? Que tu ne peux pas me planter une demi-heure avant le début de ton service ? Tu es à une semaine de la retraite, profite de ta semi-liberté pour ne pas avoir à me rendre des comptes. Je me débrouillerai.
-Merci, je te tiendrai au courant.
-Si je ne te réponds pas, c’est que j’ai été tuée de sang-froid par celle qui va devoir te remplacer au pied levé. Bon courage, à la prochaine.
Bizarrement et contrairement à son tempérament habituel, Gladys n’éprouvait aucun remords, pour aucune de ses collègues. Elle enfila son manteau et se précipita vers ce qui lui importait le plus : retrouver sa fille et s’assurer qu’elle allait bien.
*
Lorsque la sonnerie de son portable retentit, Aya se réveilla en sursaut. Elle ne savait plus où elle était, tiraillée entre le rêve dont elle ne parvenait pas à s’extirper et cette réalité qui l’appelait de manière insistante. Elle reprit ses esprits et décrocha sans faire attention au numéro affiché.
-Allô ? articula-t-elle en tentant vainement de masquer sa voix endormie.
-Désolée de te réveiller ma belle mais je suis dans la merde. Et malheureusement pour toi tu es la seule qui ait pris la peine de décrocher jusqu’à présent.
-Salut Chantal. Crois-moi, je regrette déjà de t’avoir répondu. J’ai combien de temps pour arriver?
-Tu devrais être là depuis dix minutes, Gladys m’a fait faux bond. Mais dans ma grande bonté, je te laisse une demi-heure.
-Trop aimable…A tout de suite.
Aya raccrocha et soupira de résignation. Elle connaissait les contraintes du métier d’urgentiste, son planning était constamment bouleversé. En l’occurrence, avec un tel réveil, la journée ne commençait pas sous les meilleurs auspices. Elle ne perdit pas de temps et fonça vers la salle de bains : elle devait être prête à partir dans quinze minutes maximum.
Tout en se savonnant avec toute l’énergie dont elle était capable, elle s’accorda un instant de réflexion. Rêver de son ex est toujours troublant, cela induit systématiquement des questionnements qui n’existent pas dans les autres songes. Est-ce que mon subconscient me conseille de le revoir ? Avons-nous fait une erreur en nous séparant ? Sommes-nous finalement faits l’un pour l’autre ?
Bien évidemment, aucune réponse ne lui parvint. Leur histoire avait été courte mais tellement forte en émotions qu’elle y pensait régulièrement, même plusieurs années après. On n’oublie jamais ni son premier amour ni sa première fois, et dans son cas elle avait découvert les deux avec le même homme. Depuis leur séparation, elle vivait une vie sans attaches : boulot, sorties, conquêtes d’un soir voire d’une semaine si elle avait de la chance. Elle ne se calmerait que lorsqu’elle trouverait un mec comme lui, qui lui ferait ressentir les mêmes choses émotionnellement et sexuellement.
Autant dire que son célibat avait encore de beaux jours devant lui.
Elle émergea de ses pensées et sortit de la douche. La pièce était désormais envahie de vapeur, Aya ouvrit la porte à tâtons et la buée se dispersa. Sur le miroir rectangle surmontant le lavabo, son visage fatigué apparut progressivement. Le carré plongeant de ses cheveux noirs, déstructuré par l’eau ruisselante, tombait sur ses yeux verts en amande et formait des larmes factices sur son visage allongé. Elle finit de se sécher et s’habilla en quatrième vitesse : des sous-vêtements confortables et par conséquent tue-l’amour, un jean délavé la serrant légèrement, souvenir de ses années de lycée, et un débardeur simple caché par un épais col roulé.
En hydratant ses lèvres épaisses avec un baume, Aya se força à accélérer le mouvement, elle était déjà en retard de plusieurs minutes. Elle se dirigea vers le téléphone presque oublié sur la table de nuit mais, dans la précipitation, se cogna le pied contre le coin droit du lit, évitant in-extrémis une chute malencontreuse en se rattrapant au seul objet à sa disposition : son radioréveil.
Sans le vouloir, ses doigts venaient d’appuyer simultanément sur plusieurs boutons de la surface de l’appareil. Ce dernier se mit à la recherche de stations de radio et s’arrêta sur la première qu’il trouva, très loin de la musique électronique habituelle. La voix empreinte de tristesse de Bono entamait le mythique With or without you qui emballa le cœur d’Aya en un instant.
Pas cette chanson.
Leur chanson.
C’en était trop : elle s’assit sur le parquet foncé et laissa les pleurs la libérer.
-Tu me manques Léo, avoua-t-elle dans un murmure sanglotant. |