| Salut à tous ! Voici une histoire que j'ai écrite  pour Gevoel, qui m'a proposé d'y insérer aussi naturellement que  faire se peut les mots suivants : nonobstant, concupiscent, obscène,  incertitude, punch, sauvegarde, bug, cagibi, chaudoudou. (Ils sont en  gras dans le texte.) J'ai créé Gabriel, mais le personnage de  Joshua lui appartient. WARNING : c'est une fic à propos de  relations homosexuelles masculines. Homophobes passez votre chemin ! Rating  : T (plus ou moins) Bonne lecture ! .oOo. Les yeux rivés sur sa copie, Gabriel mâchouillait  pensivement son crayon gris – le pauvre en avait déjà vu de belles, à en  juger par les traces de dents déjà anciennes qui ornaient son extrémité  – et tentait de se rappeler en quoi la domination de la famille Borgia  sur l'Italie avait été importante. Au vu des regards désespérés que  s'échangeaient ses camarades, le sujet tombé n'était pas celui qu'ils  espéraient – et loin de là, même. Il fallait admettre que c'était quand  même la tuile, pour une épreuve d'histoire, de tomber sur le seul sujet  que le prof avait rapidement évacué en disant que de toute façon, ce  n'était pas ce qu'il y avait de plus intéressant et qu'il n'y avait que  peu de chances pour que ça tombe en examen. C'était tombé,  finalement. S'il ne parvenait pas à se rappeler à temps pourquoi  ces foutus Borgia avaient eu une telle importance, son père allait  l'étriper – à ses yeux, avec leurs racines italiennes, il était impensable  d'avoir des incertitudes sur un tel sujet. Sauf que Gabriel  était blond aux yeux bleus, et que question ascendance italienne, il  avait rarement vu moins révélateur. Peut-être que ça tenait au fait que  sa mère était plus suédoise que française, et que le sang italien dont  son père était si fier ne devait pas compter pour plus d'un quart de ses  origines. En faisant fonctionner ses neurones à fond la caisse,  il parvint à situer quelques petits détails qu'il s'étonna d'avoir  mémorisé, par exemple l'année de mort de César Borgia, fils du pape  Alexandre VI, ou le fait qu'il soit devenu cardinal à 18 ans, avant de  retourner sa veste pour s'occuper des armées du royaume. Pas de quoi  remplir une copie, certes, mais c'était sans doute plus que le reste de  ses camarades de classe. Il écrivit rapidement ses maigres informations  sur sa feuille, tant qu'il s'en souvenait, puis leva la tête pour  contempler le désastre. À sa droite, Jorge s'était tellement pris  la tête dans les mains que ses cheveux bruns – lui, au moins, on voyait  directement qu'il était espagnol – pointaient dans tous les sens.  Devant, Paul, le petit timide, semblait pâle de terreur à l'idée de  rater son examen, et ses tâches de rousseur ressortaient encore plus. Il  se rongeait les ongles d'un air effaré, mais il n'y avait toujours rien  sur sa copie. À sa gauche, Louis, le mec bizarre, faisait des dessins  sur son brouillon après avoir vaguement griffonné dix lignes de texte –  écrit très gros et très espacé. Au fond, les pieds sur la table et  les bras derrière la tête, il y avait Joshua Lasheras, le brun aux  cheveux longs et à la peau bronzée, qui n'avait même pas pris la peine  de retourner le sujet pour voir sur quoi il portait. Gabriel l'observa  en silence, un instant ; c'était le type qu'il pouvait le moins blairer  de tout le lycée. Il mettait toujours le boxon partout où il passait –  et nul doute que ça ferait pareil cette fois encore, quand le prof  remarquerait la façon dont il se tenait. En soupirant, il détourna  le regard. Dehors, le ciel était d'un bleu insolent, et Gabriel songea  que c'était de la torture morale que de les obliger à rester assis huit  heures sur une chaise alors que dehors, le monde vivait sans eux. Perdu  dans ses pensées, il sursauta lorsqu'une boulette de gomme lui frappa la  tête, et se tourna vers l'expéditeur, son voisin de droite Jorge, qui  souriait de toutes ses dents. Il essayait de lui faire comprendre  quelque chose, visiblement, mais Gabriel arrivait autant à lire les mots  sur ses lèvres que les pattes de mouche qui lui servaient d'écriture –  il haussa les épaules en guise d'abandon, et Jorge, impatienté, tenta  d'articuler les syllabes plus nettement, jusqu'à ce que, bien  évidemment, résonne le cri du surveillant. - Hé ! Vous ! On ne  parle pas pendant une épr... À son regard exorbité, Gabriel  comprit qu'il avait découvert la posture de Joshua Lasheras, passée  inaperçue pour le moment – d'un coup, Jorge fut totalement oublié dans  l'esprit du surveillant. Il regarda d'un air paresseux l'homme foncer  sur le lycéen, l'air aussi furieux qu'un bison en train de charger. -  Asseyez-vous correctement, là ! Sa tentative glissa sur Joshua  comme sur une peau de phoque – le brun le fixait de ses yeux noirs, d'un  air définitivement moqueur, et ne fit pas un geste pour obtempérer. -  Je t'ai dit de t'asseoir correctement ! Tu m'as entendu ? brailla le  surveillant, passant sans transition du "vous" au "tu" pour marquer son  autorité – avec autant de succès qu'un caniche qui tenterait d'engueuler  un lion. - Un peu, oui, répliqua Joshua d'un ton suintant  d'ironie. On n'entend que vous ici. Vous savez qu'on ne parle pas  pendant une épreuve ? Pendant que les élèves fixaient leur  camarade avec une bouche en O pleine de stupéfaction, Gabriel regarda sa  montre. Plus que dix minutes de cette mascarade avant d'être libre de  quitter la salle. Pas dommage... À sa gauche, Louis s'était endormi, la  tête dans les bras, pendant que le surveillant hurlait des ordres à  Joshua, dans une vaine et pathétique tentative de sauvegarde de  son autorité. Il était toujours en train de crier quand Gabriel se  leva, copie en main. Il avait observé la pointeuse de sa montre se  déplacer sur le cadran avec une précision chirurgicale, jusqu'à ce que  les aiguilles atteignent l'heure souhaitée : maintenant, pas une minute  de plus dans cette pièce à l'atmosphère étouffante. - Hé,  qu'est-ce que vous faites, vous ? s'exclama le surveillant, qui n'en  avait pas encore fini avec Joshua. - Je me barre, ça fait deux  heures que l'épreuve a commencé. - Hé, mais !! s'exclama l'homme,  indigné. - J'ai le droit, répondit Gabriel en soutenant son  regard. On peut s'en aller une fois que l'épreuve a atteint la moitié de  son temps, alors je me barre. Rapidement, il signa la feuille de  présence, laissa tomber sa copie sur le bureau, et fut aussitôt imité  par une dizaine d'élèves qui se levèrent dans un joyeux brouhaha. -  L'épreuve n'est pas terminée ! hurla le surveillant. Si vous voulez  sortir, faites-le en silence !! Tout en constatant que les  mots du pauvre type semblaient absolument sans effet sur les élèves,  Gabriel récupéra sa veste et son sac et sortit de la salle, rapidement  rattrapé par Jorge. - Enfin, on va pouvoir parler ! grinça son  ami. J'en pouvais plus de rester silencieux. - Qu'est-ce que tu  voulais me dire, tout à l'heure ? - Je voulais qu'on aille boire  un verre au Devil's Nest après l'épreuve. - ... Et tes révisions  pour la philo de demain ? Jorge éclata de rire, visiblement peu  impressionné par la menace de perdre la partie face à une vicieuse  pensée freudienne ou platonienne à expliquer et commenter. - Parce  que tu croyais naïvement que j'allais réviser ? Et puis d'abord, si  c'était le cas, j'y arriverais mieux avec un peu d'alcool dans le sang. -  Moi pas, répondit Gabriel d'un ton ennuyé. - De toute façon,  reprit Jorge sans l'écouter, qu'est-ce que tu veux réviser, en philo ?  C'est pas comme si tu pouvais mieux réussir en apprenant par cœur ton  cours. Au fond, c'est juste une perte de temps, c'est tout. Tu crois  pas, Joshua ? ajouta-t-il en s'adressant à l'élève qui venait de les  dépasser sans un bruit. - C'est le bahut qui est une perte de  temps, répondit simplement le brun. En voilà un autre qui allait  finir caissier à Auchan, songea Gabriel avec fatalisme, en jetant un  regard à sa montre. Mais bon, après tout, ce n'était pas son problème si  l'autre ne voulait pas en foutre une en cours. Lorsqu'il releva les  yeux, Joshua se tenait devant lui, les mains sur les hanches, et le  fixait d'un air franchement hostile. À croire qu'il avait lu dans ses  pensées. - T'as quelque chose à y redire, blondinet ? Et  voilà, une fois encore, il s'amusait à le provoquer. Ça n'avait jamais  été l'amour fou entre eux – même tout le contraire – mais ces derniers  temps, c'était encore pire que d'habitude ; c'était l'une des raisons  pour lesquelles Gabriel avait hâte d'entrer à la fac : ça au moins,  c'était un endroit où il était sûr de ne plus voir sa tronche de rat. -  Rien qui soit susceptible de t'intéresser, répondit-il calmement. Ce  n'était pas faute d'éviter le conflit, pourtant – mais autant il  parvenait à maîtriser son aversion envers Joshua pour rester poli,  autant l'autre se jetait sur chaque petit détail qui pouvait rajouter de  l'huile sur le feu. Comme s'il avait besoin de quelqu'un pour se  défouler. - Tu sais bien que tout ce que tu dis m'intéresse, mon  ange, susurra Joshua d'une voix ironique. - Malheureusement, c'est  pas réciproque, alors si tu pouvais me lâcher les pompes, ça serait  royal... - Connard, grinça l'autre entre ses dents. Rétrospectivement,  il ne savait pas trop à quoi c'était dû – il se souvenait juste que le  jour de la rentrée, en seconde, leurs regards s'étaient croisés un  instant, et de ce jour, ils s'étaient cordialement haïs. Les amitiés au  lycée pouvaient changer ou s'affaiblir, et les copines pouvaient  apparaître et disparaître – de ce point de vue là, la haine réciproque  qu'ils se vouaient avait été la chose la plus stable de toute cette  période. Ce fut Jorge qui s'interposa, habitué qu'il était – comme  tous les autres – à ce genre de scène, pour dire à Joshua : - Je  pensais t'inviter à venir avec nous au Devil's Nest, mais finalement,  j'ai pas envie de contribuer à pourrir l'ambiance, alors... -  Vas-y sans moi, grinça Joshua. Je préfèrerais me taper une fille plutôt  que d'aller boire un verre avec ce type. Ça, ça voulait dire  beaucoup, venant de Joshua – il avait passé toutes ses années lycée à  rembarrer des nanas en répétant à tout bout de champ qu'il n'y avait  rien de plus hideux que de seins, et que quitte à se taper une paire, il  préférait qu'elle se trouve sur une autre partie du corps. Et malgré le  nombre affolant d'homophobes que recelait ce lycée de coincés, personne  n'avait jamais osé lui faire la moindre remarque méprisante à ce sujet.  Il fallait dire qu'il n'était pas mauvais avec ses poings, et qu'il ne  se privait pas de les utiliser... Lorsque Joshua se fut un peu  éloigné, Jorge se tourna vers Gabriel et soupira : - Je sais que  tu le détestes, mais il ne reste que quelques mois de cours, ça vous  dirait pas d'essayer d'arrêter de vous entretuer à chaque fois que vous  vous voyez ? - Mais je fais rien, moi, rétorqua Gabriel avec  férocité. C'est lui qui me provoque à chaque fois ! - Et ça marche  très bien à chaque fois, soupira Jorge. Si tu restais silencieux, au  bout d'un moment il en aurait marre de t'emmerder, tu penses pas ?  T'essaierais pas, la fois prochaine ? - Ça fonctionnera pas,  grogna Gabriel, irrité. Pas avec lui. - Bon, bah fais comme tu  veux, alors. On va boire un verre ? - Non, je rentre chez moi,  j'en ai ma claque. Amuse-toi bien. - Lâcheur ! s'exclama Jorge.  Traître ! Mais le blond s'était déjà éloigné. .oOo. L'épreuve de philo, et toutes  celles qui avaient suivi, s'étaient déroulées suivant le même schéma que  l'épreuve d'histoire – quatre heures sur une chaise, donc une passée à  dormir, deux à contempler le beau temps, et finalement, une demi-heure à  réfléchir, et l'autre demi-heure à écrire. Le seul changement résidait  dans l'impossibilité de sortir en avance, car depuis le fiasco du  surveillant face à Joshua Lasheras, la classe entière avait pour  obligation de rester jusqu'à la fin. Inutile de dire que ça avait valu  au brun de copieuses insultes, auxquelles il avait vertement répondu. -  Enfin, c'est du passé, soupira Jorge en s'étirant sur sa chaise.  Maintenant, le truc, c'est qu'on va recevoir nos copies. Et ça, ça  craint. - Si t'avais révisé, ça craindrait pas, fit remarquer  Gabriel. - C'est vrai. Mais t'as pas révisé non plus, alors t'es  mal placé pour me faire la morale. - C'est parce que j'ai pas  besoin de réviser pour réussir. Ça m'a pas l'air d'être ton cas, par  contre. - Connard. - Tu l'as dit, Jímenez ! s'exclama Joshua  en tapant sur l'épaule de Jorge alors qu'il passait à côté. Un vrai  connard, ce blondinet. C'était le moment rêvé pour mettre en  pratique la suggestion de Jorge – l'ignorer totalement. Gabriel fit  comme s'il n'existait pas, ce qui n'eut pas franchement l'air de plaire à  Joshua, qui se pencha vers lui et murmura à son oreille : - Pas  le peine de jouer à ce jeu-là avec moi... Je vais te pourrir  allègrement, et tu le sais. Puis il se redressa et alla s'asseoir à  sa place, pendant que Gabriel caressait le bois de sa table pour calmer  ses nerfs – qu'est-ce qu'il pouvait le haïr, ce petit con ! Le  prof de maths entra dans la salle aussi brutalement qu'à son habitude,  et laissa tomber sur son bureau un lourd tas de copie qui résonna comme  un glas funèbre. - Vos notes. Du jamais vu dans la nullité... Et  pourtant, ce lycée en a vu, des cas sociaux. Moyenne de classe : 3,70.  Du grand art. Une onde de tension parcourut la classe, et Gabriel  se demanda pourquoi ils avaient tous l'air stressés, d'un coup – ils  étaient à la rue en maths, ça n'était un secret pour personne. -  Commençons par Joshua Lasheras, avec un magnifique zéro pointé. Ce  n'était pas trop dur d'écrire votre nom sur la feuille, vous avez  survécu ? Une des raisons pour lesquelles Gabriel aimait  particulièrement ce vicieux prof de maths, c'était qu'il trouvait  toujours le moyen de s'en prendre à Joshua, de près ou de loin, et ses  petites piques agressives étaient toujours un vrai plaisir. -  Ensuite, continua l'homme après avoir laissé tomber la copie de Joshua  sur sa table – Jorge Jímenez, 0,25. Louable effort. - Aaah, fait  chier, s'exclama Jorge, et moi qui pensais avoir fait mieux que  d'habitude !! - Oh, mais vous avez fait mieux que  d'habitude, M. Jímenez, répondit le prof d'un ton cassant. Vous avez  augmenté de 0,05 points, ce n'est pas négligeable. - Sale enfoiré,  marmonna Jorge dès qu'il fut certain d'être hors d'entente. Pendant  ce temps, l'homme continuait de rendre les lamentables copies, en  provoquant le désespoir de certains et la joie d'autres, et il termina  par Gabriel, qui avait réussi l'exploit de décrocher un 14. -  Pourquoi vous n'avez pas fait les dernières questions ? demanda le  professeur. Vous avez manqué de temps ? Gabriel ne répondit pas –  il ne pouvait décemment pas dire qu'il s'était endormi sur sa copie  parce qu'il avait mal dormi la veille. L'homme n'insista pas et  s'installa derrière son bureau avant de s'adresser à la classe. - Nonobstant  votre stupidité légendaire, j'aurais tout de même cru que l'échec  serait moins retentissant. Il faut croire que je vous ai surestimés. De  ce fait, je vous ai préparé des photocopies provenant d'un manuel  différent. Comme je les ai toutes oubliées chez moi, je vais désigner  deux volontaires pour aller me chercher vingt-cinq exemplaires du manuel  "les maths pour les nuls" qui se trouve dans le cagibi du deuxième  étage au fond du couloir B. - Désigner deux volontaires...  J'aime sa conception du volontariat, murmura Jorge à Gabriel, qui hocha  la tête. - Bien, alors, vous et vous... Puisque vous avez eu l'un  et l'autre la pire et la meilleure note de la classe, je vous charge  d'aller chercher ces livres. Couru d'avance. Gabriel  jeta un regard hostile à Joshua, qui le lui rendit avec les intérêt, et  ils prononcèrent en même temps : - Je peux pas y aller avec  quelqu'un d'autre ? - On dirait que j'ai touché une corde  sensible, sourit le prof de maths, sadique comme à son habitude.  Dépêchez-vous d'y aller, et plus vite vous le ferez, plus vite vous  serez débarrassé de la présence de l'autre. - Monsieur, je peux y  aller, moi, proposa Jorge d'un ton conciliant. - Vous feriez mieux  de suivre mon cours, M. Jímenez, ça vous serait nettement plus  profitable... Qu'est-ce que vous faites encore là, vous deux ? Bon  ok – des fois, ce type était cool, mais d'autres fois, c'était juste un  sale vieux con – et à voir l'expression rageuse de Joshua, Gabriel  n'était pas le seul à le penser. Il aurait aimé qu'au moins Joshua ait  la bonne idée de la boucler pendant le trajet, mais c'était sans doute  trop en demander aux dieux. - Alors t'es content, hein ?  grinça-t-il. T'as eu la meilleure note, monsieur l'intello. Ton papa  chéri va être fier de toi. Il y avait tellement de réparties qui  lui venaient en tête, là, à l'instant précis – mais Gabriel décida de  s'en tenir au conseil de Jorge et de la boucler pour ne pas offrir de  terrain à la provocation. - Tu m'ignores ? s'exclama Joshua,  irrité. Je t'ai déjà dit que ça ne fonctionnerait pas sur moi ! Ça  valait tout de même la peine d'essayer, songea Gabriel. Avec un peu de  chance, il finirait par se lasser... Il avait déjà fait la moitié du  chemin – il ne restait plus qu'à embarquer les manuels, faire tout le  reste dans l'autre sens, et c'était bon... - Y'a pas de poignée,  dans ce cagibi ? grogna Joshua, les bras pleins de livres. Gabriel  se retourna vers la porte, bouche bée d'horreur. Elle était bel et bien  fermée. Et pas par sa faute ; c'était lui qui était rentré en premier. Ok  – c'était trop pour rester silencieux. - ... Mais pourquoi tu  l'as fermée, crétin ?! cria-t-il, ulcéré. Cette porte s'ouvre pas de  l'intérieur !! - Arrête de m'engueuler, j'ai rien fait ! hurla  Joshua encore plus fort que lui. - C'est toi qui l'as fermée,  pauvre cloche ! J'ai jamais vu un mec aussi con de toute ma vie ! -  Je te dis que c'est pas moi, bordel !! Elle a dû se refermer toute  seule ! - C'est ptete pour éviter ça qu'il y a une cale juste là,  tu crois pas ? Pauvre naze !! - Bon, tu commences à m'faire chier,  blondinet ! Les manuels volèrent, et Gabriel évita de justesse le  poing que lançait Joshua dans sa direction – pas bon, ça, le brun était  plus âgé que lui (il avait redoublé au moins deux fois, d'après ce  qu'il avait compris) et plus grand, aussi. Mais pour l'instant, il  l'irritait tellement que la pensée que ça pouvait mal se finir pour lui  ne lui traversa pas l'esprit. Il voulait juste se défouler de toute sa  haine envers Joshua ; c'était le moment parfait. C'était un cagibi  étroit, mais quand on est aveuglé par la colère, rien n'a plus vraiment  d'importance, aussi Gabriel et Joshua se souciaient comme d'une guigne  de n'avoir que 3m² pour se taper dessus. Le poing de Joshua fit voler  les bouquins d'une étagère, qui se répandirent par terre, et Gabriel en  profita pour lui en balancer à la tronche, avant de lui lancer un  vicieux coup de pied dans l'estomac, malheureusement intercepté par le  brun et retourné contre lui. Il s'écroula par terre, mais non sans  entraîner son ennemi dans sa chute – avec les étagères brisées et les  bouquins renversés, on se serait cru en pleine Apocalypse. Jusqu'ici,  Gabriel ne s'était jamais battu avec Joshua. Il y avait toujours eu  quelqu'un pour les empêcher de se tabasser, ou alors le blond faisait de  son mieux pour garder son self-control. Maintenant qu'il y pensait,  allongé par terre, avec un coin de livre qui lui rentrait dans le dos,  et en voyant Joshua à quatre pattes au dessus de lui, en train de le  regarder avec un sourire sadique, il comprit que c'était une bonne chose  – vu leur différence de carrure, il aurait été certain d'avoir le  dessous à chaque fois. - Supplie-moi de te laisser partir,  marmonna le brun, amusé. Il maintenait les poignets de Gabriel  avec une force phénoménale et bloquait ses jambes avec les siennes. -  Pas envie, haleta le blond. - T'as pas le choix, mon ange. Je ne  vais pas te lâcher, sinon. - Faudra bien que le fasses... Le prof  va arriver... - Je t'aurai détruit les poignets avant... -  Connard... - Eh oui, sourit Joshua. Pas nouveau, hein ?  Supplie-moi, j'attends. - Rêve... Le brun leva les yeux au  ciel. - Comme tu veux. J'ai tout mon temps. Le coin du livre  faisait de plus en plus mal à Gabriel, mais il n'allait certainement  pas céder. Il fallait juste attendre, le prof allait venir, sans  doute... Même si c'était un sadique, il n'allait certainement pas les  laisser enfermés... Foutu livre, foutu livre... - T'as mal,  Lerielli ? - ... La ferme... - Supplie-moi... Sa voix  était rauque, et en l'espace d'un instant, l'atmosphère avait  brusquement changé – il y avait quelque chose d'autre en plus, et  Gabriel n'arrivait pas à mettre le doigt dessus... Mais quoi que ça  puisse être, ça ne lui plaisait pas. Les yeux noirs de Joshua  brillaient d'une drôle de lueur, et ce fut à cet instant qu'il comprit  ce qui avait changé – il y avait des hormones dans l'air, autour d'eux.  C'était palpable. Le brun était plus proche, là, non ? Si,  définitivement – ses cheveux étaient presque sur le point d'effleurer  son visage. - Qu'est-ce que tu fous ? bafouilla Gabriel, mal à  l'aise. - J'ai envie de te laisser un souvenir impérissable de  notre première baston, dans un cagibi moisi, se moqua Joshua. Tu ne  l'oublieras pas... Restait à savoir s'il voulait le passer à tabac  ou autre chose – mais vu son regard concupiscent, Gabriel aurait  plutôt tablé sur le "autre chose". Il n'eut même pas le temps de  prendre les paris avec lui-même que les lèvres de Joshua s'étaient déjà  emparées des siennes, et il manqua de s'en étrangler de stupéfaction. Il  voulut mordre la langue du brun lorsqu'elle se fraya dans sa bouche,  mais quelque part, il devait y avoir un bug, parce que son corps  ne répondit pas de la façon dont il le désirait. Loin de là. Putain,  pourquoi il était en train d'embrasser Lasheras dans un foutu cagibi ?  Pourquoi il se laissait faire ? Pire, pourquoi il participait activement  ? Comme s'il n'avait plus aucune emprise sur son corps – et quelque  part, c'était le cas. Ce baiser lui mettait le feu aux sens. Si jamais  on lui avait dit un jour qu'il finirait par échanger un patin aussi  stupéfiant avec son pire ennemi Joshua Lasheras, il ne l'aurait pas cru. Comme  quoi. C'était en train de méchamment déraper, Gabriel le sentait.  Joshua avait lâché ses poignets, et l'avait pris par le col de la  chemise pour le redresser et le plaquer contre le mur le plus proche. -  Qu'est-ce que... tu fous.. ? balbutia le blond entre deux baisers  brûlants. - La ferme... Ce n'était pas lui qui l'avait  décidé, alors pourquoi ses mains trouvaient-elles toutes seules le  chemin du dos de Joshua, de son cou, de ses cheveux, pourquoi, bordel,  était-il incapable de les stopper ? Non, il devait être en train  de rêver, à coup sûr. Impossible que Joshua Lasheras embrasse si  bien ailleurs que dans un rêve – ou plutôt un cauchemar. Le brun  avait commencé à ouvrir les premiers boutons de la chemise de Gabriel  quand des voix se firent entendre de l'autre côté de la porte – et ils  n'eurent que le temps de s'écarter l'un de l'autre en toute hâte avant  que la porte du cagibi ne découvre leurs sauveteurs (ou leurs  trouble-fêtes) : Jorge et le prof de maths lui-même. - Mais...  qu'est-ce qui s'est passé ici ? s'exclama Jorge. Vous vous êtes battus ?  C'est pas vrai ! J'en étais sûr. J'avais raison de m'inquiéter ! Au  moins, le carnage des livres renversés, les cheveux en bataille, les  joues rouges et les habits débraillés ne semblaient pas leur donner  d'autres idées que celle d'un règlement de compte – ce qui était plutôt  une sacrée chance. - Gabriel Lerielli, Joshua Lasheras, vous êtes  collés tous les deux, annonça calmement le prof. Vous passerez vos  heures de colle à trier et à réparer les manuels de ce cagibi. Ensemble. Le  rapide regard que les deux intéressés échangèrent passa totalement  inaperçu. |