|   « Et traînée par la foule qui s'élanceEt qui danse
 Une folle farandole
 Je suis emportée au loin  »
 
 Je me suis levée. Mes forces me sont revenues, bien que faibles,  cependant. Et la foule qui marche dans un sens, puis dans l'autre, au  son de l'accordéon dans ma tête, qui joue et rejoue la mélodie. Cette  danse m'enivre et j'ai le mal de mer. Tanguant au rythme des pas, je  n'ai rien sur quoi me raccrocher. Pas d'attaches, mon regard est vide et  il n'y a personne pour moi, ici.
 
 Je me noie. Encore.
 
 Je suis si petite, au milieu de tous ces géants de chair et de sang, qui  autour de moi qui souffre, n'en ont rien à faire. Je sors la tête,  tends mon cou et j'inhale le peu d'oxygène qui me reste dans ma prison  corporelle. Mais les autres m'emportent et je n'ai pas le choix. Je me  laisse aller, suivant la musique dans ma tête et me laissant emporter  par celle des conversations du dehors.
 
 Puis, une ombre. Entre un bras et un dos. Une ombre lumineuse. Mon point  d'attache. Mes muscles se mettent en marche un à un tandis que mon cœur  se réchauffe, tel un moteur. Et je m'élance. Je plonge dans la foule et  je nage avec ardeur. Jeu de coude, de main, et j'avance sans relâche.  J'ai perdu mon objectif, mais je sais qu'il est là.
 
 Çà et là, je le vois. Il est là, bien qu'illusoire, il est là. Son ombre  disparaissant au détour d'un dos, ou d'un ventre rebondi, il avance à  la même vitesse que moi. Mais le courant de la population est contre  nous, il finira bien par s'épuiser.
 
 Moi, je ne suis pas fatiguée. Je sais que la fin est bientôt arrivée, je  pourrais me reposer, quand je l'aurai trouvée, cette ombre.
 
 Il s'arrête. Moi j'avance encore un peu. Mais je me heurte à un mur. Un  banc de corps me fait face, et c'est perdu d'avance. Elle est là,  derrière, l'ombre. Elle me regarde et il sourit. L'homme, l'illusion...
 
 Puis il disparaît. Dans un chuchotement d'écume il se décompose et se  laisse emporter par le vent. Il est perdu.
 
 Mais moi, je sais où il est. Je l'ai trouvé une fois pour toute, et je  le retrouverai encore.
 
 Bien qu'illusoire, il est à moi.
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