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au 31 Mai 21 :
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Les doigts tachés.
Par Mael
Originales  -  Romance  -  fr
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    Chapitre 1     9 Reviews     Illustration    
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Bonsoir (:
Bon, je suis nouvelle ici et je commence par un texte assez court. Je n'aime pas parler des heures de mes écrits avant le texte, je vous laisse découvrir, en espérant que ça vous plaira.

 

 

*

 

 

Je passe ma main sur mon visage. Mes joues ne sont pas rasées. Adolescent, j'étais toujours très fier de pouvoir me servir d'un rasoir. Et puis, avec le temps, c'est devenu moins amusant. A vingt cinq ans, je ne me rase plus qu'un jour sur trois. Et finalement, je me trouve plutôt pas mal, comme ça. L'avantage, c'est que ça ne jure pas avec mon style vestimentaire. Entre mon écharpe et mes mitaines trouées, mon jean déchiré et mes converses en lambeau, on ne peut pas vraiment dire que je soigne mon apparence. Mais je suis un artiste, moi, mes chers. Ce qui compte, c'est le fond des choses, pas leurs formes. Moi, je sais voir la beauté intérieure, je devine l'intensité d'une œuvre dissimulée. Je suis le médiateur entre l'invisible et vous, pauvres mortels.

Ah, si seulement j'y croyais. Mais je n'ai jamais pensé être ce genre de poète prophète. Pas de visions, pas de révélations, rien de tout ça pour moi. J'ai toujours été aveuglé par les plus beaux modèles, j'en suis parfois tombé amoureux, sans jamais y toucher. Des histoires platoniques entre eux et mes pinceaux. Mes doigts sont tâchés par la peinture et la poussière des fusains, mes joues vieillissent sous les attaques du vent mais dans mes yeux, il y a toujours la même jeunesse, toujours la même innocence. Vous le savez bien, vous, que les artistes sont des enfants inachevés. Sinon, comment ferait-on pour nous émerveiller de beautés souvent si cruelles ? Comment ferait-on pour tomber inlassablement dans le piège de ces Muses bien trop belles, si infidèles ? Croyez-moi, j'en ai accueilli des corps, dans mon atelier de vingt mètres carrés, suspendu au dessus des toits de Paris. J'en ai dessiné des nus, des cuisses rondes, des mains anxieuses, des hanches désirables, des seins intrépides. J'en ai capturé, des rires, des regards, tout un monde projeté sur mes murs, à la façon d'une vieille salle de cinéma. J'en ai écouté, des confessions, sans jamais rien demander. Vous savez, lorsqu'une femme se déshabille pour vous, elle sacrifie un bout d'elle-même à chaque vêtement, à chaque partie de son corps révélé. Une femme se donne avant tout dans la nudité. Si vous saviez les regarder, il vous suffirait d'un regard pour leur faire l'amour. C'est ce qui m'a toujours fasciné, chez elles. Il m'est arrivé d'en avoir peur, de ces aveux, d'être effrayé par la violence de leur sincérité, par la morsure de leur gravité. J'ai dû supporter leurs bleus, leurs larmes et leurs ivresses. Ma toile était leur confidente, et il leur est arrivé de ne pas se reconnaître, de refuser d'y croire. Le dessin est pire qu'un miroir. Les blessures sont exacerbées par le blanc de la toile, par le noir du charbon. Les vérités sont là, bien présentes, impossible à nier. Lorsqu'elles ne s'aiment pas, il leur arrive de se déchirer, de piétiner leur effigie, pour se laver de la culpabilité, du désordre, pour se délivrer de la réalité - de leur réalité. Je les laisse faire. Après tout, mes œuvres leur appartiennent, bien plus qu'à moi-même.  

Je n'ai jamais fait le nu d'aucun homme. Jamais. Je les ai embrassés, je les ai possédés, je les ai aimés, mais jamais, jamais je n'ai dessiné un corps masculin. La virilité m'intimide, la rudesse des traits me paralyse. C'est comme si je peignais mon reflet, et je ne suis pas si égocentrique. Mes acheteurs m'ont souvent demandé pourquoi mes portraits n'étaient consacrés qu'à des femmes. Ils ont parfois voulu me faire changer d'avis, sous prétexte que ça me rapporterait plus. Croient-ils réellement que je fasse ça pour l'argent ? Personne ne me fera changer d'avis. Les hommes appartiennent à mon lit, pas à mes toiles. Le soleil se couche, Montmartre est teinté d'ocre et je souris aux toits de Paris avant qu'ils ne plongent tout à fait dans la nuit. Un homme chante une version revisitée de Jamming, un peu de français, beaucoup de kenyan, ses dreads dansent au rythme de sa guitare rayée, et je bouge la tête avec lui, sans même m'en rendre compte. Je ne sais pas depuis combien de temps je suis ici. Trop longtemps, probablement. J'ai oublié de prendre mon téléphone avec moi. En rentrant, je découvrirai les six messages laissés sur ma boîte vocale pour les commandes de la semaine. Pour le moment, à vrai dire, je m'en fiche pas mal. Il fait bon et j'ai toute la nuit devant moi. Je porte ma cigarette roulée à ma bouche et un garçon entre dans mon champ de vision, me privant de ma contemplation.

- Je peux m'asseoir ?
- Je t'en prie.

Il me fait un sourire et s'installe sur une marche juste devant moi. Sa chemise à carreaux devient mon nouvel horizon et je ris dans ma barbe de trois jours, amusé de le voir investir ainsi l'espace. Je me déplace de quelques centimètres et plonge de nouveau mon regard au loin, la tête posée dans mes mains. Il se retourne et se penche un peu, les pupilles brillantes. Ses yeux sont cernés de noir et son bonnet gris tombe un peu, laissant voir des cheveux ébènes coiffés en arrière.

- Tu viens souvent ici ?
- Oui. Je vis dans le coin. Et toi ?
- Non, j'ai un appartement de l'autre côté de Paris. Mais j'aime bien venir, même si c'est rare.
- Ah, d'accord...
- Tu dessines ?

Je baisse les yeux vers mon carnet à croquis, refermé sur mon pouce. Il a dû me repérer depuis un moment, je n'y ai pas touché depuis un bon quart d'heure, déjà.

- Oui.
- Tu dessines quoi ? Le paysage ?
- Non, pas aujourd'hui. Je fais des portraits.
- Tu les proposes aux gens ?
- Non, je les prends à leur insu. Je préfère, ils sont plus naturels.
- Ça arrive qu'ils te voient ?
- Parfois oui.
- Et ça les gêne ?
- Pas toujours. Une fois, un homme a dédicacé le croquis que je venais de faire de lui.
- Ah ! C'est chouette.
- Oui.

Il hoche la tête et se détourne. Je ne dis rien de plus. Son parfum est envoûtant, et je me penche doucement en avant, pour m'en imprégner. Je rallume ma cigarette, le regard accroché à son dos. Le musicien continue de jouer ses airs de reggae et le garçon sourit en l'écoutant, les yeux plissés, une blonde coincée entre les doigts.

- Tu t'appelles comment ?
- Léo. Et toi ?
- Dorian.
- Enchanté, Dorian.

Je tends la main, et il s'esclaffe en la serrant. Je ris avec lui, tout en entreprenant d'attacher mes cheveux, opération peu aisée lorsque je ne me trouve pas devant un miroir. Il me regarde me débattre quelques instants puis se lève et prend place derrière moi. Sans rien dire, il saisit mon élastique et noue mes dreads ensemble, prenant garde à n'en oublier aucune. Je ne bouge pas, désarmé par l'intimité de ce geste. Il se lève et retourne à sa place. Je laisse échapper un "merci" embarrassé et il secoue la main pour signifier que ce n'est rien.

- Tu viens d'où ?
- D'Allemagne. Mais je vis ici depuis cinq ans, bientôt.

Je savais bien qu'il avait un accent.

- Tu parles parfaitement français. Tu fais quoi à Paris ?
- Des études de Langues.
- Ah, je vois.

Il rit en acquiesçant. Oui, il est assez doué pour les langues. Quand il était à Hambourg, il rêvait de voyager, mais il a dû attendre d'avoir la majorité pour venir ici et étudier. Il a passé plusieurs mois dans des pays différents, souvent dans le cadre Erasmus, parfois juste comme ça, avec un sac à dos sur l'épaule et tout l'argent nécessaire à son périple. En l'écoutant parler, je l'observe et je m'étonne qu'un garçon aussi soucieux de son apparence puisse entreprendre de tels voyages. Il a enlevé son bonnet, et ses doigts se perdent dans sa chevelure sombre. Mon Dieu, qu'il est beau. Je dessine son profil dans le vide, passant mon ongle sur la couverture de mon carnet pour cerner ses courbes et ses imperfections. Lorsqu'il parle, sa bouche se tord un peu, attirant l'attention sur le grain de beauté sous sa lèvre. Plus son visage prend place dans ma tête, et plus je l'associe à celui d'une femme.

- On t'a déjà dit que tu as des traits incroyablement fins ?

Il s'interrompt et me regarde. Ses joues sont empourprées et je m'excuse de mon manque de délicatesse.

- Non, jamais.
- Hé bien, c'est le cas. Tu es très beau. Tu ferais un bon modèle.
- Ah ? Euh, d'accord.

Sa timidité est surprenante et touchante. J'ouvre mon carnet.

- Tu veux me dessiner ?
- Ça te dérange ?
- Non.

J'écrase ma cigarette sur le sol et sors un crayon de ma poche. Il gesticule, ne sachant quoi faire. Je pose une main sur son épaule et lui demande de ne pas faire attention à moi. Il peut même bouger, s'il veut. L'essentiel, c'est que je puisse voir son visage. Il suit mon conseil et s'installe contre la rampe d'escalier. Il fait sombre à présent, un lampadaire l'éclaire d'un peu plus haut, lui donnant un air grave. Parfois, il tourne le menton vers moi et sourit. Dans ces moments là, ses yeux se ferment un peu et il a l'air un peu moqueur. C'est comme ça que je veux le capturer. C'est comme ça qu'il semble le plus véritable.

*

- Bon, tu te dépêches ?
- Oui, oui, pardon, je me lave les mains et j'arrive.
- Oh, non, garde tes mains dégueulasses, j'aime bien que les gens sachent que je sors avec un peintre.

Je glousse en raccrochant, fonce dans la salle de bain, passe mes mains sous l'eau et les essuie dans un linge qui a depuis longtemps perdu son antique couleur immaculée, puis saisit mon sac avant de sortir de mon appartement. La porte claque dans mon dos et je dévale les cinq étages à toute allure. Dorian est devant l'immeuble et son sourit s'agrandit lorsque je le rejoins. Il m'embrasse et prend ma main.

- Tu as un problème avec la ponctualité.
- Oh, hé, c'est seulement notre troisième rendez-vous, je veux me faire un peu désirer, c'est tout.
- T'es mignon mais t'évite de te faire désirer quand on va à un concert.
- T'inquiète pas, ça commence toujours plus tard que prévu.
- Oui, mais le groupe que je veux voir passe en premier, et je veux prendre aucun risque.
- C'était l'apocalypse chez moi, je me devais de ranger un peu.

J'ajuste mon t-shirt délavé sur mes épaules et prends le chemin du métro en sifflotant. Je l'entends trotter derrière moi et je ralentis le pas pour qu'il me rejoigne. Juste avant qu'on se sépare, le jour de notre rencontre, Dorian m'avait tendu un papier avec son numéro de téléphone griffonné dans un coin. Au début, j'avais pensé qu'il voulais que je lui fasse une copie de son portrait, ou quelque chose comme ça. Je ne savais pas trop, en fait. Il était tellement beau que je n'avais pas pensé que je pouvais l'intéresser. D'accord, c'était si évident que je n'aurais pas dû en douter une seconde, mais, pour tout vous dire, je n'ai pas tellement confiance en moi. On dit que les artistes dégagent quelque chose de particulier, mais ce mysticisme ne m'intéresse pas tellement. Quand je me regarde dans la glace, je suis l'homme le plus banal qui existe. Quand il m'avait demandé mon numéro, je lui avais demandé sans réfléchir ce qu'il en ferait. C'est à ce moment là que j'avais réalisé que Dorian pouvait être extrêmement aguicheur. Il avait posé sa main sur ma cuisse, et avait planté ses yeux dans les miens.

- Peut-être t'appeler pour essayer de te revoir, par exemple ?

J'avais dégluti avec difficulté. Sa voix, ajoutée au contact de ses ongles qui s'enfonçaient doucement dans mon jean, m'avait retourné le cerveau. Quelques jours après, il m'avait invité au restaurant et lorsqu'il m'avait embrassé, je n'avais plus pu douter : oui, je lui plaisais bel et bien.

- Léo ?
- Oui ?
- Quand est-ce que tu me feras venir chez toi ?
- ... Quand j'aurai envie de te mettre dans mon lit.
- Ça veut dire que t'as toujours pas envie ?!

Il me fait face, les poings sur les hanches, et je secoue les mains pour qu'il baisse le ton, alerté par les regards qui se posent sur nous.

- Je –
- Attends, Léo, normalement au premier coup d'œil tu aurais dû avoir envie. Il y a un truc qui cloche.
- Pourquoi ça ?
- Mais. Parce que je suis une bombe. Tu ne t'en étais pas encore rendu compte ?
- C'est –
- Regarde-moi, franchement ! Qu'est ce que tu attends ?
- Hé, mais, du calme ! On est pas forcés de coucher ensemble si vite, si ? J'ai juste envie de te connaître un peu plus avant, parce que d'habitude, quand ça arrive trop vite, il n'y a plus que le sexe qui compte. Et je voudrais essayer autre chose avec toi.

Sa bouche s'arrondit et il se colle à moi, enserrant mon bras de ses mains. Le métro fonce, direction Bibliothèque François Mitterrand.

- Alors si c'est pour ça, je te pardonne de ne pas encore avoir essayé de me baiser.
- Qu'est ce que tu parles mal.
- Pardon. C'est l'habitude.
- Dans ce cas, je ne veux même pas connaître les gens que tu fréquentes.
- Oh, ça va, c'est pas si horrible.
- C'est pas très distingué.

Il se renfrogne et regarde ailleurs. Je souris. Ce garçon me fait vraiment un effet dingue. Commencer une relation m'a toujours fait un peu peur. Je suis du genre sérieux, les hommes à qui je fais l'amour, je finis souvent par en tomber amoureux. Je dois être un peu fleur bleue, je ne sais pas trop. Je fais un travail de rêveur, après tout. Dorian a ce truc que j'aime, en lui, cette enfance qu'on perd souvent à cause de l'âge, de la ville, des injustices, du bruit. Dorian est un mauvais garçon, probablement populaire dans son entourage, un peu cruel, toujours souriant. Il boit du vin rouge et de la vodka, il aime l'argent, les bars blindés et les quais à Saint Michel. Être avec du monde, écouter de la folk dans des concerts privés, chanter a capella devant des dizaines de gens. Moi, je suis un solitaire. J'apprends à jouer seul de la guitare, je dessine depuis tout petit grâce à des livres, j'achète mes livres chez les bouquinistes et je ne choisis que ceux dont le titre m'évoque quelque chose. J'ai peu d'amis, et je n'en voudrais pas d'autres. Dorian a conscience de nos différences, et je crois que ça lui plait. Il n'a pas l'impression d'avoir sa copie conforme en face de lui, t-shirt électro et Bensimons. Le désordre de mon look jure avec la cohérence du sien.

- Tu dois en avoir beaucoup de carnets comme celui-là, vu la fréquence à laquelle tu dessines.

Je tourne la tête vers lui. C'est vrai, je dessine en permanence. A vrai dire, parfois, je n'y fais même plus attention. J'observe les gens et repère des modèles intéressants, puis je les reproduis sans réfléchir. Paroifs ce sont les regards, parfois les mâchoires serrée, parfois ce sont les corps entiers que je capture. Dorian s'empare du carnet et le feuillette doucement. D'ordinaire, je le lui aurais repris des mains aussitôt. J'ai toujours détesté qu'on regarde mon travail, surtout lorsque ce ne sont que des croquis. Aucun de mes anciens copains n'a eu cet honneur. Mais étrangement, je suis si à l'aise avec Dorian que je ne pense même pas à faire un mouvement pour le lui reprendre. Son innoncence, le fait qu'il n'imagine pas une seconde que je l'en empêche m'attendrit tellement que je le laisse faire sans broncher. Il parcourt le cahier avec la plus grande attention. Soudain, il s'arrête sur une des dernières pages, et fait un petit bruit gêné.

- Je n'avais même pas vu que tu me dessinais.

Le croquis le représente debout, accoudé au comptoir du bar dans lequel il m'a emmené il y a deux jours.

- Je n'y suis resté que cinq minutes. C'est dingue comme ça me ressemble, alors que tu n'as fait que quelques traits.
- Je t'avais déjà fait avant alors... c'est venu plus facilement.

Il fait un petit rire en me rendant mon carnet. Je me plonge de nouveau dans mon dessin, et nous gardons le silence jusqu'à notre station. Dehors, il fait encore jour, et on prend le chemin des quais jusqu'à la péniche sur laquelle se déroule de concert. Des petits groupes de personnes attendent le début en fumant une cigarette, et Dorian se dirige sans hésiter vers l'un d'eux, me tirant par la main. La fille et les deux garçons qui se trouvent à présent face à moi me saluent chaleureusement, et je souris en guise de réponse, extrêmement intimidé, tout à coup.

- Alors t'es le copain de Dorian ?
- Euh, je crois.
- L'écoutez pas, il est bête. Oui, c'est mon copain.

Les autres s'esclaffent et je sens le rouge me monter au visage. Quel idiot. Je dois avoir l'air d'un associal, avec mes mains dans mes poches et mes joues mal rasées. Et puis, je porte un bonnet, on dirait un clochard. Alors que eux, ils ont l'air tellement classes.

- Léo, tu viens souvent au Batofar ?
- J'étais venu il y a longtemps. Deux ou trois ans.
- Alors tu connais, ça n'a pas tellement changé. Allons-y les mecs !

Je hoche la tête et les suis à l'intérieur du bateau. Au bar, les bières sont vendues à six euros la pinte. Je paye une tournée, et Dorian se colle à moi pour me murmurer des bêtises à l'oreille. Je me sens bien.

*

- Tu veux rentrer avec moi ?

Le concert vient de se terminer, j'ai la tête qui tourne et le nez perdu dans le cou de Dorian. En m'entendant, ses amis se mettent à pousser des cris sur-aigus et je me redresse, surpris.

- Bah qu'est ce qui vous prend ?
- Rieeeen.

Je fais les gros yeux et Dorian secoue la tête en soupirant.

- Mais taisez-vous !
- On n'a rien dit.
- C'est ça...

Puis il se tourne vers moi et glisse sa main dans mon dos. Je frissonne et l'interroge du regard.

- D'accord, je veux bien.
- Chouette.

Après avoir salué tout le monde, nous prenons de nouveau la direction du métro. Nous serons chez moi en une demi-heure. Je supplie intérieurement le conducteur d'accélérer la cadence. Les mains baladeuses de Dorian me mettent dans tous mes états, et ses lèvres collées à ma peau achèvent définitivement de me faire perdre le contrôle. Les cinq étages de mon immeuble le font un peu déchanter, mais à peine entré dans mon appartement, il me saute littéralement dessus, ôtant tous nos vêtements en hâte. Il me fait penser à un fauve affamé. Je lui rends ses caresses, et nous finissons bientôt sur mon lit, totalement nus.

- Tu estimes me connaître assez, maintenant ?
- Suffisament pour avoir follement envie de toi.

Il se trémousse, se frotte à moi, devient sauvage. Il me mord, je gémis, il en veut plus. Je le laisse descendre vers mon bas-ventre, enfonce mes doigts dans ses cheveux, serre mes dents pour ne pas faire trop de bruit, ici les murs sont aussi fins que du papier. Tout va si vite, il est soudain sous moi, à ma merci, sa voracité contrôlée, son corps offert, et je le trouve beau, si nu, si soumis, si désirable. J'entre en lui, les yeux plongés dans les siens, le souffle court, le corps brûlant. Je lui fais l'amour, sans vraiment le connaître, non, pas assez encore, et pourtant. Je crois que je l'aime déjà un peu.

- Je suis content que tu sois venu me parler sur ces marches.

Je suis étendu sur le dos. Il a posé sa tête sur mon torse et je joue avec ses mèches en désordre. Je ne suis pas encore redescendu totalement sur terre. Il se moque de mon sourire béat et je le bouscule. Baiser, ce n'est pas compliqué. Mais ce qu'il s'est passé à l'instant, c'était bien plus que ça. Bon Dieu. Il m'a rendu complètement dingue. Depuis ma rupture avec Paul, je n'arrivais plus à être excité. Je n'avais même plus envie. Quand quelqu'un est exceptionnel à mes yeux, j'en tombe vite amoureux. Paul, c'était ça. Il était intelligent, cultivé, musicien, libre comme l'air. Avec lui, je perdais tous mes moyens. Je me sentais faible, je me sentais dépendant. Et finalement, il avait fini par se tirer. Bon débarras. Il était aussi très capricieux, radical et susceptible. J'ai beau dire ça, pendant des mois je n'ai plus arrêté de penser à lui. Et peu à peu j'ai oublié. J'ai soigné mes blessures, et j'ai même supporté de le voir au bras d'un autre. Que voulez-vous, il faut apprendre à se détacher. Ce n'était pas l'homme de ma vie, voilà tout.

- Moi aussi, je suis content. Je me sens bien avec toi.

Il embrasse ma joue et se lève, me demandant où se trouve la cuisine. Je lui indique le chemin et le regarde s'éloigner, une drap enroulée autour de la taille. Il est si élégant. Ses courbes sont féminines, envoûtantes. Tout en lui est agréable à regarder.

- Tu fais des nus !
- Oui. C'est ce que je vends le mieux.

J'entends l'eau couler et ses pieds claquer sur le parquet irrégulier. Mais il ne revient pas, et je finis par enfiler un boxer et par le rejoindre, une cigarette aux lèvres.

- C'est magnifique.

Il se tient debout face à ma plus grande toile, un verre dans une main.

- Merci.

Nous gardons le silence pendant un moment, peut-être plusieurs minutes. J'aimerais savoir ce qu'il pense. Ce qui traverse son esprit à cet instant. Lorsque l'on observe mes œuvres, je me sens plus mis à nu que mes propres modèles.

- Tu aimes... tu es... Tu n'aimes que les garçons ? Ou les filles aussi ?
- Seulement les garçons.
- Oh, parfait. J'ai une sainte horreur des bi.
- Ahah, je te comprends...
- Dis, pourquoi tu ne dessines que des femmes ?
- C'est une ligne de conduite. Je refuse de faire des nus d'hommes.
- Pourquoi ça ?

Pourquoi ? Je sais que d'une certaine façon, il connait déjà la réponse.

- Tu ne sais pas ?
- Si.
- C'est parce que tu as peur que ça change tout ? Parce que dessiner quelque chose c'est lui donner une réalité, le rendre concret. Parce que pour toi le corps d'un homme doit être libre, et en le dessinant tu le rendras captif de tes toiles. Et puis parce que tu as peur de les aimer trop fort, ces corps. Tu as peur de te perdre dans leur contemplation. Et de les perdre, eux aussi, finalement.

La cendre s'échoue sur le sol, éclaboussant mon pied. Il boit une gorgée d'eau, remonte la drap sur ses hanches, la braise frémit à l'extrémité de ma cigarette, mes doigts tremblent un peu. Il s'approche de moi, prend ma main et capture le filtre entre ses lèvres. La fumée s'échappe en fontaine, je l'embrasse, nos langues entrechoquées. J'aimerais qu'il comprenne dans ce baiser tout ce que je ne peux pas dire. Qu'il comprenne qu'il me fait peur, à me cerner ainsi. Que je me sens prêt à lui donner tellement, en si peu de temps, et que ça me paralyse. Mais lui, aura-t-il le courage de se donner aussi facilement ? Il s'écarte, un sourire aux lèvres. Evidemment, il a déjà tout compris.

- Dessine-moi nu.

Je reste figé. Je la redoutais, cette phrase. Et je savais qu'il la dirait. Comment fait-il pour dire tout ce qui m'effraie le plus sans jamais me donner envie de l'éloigner ? Je le regarde attentivement, de bas en haut, défait le noeud du drap et le laisse glisser le long de son corps. Sa peau frissonne, mes mains le frôlent et il semble retenir sa respiration à ce contact. Sa nudité ne m'excite pas. Je ne la considère plus comme étant mienne, je la projette déjà sur la toile, je la transforme en traits, en contours, en ombres, elle devient un jeu de contrastes et de lumières que je me dois de reproduire, de contrôler, de posséder. Je lui demande de retourner dans la chambre. Il, s'exécute, muet. Je lis une angoisse dans ses yeux, mêlée à un désir indescriptible, un désir sale, celui de se faire prendre comme il ne l'a jamais été auparavant. Je prépare mon matériel et m'installe sur le lit, tout contre le mur, le plus loin possible de lui.  

- Mets-toi debout. Ta tête, un peu de profil. Voilà. Parfait. Parfait.

Mon plus beau modèle. Au premier trait, mon ventre s'est soudain noué. Je devais le réussir. Je crois qu'il comptait sur moi plus qu'aucune femme qui s'était déshabillée ici. Au début, ma main a tremblé, et pour la contrôler j'ai continué, j'ai accéléré, j'ai projeté tout mon esprit dans chacun de mes gestes, ma concentration à la merci de ses formes, et je n'ai plus failli, j'ai tout donné, pour lui, pour moi, pour l'avenir, pour le crayon, pour le papier. Pour nous. Son maquillage répandu, ses piercings brillants, son sexe perdu dans l'ombre de ses cuisses, son crâne presque rasé, ses mèches épaisses, ses jambes imberbes, ses veines saillantes, la rumeur de ses muscles, la chute de ses reins. Lui.

Ma plus belle réussite.

 
     
     
 
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