Chapitre 3 Retour à la réalité On sonne à la porte…ça fait un moment que je n’avais pas entendu ce son. Je me lève péniblement de mon lit, l’esprit encore brumeux. Je n’ai plus aucune notion. Tout ce dont j’ai conscience c’est que si mon sang continue à battre aussi fort contre mes tempes, ma tête va finir par exploser. Je me traîne jusqu’à la porte d’entrée et l’ouvre avec des gestes lents, encore empreints de fatigue. La lumière du couloir m’aveugle presque, mes yeux essayent de s’y adapter petit à petit. Le soleil peut-il déjà être levé, quelle heure est-il ? - « Bonjour, une livraison pour Sorel CALISTO ; dit le jeune homme présent sur le pallier en levant la tête vers moi. » Il rougit et baisse la tête soudainement en me voyant. Je ne me rend pas compte de suite que je suis torse nu, le pantalon ouvert et que je le dévisage sans gêne. Je ne l’ai jamais vu. Ce n’est pas lui d’habitude. J’ouvre la bouche pour articuler quelque chose. - « Quelle heure est-il ? dis-je d’une voix encore rauque. Il a un léger sursaut et me regarde d’un air étonné. Je lève un sourcil d’interrogation. Il remonte vivement une manche de sa chemise et jette un coup d’œil à sa montre. - « Neuf heures et demi Monsieur. » Mon cœur fait un bond. Si tard ? Mon ange. Je t’ai oublié. Une tristesse étrange m’envahit. Tu as hanté ma nuit et je n’ai pas su me réveiller à temps pour te voir à nouveau, du moins essayer. Comment ai-je pu t’oublier ne serait-ce qu’un matin alors que tu es devenu le centre d’intérêt de mon monde, la seule personne qui m’ait redonné l’envie de vivre sans que nous nous soyons encore rencontrés, ni parlé ? Comment ai-je pu oublier qu’un ange d’une telle beauté m’attendrait peut-être dans le parc où je me languis de te voir à nouveau ? J’aimerais tellement qu’à ton tour tu me voies. Que nos regards se croisent, et que tu comprennes ce que tu représentes pour moi depuis ce matin-là. Sans un mot, je veux que tu lises dans mon regard comme j’ai lu dans le tien, aucun mot ne réussira à traduire ce que je ressentirai au moment où tes prunelles se plongeront dans les miennes. - « Monsieur ? Le papier que vous avez commandé… » La voix du livreur me tire de mes pensées. Il me tend une feuille et un stylo. Je signe, prends le paquet et m’enferme dans mon appartement sans lui adresser un mot. Pardonne-moi mon ange… Je me laisse glisser le long de la porte, laissant tomber le colis que je viens de recevoir. Je sens tout au fond de moi que nos routes se croiseront à nouveau, je suis fait pour te revoir, fait pour t’aimer. Même si cet amour, que dis-je, cette obsession me rendra fou. Même si chaque nuit je dois m’enivrer et ne plus être capable d’autre chose que de t’imaginer dans mes bras. Il me faut au moins toucher le glabre de ton visage, connaître les traits de cette figure si hâve. Et peut-être un jour me laisseras-tu apprendre ces lignes comme je l’entends, redessiner celles de ton corps élancé, et, qui sait, mener avec ton corps la plus belle des danses. L’eau chaude parcourt mon corps et m’apaise. Je sens une once d’espoir naître en mon sein. Et si ce matin tu étais là ? Je coupe l’arrivée d’eau, attrape une serviette et me sèche lentement. Une multitude de questions se bousculent dans ma tête. Le rythme des battements de mon cœur s’accélère. Ça y est, je suis décidé et je m’élance. Je cours jusqu’à perdre haleine dans les sentiers qui mènent à l’endroit où je t’ai attendu tant de fois. J’y suis, je m’arrête, essoufflé. Et si je fantasmais, et si tu ne venais toujours pas ? Des larmes chaudes roulent sur mes joues, je ne sais pourquoi. Un vent glacé souffle sur les traces laissées par mes sanglots. Je n’avais pas remarqué qu’il faisait si froid. Nous ne sommes pourtant qu’en novembre. Je ne peux plus reculer. Il faut que je sache, que je lève la tête pour regarder autour de moi, regarder si tu es là, au moins cette fois. Mon cœur n’a cessé de battre à tout rompre, peut-être à cause de ma course folle, mais je n’y crois pas. J’ai peur. Peur qu’à nouveau tu ne sois pas là, peur d’être déçu. Si je te voyais ce matin je crois que mon cœur lâcherait. J’ouvre alors les yeux, les points serrés. Mon cœur s’accélère encore un peu plus. Je lève lentement la tête. Une voix retentit alors. En un coup de vent un cycliste me renverse. La peur m’a fait fermer les yeux. Je suis allongé sur le dos, les yeux toujours fermés lorsque la voix qui m’a prévenu se fait entendre à nouveau. Elle est grave et chaude. Suave et à la fois éraillée. Elle vous crée un pincement au cœur. Elle vous touche au plus profond de vous même comme vous toucherait la voix de quelqu’un que vous aimiez et que vous n’avez pas entendu depuis longtemps. Des petits picotements s’emparent alors de mon cœur. Une main chaude se pose sur mon épaule et la voix se fait à nouveau entendre. - « Ca va ? » C’est alors que j’ouvre les yeux. Je crois que mon cœur s’est arrêté, ça y est. Tout tourne autour de moi. Je me sens emporté par une onde de sentiments étranges. J’ai l’impression que mon regard se voile et pourtant je n’ai jamais vu aussi clair que ce matin. Ce visage penché au-dessus du mien. Cette vision enchanteresse… Mon ange… Comment puis-je y croire ? Seul un songe peut faire en sorte qu’il soit si près de moi. Pourtant je ne rêve pas, je ne suis plus ivre. Je ne sens plus mon corps, mes pensées fusent à toute allure et je n’arrive même pas à les arrêter. J’ai l’impression que mon cœur bat au ralenti alors qu’il bat de nouveau frénétiquement. Ce regard sombre et si doux… c’est bien la réalité. |