Prologue « Adieu mon amour. » Des cernes ont pris possession de mon visage, la fatigue me gagne petit à petit. Ces nuits à ne penser qu’à lui viendront à bout de moi. J’ai gardé dans mon lit cette place qu’il ne prend plus depuis un mois déjà. Le firmament est voilé d’une épaisse couche de nuages presque étouffants. Avant de plonger dans le jour, je m’enivre du calme d’une ville endormie, presque morte. Cette odeur de rien qui arpente les rues chaque matin et chaque soir. Cette bise glacée qui vient m’embrasser chaque fois que je contemple l’inertie de la vie. Cette bise que je connais si bien, celle qui a séché les larmes que je n’ai plus aujourd’hui. Seule une petite lueur rouge me rappelle que je suis en vie, c’est par elle que je respire, son odeur m’est fondamentale, l’apaisement que sa fumée m’apporte lorsqu’elle parcoure le long de ma trachée pour se caler dans mes poumons, et ensuite s’en aller me rappelle que je vis. Je suis seul dans cet appartement, il est trois heures du matin, et je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Ton odeur suffisait α emplir ce lieu de bien-être. Je te revois, à ma place, contemplant l’étendue de la mer qui voisinait avec notre appartement, la pièce inondée d’une chaleur pesante et pourtant si familière. La chaleur de nos corps enlacés il y a peu de temps, de tes mains sur moi, de ta bouche si experte parcourant ma peau, de nos corps ne faisant plus qu’un dans une répétition de va et vient si exquis, de ta voix suave qui me berçait d’une kyrielle de mots enflammés. Ma vie reprenait alors tout son sens entre tes bras. Tu me complétais. Ces images sont désormais ma torture, alors qu’il y a un mois de cela elles étaient mon plaisir. Aujourd’hui notre amour s’écrit au passé. Cela ne te suffisait pas de m’avoir quitté, faut-il également envahir ainsi mes pensées ? Je l’ai gardé, ce mot laissé sur le lit. Ce simple morceau de papier qui a réduit ma vie à néant. Ces mots pourtant si simples qui ont fait de moi ce que je suis aujourd’hui. Mes larmes ont laissé leur trace sur cette encre bleue. À présent je ne pleure plus, je n’ai plus de larmes. Je me laisse aller à ce qui m’entoure. J’attends. J’attends qu’on me délivre de cet amour. Cet amour dont tu m’as fait prisonnier. La clé de ma prison n’est pas loin, mais j’ai beau tendre la main, je n’arrive pas à l’attraper, le lien que tu as tissé entre nous me ramène sans cesse à toi et je m’étrangle à trop vouloir m’en défaire. Trois heures sont passées, il est temps de sortir de mon appartement. De capturer les premiers instants de vie de cette ville où je demeure. Assis sur un banc, mon appareil entre les mains, je laisse l’inspiration de l’aube guider mon regard et mes gestes. C’est la nuance qui fait toute la différence, mes productions sont en noir et blanc, la vie n’est pas seulement dans la couleur elle est dans l’objet même de la photographie. Je suis Sorel CALISTO, j’ai 20 ans, j’étudie et je vis la photographie. Votre vie fait la mienne, sans vous je ne suis rien. L’instant d’un clic, ma vie reprend son sens. Ce matin, l’instant d’un clic, ma vie a pris un tout autre sens. Je l’ai vu. |