"Je ne suis pas née pour vivre mais pour maîtriser les autres"
15 Juin 1992

     Je ne me souviens plus très bien, tout est flou dans ma tête. Pourtant, quelques souvenirs parviennent à percer mon cerveau. Oui, je me souviens. Tout a commencé telle une éclaboussure...

     Je me blottis contre une parois molle et épaisse à la fois. Je me sentais si bien, j'étais aux anges ! Tout me semblait tellement facile, tellement simple ! Je voulais à jamais rester en ce lieu si paisible.
     Pourtant, j'avais cette sensation d'être petite, au fond de moi-même. Cependant, personne n'était là pour le savoir et pour le voir. Il était vrai que j'étais seule mais cela m'importait peu. Tant la tranquillité m'apaisait. Soudain, une très nette impression de fatigue s'empara de moi. Je fermai sensiblement les yeux, je ne songeai à rien.

     Je demeurais recroquevillée sur moi-même. L'air chaud de l'intérieur de cette pièce me réchauffait de la tête aux pieds. Je ne pouvais me retourner dans tous les sens tellement j'étais sereine. Rien ne me déstabilisait pendant mon sommeil. L'atmosphère était calme, plutôt plaisant, sans personne pour venir m'empoisonner de niaiseries ni même le bruit ne se fit entendre. Silence comme la mort. Pourtant, j'étais bel et bien vivante ! Je me sentais respirer, bouger, et même des fois je me surpris en train d'assener un coup sur une sorte de parois gluante. Celle dont j'ignorais encore ce qu'elle était. Malgré cela, je perçus une étrange sensation de bonheur, j'éprouvais de la béatitude, simple et pur bonheur ! Tout ce qu'il me manquait c'était de pouvoir m'exprimer ouvertement, je ne pus ouvrir la bouche malgré mon effort incontestable, je ne pus l'ouvrir !

     Je n'avais jamais faim, un vrai régal lorsque la nourriture venait à moi. Dit comme cela, j'aurais pu croire à une vraie utopie non ? Et c'était bien le cas ! Rien de telle que cette exquise nourriture qui sortait en abondance dans un tuyaux qui provenait de l'extérieur de cette salle. Je m'empiffrais comme un ours.

     Tout se passait bien jusqu'au jour où un malheur brutal vint me frapper car je sentis comme un mal-être profond en moi, inopinément. Je ne savais pas exactement ce qui se passait ni même pourquoi, comment ? Je pressentais une douleur crânienne, qui me faisait affreusement mal. Comme si l'on m'aspirait de l'extérieur, pourtant cela m'était impossible ! Puisque je me trouvais seule dans cette minuscule pièce pleine de chaleur, on m'aspirait encore. Quelque chose me poussait à sortir de cette pièce, pourtant, je ne voulais pas ! Je voulais rester encore un peu tenue chaudement par ces parois épaisses ! Ma tête était passée la première. J'avais mal ! Je sentis cette douleur de plus en plus, j'étais en train de souffrir. Et dire qu'il y avait quelques secondes, je me sentais en sécurité, bien au chaud, sans jamais être dépourvue d'alimentation.

     J'espérais que tout ceci cesse ! J'espérais que cela s'arrête ! Par pitié ! Ma douleur était trop dure à supporter ! Moi, qui avais dû passer au moins sept mois dans cette même pièce sans jamais me soucier du malheur qui pouvait m'arriver. Et ce jour était arrivé. Pourquoi aujourd'hui ?

     Je sentis qu'on me tira en avant, on s'empara de mon crâne. Puis, mon corps tout entier sortit vers l'extérieur. A ce moment là, un élancement abominable me submergea. Je hurlais à la mort, je pleurais. J'étais en train de pleurer ! La première fois pour moi que je pleurais ! Je me sentis lourde, très lourde. Je n'apercevais rien ! Ma vision ! Je broyais du noir ! Tout était noir autour de moi !

     Peu de temps après, des mains me prirent et m'emmenèrent, je ne sais où. Mais pourquoi me faisait-il autant souffrir ? Qu'avais-je fait pour mériter cela ? Je haïssais celui ou celle qui m'avait fait cela !
Ensuite, je le sentis qu'il me déplaça pour enfin me déposer dans les bras d'une autre personne. A peine discernable, je pus entendre :

-Nous l'appellerons Kaourantina.

     C'était une assez belle voix, douce et gracieuse. Et si c'était elle qui m'avait ôter de mon nid douillet et qui m'avait tant fait souffrir ?

     Peu de temps après, quelqu'un, une autre personne me reprit dans ses bras. J'en avais marre de passer d'un bras à l'autre. Pourquoi faisaient-ils cela ? Ce trajet que je parcourus dans les mains d'un individu que je ne pus voir de mes propres yeux paraissait plus long, je sentis qu'on me déposa quelque part mais où ? Je n'en savais absolument rien.
     Le temps s'écoulait lentement, cela paraissait interminable ! Et je ne voulais pas m'éterniser ici sans savoir où j'étais ni même qui m'avait fait cela !

     Quelques heures plus tard, je pus entendre des pas s'approcher puis un long silence s'installa.
Sans cesser de sangloter, je pus distinguer quelques paroles venant de plus loin :

-Je suis désolé Mme KREC'H de vous apprendre cette mauvaise nouvelle mais votre fille a eu une modification génétique, cela a infecté son organisme. Et nous ne sommes pas en mesure de guérir cela. Néanmoins, elle aura une vie tout à fait normal... Comme les autres.

Commence ici une longue vie...