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au 31 Mai 21 :
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Easy as pie.
Par WildShelby
Harry Potter  -  Romance  -  fr
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Chapitre 5 - partie 2

Chapitre 5
Deuxième partie

L’atmosphère était d’une lourdeur exceptionnelle. Etouffante, moite et malodorante, sans que cela suffise à atténuer, dans ses narines, l’odeur du feu.

L’odeur de la moitié d’un immeuble, parti en fumée, irrécupérable. Des voisins massés tout en bas, les larmes coulant le long de leurs joues pour certains, la curiosité au coin de l’œil pour bien d’autres, et des élans de générosité, de bienveillance pour tous, presque. Les lances à incendies, que les pompiers braquaient sur le brasier, semblaient participer à l’intensification de l’odeur, que Harry avait d’abord prise pour le premier barbecue de l’année dans le quartier, puis qui, en se confirmant, l’avait alerté que quelque chose n’allait pas, avant même qu’il n’entende les ordres criés par le chef des pompiers. Avant même qu’il n’aperçoive les lumières rouges des gyrophares des camions des secours, les lueurs bleutées, tournoyant et éclatant leurs jets de lumière sur les murs alentours, des véhicules de la police.

L’odeur du désespoir de ses voisins, qu’il avait reconnus en s’approchant, massés les uns contre les autres derrière un cordon de sécurité, jaune. Dans son esprit s’était dessinée la théorie folle d’un film tourné ici, d’une caméra cachée, même, d’un rêve dont il ne se serait pas aperçu qu’il n’était qu’un songe parmi d’autres. Jusqu’au dernier instant, il s’y était accroché, bouée de sauvetage en eaux profondes et inhospitalières, toujours plus accueillantes que la réalité à laquelle il n’avait pu ensuite que se confronter. Il avait reconnu Mrs MacGonagall, une vieille femme à l’allure sérieuse qui, depuis son installation dans l’immeuble, prenait plaisir à partager un thé avec lui. Droite et presque sereine, malgré les cernes sous ses yeux, malgré l’abattement perceptible à ses épaules voutées, elle rassurait, d’un bras autour des épaules, et de mots rassurants débités d’une voix dont Harry savait qu’elle était ferme, une autre voisine, de constitution bien plus fragile, malgré son jeune âge.

L’odeur d’une vie partie en fumée. Ecroulée, détruite des racines jusqu’à la cime. Des étages supérieurs de l’immeuble, il ne restait déjà plus que quelques morceaux de la charpente, des éclats de vitre suspendus à leur cadre encore miraculeusement intact, des débris, partout au sol, sur le trottoir, au milieu de la rue. Morceaux de épars, meubles détruits jusqu’à l’os, photographies noyées par les mousses extinctrices, vêtements à moitié calcinés. Ici, un reste de chaise, là, la porte d’un réfrigérateur, là-bas, les souvenirs de vies entières, à jamais perdus. Quelques secondes, et rien de plus que les images fugaces d’un esprit qui jusque-là comptait sur les objets pour jouer leur rôle de réceptacles des moments à ne pas oublier, des anecdotes à garder précieusement et à faire vivre autour d’un thé et de quelques scones.

La saveur, sur la langue, de la cendre de toute une vie à reconstruire, des miettes de souvenirs et de promesses d’avenir qui s’offraient à lui, le matin, lorsqu’il avait quitté son domicile avec la promesse d’y retrouver Sirius plus tard, d’y passer un moment de pur plaisir, de rire, de débattre, de discuter et de n’être rien d’autre que le filleul chanceux de cet homme exceptionnel…

Puis ce fut le déclic.

Le cœur qui s’emballe, douloureux, obtus, aigu, décidé à s’échapper au plus loin du torse, tout en cherchant à y rester par tous les moyens, tiraillé par une hésitation cruelle et douloureuse, entre explosion et implosion, exposition et fuite pure et simple. Le cœur qui décolle, qui remonte dans la gorge, fout la nausée, les larmes aux yeux qui se jettent dans le vide et heurtent les joues.

Presque au même moment, deux pompiers sortirent de l’immeuble encore en flammes, portant tant bien que mal le corps inerte d’un homme. Ses cheveux, bien qu’éclaircis par la cendre, la forme de son visage, malgré la distance et la suie sur sa peau, ses vêtements, même s’ils étaient calcinés, tâchés, déchirés, même, tout chez lui indiqua à Harry que cela ne pouvait être qu’une seule personne.

Il hoqueta, le cœur en miettes, et s’élança vers l’avant, ignorant les ordres des policiers de rester à l’écart, leurs bras qui se tendaient pour le forcer à reculer, les pompiers qui tournaient à peine la tête alors qu’il leur hurlait des mots indistincts, des questions qu’ils auraient dû comprendre immédiatement, parce qu’après tout, peu lui importait d’avoir tout perdu, de ses diplômes à ses souvenirs avec Ron, de ses livres de cuisine favoris à ses papiers les plus importants, de ses vinyles préférés à ses ballons, maillots et chaussures de rugby préférés, peu lui importait que tout soit parti en fumée, parce que sur le brancard, allongé dans une position peu naturelle, les urgentistes penchés sur son corps, à tenter de le ranimer, à prodiguer les premiers soins, Sirius semblait ne tenir à la vie que par un fil.

Dans son uniforme noir, l’un des policiers dépêchés sur les lieux s’approcha de Harry.

— Monsieur, vous connaissez cet homme ? demanda-t-il au brun d’une voix calme supposée le calmer un peu.

— C’est… C’est mon parrain. S’il vous plait, j’ai besoin de…

Les larmes coulaient sur ses joues, sans qu’il puisse les retenir, et s’il les sentait dévaler son visage, s’échouer sur ses vêtements, sur le sol, sur les mains et les vêtements de policiers, elles n’étaient pas assez nombreuses, pas assez froides, pas assez salées, ne piquaient pas assez ses yeux pour donner une idée ne serait-ce qu’approximative de l’étendue de sa douleur, de la peur qui étreignait son cœur de ses longs doigts narquois.

— Je ne peux pas vous laisser vous approcher sans l’accord des secours, lui expliqua le policier d’un ton égal. Mais si vous restez ici, je vous promets de revenir vers vous pour que vous l’accompagniez à l’hôpital. Est-ce que je peux vous faire confiance ? Monsieur ? insista l’homme face à l’absence de réaction de Harry.

Le jeune homme hocha la tête, hésitant. Bien sûr, bien sûr qu’il pouvait lui faire confiance. Il aurait dansé sur les mains, si on le lui avait demandé.

Son regard ne quittait pas le brancard, plus loin, où les secouristes s’affairaient, multipliant les gestes médicaux auxquels il ne comprenait rien, aboyant des ordres dont il ne percevait que des éclats de voix qui ne portaient aucune information intéressante. Les sons autour de lui semblaient traverser une épaisse couche de ouate avant de lui parvenir, assourdis par la peur, la panique, les battements erratiques de son cœur, ses dents qu’il serrait et desserrait sans cesse, par cette vague d’incompréhension qui affluait et refluait, un pas en avant, trois pas en arrière, le plongeant dans une forme de dénis confortable duquel la réalité l’arrachait presque aussitôt.

La suite se déroula dans une forme de flou artistique dont il ne retiendrait que des bribes éparses, des sensations décousues. L’odeur d’antiseptique du camion des pompiers, dans lequel on l’avait autorisé à s’installer, mélangée à celle, bien plus tenace, bien plus dérangeante, de brûlé. Les vêtements, les cheveux. La peau. Sirius. Les gestes maîtrisés des secouristes, chorégraphique parfaitement orchestrée dans laquelle chacun trouvait sa place, auscultant, analysant, surveillant Sirius, vérifiant, notifiant ses constantes, le moindre changement, la plus petite évolution, irrégularité.

Puis le bip, bien trop long, auquel Harry ne réagit pas, déjà plongé dans une forme de choc à laquelle son cerveau ne parvenait plus à répondre. Les voix soudain bien moins maîtrisées, les « on le perd » et la cacophonie des secouristes donnant tout de leurs compétences, de leurs forces, de leurs espoirs liés en une corde solide pour tirer l’homme de l’abime dans lequel il plongeait lentement, sans doute décidé à abandonner un corps sur lequel les lésions s’étendaient si loin que personne n’aurait pensé qu’elles le pourraient.

L’arrivée à l’hôpital, les portes arrières du camion qui s’ouvrirent, et presque aussitôt, la ruée vers l’intérieur des bâtiments du brancard, des urgentistes tout autour, et Sirius qui s’éloignait, qu’on emmenait au loin, suffisamment proche encore pour que Harry distingue, flou et incertain, un homme grimper sur le corps de son parrain et entreprendre, long du couloir traversé à toute vitesse, un massage cardiaque du dernier espoir sur son parrain.

Puis la salle d’attente, et les larmes, inépuisables, les larmes, et les lames de rasoir, le long de la gorge, la brûlure, la douleur, la peur, le creux au milieu du ventre, l’envie de se rouler en boule, de prendre le moins de place possible et de rester ainsi, immobile, le plus longtemps possible. Le sentiment de perte, ni tout à fait concret, ni tout à fait abstrait, juste parfaitement insaisissable, évanescent, et le reflux de larmes, et sa voix tremblante, incompréhensible, coupée de larmes, de sanglots et d’hésitations terribles, alors qu’il tentait, en réponse aux inquiétudes de sa mère, de lui expliquer la situation. Il ne parvint qu’à hoqueter le nom de l’hôpital, et sa mère lâcha un « on arrive, mon bébé, ne bouge pas » avant de raccrocher.

Ils le trouvèrent ainsi, recroquevillé sur lui-même, créature effrayée, cœur brisé pour une raison dont James et Lily Potter ignoraient tout. Ils échangèrent un regard, imaginant le pire tout en retenant un soupir de soulagement en constatant que leur fils unique n’était pas blessé, malgré une odeur de fumée dont ils ne comprirent pas l’origine. Le cœur de mère et d’épouse de Lily Potter se serra lorsqu’elle vit l’incompréhension, l’inquiétude, l’impuissance, même, saisir son époux. Ses lèvres et ses joues pâlirent lorsqu’il constata qu’il ne tirerait pas un mot de leur fils, aussi se contenta-t-il de s’assoir aux côtés de Harry et de l’attirer contre lui, caressant ses cheveux tout en accrochant son regard à celui de son épouse, lui posant silencieusement mille questions auxquelles il savait qu’elle n’était pas en mesure de répondre.

Lily inspira profondément, et s’éloigna de ces deux hommes repliés l’un sur l’autre, à la recherche de quelqu’un, n’importe qui, susceptible de répondre à ses questions. Un homme, âgé d’une quarantaine d’années, le haut du crâne privé de ses cheveux, arborant au coin des paupières les rides de ces personnes que le rire et le sourire ne quittent jamais tout à fait, s’approcha d’elle, habitué à ces visiteurs perdus dans les malheureux imprévus d’une vie qu’ils n’auraient souvent pas imaginée aussi injuste, aussi cruelle, même.

— Madame ? Puis-je vous aider ?

Lily se tourna vers lui, et lui adressa un sourire franc. L’inquiétude dans son regard ne disparut pas, mais Lily Potter était une femme souriante en toutes circonstances.

— Oui, merci. Je suis Lily Potter, mon fils m’a appelée, mais il n’a pas réussi à…

Elle se tut, incapable de terminer sa phrase. Elle était souriante, mais pas infaillible pour autant. Le médecin, puisque c’en était un, suivit son regard et hocha la tête doucement lorsqu’il se posa sur Harry, dans les bras de James. Il semble avoir quinze ans, pensa Lily. Elle ne savait pas de quoi il retournait, mais ne pouvait empêcher la peur de gagner du terrain : il y avait forcément une bonne — une très bonne — raison pour que Harry soit dans cet état.

— Est-ce que vous connaissez un homme du nom de Sirius Black, Mrs Potter ? demanda le médecin avec douceur.

— Oui… je… Oui, bien sûr…. C’est le parrain de mon fils, le meilleur ami de mon époux… Je ne comprends pas, que se passe-t-il ?

— Il se trouvait sur les lieux d’une explosion de gaz qui a eu lieu plus tôt dans l’après-midi, à Londres. Il est le seul blessé, par chance, mais son état est assez préoccupant. Il a fait un arrêt cardiaque de plusieurs minutes, alors qu’il était transporté vers notre établissement. Nous avons pu le réanimer une fois sur place, il est à priori hors de danger, à présent, mais étant donné l’ampleur des blessures, nous avons préféré le plonger dans un coma artificiel….

— Les blessures ? releva Lily, tachant d’ignorer le vertige qui s’abattit sur ses épaules, vague humide et glaciale, épaisse et intrusive.

— Il a été gravement brûlé, dans le dos, sur le torse, et dans une moindre mesure sur les jambes. Mes collègues sont encore en train de retirer les restes de vêtement, de nettoyer les plaies et de le stabiliser, aussi nous sommes dans l’incapacité de nous prononcer avec exactitude sur l’ampleur des dégâts.

— Vous savez… Vous savez quand est-ce que nous pourrons le voir ? demanda faiblement Lily, tachant de garder son calme alors qu’elle n’avait envie que de pleurer, de hurler, de courir rassurer son fils.

— Pas avant demain, sans doute. De plus, vous n’êtes pas de la famille directe, si vous connaissez des personnes plus proches, comme des parents directs, une compagne…

— Un compagnon. Il a un compagnon.

Le médecin eut un nouveau sourire, doux.

— Un compagnon, alors. Appelez-le, prévenez-le que l’homme qu’il aime traverse une épreuve difficile. Il aura besoin de tout le soutien possible.

— Bien sûr… Merci docteur, je…

Elle s’interrompit, en proie au doute.

— Je ne suis pas sûre d’avoir bien compris quelque chose, docteur. C’est par les secours que mon fils a été amené ici ?

— Oui, il me semble qu’il est arrivé en même temps que Mr Black.

— Et vous me disiez tout à l’heure que Sirius a fait son arrêt cardiaque sur le trajet et a été réanimé une fois sur place ?

— Oui, tout à fait…

— Il n’est venu à l’esprit de personne de venir informer mon fils que son parrain n’était pas mort ? demanda froidement Lily.

Le médecin comprit immédiatement son erreur, et rougit franchement. L’épuisement se lisait dans son regard, de même que les profonds regrets qu’il devait ressentir d’avoir laissé un jeune homme penser que son parrain n’avait pas survécu, mais il eut l’élégance de ne pas chercher à se justifier. Ça n’était pas justifiable, et à en juger le regard de la femme face à lui, flamboyante dans sa posture, dans son expression comme dans sa couleur de cheveux, faire profil bas restait la meilleure option. Lentement, il hocha la tête, et s’avança vers Harry.

Le chef se détacha de son père, ses joues encore humides de larmes qui n’avaient pas cessé de couler. En retrait, Lily vit le soulagement se dessiner sur son visage, alors que dans le même temps, l’horreur déformait les traits de son époux, qui après un regard horrifié vers Harry, resserra son étreinte sur ce dernier. Elle devina instantanément ce à quoi il avait pensé, ce qu’il avait ressenti. Elle devina la peur, la frayeur la plus absolue, presque absurde, sans doute indécente, qui s’était emparé de lui lorsqu’il avait compris que l’homme qu’il considérait comme un frère, à défaut de pouvoir prétendre que « meilleur ami » dépeignait ne serait-ce qu’une version alternative de la réalité, était passé à deux doigts de la Faucheuse elle-même. Elle comprit également le soulagement, coupable et inavouable, qui l’avait frappé de plein fouet en réalisant que Harry aurait pu être à la place de Sirius, puis la culpabilité d’être capable de tels calculs de vies humaines dans un tel moment.

Oui, Harry était vivant. Harry était brisé, mais Harry était vivant, tout comme Sirius. Sirius était mort, pendant quelques minutes, puis il était revenu, revanche sur un destin inacceptable qui avait voulu l’envoyer par-delà le voile trop vite pour ses standards. Il n’avait pas consenti, il s’était battu, aussi Sirius était-il vivant. Coincé entre deux états, entre deux mondes, entre conscience et absence, entre présence et inexistence, mais vivant, le cœur battant, les poumons englués de suie, de cendres, de fumées diverses, mais vivant.  La peau brûlée, arrachée, écorchée, bientôt purulente, bientôt tombante, bientôt recouverte par des bandages, remplacée par des greffes, mais il était vivant, il était là, encore, il s’accrochait et Lily le savait, il ne lâcherait pas.

Lily le savait, il ne lâcherait pas.

James le refusait, il n’en avait pas le droit.

Harry l’excluait, il ne le supporterait pas.

Discrètement, Lily s’éloigna, et passa un appel qui lui brisa le cœur. En miettes, là, sur le sol désinfecté mille fois du service des urgences de l’hôpital, au milieu des patients venus pour satisfaire leur taux annule de bobologie, des familles inquiètes, des enfants rendus insupportables par l’attente, bien trop longue, angoissante, lourde, oppressante. Son cœur, brisé, donc, en miettes. Elle resta immobile quelques instants, des secondes qui lui parurent durer des heures, ou peut-être l’inverse, à entendre la voix de Remus, plus cassée encore qu’à l’accoutumée, lui annoncer qu’il serait là au plus vite. Elle resta immobile suffisamment longtemps pour que Remus soit celui qui attrape doucement son coude au creux de sa main, chaude et rassurante, et l’attire contre lui, dans une étreinte dont il était impossible de distinguer qui portait qui, qui rassurait, consolait, supportait qui. Ce fut Remus, qui murmura à son oreille que tout irait bien, que Sirius s’en sortirait, mais Lily, outre l’admiration qu’elle éprouva pour Remus, plus encore qu’à l’accoutumée, ne put qu’espérer qu’il ne se trompât pas.

Les Potter restèrent encore près d’une heure avec Remus. Ils lui tinrent la main lorsque le médecin urgentiste lui présenter la situation, même s’il se montra bien plus fort qu’eux trois réunis. Il exigea de voir son compagnon, « même derrière une vitre, ça m’est égal, j’exige de le voir », et sa voix était si déterminée, son regard si ferme, si résolu, que le médecin n’eut d’autre choix, après un soupir, que de le guider vers le box dans lequel Sirius avait été installé. C’est sur ces entrefaites que la famille Potter regagna le domicile parental.

La maison était exactement telle que Harry l’avait quittée. Grande, lumineuse, conviviale. Elle était à l’image de ses parents, avec ses pans de murs couverts de photographies prises lors de leurs voyages, de leurs amis, une vie entière de souvenirs soigneusement sélectionnés parmi ceux qu’ils souhaitaient avoir sous les yeux chaque jour, y compris dans les instants les plus enfoncés dans une routine qui leur allait étonnement bien au teint. Les visages de Remus et Sirius n’étaient pas rares, de même que celui de Harry, à la différence que les dernières photographies de lui étaient trop anciennes pour qu’il s’y reconnaisse vraiment. C’était lui, bien sûr, ses cheveux, son sourire tordu, ses grands yeux verts, si verts et si grands qu’ils auraient pu être un nouvel océan, c’était son menton, son nez cassé, ses pommettes rondes, ses épaules ossues, ses genoux cagneux. C’était lui, mais dans son regard, dans son sourire, quelque chose avait changé, s’était atténué, s’était transformé.

Ron et Hermione avaient eux aussi leur place parmi les portraits en noir et blancs, plus discrets mais présents. Leurs sourires étaient immenses, joyeux. Malgré la monochromie des clichés, les taches de rousseur de Ron ne pouvaient être ignorées, pas plus que le regard pétillant d’Hermione, dont chaque bras enlaçait les épaules de Ron et Hermione.

Le jeune homme entendit Lily approcher. Les marches de l’escalier craquèrent, annonçant sa présence hésitante. Harry ferma les yeux un court instant, juste le temps de reprendre son souffle, de calmer les battements de son cœur affolé. Dans sa poche, son téléphone vibra deux fois. C’était un message.

— Harry, chéri ? souffla Lily.

Il se retourna. Face à lui, sa mère était identique à ce qu’elle avait toujours été. Ses cheveux avaient perdu de leur éclat, avec les années, et des mèches argentées leur donnait une allure particulière. Son regard était à présent orné de ridules qui trahissaient la facilité que cette femme avait de sourire. Elle se tenait en bas de l’escalier, à l’autre bout du salon, exactement comme lorsqu’elle entrait dans sa chambre, plus jeune, et se refusait à envahir son espace sans qu’il l’y autorise.

Tout n’avait finalement pas changé.

— J’allais préparer ton lit et puis, elle haussa les épaules, j’ai pensé que tu préfèrerais peut-être dormir dans le salon…

— Ma chambre sera très bien. Laisse-le lit, je vais m’en occuper.

— Alors viens avec moi, on le fera ensemble.

La chambre n’avait pas changé d’un pouce depuis son départ. Aux murs, les posters de rugby rappelèrent à Harry le jeune homme qu’il avait été : passionné par son sport, enthousiaste dès lors qu’il s’agissait de ballon ovale, avide de partager matchs et entraînements avec son père et Sirius.

— Je voulais réaménager ta chambre, sourit Lily en s’appuyant contre le chambranle de la porte. Mais ton père n’a jamais voulu qu’on décroche le moindre poster, alors j’ai fini par abandonner.

— Papa ?... Pourquoi est-ce qu’il…

— Tu es son fils unique. C’est une suffisamment bonne raison.

— Tu crois qu’il aurait voulu d’autres enfants ?

Lily laissa échapper un petit rire, et d’un geste terriblement familier, elle repoussa une mèche rebelle derrière son oreille.

— Ton père a eu l’âge mental d’un gosse de vingt ans jusqu’à ses quarante ans, un enfant était largement suffisant. Entre toi, Sirius et Remus, il était comblé.

— Et maintenant ?

— À ton avis ?

Harry se laissa tomber sur son lit. La housse de couette, d’un rouge vif, et aux décorations dorées, avait été sa préférée, lorsqu’il était plus jeune. Même pliée, prête à être mise en place, elle ravivait une quantité de souvenirs dont il n’aurait jamais soupçonné l’intensité.

— Les choses ont changé.

— La faute à qui ?

— Quoi ? Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Tu as fui, après l’accident de Ron. Tu as coupé les ponts avec tout le monde, sauf Hermione. Je le sais, parce qu’elle m’en a parlé, parfois, elle me donne de tes nouvelles. À en juger ton regard, tu n’étais pas au courant, mais peu importe, ça me permet de te dire ce que je pense de tout ceci. Tu as trente ans, Harry. Tu as trente ans, une vie à toi, un métier qui te réussit, une certaine reconnaissance, ton nom est connu et reconnu dans le domaine, mais tu te comportes comme un adolescent. Tu ne donnes aucune explication concernant ton refus de nous voir plus que le minimum syndical dans l’année, tu ne réponds pas aux appels de ton père, tu n’es pas allé voir Ron à l’hôpital depuis des lustres, les Weasley n’ont pas beaucoup plus de nouvelles de toi que nous en avons, et c’est par Sirius que nous avons appris que tu avais rompu avec ton ex-petit-ami, que nous avons à peine eu le temps de connaître.

— Peut-être que si vous commenciez par… commença Harry, buté.

— Par quoi, Harry ? Par te laisser tranquille ? Par te lâcher ? Ne termine pas cette phrase, je n’ai aucune envie de te passer un savon alors que ton père se fait du souci pour toi et pour Sirius dans la pièce d’à côté, et que je sais que cette période va être difficile pour toi également.

Le jeune homme fronça les sourcils, plus touché qu’il ne l’aurait voulu. Mais Lily n’avait pas l’intention de se taire.

— Cela fait des mois que je me tais, mais ça devient invivable. Ton père ne passe pas un jour sans me demander si j’ai des nouvelles de toi. Si seulement tu voyais sa tête lorsque c’est Sirius qui nous donne de tes nouvelles, qu’il nous parle de choses tellement élémentaires de ta vie que c’est même choquant que nous ne soyons pas au courant. Nous avons toujours été là pour toi, nous avons toujours tenté d’être compréhensifs, d’être soutenants, nous n’avons jamais jugé, nous nous sommes efforcés de te montrer combien nous étions ouverts et compréhensifs concernant ta sexualité, parce qu’à la vérité, nous nous moquions de qui tu pouvais bien aimer, du moment que cela faisait ton bonheur. Nous t’avons laissé faire les études que tu souhaitais, nous t’avons aidé dès que nous avons pu, parfois même sans attendre que tu nous le demandes, énuméra Lily, dont les joues avaient pris une teinte plus rosée. Ton père et moi avons compris, après l’accident de Ron, que tu avais besoin de temps. Mais ça n’a jamais semblé suffisant, et tu n’es jamais revenu vers nous, comme si tu nous tenais responsables. Seulement j’aimerais savoir de quoi tu crois que nous sommes responsables, parce que sans réponses, je ne peux rien faire. Je ne peux ni rassurer ton père, ni te répondre à toi, je suis impuissante, et je crains le jour où nous ne serons rien de plus que des étrangers que seul leur livret de famille réunit.

Elle se rapprocha, prudente, et s’assit à côté de Harry. Sa main, légère et tiède, se posa sur la cuisse de Harry, qui leva les yeux vers elle. Malgré sa colère, elle manifestait tout de même une douceur, une tendresse à son égard qui le bouleversèrent plus que les reproches qu’elle avait retenus trop longtemps.

Trop longtemps, elle s’était tue, préférant profiter des rares fois où Harry leur rendait visite, ou daignait les appeler. Trop souvent, elle avait rongé son frein, y compris lorsque James errait comme une âme en peine dans une vie que le manque de son fils rendait tristement vide. Creuse. Du temps, elle s’en était donné, et elle en avait laissé à Harry. Elle en avait passé, avec Sirius, quand c’était devenu trop difficile pour James de parler de ce rejet que leur fils semblait leur imposer. Ensemble, ils avaient décortiqué, analysé, essayé de comprendre, le moindre mot, le plus petit détail. À son plus grand regret, Lily avait fini par adhérer à la vision de Sirius : Harry traversait, à trente ans, une crise existentielle proche de la crise d’adolescent qu’il avait eue près de quinze ans plus tôt.

Mais elle ne comprenait pas. Elle avait beau essayer, elle ne comprenait pas.

L’instant n’était pas bien choisi. Les yeux de son fils étaient encore rougis d’avoir trop pleuré, son appartement était parti en cendres, il ne lui restait plus rien que son école de cuisine, mais elle avait choisi cet instant pour lui dire ce qu’elle avait sur le cœur.

L’instant n’était pas bien choisi, mais peut-être, par la force des choses, était-ce le meilleur.

Harry se tourna vers elle. Dans son regard, Lily reconnu le doute, la culpabilité, l’incompréhension. Lui non plus ne comprenait pas ce qui lui arrivait, ce besoin de s’isoler qu’il avait développé avec les années, ce manque d’entrain qui le retenait lorsqu’il aurait pu rendre visite à ses parents, les investir dans sa vie. Elle déposa un baiser sur sa joue mal rasée, et son nez s’emplit une nouvelle fois de l’odeur de son fils, que son cœur de mère reconnaissait avec la même force et la même évidence que lorsqu’il n’avait que quelques jours.

— Nous parlerons de cela plus tard, d’accord ? Ton père a commandé des pizzas, le temps que nous préparions ton lit, elles devraient être là.

De fait, ils avaient à peine terminé de mettre la couette et les oreillers que le livreur sonnait à la porte. Mère et fils échangèrent un regard complice, et rejoignirent James dans le salon.

L’ambiance lors du repas fut timide, réservée. Contrairement à son comportement à l’hôpital, James maintint ses contacts avec Harry au strict minimum, et cela ne posa pas vraiment problème à celui-ci. Mentalement, alors qu’il mangeait ses parts de pizza à gestes mécaniques bien huilés, il énumérait la liste de ses possessions perdues.

Une grande partie d’entre elles étaient purement matérielles : avoir perdu son canapé ne lui faisait ni chaud ni froid, et la plupart des meubles ne lui manqueraient pas. Il en allait autrement pour les souvenirs qu’il avait accumulés avec les années, y compris pendant son adolescence, et dont il avait souhaité, pour certains, qu’ils le suivent dans sa nouvelle vie d’homme adulte — et s’il avait régressé depuis, cela n’enlevait rien à la douleur sourde que provoquait le fait de savoir que la matérialisation de bon nombre de moments précieux de son amitié avec Ron et Hermione étaient maintenant ensevelis sous des tonnes de gravats, de cendres et de miettes d’autres vies que la sienne.

Il savait, il comprenait que c’était une réalité, mais l’intégrer était autrement plus difficile. Donner du sens à une perte aussi importante, qui même si elle n’était que matérielle, avait un poids émotionnel non négligeable, était un effort qui rendait le déni presque rassurant. Accepter qu’en l’espace d’à peine une seconde, sa vie entière avait pris un tournant aussi dramatique, aussi imprévu, envoyant Sirius aux portes de la mort et une vie de souvenirs dans les égouts le renverrait à une époque de sa vie dont il n’avait pas encore fait le deuil, réveillait en lui des émotions qu’il n’avait pas expérimentées depuis l’accident de Ron.

Le sentiment de perte lui étreignait le cœur, lui tordait les tripes, lui donnant la sensation pénible de tomber sans fin, sans espoir de se rattraper, sans autre solution que d’espérer que l’atterrissage serait plus doux que la chute. L’impuissance, elle, était une vicieuse qui serrait et desserrait ses anneaux autour de sa gorge, se rappelant à lui quand, sur un malentendu, un instant d’inattention, il oubliait qu’il ne pouvait rien faire, ni pour aider Sirius, ni pour changer ce qu’il s’était passé. Elle s’assurait qu’il n’oubliait pas son existence, se faisait menaçante, étouffante, suffisamment pour qu’à plusieurs moments du repas, il se sente suffoquer de l’intérieur, prisonnier d’un corps qui continuait à rendre le change à ses parents, hochant la tête lorsque Lily lançait une remarque banale et dénuée de de risque, levant les yeux au ciel, comme de coutume, lorsque James tenta un trait d’humour qui resta coincé dans sa gorge, quelque part entre les lame de rasoir qui lui brûlaient la trachée depuis qu’il avait appris la situation de Sirius.

Ils ne s’éternisèrent pas, abandonnèrent la pizza dans son carton. Pendant que James et Lily partaient boire leur café sur la terrasse, aux faveurs des douces soirées printanières, Harry préféré aller se coucher, s’isoler dans une chambre qu’il ne reconnaissait plus vraiment comme la sienne. Il savait qu’il avait été, un jour, ce jeune homme insouciant, que ses camarades regardaient avec envie lorsque James passait le chercher au collège, puis au lycée, si cool que Harry paraissait presque banal en comparaison. Il avait été ce jeune homme qui riait aux éclats, toute retenue oubliée, lorsque Ron improvisait un trait d’esprit ou une pitrerie. Il avait tenu la chandelle, parfois, entre Hermione et le rouquin, les avait vus évoluer, se découvrir en tant que couple, avait écouté leurs plantes, leurs doutes, sans répéter à l’autre qu’ils étaient partagés, et avait adoré les voir apprendre à s’aimer, à s’accepter et à envisager un futur dont ils n’imaginaient pas qu’il serait brisé.

À présent, la situation était différente.

Allongé dans son lit devenu trop petit, sur le dos, un bras plié derrière la nuque, Harry regardait le plafond, se remémorant les paroles de sa mère, les images qu’il gardait de son immeuble en flammes, la sensation de l’odeur de brûlé, la chaleur étonnante que les ruines dégageaient alors même que les pompiers avaient quasiment terminé de les éteindre, la confiance aveugle dans le regard de Remus. Le soulagement dans celui de James. La colère, perceptible, la lassitude, à peine cachée, dans les paroles de Lily.

Il avait beau chercher, réfléchir, retourner, dénouer et ré-emmêler son cerveau fatigué, il ne pouvait que donner raison à sa mère, et c’était d’autant plus douloureux : il n’y avait jamais eu de raison profonde à sa fuite, rien qui justifie qu’il ait décidé, sans même en avoir conscience…

Ses pensées furent interrompues par une vibration dans la poche de son jean. Il se contorsionna afin d’attraper le téléphone. C’était le second message que lui laissait Draco ce jour-là.

« Ton pavlova me manque. Tes croissants, aussi. »

« Ton cul aussi, un peu. »

Un sourire étira ses lèvres, avant qu’il soit assailli par un sentiment de culpabilité écrasant.

« Mon cul ou ma cuisine, il va falloir choisir ».

La réponse ne se fit guère attendre. Malgré les sept heures de décalage horaire (d’après ce que Harry avait calculé), le blond semblait capable de lui écrire, pour peu qu’il en ait l’envie, à n’importe quelle heure.

« Ta cuisine a déjà fait ses preuves. »

« Mon cul aussi, si je me souviens bien. »

« Peut-être sur un malentendu, Potter. »

« Tu es un enfoiré. »

« Le découvres-tu seulement maintenant ? »

« Non, mais l’ampleur du phénomène m’étonne à chaque fois. Tu devrais dormir. »

« Je dors peu. »

« Moi pas. Tiens-moi au courant de ton retour à Londres. »

Draco repoussa le téléphone portable.

Seule la nuit était en mesure de lui offrir un peu de répit, un peu d’air dans une chaleur étouffante qu’il avait de plus en plus de mal à supporter. Toute son enfance, sa mère lui avait répété qu’il était une créature au sang chaud, qui avait besoin que le monde autour de lui soit le plus frais possible. De fait, Draco ne parvenait vraiment à travailler et à se concentrer la nuit, à la faveur de la fraîcheur nocturne, de la lumière lunaire et de courants d’air qui, lorsqu’ils soulevaient ses cheveux ou caressaient sa peau, lui provoquaient des frissons infiniment plus appréciables que les gouttes de sueur que lui affligeait le climat local la journée.

C’est aussi la nuit qu’il s’autorisait à penser à Harry, aux messages qu’il lui envoyait — ça n’était en réalité pas tout à fait exact : il se contentait de répondre aux siens. Pas de premier pas, jamais, mais il y avait toujours dans le ton un petit quelque chose qui lui donnait le sentiment qu’il n’agissait pas ainsi par politesse. Harry Potter n’était pas fondamentalement quelqu’un de poli, pas dans le sens où les individus que fréquentaient habituellement Draco l’auraient entendu : il ne faisait les choses que parce qu’il en avait envie, et quand il acceptait cette envie.

Lui-même s’étonnait du naturel avec lequel il lui écrivait.

Ecrire était simple.

Bien moins intime, bien moins profond, bien moins porteur de conséquences que de parler, que de laisser ses émotions, ses sensations, ses opinions moduler sa voix, ses expressions, le dessin de ses lèvres et l’ouverture de ses pupilles.

Ces derniers jours, à Perth, les affaires avaient pris un tournant que Draco n’avait pas imaginé.

D’abord, Pansy était revenue.

Il est emmêlé dans les draps. Un coin est enroulé autour de son mollet, un autre couvre à peine son dos, et son visage est enfoncé dans l’épaisseur confortable d’un oreiller. Comme chaque nuit depuis son arrivée à Perth, il lui a fallu attendre que l’aurore pointe le bout de son nez pour parvenir à trouver le sommeil. Il s’est ressourcé, s’est nourri de la fraîcheur de la nuit, et est enfin parvenu à s’endormir. Son repos n’a pas été serein, si l’on en croit l’état du lit, les draps retournés, emmêlés, froissés, si l’on se fie à son corps tordu dans une position cocasse, en diagonale dans le lit, les jambes écartées et repliées, et le grognement peu amène qu’il pousse quand les coups contre la porte de la chambre se répètent.

Toc, toc, toc.

Il grogne dans son sommeil, importuné par un son dont il ne sait s’il est réel ou s’il est une part de ses songes. Draco fait partie de ces personnes qui ne se souviennent jamais de leurs rêves, qui parviennent à se convaincre qu’ils ne rêvent donc tout simplement pas. Parvient-il à se convaincre que son humeur, au petit matin, est totalement étrangère aux histoires qui peuplent ses nuits ?

Toc, toc, toc.

Les coups sont plus forts. Draco ouvre un œil, grogne une nouvelle fois, cache son visage de son avant-bras, plie et déplie ses jambes. Son corps nu est encore chaud de sommeil, mais dans le gris de ses yeux, on ne peut guère s’y tromper, c’est l’agacement qui étincelle. Être réveillé alors qu’il a enfin réussi à trouver le sommeil dans la chaleur grotesque de l’Australie est une provocation qu’il ne peut pas accepter.

Toc, toc, toc.

Il repousse les draps, passe une main dans ses cheveux, se redresse. Sa peau est moite, moins pale qu’à l’accoutumée. Le soleil de l’Australie l’a délicatement dorée, et les rares fois où il s’est autorisé à profiter de la piscine de l’hôtel n’y sont pas étrangères. Sur le bas de son ventre, le tatouage a cet air endormi, calme et serein, à des années-lumière de l’humeur massacrante de Draco. Nu comme un vers, il s’avance vers la porte, qu’il ouvre sur une Pansy élégante comme jamais. Sous ses lunettes de soleil, elle hausse un sourcil à la vue de la tenue plus que légère de son associé, et entre dans la pièce sans autre forme de préavis.

— Parkinson, marmonne Draco, glacial.

— Heureuse de te voir aussi, Draco.

— Qu’est-ce que tu fais ici, au juste ?

— J’ai décidé de ne pas partir, figure-toi. Tu t’es comporté comme un connard arrogant et mal élevé, et autant j’étais au courant pour le connard arrogant, autant quelque chose me dit que Narcissa n’apprécierait pas de savoir que ton comportement remet en question la façon dont elle t’a élevé, indique Pansy, parfaitement à l’aise, en déposant son sac sur la table basse. 

Il s’assit sur l’un des fauteuils de la suite, sans prendre la peine d’enfiler quoi que ce soit. Dans cette chambre, ils sont deux prédateurs, deux animaux terribles capables du pire, au mieux. Pansy, féline et sensuelle, perchée sur de hauts talons qui lui confèrent une allure d’une grâce presque indécente, ne parvient plus à tromper Draco depuis bien longtemps, mais le surprend parfois, tant elle est patiente, capable de veiller sur sa proie jusqu’au moment opportun. Draco, lui, est venimeux, use de son charme froid et reptilien, hypnotique et irrésistible. Ils ont cela en commun : lorsqu’ils ont choisi une proie, celle-ci n’a plus d’autre choix que de se rendre. Pire encore, elle en vient à souhaiter se laisser aller aux griffes de l’une et aux crocs de l’autre, libération presque plus confortable que le charme dangereux qu’ils ont affuté comme l’on aiguise les meilleures lames.

La robe blanche épouse parfaitement ses courbes, son ventre plat, ses cuisses légèrement plus larges que ce que les canons de beauté suggèrent habituellement, sa taille fine et la cambrure de sa chute de reins. À l’instar de Draco, elle a profité du soleil ; il la soupçonne même d’avoir passé de longues heures à profiter de la fraîcheur d’une piscine quelconque, peut-être même de la plage, pendant que lui-même étouffait dans les bureaux mal climatisés de ses clients potentiels et de ses nouveaux contacts.

— Ça ne me dit pas ce que tu fais ici, réplique Draco de l’air de celui qui s’ennuie profondément.

Pansy s’appuie contre le fauteuil, face à Draco, posant une fesse contre le dossier.

— Tu es mon ami, Draco. J’ai beau détester ce que tu m’as fait, et la façon dont tu te comportes avec moi, j’ai envie de te donner une nouvelle chance.

Draco ricane, méprisant. La seule réaction de Pansy est de sourire.

— Je te connais comme personne. Mieux que Blaise, même. Tu aimes ton métier, peut-être plus que tu ne nous aimes, Blaise et moi. Et même si je t’aime, il est hors de question que tu m’empêches de faire mes preuves. Si je pars, Draco, non seulement une partie des clients risque de me suivre, mais en plus, tu ne parviendras pas à en faire venir de nouveaux.

Avant que Draco ne proteste, ce qu’il est sur le point de faire, à en juger le froncement de ses sourcils, et sa bouche qui s’entrouvre, Pansy poursuivit.

— Tu es doué, tu es charismatique, tu es intelligent, parce que l’art est toute ta vie. Mais la commerciale, ici, celle qui séduit, qui fidélise, qui amène les clients à accepter des contrats bien plus coûteux que ce qu’ils avaient ne serait-ce qu’envisagé, c’est moi. Celle qui parvient à les convaincre de nous choisir nous, de te choisir toi, Draco, c’est moi. Ils sont impressionnés par ton talent, savent que ton nom a du poids, du sens, ils t’admirent et te respectent, mais je suis celle qui touche leurs affects, je suis celle avec qui ils ont envie d’avoir des contacts, parce que si ça n’était que toi, ils t’éviteraient au maximum.

La jeune femme s’interrompt, consciente de la dureté de ses propos, de la cruauté, presque, dont elle fait preuve. Mais il est plus que temps qu’elle fasse respecter son talent, et que Draco cesse de la considérer comme acquise. Elle s’est tue trop longtemps, bridant son propre caractère passionné, ses propres ambitions, au nom d’une amitié et d’une loyauté envers Draco qu’il ne manifeste pourtant pas à son égard. Longtemps, elle a cherché à dire les choses, à arrondir les angles avec lui, abandonnant une habitude d’honnêteté et de franchise en toutes circonstances qui a pourtant fait la force de leur amitié, lorsqu’ils n’étaient encore qu’enfants.

 Après tant de temps passé à forcer le respect, dans sa propre famille, dans son entourage, mais aussi dans son propre réseau professionnel, elle a oublié que Draco n’est pas seulement son ami : il est aussi un autre adversaire. Le plus grand, le plus redoutable, celui qui peut véritablement la mettre en difficulté. Elle a oublié, à force de vouloir faire ses preuves, que le meilleur moyen de gagner le respect de Draco est de l’affronter, de s’imposer. Elle a oublié que ce qu’il aime chez elle, c’est sa ténacité, sa force de caractère, cette capacité qu’elle a de s’imposer, de faire usage de la force, de la menace, voire même de la dissuasion. Elle a oublié qu’il n’y a pas plus fier que lui lorsqu’elle affiche ce petit sourire victorieux qui signe une victoire, une réussite personnelle. 

Décider de revenir vers Draco n’a pas été de tout repos, et c’est justement de repos dont elle a eu besoin. Pendant plusieurs jours, elle a visité, découvert, s’est accordé des séances de shopping, de dépaysement, mais la majorité de son temps s’est trouvée consacrée à une décision qu’il était plus qu’indispensable qu’elle prenne : partir ou rester. Renoncer ou s’accrocher. Abandonner ou s’imposer. Fuir ou se battre. Détruire une amitié, ou retrouver une proximité qui depuis longtemps se limite trop à préparer les valises de Draco, à prendre l’avion avec lui et à lui servir de paillasson.

Pansy se retient de se mordre la lèvre. Montrer son incertitude, ses doutes, n’est pas la meilleure stratégie : Draco risquerait trop d’en profiter pour profiter de cette faiblesse affichée. Elle affiche donc un sourire confiant, et elle connait suffisamment bien Draco pour savoir que sa décision est déjà prise. Pourtant, il lui faut entendre une réponse. C’est un besoin, une nécessité absolue, pour elle, pour repartir sur de bonnes bases, envisager une coopération qui ne soit pas tordue, déséquilibrée, qui lui permette, à elle, de s’épanouir, de travailler pour elle en plus de trimer pour Malfoy.

— J’ai besoin que tu prennes une décision, Draco. Et j’ai besoin que tu la prennes maintenant. 

*.*.*.*

Et voici la fin du chapitre 5! Si je suis tout à fait franche, je dois dire que so far, ce chapitre est mon préféré. Il m'a donné du fil à retordre, c'est le moins qu'on puisse dire, mais je considère que ça y est, l'histoire commence vraiment. Ca a mis du temps à s'installer, mais c'est parti, et c'est parti pour de bon. La bonne nouvelle, également, c'est que la publication ici est maintenant synchro avec la publication sur les autres sites sur lesquels je publie également, ce qui signifie que je posterai à l'avenir ici tous les samedi (dans l'optique où le chapitre sera prêt à temps, auquel cas ce sera publié le samedi suivant). 

Nous devrions donc, je l'espère, nous retrouver le samedi 29 Avril (cela dépend un tout petit peu de ma correctrice, mais... croisez les doigts avec moi, oui ?) 

N'hésitez pas à laisser un petit mot, c'est toujours si agréable. 

Shelby. 

 
 
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