Salut à tous ! Voici donc le prochain chapitre, qui mérite sans doute son rating T parce que mes personnages ont une nette tendance à ne dire que des gros mots. xD Bonne lecture ! .oOo. Il restait une semaine de vacances avant de rentrer en cours – une période que Gabriel mit à profit pour déterminer en quoi la découverte de leur relation par Lawrence était une telle catastrophe. Après tout, quoi, ce qui aurait pu arriver de pire aurait été de faire la une du journal du lycée, et Joshua s'en serait sans doute totalement moqué, parce qu'il se foutait bien de ce qu'on pouvait murmurer dans son dos. Gabriel, lui, il ne s'en moquait pas. Déjà, il ne tenait pas particulièrement à révéler aux autres qu'il était bi. Dans cette période troublée qu'était le lycée, combien de ceux qui se disaient ses amis retourneraient leur veste et le traiteraient comme de la vermine, s'il faisait son coming-out ? Et puis, si ça se trouvait, ses parents en entendraient parler, et là, ça serait la fin de tout. Vu le caractère de son père, c'était certain qu'il ne lui taperait pas sur l'épaule en disant "ça sera dur, fiston, mais je te soutiens". Non, de l'avis du blond, ça serait plutôt le genre "prends tes affaires et tire-toi de ma maison, pédé!" – nettement moins classe. Et Gabriel préférait autant éviter ça. Ensuite, il ne voulait pas non plus qu'on sache que, parmi tous les mecs que comptait le lycée, il couchait avec Joshua Lasheras, alors que leur haine était presque devenue un sujet de légende dans le bahut... Non franchement, il ne pouvait pas laisser faire ça. Impossible. Sauf que, si Lawrence avait laissé traîner ne serait-ce qu'un minuscule indice, qui serait tombé dans une oreille avertie, ça pourrait rapidement déraper – ce qui signifiait donc une chose : il ne pourrait plus rien faire avec Joshua dans le bahut. C'était déjà dangereux avant ; ça devenait suicidaire, à présent. Sauf qu'il ne savait pas si le brun allait vraiment bien prendre la nouvelle... Lorsque Gabriel entra dans la classe le lundi de la rentrée, et que Jorge se précipita sur lui avec un air de conspirateur, le blond crut sérieusement que le secret avait été éventé. Et les premiers mots de Jorge ne l'aidèrent pas vraiment à faire disparaître cette impression : - Gabriel, j'ai parlé à Lawrence... L'espagnol entraîna son ami dans un coin de la pièce, profitant de ce que le prof n'était pas encore arrivé, et murmura : - Tu m'as pas raconté ce qui s'était passé avec Joshua... Quand j'en ai parlé à Lawrence, il m'a dit que c'était "violent"... Ça veut dire quoi, ça ? Tu t'es battu avec lui ? T'as pas de trace de coup, pourtant... Et comme t'es parti super vite après, je n'ai pas pu t'en parler... Bon – ce connard de Lawrence avait laissé un peu traîner sa langue, mais visiblement, le secret tenait encore bon... Gabriel soupira, et répondit : - Laisse tomber. On s'est pas battus, et ce Lawrence est un idiot. - En parlant de ça, il m'a demandé ton numéro de portable.. - ... Me dis pas que tu lui as donné ? - Ben si, vous aviez l'air de rigoler ensemble avant que Joshua vienne te provoquer... Gabriel avait déjà les nerfs à vif depuis toute l'affaire Joshua/Lawrence : ce fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase. - Mais tu fais chier, Jorge ! Donne pas mon numéro comme ça à tout va ! L'espagnol se figea, surpris d'entendre crier Gabriel – et encore, le blond n'en avait pas fini. - Tu sais pas ce que c'est qu'une vie privée, ou quoi ? Ça te plairait que je donne ton numéro à n'importe quelle fille qui me le demande dans la rue ? Ça se fait pas, ce genre de choses, putain ! Jorge le fixait avec des yeux écarquillés – tout comme le reste de leur classe, parce que les paroles de Gabriel étaient audibles pour chacun d'entre eux. - O-ok, j'ai compris, euh, je suis désolé... - Tu peux, répliqua Gabriel sèchement. Refais plus jamais ça, pigé ? - Ouip... Les sourcils froncés d'irritation, le blond alla s'asseoir à sa place, en plantant là un Jorge tout penaud, pendant que les élèves qui avaient assisté à l'engueulade s'échangeaient des regards interloqués. Tous, sauf une personne au fond de la classe, qui éclata de rire. - Ouh la la, blondinet s'énerve. Ça fait peur. Joshua était installé comme à son habitude, les pieds sur la table, et les bras derrière la tête, la chaise penchée en arrière, et il fixait le plafond avec un sourire moqueur. Lorsqu'il se mit à rire, toute la classe se figea, et un climat de tension presque palpable s'installa chez les élèves – si Gabriel réagissait à la provocation, ça voulait qu'une nouvelle baston allait avoir lieu ; et comme jusqu'à maintenant, celles qui leur étaient parvenues aux oreilles, dans le cagibi ou dans la rue, étaient restées sans témoins (ou presque), ils étaient particulièrement curieux de voir ça de leurs propres yeux. Mais quelque part, le blond n'eut pas la réaction qu'ils attendaient. Il se leva, et s'approcha de Joshua, avant de prononcer d'une voix très calme : - Lasheras, le prof de maths veut que tu lui rendes la clé du cagibi. Personne ne comprit pourquoi cette phrase si anodine avait un tel effet sur le brun – le rire disparut instantanément de son visage, et sa chaise claqua contre le sol avec violence alors enlevait les pieds de sa table, tout en fixant Gabriel intensément. L'instant d'après, il était debout, et murmura d'une voix très basse : - T'es sérieux...? Les mots avaient été prononcés si bas que personne ne les entendit, à part Gabriel, qui lui rendit un regard où se mêlaient la provocation et l'irritation. Il savait parfaitement que Joshua avait prit sa phrase comme ce qu'elle était réellement : l'annonce claire et nette qu'il ne se passerait plus rien dans le local entre eux. Comme prévu, le brun n'eut pas l'air d'apprécier : il ramassa ses affaires et quitta la pièce en claquant la porte, non sans avoir jeté au préalable un regard furieux à Gabriel, pendant que les spectateurs de la scène s'échangeaient des regards stupéfaits. - Gabriel, osa demander Paul, c'est quoi, cette clé...? Pourquoi il réagit comme ça ? - Eh bien, je suppose que ça veut dire qu'il est triste d'apprendre qu'il ne passera plus ses heures de colle à trier des manuels. Le ton sec sur lequel il répondit dissuada les autres de demander plus de précisions – et ils n'eurent pas d'autre choix que de regarder le blond reprendre sa place en silence. Mais si Gabriel pensait qu'il ne pourrait rien y avoir de pire dans la journée, un sms reçu en cours de maths le détrompa rapidement. Hello Gabriel, c'est Lawrence. J'aimerais bien qu'on se voie ce soir, il faudrait que je te parle. Ça serait vraiment bien que tu viennes... Sinon, quelques paroles pourraient m'échapper malencontreusement... et je sais que tu sais de quoi je parle. À ce soir... Lawrence. Du chantage. Parfait. .oOo. - Ça fait longtemps, que vous êtes ensemble ? - On n'est pas ensemble. - Ah oui... Bizarre, c'est pas ce qu'il m'a semblé, l'autre jour. Gabriel jeta un regard irrité à Lawrence par-dessus son verre, mais l'autre ne se démonta pas et répondit par un sourire aimable. - Dire que Paul n'avait pas cessé de me répéter qu'il avait peur que vous vous battiez dans sa maison... Visiblement, il avait pas trop à craindre... - La ferme, grinça Gabriel, ulcéré. On n'est pas ensemble, et c'est la vérité. - Comme tu veux, répondit Lawrence en haussant les épaules. En vérité, ça m'arrange, parce que je veux te demander de sortir avec moi. Quelque chose dans le ton direct du brun puait la menace à plein nez, et Gabriel le fixa attentivement. - Et si je refuse ? - Oh, ça sonnait comme un ultimatum ? Pardon, sourit Lawrence. C'est vrai que j'ai des infos très compromettantes sur toi, mais je ne voudrais pas que tu penses que si tu refuses, je les révèlerai à Paul ou à Jorge, ce serait vraiment une idée idiote ! Son rire amusé clarifia aussitôt ses intentions aux yeux de Gabriel – c'était du chantage, définitivement. - Si tu cherches un coup, n'importe qui d'autre dans ce bar pourra se jeter à tes pieds. - J'en veux pas, répondit Lawrence. C'est de toi dont j'ai envie. - C'est dommage, mais la réciproque... - Deviendra vraie, coupa le brun. Autour d'eux, dans le bar, les gens riaient et plaisantaient, et Gabriel avait l'impression de se retrouver coupé d'eux, comme entouré d'une bulle opaque qui mettait entre lui et le reste du monde une distance incommensurable. Ces gens prenaient du bon temps ensemble, alors qu'il se faisait menacer par un beau type aux yeux bleus. - Tu te surestimerais pas un peu, là ? demanda Gabriel d'un ton léger. - Non. Clair, rapide, précis. Décidément, ce type ne tournait pas autour du pot. Quelque part, ça ne déplaisait pas à Gabriel, mais ça ne l'arrangeait pas vraiment non plus, pour le coup. - Et si t'essayais, simplement ? demanda Lawrence. - Pourquoi faire ? - Sinon, tu ne sauras pas ce que tu rates... - Non, mais je sais très bien ce que je perds. - Possible... Mais tu pourrais perdre encore plus, si tu vois ce que je veux dire. Le ton de Lawrence avait beau être velouté, le danger pointait dans chacun de ses mots, et Gabriel en était bien conscient. - Bon, en admettant que j'accepte ce marché... J'ai pas plus envie qu'avant d'afficher une relation homo au grand jour. - Aucun problème, ça ne me dérange pas de rester dans l'ombre, répondit Lawrence calmement. - ... Ok... Mais j'ai encore une autre objection : comment veux-tu que j'arrive à la lever pour un mec avec qui j'ai même pas envie de coucher ? - Tu en auras envie. Dans son sourire, il n'y avait même pas l'ombre d'un doute – Gabriel, lui, était loin d'en être aussi certain. - Alors, tu acceptes ? le pressa Lawrence. - Est-ce que j'ai le choix ? - Non. - Alors je suppose que oui, j'accepte. Lawrence se mit à rire, comme enchanté, et se pencha pour l'embrasser rapidement sur les lèvres, avant de sourire : - Pas la peine de tirer cette tête d'enterrement. Ça va être très drôle. .oOo. Depuis qu'il était entré en seconde, le lycée avait eu toutes sortes d'effets sur Gabriel ; au tout début, il détestait. Ensuite, il était devenu ami avec Jorge et les autres, et ennemi avec Joshua, et ça s'était amélioré. En première, Jorge avait changé de classe : c'était devenu chiant à mourir, d'autant plus qu'un petit con qui s'était mis en tête de devenir son meilleur ami n'arrêtait pas de le coller. Il n'avait réussi à s'en débarrasser qu'à la fin de l'année seulement : un an de perdu. En terminale, Jorge avait réintégré sa classe, et c'était devenu un peu plus fun, mais moins que ce à quoi il s'était attendu – et ses relations avec Joshua Lasheras, qui avaient connu une dégradation spectaculaire durant les trois ans, avaient fini par déboucher sur le baiser du cagibi et l'entrée dans une nouvelle ère, qui portait bien évidemment le nom de celui qui en était la cause : l'ère "Joshua Lasheras". Elle avait duré pendant une période de deux mois, avant de se terminer abruptement le soir où leur secret, caché sous le vernis de la haine, avait été découvert par Lawrence Wrenwright, d'origine anglaise, cousin de Paul Deresme – et après une gestation d'une semaine, avait commencé la période actuelle, "l'ère du chantage", comme l'appelait Gabriel. Le plus étrange, c'était que Lawrence semblait totalement se satisfaire de cette relation bancale - comme si ça ne lui faisait aucun effet de savoir que Gabriel ressentait autant de choses pour lui qu'un aveugle devant une peinture. Le blond ne l'aimait pas, il le savait, et pourtant, il en riait ; pour Gabriel, ça ne signifiait qu'une chose : Lawrence n'en avait rien à foutre de lui non plus. Et à cause de la menace de cet imbécile qui, au fond, se moquait bien de sortir avec lui ou pas, Gabriel avait perdu Joshua. Oh – pas comme s'il était amoureux de lui, loin de là ; mais quand on prend l'habitude de coucher avec quelqu'un qui arrive à vous faire grimper aux rideaux, et que subitement, ça s'arrête, on le sent passer. Et depuis que Joshua l'avait surpris en ville en présence de Lawrence, il avait pris le parti de l'ignorer superbement. Ce qui n'avait pas échappé à Jorge, toujours au taquet. - Il s'est passé quelque chose entre toi et Joshua ? Il ne te provoque plus, ces derniers temps... En fait, il ne provoquait plus personne. Il restait assis à sa table en silence, soit à glander, soit à prendre le cours, mais il ne créait pas de scandales comme à son habitude, et quand quelqu'un prenait le risque de lui parler, il répondait par grognements ou monosyllabes. Enfin, sauf quand c'était Gabriel – là, il ne prenait même pas la peine de répondre. Si Gabriel ne l'avait pas connu aussi bien, il aurait pensé qu'il l'avait blessé, avec sa rupture brutale – même s'ils n'étaient pas ensemble, il ne voyait pas comment appeler ça autrement. Mais c'était de Joshua, dont on parlait, et Gabriel ne voyait pas pourquoi il aurait été blessé alors qu'ils n'étaient que des partenaires de baise. En plus, il n'avait qu'à claquer des doigts pour se trouver quelqu'un d'autre, avec son look de tombeur. L'hypothèse la plus probable, pour le blond, c'était que comme Joshua avait l'habitude de larguer en premier, il avait dû être blessé dans son orgueil quand Gabriel lui avait fait comprendre que c'était fini. C'était sans doute la raison pour laquelle il ne voulait plus lui adresser la parole, ni même le regarder : il devait lui en vouloir. - Tu lui as fait quelque chose ? reprit Jorge. C'était plus difficile de mentir à Jorge qu'à n'importe qui d'autre, parce que Gabriel le considérait comme le plus proche de ses amis – aussi se décida-t-il à lui dire la vérité, du moins partiellement. Mais comme ils étaient en cours, et que les voisins de derrière tendaient l'oreille pour entendre des bribes de paroles (ils avaient entendu le "toi et Joshua" dans la phrase de Jorge et toute la classe aurait aimé avoir le fin mot de l'histoire), il attendit la fin du cours, et emmena Jorge au Devil's Nest. - Tu sais qu'on est en train de sécher allègrement le cours d'anglais ? - Ça te dérange ? rétorqua Gabriel. - Non, je te bénis. Bon, raconte. - Bon. Déjà, je suis bi. Il s'attendait plus ou moins à une expression de totale stupeur, mais Jorge agita la main d'un air insouciant en répondant : - Pas difficile à deviner, je m'en doutais depuis la seconde. Et alors ? Quelque part, Gabriel espérait qu'il réagirait plus ou moins comme ça, mais il ne put empêcher un sourire soulagé de naître sur ses lèvres, témoin visible de la bouffée d'affection qu'il venait de ressentir pour lui. - J'ai couché avec Joshua. - Ah, ok, t'as... T'AS QUOI ?? Voilà, au moins sur cette réaction-là, il ne s'était pas trompé. Jorge manqua de recracher son coca et le fixa d'un air ahuri. - J'ai couché avec lui, répéta Gabriel. - ... Oh, putain... - Ouaip, c'est exactement ce qu'a dit Lawrence quand il nous a grillés. L'espagnol cligna des yeux, l'air hébété. - Il vous a ... surpris en train de... - Non, non, on s'embrassait juste... dans la rue, le soir de l'anniv de Paul... Bon bref, et il est arrivé, il nous a vus... Et je me suis dit qu'il risquait de le révéler aux autres, et j'avais pas vraiment envie de ça, tu vois ? Alors, j'ai dit à Joshua que c'était plus la peine de continuer, et... il l'a pas très bien pris. - Oh, god... La mâchoire de Jorge manqua de se décrocher, tandis qu'il regardait Gabriel avec des yeux écarquillés. - Ok, ça m'étonne pas qu'il ait l'air de si mauvaise humeur ces derniers temps, marmonna Jorge pensivement. - Oui, mais... c'est pas vraiment tout, en fait... - Il s'est encore passé des trucs ? À voir le regard que son ami leva vers lui, plein de curiosité impatiente, Gabriel songea qu'il s'était remis très vite du choc qu'avait provoqué l'annonce de sa relation avec Joshua. Plus curieux que lui, tu meurs. - Oui, Lawrence a pointé le bout de son nez dans l'histoire. Je suis en train de tout te raconter là, alors j'espère que t'es conscient du fait que si tu parles, je trucide ? - Très conscient. - Bien. Alors tu as filé mon numéro de portable à Lawrence, enfoiré, et lui, il en a bien profité. Il a commencé à me menacer de révéler à tout le monde ce qu'il avait vu dans la rue si je ne sortais pas avec lui. - ... Me dis pas que t'as accepté ? - J'étais bien obligé, c'était de la menace... - Oui mais enfin, putain, c'était pas une menace de mort ! Il l'aurait révélé, et après ? - Après, le lycée aurait été au courant, mon père aurait été au courant, et à l'heure qu'il est, je serais sans doute en train de dormir dans la rue. Tu vois ? - ... Vu sous cet angle... - Oui, ça change les choses. Donc arrête de m'engueuler et écoute-moi. J'ai cédé à son chantage, et ce con-là a l'air super heureux alors que je refuse de coucher avec lui. Enfin, c'est pas le problème : juste, on était en ville, à un moment, parce qu'il voulait jouer la comédie du joli petit couple aimant, et on a croisé Joshua. Qui n'a pas vraiment apprécié. C'est depuis ce temps-là qu'il fait comme si je n'existais pas. Il marqua une pause, pendant laquelle – chose étonnante – Jorge, pensif, ne prononça pas un mot, puis reprit : - Je pense que je l'ai blessé dans son orgueil en le laissant tomber avant que lui me laisse tomber. Tu crois pas ? - Je sais pas. Gabriel l'observa avec attention – il n'était pas très loquace sur le sujet. En temps normal, il aurait enchaîné les hypothèses fumeuses et les explications loufoques, mais là, il semblait vraiment se demander quoi. - C'est peut-être plus profond que ça, tu crois pas ? - ... Plus profond ? - Oui... Tu crois pas que ça pourrait être plus qu'une simple histoire d'orgueil blessé ? - Euh... connaissant Joshua, non... - Eh bien, peut-être que tu le connais mal. Jorge le fixait d'un air calme, et Gabriel soutenait son regard, mal à l'aise – c'était comme si le brun savait plus de choses que lui sur ce qui se passait entre eux. Pourtant, il n'était au courant de rien avant qu'il ne lui en parle... Pas vrai ? - Tu sais, reprit Jorge, je me suis toujours dit que t'étais très intelligent, mais parfois, t'es vraiment pas une flèche. - Pourquoi tu dis ça ? demanda Gabriel, vexé. - Parce que tu ne remarques jamais rien de ce qui a un rapport avec toi. Ça t'es jamais venu à l'idée que peut-être, il était amoureux de toi ? Gabriel écarquilla les yeux sous le choc, avec de secouer la main d'un geste péremptoire. - Impossible. Complètement impossible. - Et pourquoi ? demanda Jorge calmement. - Parce qu'on parle de Joshua Lasheras... Lui, aimer quelqu'un ? Et moi, en plus ? Non mais t'as vu la vierge, toi. - Eh bien, je ne serais pas si catégorique. Ça expliquerait peut-être pourquoi il n'a pas arrêté de te provoquer durant ces dernières années... Le blond le fixa, bouche bée, avant de se reprendre : - Ces dernières années ? Mais t'as fumé, sérieusement... On n'est plus dans la cour de maternelle ou le gamin embête la fille qu'il aime pour attirer son attention. - Très franchement, j'en suis pas sûr. - Tu racontes n'importe quoi, s'exclama Gabriel, agité. Du moins, il aurait aimé que ce soit n'importe quoi, parce que si ce qu'il disait était vrai, eh bien... c'était sacrément flippant. Joshua Lasheras... amoureux de lui ? Peu importe à quel point il essayait, il n'arrivait pas à l'imaginer – mais en supposant, en admettant qu'il y ait une petite chance pour que ce soit vrai... Si c'était possible... ça voulait dire qu'il avait vraiment agi comme le dernier connard quand il avait lancé à Joshua la phrase avec la clé du cagibi. Si c'était vrai, pas étonnant que le brun ait si mal réagi. Si c'était vrai, normal qu'il ait pété un câble à le voir lui et Lawrence se balader en ville en amoureux. Ça pouvait expliquer beaucoup de choses, c'était certain... mais quelque part, il se raccrochait encore à l'espoir que ce que venait de lui dire Jorge soit faux – sinon, eh bien, les choses deviendraient encore plus compliquées, et ça n'était pas vraiment pour lui plaire. - Je devrais peut-être lui en parler, marmonna Jorge. - Alors là, je préfèrerais que tu évites, répondit Gabriel. S'il apprend que je t'ai dit tout ça, il m'en voudra encore plus que maintenant... - Qu'est-ce que ça peut te faire ? Vous ne couchez plus ensemble, de toute façon. Vous êtes redevenus des inconnus l'un pour l'autre, et en plus il a arrêté de te faire chier. T'as tout gagné, pas vrai ? Alors je ne vois pas en quoi ça te dérange qu'il te déteste. Le blond fixa les yeux bruns de Jorge sans comprendre pourquoi sa phrase lui déplaisait tellement. Parce qu'il avait raison, totalement raison ; ok, il avait perdu un bon coup, mais comme on disait, un de perdu, dix de retrouvés. Ce n'était rien d'autre qu'un partenaire de cul, et quand il ne l'était pas, c'était le type le plus insupportable que la planète ait jamais porté. Il aurait logique qu'il se dise "bon débarras" et qu'il ne s'occupe plus de cette histoire... Quelque chose clochait, définitivement. Pas seulement avec Joshua, et pas seulement de la faute de Lawrence – il y était vraiment pour quelque chose, lui aussi. En résumé, c'était le boxon total. .oOo. Lorsque Lawrence avait commencé à obliger Gabriel à sortir avec lui, il lui avait garanti qu'il lui donnerait envie de lui – mais pour l'instant, ils n'avaient rien fait, pas une seule fois. Lawrence embrassait plutôt bien (disons, mieux que ce à quoi Gabriel s'était attendu), mais il ne donnait pas envie au blond de se surprendre à son cou et de le laisser faire de lui tout ce qu'il désirait ; il était doué, mais pas assez pour ça. Alors il refusait, repoussait, se trouvait des excuses, et il voyait bien que la patience de Lawrence commençait à diminuer de jour en jour – mais enfin, c'était de sa faute aussi : voilà ce que c'était de contraindre les gens sous la menace. Ça ne donnait jamais de bons résultats. Ils ne faisaient que jouer à être ensemble, mais Gabriel savait que si Lawrence avait le malheur d'entendre parler d'une petite aventure de rien du tout qu'il aurait eu à côté, il le tuerait – depuis peu, il se montait très possessif envers lui. Auparavant, Gabriel pensait qu'il faisait exprès de l'enchaîner à lui et de le menacer pour s'amuser, par pur instinct sadique – depuis, il y avait regardé à deux fois, et il avait remarqué que Lawrence était extrêmement jaloux de tous ceux, garçon ou fille, qui approchaient Gabriel. Et c'était sans compter Joshua Lasheras, qui concentrait à lui seul les trois quarts de son potentiel de jalousie ; s'il l'avait pu, il aurait interdit à Gabriel de le croiser ou de le regarder. Le blond se trouvait dans une situation où il ne pouvait ni reculer, ni avancer – ni aller de côté. Reculer, ça signifiait battre en retraite, et Lawrence se ferait un plaisir de révéler à Paul ce qu'il avait surpris dans la rue – Paul, qui le révèlerait à Maxence, qui le révèlerait, à Ugo, qui le révèlerait à Louis... qui n'en aurait pas grand-chose à faire, sans doute, mais bon – son père finirait par être au courant, et ça serait la plaie. Avancer c'était impossible ; le seul pas que Gabriel aurait pu faire de plus, dans leur relation, aurait été de coucher avec Lawrence, et il refusait totalement. Auparavant, il n'aurait pas eu tant de scrupules, parce qu'après tout, un coup était un coup, et basta. Mais depuis l'affaire Joshua, sa vision des choses avait changé sur beaucoup de points, et en particulier celui-ci. Après avoir goûté à Joshua, mieux valait pas de coup du tout plutôt qu'un ersatz... Aller de côté, ça signifiait aller voir ailleurs, et puisque Lawrence était devenu d'une jalousie maladive, il doutait sérieusement que ça se passe sans heurts, donc au fond, ça revenait à reculer. Il était bel et bien coincé... Et il détestait être coincé. À tel point qu'il commençait à se demander si c'était si grave que ça, après tout, si son père apprenait la vérité. Bon, quoi, au mieux, il le chasserait de la maison, au pire, il lui casserait un bras – et après ? Il pourrait vivre. Sa mère n'aurait certainement pas le courage de s'opposer à son père, mais elle pourrait lui faire secrètement parvenir de quoi le faire vivre, lui louer un appartement ou quelque chose du genre. Sa mère ne le laisserait pas tomber ; du moins, il l'espérait. Il aurait voulu au maximum éviter la colère et le mépris de son père, mais si c'était pour se retrouver dans une situation de ce genre, ça ne valait vraiment pas la peine. Mais c'était une décision difficile, et il fallait bien admettre qu'il n'arrivait pas encore à se décider. - Ça va, Gabriel ? T'as vraiment une mine affreuse, depuis quelques jours, soupira Jorge. Comment pouvait-il en aller autrement alors qu'il passait le plus clair de son temps à peser les pours et les contres ? La dispute avec son père valait bien deux contres : mais elle signifiait la levée de la menace de Lawrence, et donc la liberté : ça valait bien deux pours. Le fait d'être à la merci de Lawrence valait un contre, mais être en mesure de refuser de coucher avec lui valait un pour, car c'était ce qui permettait à la situation de ne pas s'envenimer, et d'en rester au statu quo. La liberté signifierait qu'il pourrait retourner vers Joshua, pour ; mais Joshua risquait certainement de l'accueillir avec une mandale bien sentie, contre. En un mot, c'était galère. - Je ne dors pas très bien, ces derniers temps, répondit Gabriel. Il jeta un regard en arrière par pur automatisme, pour voir si, depuis sa table, Joshua ne l'avait pas entendu, et n'allait pas se moquer de lui ; avant même que son regard ait atteint le coin, il réalisa que ça ne risquait plus d'arriver, depuis qu'il l'avait brutalement largué. Joshua passait son temps à l'ignorer. Si Gabriel avait un exposé à faire, ou s'il devait résoudre un problème au tableau, les yeux noirs du brun restaient invariablement fixés sur son cahier. Gabriel n'existait plus pour Joshua. Il passa une main sur son ventre pour effacer la bizarre contraction qui venait d'y naître, avant de remarquer que de toute façon, Joshua n'était pas dans la salle de classe. Logique, en somme. C'était l'heure du repas, et il aurait été vraiment incroyable qu'il passe une de ses heures de libre à moins d'une centaine de mètres du blond - Tu veux que je t'emmène à l'infirmerie ? demanda Jorge, inquiet. T'as des cernes affreuses. - Pas la peine, marmonna Gabriel. En vérité, il avait une migraine atroce et il se sentait vraiment mal – et lorsque la cloche sonna pour indiquer la reprise des cours, il regretta de ne pas avoir accepté la proposition de Jorge. Le prof de maths n'était pas entré de cinq minutes dans la salle qu'il levait déjà la main : - Excusez-moi, je voudrais aller à l'infirmerie. - Oh, s'étonna le prof. Bien sûr. Monsieur Jímenez, vous l'accompagnez...? - Pas la peine, répondit Gabriel, je vais y aller tout seul... Il se leva, la tête comme dans un étau, et sortit de la pièce sous le regard stupéfait du professeur et de tous ses camarades – sauf de Joshua, qui avait visiblement eu envie de sécher le cours et brillait par son absence. Les couloirs étaient vides, car les élèves étaient retournés en cours, et le bruit de ses pas sur le carrelage résonnait dans sa tête comme autant de coups de gong. Il regretta d'avoir refusé que Jorge vienne avec lui – finalement, peut-être qu'il se serait moins concentré sur la douleur s'il avait eu quelqu'un à qui parler. Une douleur à l'épaule, aussi violente que soudaine, lui apprit qu'il venait de méchamment bousculer quelqu'un – et une autre douleur tout aussi aigüe aux genoux lui apprit qu'il était tombé sur le sol. - Fais attention où tu marches ! grogna une voix qu'il aurait reconnue entre mille. Il leva les yeux vers Joshua, qui, à voir son expression interdite, venait tout juste de s'apercevoir que c'était sur Gabriel qu'il venait de crier. Le plus étonnant de la chose, c'était qu'il ne fit pas immédiatement volte-face pour le laisser en plan, ce qui donna à Gabriel l'occasion d'échanger un regard avec lui – ce qui ne s'était plus produit depuis très longtemps. Le brun restait immobile, les yeux posés sur lui, et Gabriel comprit qu'il hésitait entre lui demander s'il ne s'était pas fait mal et se détourner et partir. Il se leva péniblement – l'éclair de douleur qui traversa sa tête au moment où il se leva fut encore plus insupportable que celle de ses genoux et de son épaule. Joshua n'en avait pas profité pour se barrer, et son regard indéchiffrable n'avait pas lâché Gabriel, qui se demandait si c'était de bon augure ou pas. - T'es pas en cours ? finit par demander Joshua d'une voix rauque, lui adressant ainsi ses premiers mots depuis ce qui semblait une éternité aux yeux de Gabriel. Tu vas où ? - L'infirmerie... Le brun sembla être sur le point de demander pour quelle raison, mais finalement, il dut estimer que c'était une trop grosse dose de Gabriel d'un coup pour lui, car il haussa les épaules et tourna les talons, tandis que Gabriel se disait que si à la douleur de sa tête, de son épaule, et de ses genoux, devait s'ajouter celle de son ventre, on n'avait pas fini. Sauf que la dernière était due uniquement à Joshua. .oOo. Voilà pour ce chapitre ! N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé ! Et sinon, le prochain chapitre sera le dernier. Voilà voilà :D |