Cuchulainn, après des jours de marche, atteignit enfin son objectif : la Forêt de Vestigion. Il venait d'un petit village, situé au sud de Sinnoh, et n'avait pas eu peur d'effectuer un tel voyage, en dépit des atrocités qui étaient chaque jour commises sur le sol de la région. Depuis qu'il avait eu vent des exploits de la guerrière dénommée Scathach, il s'était destiné à rejoindre son commandement.
Il était jeune, âgé de dix-neuf ans à peine. Il ne possédait ni titre, ni noblesse. Il s'agissait d'un simple paysan qui travaillait depuis son enfance aux côtés de ses parents, afin d'assurer la subsistance de la famille. À maintes reprises, les pokémon avaient détruit les récoltes, les réduisant à la famine et à la mendicité. Il les haïssait pour cela.
Si ces années de labeur ne lui avait pas permis d'acquérir une éducation distinguée, elles lui avaient en revanche offert une solide musculature et une endurance irréprochable. Cuchulainn était dur au mal et savait mettre de l'ardeur à la tâche. Peu de gens auraient pu se vanter de posséder de telles qualités.
Sa seule arme était un bâton, qu'il avait lui-même taillé dans le bois d'un vieil arbre qui s'était effondré après avoir été frappé par la foudre. Il était aussi robuste que son possesseur, capable de fracasser le crâne d'un pokémon si l'un d'entre eux osait le braver.
Il s'était entraîné pendant des mois au combat, au point d'être totalement rompu à cet art. Il voulait impressionner Scathach par ses capacités lorsqu'il se présenterait devant elle, car il avait entendu dire qu'elle ne prenait avec elle que les meilleurs. Il escomptait faire partie de ceux-là.
Il connaissait son histoire, ainsi que le sort funeste qui avait frappé ses compagnons d'infortune. Cela ne l'effrayait pas pour autant. Il voyait régulièrement des familles humaines être massacrées par des hordes de pokémon sauvages. Il préférait encore risquer sa vie, voire mourir à la guerre, plutôt que de laisser ces créatures perpétrer de telles atrocités.
Lorsque la Forêt de Vestigion fut en vue, il ralentit son allure. S'il était pressé de rallier le camp de la guerrière, il ne devait pas laisser son impatience se muer en témérité. Il savait que de nombreux ennemis vivaient sur ce territoire. La moindre erreur d'inattention pourrait lui être fatale. Dès qu'il aurait franchi l'orée du bois dense, il lui faudrait rester constamment sur ses gardes.
Il prit une profonde inspiration et avança. Les arbres, au-dessus de la tête, formèrent rapidement une voûte si épaisse qu'elle plongeait pratiquement les lieux dans les ténèbres. Il songea un instant à faire un feu et à embraser la torche qu'il transportait dans son paquetage, néanmoins il craignait que la lumière n'attire les pokémon.
Ces derniers, dans un environnement comme celui-ci, auraient sans aucun doute l'avantage sur lui. Il avait beau ne pas les redouter, il n'était pas fou pour autant. Il n'avait pas parcouru tout ce chemin pour se faire tuer par un Rhinastoc ou un Carchacrok avant d'avoir rencontré la grande Scathach.
Il s'enfonça courageusement dans les entrailles de la forêt, là où quantités d'hommes auraient fait demi-tour. Pas lui. Il continua d'avancer, sans laisser les bruits menaçants ou l'obscurité le dissuader de poursuivre son chemin. La peur était incompatible avec sa détermination.
Cet endroit était un véritable labyrinthe. Chaque tronc, chaque buisson se ressemblaient. Il aurait tout aussi bien pu tourner en rond qu'il ne s'en serait même pas aperçu. Dans un élan d'ingéniosité, il sortit un couteau élimé de sa poche et décida de tailler une encoche dans les arbres qu'il croisait. Il saurait rapidement s'il traçait sa route ou s'il revenait continuellement sur ses pas.
Il errait depuis plus d'une bonne heure quand il entendit un rugissement féroce. Il eut tout juste le temps d'empoigner son bâton à deux mains qu'un Luxray, l'un de ces félins quadrupèdes au pelage bleu, surgit de derrière un fourré. Il bondit dans les airs, prêt à refermer ses crocs foudroyants sur lui.
Sa mâchoire n'atteignit pas Cuchulainn, mais son morceau de bois, qui empêcha l'attaque de se propager dans le reste de son corps. Surpris par cette défense inattendue, le pokémon ne réagit pas immédiatement. Cela laissa le temps à son adversaire de le repousser d'un puissant coup d'épaule.
Le Luxray feula, furieux. Déjà, il pliait ses pattes dans le but de sauter sur l'humain. Ce dernier se jeta sur le côté pour l'éviter, mais il ne fut hélas pas assez rapide. Sa griffe lui entailla le bras, déchirant la manche de sa chemise au passage. Le tissu ne tarda pas à prendre une teinte rougeâtre au contact du sang qui s'échappait de la plaie.
Cuchulainn jeta un rapide coup d'oeil à sa blessure, puis ramena son attention sur le combat. Les rumeurs disaient vrais : les pokémon qui persécutaient le village de Vestigion et ses alentours étaient beaucoup plus féroces que ceux qu'il avait rencontrés jusqu'alors. Ce n'était cependant pas cette créature qui allait l'impressionner.
Le Luxray essaya de ruser pour l'atteindre à nouveau, cependant son ennemi demeura aux aguets. Grâce à cela, il put anticiper son assaut d'une fraction de seconde, juste assez pour se décaler et empaler le félin au niveau du flanc, sur l'extrémité pointue de son arme.
Des éclaboussures écarlates jaillirent de son corps, aspergeant le visage de l'homme, ainsi que ces vêtements. Il était plutôt satisfait de cela : ces marques lui serviraient à prouver sa valeur lorsqu'il se tiendrait devant Scathach.
D'un coup de pied, il repoussa le corps encore agité de soubresauts du pokémon et essuya son bâton dans l'herbe. Il venait de remporter son premier combat dans la Forêt de Vestigion. Bien qu'il tente de conserver un tempérament modeste, il ne pouvait s'empêcher d'en éprouver une once de fierté.
Alors qu'il se redressait, il l'aperçut pour la première fois. Au début, il ne distingua qu'une ombre, partiellement dissimulée par le large tronc d'un chêne. Il leva son arme, persuadé qu'il s'agissait d'une autre créature hostile. Il attendit sans bouger, la respiration saccadée, qu'elle se rue sur lui. Au lieu de cela, néanmoins, elle ne bougea pas.
Il plissa les yeux et fit un pas prudent vers l'avant. C'était peut-être un piège. En se rapprochant, cependant, il se rendit rapidement compte qu'il s'était trompé. Ce qu'il observait n'était pas un pokémon, contrairement à ce qu'il avait d'abord songé. C'était une jeune femme.
Malgré la pénombre, il finit par apercevoir ses cheveux, si noirs qu'ils semblaient posséder des reflets bleutés. Ses yeux étaient tout aussi sombres, et ils contrastaient avec la pâleur mortuaire de sa peau. Par-dessus son corps décharné, elle portait une longue robe ténébreuse, déchirée par endroits.
- Bonjour, la salua Cuchulainn en ponctuant sa salutation d'un mouvement de la tête. Je...
Il n'eut pas le temps d'achever sa phrase que l'autre s'enfuyait déjà en courant. En dépit de la douceur qu'il s'était efforcée de donner à sa voix, son apparence bourrue et sa musculature saillante avaient apparemment suffi à l'effrayer. Complètement paniquée, elle avait déjà parcouru plusieurs dizaines de mètres quand il prit la décision de se lancer à sa poursuite.
Il ignorait où il pourrait trouver le camp de Scathach, or cette sauvageonne paraissait être une habitante de la forêt. S'il arrivait à la mettre suffisamment en confiance, peut-être parviendrait-il à obtenir d'elle son emplacement.
La jeune femme n'était pas aussi endurante que lui. Elle s'essouffla rapidement, malgré l'ardeur qu'elle mettait à le fuir. Il ne fallut que quelques minutes à Cuchulainn pour la rattraper. Dès qu'il fut dans son sillage immédiat, il l'attrapa par le bras pour l'immobiliser. En tentant d'échapper à son emprise, elle perdit l'équilibre et tomba à ses pieds.
Elle essaya de reculer à quatre pattes sur le sol, mais son être tremblait tellement qu'elle en fut incapable. Ses muscles refusaient visiblement de lui obéir, sans doute à cause de la peur qui était la sienne. Cuchulainn s'empressa de la rassurer :
- Allons, je ne te veux aucun mal. J'aimerais seulement que tu me fournisses quelques renseignements. Sais-tu parler ?
Il lui était déjà arrivé de croiser des vagabonds ou des ermites qui, à force de mener une vie solitaire, avaient perdu l'usage de la parole. La jeune femme, sans se départir de son expression craintive, acquiesça timidement. Afin de gagner sa confiance, il commença par lui demander son prénom.
- Je m'appelle Morrigan... murmura-t-elle doucement. - Morrigan ? Moi, c'est Cuchulainn. Je viens du sud de Sinnoh. J'ai voyagé des jours durant pour atteindre ce territoire.
Il lui tendit la main de façon à l'aider à se relever. Ses doigts, lorsqu'elle les posa dans sa paume large et calleuse, parurent terriblement fragiles. Ils étaient plus fins encore que des brindilles. Son interlocutrice, quoique désormais debout, continuait à faire son possible pour ne pas le regarder dans les yeux.
- Je suis venu rejoindre le camp de Scathach, la guerrière. Pourrais-tu m'indiquer où je suis en mesure de le trouver ? - Il se situe par-delà le bois. Personne n'ose demeurer dans la forêt, à cause des attaques incessantes des pokémon. Les hommes se sont confinés dans le village, les soldats sur la côte. Pour les rejoindre, il te faudra traverser toute cette terre, en marchant vers l'ouest. C'est là-bas que tu les rencontreras. - Je te remercie. Dis-moi... S'il est si dangereux que cela de s'attarder en ce lieu, que fais-tu ici, sans arme et sans défense ? - Je...
Elle poussa un petit gémissement de douleur. En chutant, elle s'était blessée à la main, en s'empalant sur une pierre pointue. Elle porta aussitôt sa plaie à ses lèvres, afin d'aspirer le sang qui s'en échappait. Lorsqu'elle l'en recula, sa bouche était devenue écarlate.
- Montre-moi, proposa Cuchulainn.
Elle hésita, mais consentit à le laisser examiner la lésion dont elle souffrait. Il l'observa un court instant. Elle était propre et peu profonde. Elle ne mettrait pas longtemps à cicatriser. Par sécurité, toutefois, il déchira tout de même un pan de sa chemise, que le Luxray avait déjà malmenée, afin de constituer un bandage de fortune autour de sa blessure.
- Pourquoi fais-tu cela pour moi ? interrogea-t-elle. - Je me sens coupable. Si je ne t'avais pas effrayée, tu n'aurais pas tenté de s'enfuir. C'est en quelque sorte ma faute. - Merci...
Elle le regarda longuement, tandis qu'il serrait délicatement la laize autour de sa paume avant de nouer ensemble ses deux extrémités. Les iris profonds de la jeune femme ne quittait pas son visage carré, qu'une barbe de plusieurs jours recouvrait au niveau du menton. Elle contempla son teint halé, de même que la noirceur de ses cheveux, comme si elle voyait un homme pour la première fois.
- Voilà, indiqua-t-il dès qu'il eut terminé. C'est moi qui te remercie, Morrigan. Tes informations vont m'être très utiles. Si je ne t'avais pas rencontrée, je me serais sûrement égaré dans ces bois. - Tu es trop bon. Je ne... - Encore toi !
Cette voix qui venait de s'écrier les fit sursauter. Cuchulainn lâcha par réflexe la main de la jeune femme pour reprendre son bâton, qu'il avait planté dans le sol le temps de la soigner. Craintive, son interlocutrice se recroquevilla sur elle-même, tandis qu'il se retournait.
Une demoiselle à la chevelure d'un roux volcanique se tenait entre deux arbres. Elle possédait un teint diaphane, pigmenté par quelques taches de rousseur de part et d'autre de son nez retroussé. Ses lèvres étaient écarlates, ses yeux vert feuillage. Elle était vêtue d'un plastron en cuir qu'elle portait par-dessus une chemise blanche, ainsi que d'un pantalon d'homme, qui disparaissait en grande partie sous des cuissardes noires.
Grâce à l'épée qu'elle conservait dans un fourreau noué autour de sa taille et l'autre, attachée dans son dos, Cuchulainn l'identifia sitôt que ses prunelles se posèrent sur elle. Immédiatement, il mit un genou à terre en prenant appui sur son arme et inclina son visage vers le bas en signe de respect. Il peinait à croire qu'il se trouvait face à la célèbre Scathach.
- Je t'avais dit que je ne voulais jamais plus te revoir dans ma forêt !
Elle grondait férocement et ses traits délicats étaient défigurés par la colère qui émanait d'elle. Contrairement à Morrigan, terrifiée et réduite au mutisme à cause de la peur qu'elle lui inspirait, la guerrière respirait l'assurance et la confiance en elle. Elle fixait d'un oeil mauvais celle à qui elle s'adressait.
- Disparais ! Tout de suite ! Et estime-toi heureuse que je ne sois pas lasse de te donner cet ordre. Un seul mot de ma part suffirait à convaincre mes hommes de s'assurer que ton chemin ne vienne plus jamais à croiser le mien.
Morrigan ne se fit pas répéter les menaces qu'elle venait de proférer à son encontre. Elle retroussa rapidement la guenille qui lui servait de jupon et s'enfuit en courant, plus vite qu'elle ne l'avait fait en apercevant Cuchulainn. Il eut juste le temps de constater qu'elle ne possédait pas de souliers, sous sa robe, avant qu'elle ne soit hors de vue.
- Et toi ? aboya soudain Scathach à son intention. Qui es-tu ? Je ne t'ai jamais vu jusqu'à présent. - Je viens de loin, ma dame. Du sud de Sinnoh, pour être précis. Le village dans lequel j'ai grandi se nomme Littorella, mais il est si petit que je doute que vous ayez jamais entendu prononcer son nom. Quant à moi, je m'appelle Cuchulainn. - Quel dessein t'a mené dans ma forêt ? Réponds ! - Je voulais me présenter à vous. Vos exploits ont été portés jusque chez nous par le chant des bardes et j'ai cru comprendre que vous acceptiez à vos côtés les hommes de valeur. J'ai alors songé que, si je m'en montrais digne, vous me prendriez sous votre commandement.
Les lèvres rouges de Scathach s'étirèrent en ce qui devait être vraisemblablement un sourire, mais qui s'apparentait davantage à un rictus menaçant. Elle fit un pas vers lui. Sa démarche était souple et gracieuse, presque féline. Une certaine majesté se dégageait d'elle.
D'un geste habile, elle tira l'une de ses épées et plaça son extrémité sous la gorge de Cuchulainn. Malgré sa surprise, entremêlée à une légère appréhension, il s'efforça de conserver un visage neutre. Il s'agissait peut-être d'un test pour évaluer sa bravoure, auquel cas il n'avait pas le droit d'échouer.
- Tu as l'apparence d'un guerrier, mais tu n'en es pas un. Est-ce que je me trompe ? - Non, ma dame. Je suis un humble paysan.
Scathach éloigna la lame de son cou et, avec son plat, souleva le bras blessé du jeune homme, toujours accroupi devant elle. Elle l'examina un court instant. La plaie infligée par le Luxray saignait encore abondamment.
- Et la créature ? interrogea-t-elle simplement. - Morte. Je l'ai tuée. - Prendre une vie ne t'effraye pas... C'est déjà un bon début. Tu as l'air d'avoir une carrure solide et de ne pas prendre peur à la moindre égratignure. Hum... J'avoue que je suis impressionnée.
Si Cuchulainn n'avait pas lutté contre les muscles de son visage, celui-ci se serait sans doute fendu d'un large sourire plein d'espoir. Il se retint car il craignait qu'une telle attitude ne paraisse prétentieuse ou insolente aux yeux de la guerrière. Il préféra demander, la voix vibrante de respect :
- Impressionnée, ma dame ? - Rares sont les hommes qui survivent à leur premier affrontement avec l'un des pokémon qui terrorisent Vestigion et ses environs, encore moins si l'individu en question est sous-entraîné. Toi, l'humble paysan, tu y es pourtant parvenu. C'est prometteur. - Le pensez-vous vraiment, ma dame ? - Je n'ai pas pour habitude de mentir, et encore moins de faire des éloges. Tu peux t'estimer flatté. Relève-toi, à présent.
Le jeune homme s'empressa d'obéir. Il prit appui sur sa hampe et se redressa. Il constata, une fois droit sur ses jambes, que Scathach n'était pas aussi grande qu'elle le lui avait semblé au premier abord. En effet, il devait la dépasser de quinze bons centimètres. Il se doutait cependant que sa taille, ainsi que la finesse de son corps, n'étaient que des leurres qui masquaient sa véritable force.
- Je m'attendais à trouver un cadavre en venant ici. Au lieu de cela, je me retrouve face à un individu digne de rejoindre mon armée. Sois le bienvenu parmi mes élèves, Cuchulainn. - C'est trop d'honneurs, ma dame. - Pas de "ma dame". À partir de maintenant, tu devras me nommer maîtresse, ou Scathach, à l'instar de tous les autres. Laisse-moi t'avertir d'une chose, cependant. Tu n'es qu'à l'essai. Tout au long de ta vie, tu ne cesseras jamais de l'être. Si tu meurs ou si tu me déçois, je te considèrerai comme indigne de mon enseignement. Est-ce clair ? - Limpide. Puis-je avoir l'audace de... - De quoi ? interrogea-t-elle d'un ton sec. - J'ai quelques questions à vous soumettre, si cela vous sied. - Mon camp est installé sur le rivage. Rejoignons-le, afin que je t'intègre à mes hommes. Tu pourras me demander tout ce que tu désires savoir en chemin.
Elle tourna les talons avec sa grâce naturel et Cuchulainn, dont la démarche était beaucoup plus grossière que la sienne, lui emboîta le pas. Il attendit qu'ils aient parcouru plusieurs mètres, entre les troncs moussus des arbres et les buissons épineux, pour reprendre la parole.
- Vous avez dit il y a un instant que vous vous attendiez à trouver un cadavre... Comment saviez-vous que j'affrontais un pokémon sauvage pour en arriver à une telle déduction ? - Tu apprendras qu'il existe des signes, dans cette forêt, auxquels nous pouvons toujours nous fier. As-tu déjà vu des Cornèbre ? - Ces oiseaux noirs qui poussent de grands cris désagréables ? Cela m'est déjà arrivé à quelques reprises, oui. - Ils sont légions, ici. Au village, une rumeur court à leur sujet, prétendant qu'il s'agit de créatures de mauvais augure. Je ne puis donner tort à ceux qui l'ont affirmé. Ce sont des charognards, ce qui signifie que les Cornèbre prélèvent leur nourriture sur des cadavres. Dès qu'un combat éclate entre un pokémon et un humain, ils s'envolent pour se rapprocher du lieu où se déroule l'affrontement, en attendant de se repaître des entrailles du perdant. - Vous avez deviné ma présence parce qu'ils se sont mis à voler... Astucieux. - N'est-ce pas ? C'est également un moyen très pratique pour savoir si l'un des nôtres est menacé. Ainsi, nous pouvons nous hâter de lui prêter main forte. - Et cette jeune femme, que vous avez chassée... Pourquoi tant de cruauté ?
Les traits de Scathach se crispèrent et sa respiration se fit plus forte, l'espace d'une seconde, avant que son corps ne redevienne normal. Elle semblait éprouver une haine farouche à l'égard de celle qu'il venait de citer et, pendant un instant, il songea qu'elle allait refuser de lui répondre.
- Morrigan... murmura-t-elle. La sorcière. - Une sorcière ? D'où je viens, nous avons l'habitude de les occire. Elles sont une menace pour le reste de l'humanité, au même titre que les pokémon. Je ne veux remettre en doute votre parole, maîtresse, cependant cette demoiselle ne m'a pas paru très dangereuse. - Elle est spéciale. Si elle est encore en vie, c'est parce que personne n'a pu prouver avec certitude qu'elle pratiquait les arts occultes. Nul ne l'a jamais surprise en train de manipuler ni magie noire, ni magie blanche. - Pourquoi la haïssez-vous, dans ce cas ? Elle semble vous craindre davantage que l'inverse n'est vrai. - Nous l'avons vue à l'oeuvre, à plusieurs reprises. Elle possède vraisemblablement un don particulier qui est lié aux pokémon. Elle est capable de les attirer vers elle, ainsi que de se faire comprendre d'eux, autrement dit de fraterniser. Puisqu'ils sont nos ennemis, elle doit par conséquent être également considérée comme telle. Mes principes m'interdisent cependant de prendre une vie humaine, quelle qu'elle soit. Quant aux villageois, qui n'hésitent d'ordinaire jamais à brûler quiconque est soupçonné de sorcellerie, ils ont bien trop peur de s'en prendre à elle. Ils craignent qu'elle ne déchaîne plus encore les créatures de la forêt.
***
Morrigan courait toujours. Elle savait qu'elle était à présent loin de Scathach, mais elle refusait de s'arrêter. Ses jambes, toutefois, ne la porteraient plus longtemps. Elles étaient si squelettiques qu'elles soutenaient à peine son poids. Elle parcourut encore une dizaine de mètres avant de s'effondrer, à bout de force.
Elle s'écroula face contre terre, le nez dans l'herbe humide. De la boue macula son visage tandis qu'elle se mettait à pleurer doucement, puisant dans ses dernières ressources énergétiques pour y parvenir.
Elle méprisait son existence, ainsi que ce qu'elle était au plus profond d'elle-même. Elle avait peur de ses propres capacités et se détestait à cause de cela. Elle n'éprouvait que de la rancoeur à l'égard des pokémon. Comment pouvait-elle parvenir à communiquer avec des créatures abjectes qu'elle haïssait tant ?
Lorsqu'elle était petite fille, Morrigan avait vu ses parents être massacrés par un Carchacrok enragé. Ce jour-là, ils les avaient attaqués alors qu'ils se promenaient à l'orée du bois. Il avait d'abord pourfendu le ventre de son père, avant de défigurer le beau visage de sa mère.
C'était quand il avait tenté de s'en prendre à elle, après les avoir achevés l'un à la suite de l'autre, qu'elle avait compris qu'elle était différente. Elle l'avait supplié de la laisser tranquille, un ordre auquel il avait obéi. Il s'était contenté de l'observer un long moment, de la humer, puis de retourner dans les bois d'où il avait jailli sans crier gare.
Le souvenir des corps mutilés de ses parents n'avait cessé de la hanter, depuis lors. Souvent, à l'orphelinat dans lequel elle avait ensuite été placée, elle s'était réveillée en sursaut en hurlant de terreur. Chaque fois que cela se produisait, un Cornèbre venait se poser sur la fenêtre du dortoir.
Rapidement, les autres enfants avaient commencé à éprouver de la crainte vis-à-vis d'elle, au point de l'accuser d'être une sorcière. Elle ne pouvait leur donner tort. Comment qualifier autrement une personne qui possédait un don -ou une malédiction- pareil au sien ?
À l'âge de dix ans, elle avait pris la décision de quitter le village pour s'enfuir dans la forêt, car elle était devenue la cible d'actes violents et cruels, destinés à la punir de ce qu'elle était malgré elle. Elle avait trouvé refuge en ce lieu où elle évitait soigneusement humains et pokémon, car elle craignait autant l'une que l'autre les deux espèces.
Elle regarda sa main bandée. Ce jeune homme... Cuchulainn... Il n'était pas comme les autres. Il s'était montré aimable avec elle, voire gentil. Cela faisait si longtemps que personne ne s'était comporté de la sorte à son égard. De ses doigts crasseux, elle effleura le morceau de tissu avec lequel il l'avait pansée et son coeur s'accéléra dans sa poitrine. Lui ne l'avait traitée ni en monstre, ni en paria.
Elle esquissa un sourire triste. Elle éprouvait un sentiment qu'elle n'avait pas ressenti depuis si longtemps qu'elle était incapable de mettre un nom dessus. Il s'envola cependant bien vite, tandis que sa terrifiante nature refaisait surface.
En effet, un Charmina, attiré par cette aura qui émanait d'elle et qui plaisait tant aux pokémon, s'approcha au même moment de son corps harassé. Elle voulut reculer en rampant vers l'arrière, néanmoins ses muscles refusaient de lui obéir. Ils n'étaient pas en mesure de fournir le moindre effort supplémentaire.
La créature se pencha sur elle et Morrigan préféra fermer les yeux plutôt que de la regarder en face. Elle sentait son souffle chaud sur sa tête, mais n'osait pas bouger. Au bout de quelques secondes, elle perçut une douce tiédeur au niveau de sa main. Sa blessure, douloureuse jusqu'à présent, cessa de la picoter.
À contrecoeur, elle entrouvrit les paupières afin de contempler sa paume. Elle plia et déplia ses doigts à deux reprises, avant de retirer maladroitement le bandage de Cuchulainn. Dessous, sa peau était parfaitement lisse. Il ne restait qu'une fine cicatrice rosée à l'endroit où elle s'était blessée. Le Charmina venait de la soigner.
Elle se résolut alors à le regarder dans les yeux. Il la fixait, lui aussi, avec une insistance presque respectueuse. Un frisson parcourut l'ensemble de son anatomie. Elle n'aimait pas cela. En dépit de la bienveillance dont venait de faire preuve ce pokémon, elle ne voulait pas avoir affaire à lui, ni à aucun autre.
- Laisse-moi tranquille... murmura-t-elle d'une voix diminuée par l'épuisement. Laisse-moi... tranquille.
Elle eut juste le temps de voir le bipède s'éloigner dans la direction opposée à la sienne, ainsi qu'elle l'avait souhaité, avant de perdre connaissance. |