Bonjour/soir !
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Mérinée
Assise au centre du petit salon qui jouxtait les chambres des épouses royales, Mérinée regardait fixement le sol. Des gardes étaient venus un peu un plus tôt pour amener Yasmin. La pauvre femme était brisée par le chagrin, ils avaient été obligé de la porter pour la décoller de la méridienne dans laquelle elle s'était effondrée juste après la terrible nouvelle.
Ils ne tarderaient probablement pas à revenir pour l'amener à son tour. Le nouveau roi lui annoncerait alors officiellement sa profonde tristesse et son souhait d'entrer à nouveau dans une guerre meurtrière contre le royaume d'Aragon.
Mérinée pour sa part ne ressentait aucune tristesse. Pas de larmes, ni de cris pour elle. Il n'y avait aucune raison pour les sanglots car ça ne pouvait pas être vrai. C'était impossible que sa petite Shirin soit morte.
Elle l'avait vu quelques heures plus tôt au repas du soir. Elle plaisantait avec son frère comme à son habitude. Elle riait et elle le taquinait. Leurs grands yeux verts pétillaient de malice et, du coin de l’œil, Mérinée observait avec tendresse ses deux enfants s’esclaffer comme si ils étaient seuls au monde.
Elle avait toujours considéré avec fierté la solide complicité qui unissait son fils et sa fille. Leurs quelques années de différence ne les avaient pas empêché de devenir inséparables et de provoquer quelques remous dans la vie paisible du palais.
Un sourire naquit sur les lèvres de l'épouse royale, elle se souvint de leurs jeux, de leurs petits complots pour rendre fou les esclaves et les nourrices et de leurs cris de joie qui résonnaient d'un bout à l'autre du palais alors qu'ils s'échappaient des cuisines en courant, les bras chargés de pâtisseries au miel. Dans leur escapade, des dizaines de gâteaux étaient tombés au sol, permettant aux cuisiniers en colère de retrouver les deux chapardeurs soigneusement cachés dans la bibliothèque.
Ce jour là, les couloirs avaient embaumé le miel et la cannelle.
Mérinée sentit les premières lueurs du soleil se glisser à travers les fins rideaux du balcon en face d'elle. Un rayon vint réchauffer son visage et lui fit fermer les yeux de contentement.
Elle crût pendant quelques secondes déceler une odeur de miel et de cannelle et ne sut si c'était la réalité ou un tour de son esprit.
On frappa à la porte ouvragée du petit salon.
Mérinée sursauta et permit d'entrer d'une voix étouffée. Deux gardes poussèrent les portes, lourdement armé. Elle se redressa brusquement, tous ses sens en alerte. Yasmin et Sharzad étaient parties depuis quelques heures maintenant, elle était donc seule.
Mais les soldats ne firent aucun mouvement et se contentèrent de rester immobiles devant la porte.
-Je peux savoir ce que vous faites ?
-Nous sommes là pour assurer votre sécurité après les terribles événements de la nuit.
Le garde qui avait parlé avait une silhouette trop longue et fine pour sa fonction. Mérinée fronça les sourcils et s'adressa à lui.
-Je croyais que les meurtriers aragoniens étaient tous morts.
L'homme baissa la tête mais la reine entraperçut le sourire moqueur qui ornait ses lèvres maigres.
-Ils n'étaient pas aragoniens, c'étaient des mercenaires. Le traître qui les a engagé est actuellement en train d'être jugé pour son crime.
-Qui est-ce ?
Le garde releva la tête, ne cherchant plus à cacher son rictus sarcastique.
-Le prince Shaheen.
Mérinée sentit son sang se glacer dans ses veines.
-Est-ce une farce ? Cracha-t-elle avec colère.
On ne lui répondit pas. Elle s'avança vers la porte et fit mine de sortit mais, bien entendu, les deux hommes lui barrèrent le passage.
-Laissez moi passer !
Elle tenta de les pousser et griffa férocement le bras du plus maigre qui riait. Il cessa de rire et la gifla, l'envoyant au sol.
Tremblante de rage, Mérinée passa une main devant ses yeux. Elle n'avait aucune chance de faire le poids face aux deux gardes armés.
Elle songea à Shaheen, son fils adoré, seul et désemparé. Comme il devait souffrir, le pauvre enfant, d'être ainsi accusé du meurtre de sa sœur.
Elle devait aller l'aider. Elle devait être là pour lui.
-Sur quelle preuve mon fils a-t-il été accusé ? Demanda-t-elle brusquement aux soldats.
Pas de réponse. Elle commença à perdre patience.
-Y a-t-il seulement une preuve !?
Sa voix était montée dans les aiguës, elle sentait qu'elle allait se mettre à pleurer. Non, elle ne pouvait pas. Elle devait être forte pour Shaheen. L'épouse royale prit de longues inspirations, toujours assise au sol.
Une idée l'obsédait, comme une puanteur qui s'accrochait à ses narines et refusait de disparaître. Elle savait, bien entendu, que son fils était innocent. C'était une vérité indéniable pour elle. De là venait son intuition qu'une sombre machination se tramait derrière cette fausse accusation.
-Qui vous a envoyé ici ?
Le deuxième garde, celui qui n'avait pas encore parlé, la regarda avec ennui mais consentit à répondre.
-Son Altesse la Première Conseillère, Sharzad.
Mérinée déglutit difficilement. Si Sharzad était devenue la Première Conseillère alors nulle doute que c'était Amir qui portait à présent la couronne d'or massif de Roi de Jahandar.
-Vous a-telle donné l'ordre de me tuer ? Demanda-t-elle d'une voix blanche.
La surprise se peignit sur le visage des hommes.
-Bien sûr que non. Son Altesse voulait simplement que le procès se passe dans les meilleures conditions possibles et avec les témoins les plus fiables.
-Et une mère n'est pas un témoin fiable, termina malgré elle l'épouse royale en fronçant les sourcils.
Elle n'aimait pas Sharzad et ne lui faisait pas confiance mais elle l'imaginait mal organiser le meurtre de la moitié de la famille royale pour mettre son fils sur le trône. Sharzad était une mauvaise personne mais probablement pas une meurtrière. Non, elle l'imaginait davantage comme une opportuniste capable de profiter de cet événement tragique pour acquérir plus de pouvoir et éliminer ceux qu'elle estimait être en travers de sa route.
Mais alors, qui ?
Qui était derrière cela ?
Mérinée se leva et épousseta dignement sa robe. Elle devait absolument voir, Shaheen. Il fallait qu'elle lui dise de faire attention et que ce procès n'était probablement pas une chose à prendre à la légère. Elle devait être là pour l'apaiser et lui souffler ce qu'il devait dire ou taire pour réussir à s'en sortir.
-Quand pourrais-je vois mon fils ?
L'homme au sourire moqueur secoua négativement la tête.
-Vous ne pourrez voir votre fils que s'il est reconnu coupable et condamné à mort afin de lui dire un dernier adieu. Son Altesse y a consentit.
Le sang de Mérinée quitta brusquement son corps tandis que la panique la fit hoqueter de terreur. Pendant un court instant, elle songea à tirer les rideaux du balcon pour se jeter dans le vide. L'étage n'était pas très haut et elle s'en tirerait probablement avec une cheville foulée ou brisée mais au moins elle échapperait aux soldats. Et, le temps qu'ils traversent le palais pour l'attraper, elle se traînerait jusqu'à la salle du procès.
Mais son plan était précaire et comportait trop d'inconnues. Le couloir menant à la salle du palais devait être bourré de gardes. Elle mit de côté la panique qui faisait trembler ses mains et tenta de réfléchir froidement.
Son esprit était son plus grand trésor. C'est d'ailleurs ce qui avait décidé le Roi Alakin à la choisir comme troisième et dernière épouse parmi toutes les filles des Grands Conseillers d'Iléros. Il fallait qu'elle trouve une solution, n'importe quoi.
Elle ne pouvait pas sortir, elle avait donc besoin d'aide. Passant en revue l'intégralité des gens du palais, elle essaya de deviner lequel serait le plus fiable. Un nom s'imposa. Elle se tourna vers les gardes, hiératique.
-Sharzad m'interdit de sortir mais, a-t-elle précisé que je ne devais pas non plus recevoir de visite ?
Les hommes échangèrent un regard surpris. Pendant les quelques longues secondes que dura leur questionnement silencieux, Mérinée pouvait sentir les battements de son cœur s'accélérer. Finalement, l'un d'eux hocha négativement la tête.
-Dans ce cas allez me chercher Ahkheem. |