Vendredi 15 Septembre A.C.
18h30 – Bavière, sud de l’Allemagne
Heero regardait le paysage défiler derrière la fenêtre de la voiture. Des montagnes, des forêts, un lac, quelques villages et le château. Grand et majestueux, il s’élevait devant eux, dépassant d’entre les arbres comme l’apparition enchantée d’un château de conte de fées hanté par des démons ; mélancolique allégorie de leur époque.
L’ancien Preventer était un peu inquiet : il se jetait dans la gueule du loup. Une fois entré dans le château, si les vampires décidaient qu’il était plus prudent de le tuer, il n’aurait aucun moyen de se défendre. Il avait pris ses armes avec lui sur conseil de Duo, mais elles étaient bien cachées dans le double fond de sa valise et dans une situation d’urgence, il était fort probable qu’il ne les dégainerait pas à temps.
Tous les Preventers avaient une spécialité : certains tuaient les vampires cachés dans les sous-sols des villes, d’autres traquaient les vampires nomades, d’autres encore chassaient les vampires qui se faisaient passer pour des humains. Odin lui, avait été un spécialiste de l’aristocratie. Il réussissait à approcher les vampires nobles, même sous haute protection. Il avait assassiné beaucoup de vieux vampires, membres de la Curia Regis. Heero se dit qu’il avait dû éprouver des centaines de fois cette angoisse de se savoir entouré d’ennemis puissants. Et il se demanda comment son mentor avait trouvé le courage d’entrer seul dans ces immenses demeures si bien gardées pour y assassiner des créatures dix fois plus vieilles et plus puissantes que lui.
Lui n’aurait jamais pu arriver jusqu’ici s’il n’avait pas été avec Duo. Duo qui était parfaitement à l’aise avec cette atmosphère de puissance, de richesse et de protocole. Il était assis à côté de lui dans la voiture et discutait avec le chauffeur qui les conduisait au château. C’était un chauffeur privé de la famille impériale et il était venu les chercher à la gare de Munich.
Le voyage en train avait été interminable, ils étaient partis dans la matinée pour n’arriver qu’au crépuscule et Heero regrettait déjà le confort douillet de la maison de Mahaut. Il aurait réellement apprécié de pouvoir y rester plus longtemps. Il regrettait aussi le calme apaisant qu’il avait éprouvé à passer du temps seul avec Duo. Son humeur joyeuse, sa légèreté, avaient pour un temps chassé toute peur de son esprit. Cette amitié lui rappelait celle qu’il avait eue avec Odin, et aussi absurde que cela pût paraître, Heero s’était accoutumé à la présence d’un vampire à ses côtés. Et bien qu’il se sentît un peu honteux d’éprouver cette sensation, il ne pouvait nier que son amitié avec le vampire lui procurait un répit dans sa solitude, une paix profonde qu’il n’avait pas connue depuis la mort de son père adoptif.
Et Duo semblait également ravi de voyager avec lui, à en croire l’attention bienveillante et amicale qu’il lui portait. Enfin « amicale »… A dire vrai Heero craignait que ce fût un peu plus compliqué que cela…
Il croisa le regard du Duo. Les yeux bleus le fixèrent quelques secondes avant de commencer à s’empourprer, comme si une fiole de sang s’y était cassée et se répandait à la surface de ses iris, transformant l’azur de son regard en un violet profond. Le chauffeur regardait la route et comme il ne jetait que de rares regards dans le rétroviseur, il ne remarqua rien. De toute façon c’était un vampire, alors il n’aurait sans doute rien dit.
Heero, amusé, détourna le regard et se concentra à nouveau sur le paysage. La nuit tombait plus vite entre les montagnes.
Jeudi matin ils s’étaient levés et avaient déjeunés normalement, Duo avait parlé avec le même entrain que d’habitude. Aucun d’eux n’avait évoqué ce qui était arrivé. Heero se sentait perdu. Qu’aurait dit Odin ? Qu’aurait-il conseillé ? Duo avait l’excuse de son attirance physique, mais Heero, pourquoi l’avait-il laissé l’embrasser ? Et pourquoi avait-il répondu au baiser ? Et surtout pourquoi avait-il trouvé cela agréable ?
Il s’était fixé des objectifs et il s’égarait en route. Nul doute qu’Odin eut désapprouvé…
Ils avaient passé le jeudi après-midi à marcher dans Colmar et avaient acheté leurs billets de train et fait des courses pour Mahaut. Puis le soir Heero avait insisté pour que Duo bût une pochette de sang avant leur voyage en Allemagne mais le vampire avait refusé catégoriquement, restant hermétique à ses arguments. A la fin il avait renversé Heero sur son lit, lui avait promis en riant de le bouffer lui s’il continuait à insister et ils s’étaient endormis l’un contre l’autre, encore.
– Les habitants des villages voisins ne remarquent-ils pas que le château est habité par des vampires ? demanda Heero au chauffeur pour se forcer à penser à autre chose.
– Tous les habitants des villages voisins sont des vampires, répondit l’homme avec un sourire amusé. Même Hohenschwangau, le deuxième château, est habité par des vampires. Lorsque l’Empereur a acheté Neuschwanstein, toutes les habitations et les commerces ont progressivement été rachetés aux humains. Cela s’est passé juste après la Croisade et comme beaucoup d’humains qui vivaient à la campagne étaient très pauvres, ils ont été heureux de pouvoir vendre leurs biens pour pouvoir partir dans d’autres régions où l’économie avait été moins touchée.
– C’est habile, reconnut Heero, ainsi personne ne vous suspecte…
– Toutes les capitales d’Europe fonctionnent comme ça, expliqua Duo. Le Roi de France à Versailles vit entouré de vampires…
– Et les Etats l’ignorent ?
– Bien sûr que non ! s’exclama le chauffeur. Mais les autorités humaines reçoivent de grosses sommes d’argent en échange de leur silence.
– Et les gouvernements humains préfèrent fermer les yeux, ajouta Duo, ainsi ils donnent l’impression à la population de maîtriser totalement la menace vampire tout en s’en mettant plein les poches.
Heero ne put s’empêcher de penser que si la guerre venait à être déclarée et si des armées de vampires marchaient sur les villes humaines, ce serait entièrement de la faute des gouvernements qui avaient laissé la situation s’envenimer. La rancœur des vampires, l’opiniâtreté du Vatican, la vénalité des Etats, la haine des humains, tout jouait contre eux et la guerre à venir semblait inévitable. En repensant à l’étrange mission que leur avait confiée le directeur de Chambord, il se demanda ce que pouvait faire une seule petite fille face à tant de fatalité et dans des circonstances aussi noires.
La voiture s’engagea sur une route en lacets qui menait directement au château. Le ciel s’assombrissait de minute en minute. Il écouta avec attention Duo lui expliquer que tout Neuschwanstein et ses villages voisins agissaient selon les habitudes des vampires : dormant le jour et vivant la nuit. Le couple impérial donnait de grands bals où étaient invitées les familles nobles de toute l’Europe et qui se terminaient en de très appréciées orgies de sang. Le chauffeur ajouta que les seuls humains qui entraient dans le château étaient la nourriture, Heero avait donc droit à un traitement de faveur. Il conseilla à l’ancien Preventer de rester toujours sur ses gardes et de ne pas s’éloigner de Duo.
Heero hocha la tête sans afficher aucune peur ni aucune surprise. Il ne s’attendait pas à autre chose et se doutait que sa présence à la capitale vampire d’Allemagne ne serait pas vue d’un bon œil par les habitants malgré l’invitation de l’Empereur.
La voiture tourna au dernier virage et s’arrêta devant un grand portail sous une arche de pierre, gardé par plusieurs vampires en uniforme. Le mur d’enceinte semblait de construction plus récente que le château et devait dater de l’époque où les vampires l’avaient acquis. Heero devina les silhouettes de vampires sur le chemin de ronde.
– Le reste se fait à pied, expliqua le chauffeur à ses passagers. Quelqu’un va vous conduire à l’Empereur. Un bagagiste se chargera de vos effets personnels.
Heero et Duo sortirent de la voiture. Le chauffeur salua les gardes et leur donna les noms de ses passagers. Les vampires confirmèrent qu’ils avaient reçu l’ordre de les laisser entrer et le chauffeur se proposa de les conduire lui-même jusqu’aux appartements de l’Empereur.
– C’est impossible, répondit le garde en français pour qu’Heero et Duo comprennent, j’ai reçu l’ordre de l’impératrice d’attendre l’arrivée de son page, c’est lui qui les conduira.
Le chauffeur se tourna vers eux.
– Le page de l’impératrice est un gamin, expliqua-t-il avec un froncement de sourcils. C’est un télékinésiste très puissant, trop puissant pour son âge. Il n’est pas très apprécié au château… Méfiez-vous de lui.
A l’instant où il disait cela, la silhouette d’un enfant sortit de l’ombre de l’arche et s’avança vers les gardes. Il mesurait la moitié de leur taille et portait une cape grise. Une capuche recouvrait son visage et ne laissait voir que sa bouche et son nez.
– L’impératrice m’envoie, informa l’enfant à voix basse en s’adressant aux gardes sans lever la tête vers eux.
Le chauffeur avait baissé les yeux et semblait très embarrassé, devinant que le page avait entendu la remarque qu’il avait faite à son sujet.
– Les invités sont arrivés, lui répondit le garde, vous pouvez les conduire à Sa Majesté.
L’enfant marcha jusqu’à la voiture et s’inclina légèrement devant Duo qui était le plus proche.
– Veuillez-me suivre, dit-il seulement sans autre formule de politesse et sans accorder un seul regard au chauffeur.
Duo acquiesça et ils remercièrent ensemble le conducteur pour son amabilité avant de se mettre en route derrière le page.
Ils montèrent un interminable escalier aux larges marches qui faisait le tour de l’édifice et arrivèrent enfin devant l’entrée du château alors que le soleil avait disparu derrière les montagnes.
Leur guide leur fit traverser les deux cours intérieures et entrer dans le bâtiment principal. Ils longèrent un immense couloir aux murs hauts, aux meubles anciens et aux grands tableaux. Ils suivirent l’enfant qui leur fit monter un escalier en colimaçon jusque dans une antichambre aux arches de pierre peintes, aux fresques immenses et aux boiseries raffinées. Deux gardes étaient en poste devant une large porte.
– Attendez-moi là.
Heero lança au natté un regard qui signifiait combien il trouvait le comportement de l’enfant froid et hautain et Duo lui répondit par un sourire complice et amusé. Le garçon entra dans la grande pièce. Par la porte ouverte, Heero et Duo aperçurent des colonnes de marbre et des dorures, la salle semblait vaste et richement décorée. Quelques chandeliers à la lumière faiblarde éclairaient un groupe de personnes au centre duquel une belle femme à la chevelure rousse vêtue d’une élégante robe pourpre s’adressait aux hommes rassemblés qui l’écoutaient en silence.
L’enfant se fraya un chemin entre les hauts personnages et s’approcha d’elle, s’inclina et lui parla à voix basse en désignant Heero et Duo. La femme ne les regarda pas mais elle dit quelques mots à ses interlocuteurs et sortit de la grande pièce. Les hommes s’inclinèrent puis discutèrent entre eux avec animation.
La femme murmura quelque chose en allemand au gamin qui l’écouta attentivement puis repartit dans la direction d’où ils étaient arrivés. L’escalier sombre engloutit sa cape grise.
Elle le regarda partir et s’approcha d’Heero et Duo.
– Soyez les bienvenus messieurs. Je m’appelle Eva, je suis l’épouse de l’Empereur Leander.
Duo s’inclina profondément et Heero l’imita.
– En vérité, dit-elle en regardant plus particulièrement le brun, c’est seulement la seconde fois que Neuschwanstein accueil un invité humain depuis qu’il est résidence impériale.
– Votre accueil nous honore, majesté. Je suis Duo Maxwell, et mon ami…
– Oh, je sais bien qui vous êtes, le coupa-t-elle avec un sourire, vous lui ressemblez beaucoup vous savez.
– A Solo ? demanda le natté tellement surpris qu’il en oublia ses formules de politesse.
Elle hocha la tête.
– Vous êtes né humain pourtant, je me trompe ?
– Est-ce que c’est Clay qui vous a raconté tout cela ? interrogea Duo décidément surpris qu’elle en sût autant.
– Non.
– Alors vous connaissez Solo personnellement ?
– Je ne l’ai rencontré qu’une fois un soir de fin du monde. Il était humain. C’était un gamin à peine plus vieux que celui qui vous accompagne. Il a tué des dizaines de vampires avec une seule épée et les maigres forces de son bras. Il ressemblait à ces guerriers de légendes qu’une armée ne suffit pas à faire fléchir. J’ai appris plus tard qu’il avait été trahi par ceux-là mêmes qu’il protégeait, qu’on lui avait arraché ce qu’il avait de plus cher et que de désespoir, il avait abandonné son combat et sa race.
– Alors vous en savez presque plus que moi, conclut Duo.
– Vous venez de Chambord, c’est bien cela ?
– Oui, nous en sommes partis il y a trois jours.
– On m’a raconté qu’il s’y était passé des choses affreuses…
Duo sourit intérieurement en pensant qu’elle avait déjà dû avoir un rapport détaillé de ce qui s’était produit à Chambord par le biais de la Curia Regis qui ne manquait jamais d’informer les puissants des évènements importants. Et elle ne posait la question que pour avoir confirmation ou pour obtenir plus de détails.
– Nous avons été attaqués par des chimères, dit-il seulement.
Elle soupira.
– Après deux cents ans ces horreurs sont encore vivaces… La malédiction du Vatican ne cesse de nous poursuivre. Ces derniers jours ont dû vous sembler bien pénibles. Et votre voyage a sans doute été épuisant. Sachez que vous êtes invités à demeurer à Neuschwanstein autant de temps qu’il vous siéra. A présent je vais vous conduire à l’Empereur, venez.
Duo la remercia de sa sollicitude et ils la suivirent. Elle traversa la pièce, ouvrit une porte de bois, les fit entrer dans une salle où s’affairaient des domestiques qui la saluèrent d’une révérence. Elle traversa le large salon richement décoré, ouvrit une autre porte, puis encore une autre, leur fit traverser plusieurs pièces et s’arrêta enfin devant une grande porte majestueuse. Elle tapa doucement contre le bois sculpté.
– Ja ! Komm rein ! répondit une voix d’homme, les invitant à entrer.
Eva ouvrit la porte et fit entrer Heero et Duo.
– J’amène deux invités, dit-elle en français.
La chambre était magnifique. Il y avait des tentures, des boiseries, des fresques, un lit de bois sculpté, un secrétaire d’époque, un tapis, des fauteuils de soie brodée, des candélabres dont les faibles lumières se reflétaient dans le miel du parquet poli comme un miroir …
L’Empereur était un grand homme à la peau très pâle et aux cheveux blonds presque blancs. Il portait une longue robe de chambre en soie rouge et était debout derrière l’imposant secrétaire, des feuilles étaient éparpillées autour de lui, plusieurs livres aussi, un stylo plume débouché, une carte qui menaçait de glisser par terre…
– Grüß Gott ! les salua-t-il joyeusement en vieux bavarois, quand il vit les garçons.
Eva traversa la chambre pour rejoindre son époux.
– Heero Yuy, Duo Maxwell, je vous présente Leander Geldhaken von Bayern, Empereur d’Allemagne depuis 210 ans.
Heero et Duo s’inclinèrent respectueusement.
– C’est un plaisir messieurs. Je ne vous attendais pas si tôt, dit-il d’une voix grave et profonde avec un fort accent allemand. Le soleil est à peine couché, vous êtes bien ponctuels !
– Ils étudiaient dans une école d’humains, lui rappela Eva en ouvrant une fenêtre pour laisser entrer l’air frais du soir, ils vivent sûrement le jour.
Il posa ses yeux bleu-gris sur eux et les détailla.
– Maxwell et Yuy… Encore ces noms mis côte à côte.
Il afficha un sourire en coin.
– Je ne sais quoi en penser, cela ressemble à une mauvaise farce que me ferait le Vatican…
– Nous ne venons pas de la part du Vatican, répondit Heero. Et nous ne voulons nous battre contre personne.
– Et que voulez-vous ? demanda Leander en dévisageant l’humain.
– Faire tout ce qui est en notre pouvoir pour empêcher la guerre, répondit le brun.
– Alors vous vous êtes trompés de capitale. Si vous vouliez vous opposer à cette guerre, c’était Médéric qu’il fallait aller voir.
– Allez-vous soutenir le Roi de France ? demanda Duo.
– Bien sûr que je vais le faire, siffla l’Empereur comme si ces mots lui avaient écorchés la bouche. Je n’ai pas le choix, lisez les journaux !
Il ramassa énergiquement une pile de papiers et les agita devant les yeux des deux garçons. Duo reconnut l’entête d’un journal publié et lu uniquement par des vampires. Sur le papier grisâtre s’étalait en grosses lettres le titre « Le soutien de l’Empereur Leander au Roi Médéric : une simple formalité ? ».
– Mais vous ne voulez pas faire cette guerre ? interrogea Duo un peu affolé par le fatalisme du journal et plus encore par celui de l’empereur.
– Quel empereur voudrait engager son peuple dans une telle guerre ? tonna Leander. Combien de morts va-t-il falloir cette fois pour déterminer quel sera le vainqueur ? Combien l’Organisation Zodiacale et le Vatican formeront-ils de guerriers pour nous contrer ? Combien de chimères seront créées pour nous détruire ? Quelles pertes devra subir mon peuple cette fois-ci ? Médéric est un fou !
Et il se mit à arpenter la pièce en jetant des regards mauvais au tapis comme s’il l’avait personnellement offensé.
– Pourquoi vous engager aux côtés du Roi de France dans ce cas ? demanda Duo en regardant l’empereur essayer de retrouver son sang-froid. Il semblait à bout de nerfs.
– Si nous soutenons Médéric, la guerre sera officiellement déclarée aux humains et les conséquences seront sans doute terribles, expliqua Eva d’une voix beaucoup plus calme que son époux. Mais si nous refusons de l’aider, Médéric ira quand même en Avignon. Cette ville se trouve sur son territoire, il peut l’attaquer quand il le veut. De plus elle ne bénéficie d’aucune protection spéciale de la part des humains, il ne s’agit que d’une ville touristique. Il lui sera donc très simple de tuer tous les humains et de prendre la cité. Les humains riposteront alors. L’Eglise participera personnellement à cette guerre, comme elle l’a fait par le passé. Mais cette fois les vampires seront divisés au moment où le Vatican frappera. Déchirés entre les partisans de Médéric et les pacifistes, nous prenons le risque de voir naître une guerre dans notre propre camp. Les Vampires seraient alors affaiblis et vulnérables. Si nous nous battons à la fois contre les humains et entre nous, les pertes dans nos rangs seront catastrophiques et nous perdrons sans doute la guerre.
– Alors cette guerre est inévitable, résuma Heero. Et votre seul choix consiste à décider d’y participer et de massacrer des humains innocents ; ou de ne pas le faire et de vous diviser, de laisser une chance aux humains tout en risquant des milliers de morts parmi votre propre race.
– Exactement, répondit Eva. La manœuvre de Médéric est imparable : il y a échec au roi…
– N’y a-t-il rien que nous puissions faire ? interrogea Duo.
– A moins que vous ne possédiez une armée capable d’abattre le Vatican, ou un moyen efficace d’évincer Médéric, je crains que vous ne soyez d’aucune utilité, répondit sèchement Leander.
Heero compris que le vieux vampire était totalement paniqué. Il sentit sa propre angoisse monter en lui : comment pouvaient-ils encore espérer éviter cette guerre si l’empereur lui-même tremblait de peur dans son grand château ?
Le calme de l’impératrice contrastait étrangement avec l’agitation de son époux. Elle semblait beaucoup moins affectée que lui, ou plus maîtresse d’elle-même. Cela surprit Heero. Si la guerre éclatait, les dirigeants vampires seraient les premiers visés, se pouvait-il que cela n’inquiétât pas la belle impératrice ? Avait-elle à se point confiance en ses forces ? Ou espérait-elle encore agir en faveur de la paix ?
– Messieurs, dit Leander en regardant une grosse horloge, j’aurais aimé prolonger cette entrevue mais je suis malheureusement attendu par mes conseillers. Votre intérêt pour les affaires de l’Empire me touche, et si nous trouvons une solution diplomatique à cette guerre, je vous promets de vous le faire savoir. Vous êtes les bienvenus à Neuschwanstein et je vous invite à prendre quartier en notre château et à y demeurer tant qu’il vous plaira.
Heero et Duo le saluèrent et il sortit un peu précipitamment, un de ses conseillers se précipita sur lui pour lui parler d’une voix presque affolée et plusieurs domestiques les talonnèrent, attendant un signe de l’empereur pour le servir.
Duo se dit que c’était le moment pour Heero de parler à Eva de la mission confiée par Treize Kushrenada. Mais Heero ne dit rien. Et Duo décida de ne pas en parler. C’était une mission secrète et peut-être n’était-il pas prudent d’en parler directement à l’Impératrice comme s’il s’agissait d’une demande officielle. C’était à Heero particulièrement qu’avait été confiée la mission et Duo décida de lui faire confiance.
Un bruit près de la fenêtre le fit se raidir. Une petite silhouette enveloppée dans une cape grise se laissa habillement glisser dans la chambre par la fenêtre qu’Eva avait laissée ouverte.
– Ah, Louka ! s’exclama l’Impératrice. Tu as trouvé ?
Le garçon ne releva pas son capuchon et ne prêta pas plus attention aux deux invités qu’il ne l’avait fait plus tôt. Il écarta un pan de sa cape et en sortit l’épée d’Heero et son pistolet.
Heero sursauta et dévisagea l’Impératrice, cherchant dans ses traits un signe de danger. Duo se plaça instinctivement devant Heero, prêt à se battre si jamais elle menaçait l’humain.
– Je suis navrée, dit-elle avec un sourire amusé, comme vous êtes des invités d’honneur vos bagages n’ont pas été fouillés par la garde mais je ne peux pas vous laisser introduire des armes d’argent dans le château. Je vais les faire mettre sous scellés. Vous pourrez bien sûr les reprendre à votre départ. Des dispositions particulières ont été prises pour assurer votre sécurité à l’intérieur du château, je vous promets qu’il ne vous arrivera rien
Elle s’était adressée à Heero d’une voix douce et sincère. Les deux garçons se détendirent un peu.
– Comment saviez-vous que j’avais caché mes armes dans mes bagages ?
– Vous eussiez été fou de venir désarmé ! s’exclama-t-elle avec un sourire franchement amusé. Mais n’ayez crainte, les habitants de Neuschwanstein ont été informés qu’ils s’attireraient ma colère s’ils vous faisaient le moindre mal. Aussi je doute que quiconque s’y risque. Vous êtes sous ma protection personnelle. Vous pouvez être tranquille.
Elle échangea quelques mots avec Louka qui emporta le pistolet et l’épée d’argent et sortit par la porte.
– Vous vivez le jour n’est-ce pas ? Vous devez être épuisés. Je vais vous faire conduire à vos appartements.
– Merci de votre prévenance, dit Duo en s’inclinant respectueusement.
Il n’en revenait pas de la chance qu’ils avaient eue. Introduire des armes d’argent dans une capitale vampire était passible de mort. Eva aurait pu interpréter cela comme une trahison ouverte si elle avait voulu. Duo avait songé à ce qu’ils risquaient mais il avait préféré qu’Heero les prît : il n’y avait aucune chance pour qu’ils fussent fouillés à l’entrée et il n’imaginait pas de demander à son ami de venir sans aucun moyen de se défendre.
Une femme frappa un coup bref à la porte et entra. Elle était très ronde pour une vampire et portait des vêtements sombres, des lunettes en métal et un chignon strict. Malgré son apparence sévère, elle parla d’une voix très douce.
– Louka m’a dit que vous vouliez me voir, dit-elle à l’impératrice après s’être inclinée.
– Je voudrais que vous conduisiez nos invités dans leurs appartements, dans le bâtiment de la Kemenate. Donnez la chambre chauffée à l’humain et allumez la cheminée : il fait frais ce soir et cette chambre n’a pas été chauffée depuis bien longtemps, les murs doivent être humides.
Puis elle s’adressa à Heero et Duo.
– Anke va vous conduire, elle parle très bien français, si vous avez besoin de quelque chose, adressez-vous à elle.
Les deux garçons remercièrent encore l’impératrice et ils suivirent la domestique. La vampire leur parla tout le chemin d’un ton poli et enjoué auquel Duo répondait avec une aisance naturelle. Elle leur raconta qu’elle travaillait au palais depuis que la famille impériale y vivait, et que c’était la toute première fois qu’elle avait la charge d’un invité humain. Arrivés dans le bâtiment de la Kemenate, ils montèrent un grand escalier dans lequel ils croisèrent quelques domestiques et un vampire noble qui les dévisagea d’une façon un peu insistante. Elle leur montra d’abord la chambre d’Heero, c’était une vaste pièce richement décorée, une cheminée imposante encombrait toute une partie du mur en face du lit, des tableaux et plusieurs tentures représentaient des scènes de chasse. Le large lit aux couvertures vert sapin, les deux fauteuils, la petite table et une grande commode meublaient la chambre.
Anke alluma un feu dans la cheminée en leur expliquant que certaines familles de vampires – très rares – aimaient vivre dans des maisons chauffées et que les chambres qui comportaient une cheminée leurs étaient réservées. Celle-ci n’avait pas servi depuis de longs mois puisqu’ils n’avaient pas éprouvé le besoin de chauffer pendant l’été.
Lorsqu’elle eut montré à Heero la salle de bain et le téléphone qui permettait d’appeler le service, elle invita Duo à la suivre jusqu’à sa chambre.
– Je préfère ne pas le laisser seul, répondit simplement le vampire. Cette chambre est bien assez grande pour deux, je vais rester avec lui. Pouvez-vous me faire apporter mes affaires ?
Elle interrogea Heero du regard et il donna son accord d’un simple mouvement de tête. Elle se mit glousser.
– Oh ! Oh ! Je n’osais pas demander mais… Je suppose qu’il n’est pas nécessaire que je vous fasse porter du sang ou un autre humain : il est votre calice !
Duo lui lança un regard scandalisé et Heero la considéra d’un air désabusé.
– Non, vous vous trompez il n’est pas mon calice. Mais il ne sera effectivement pas nécessaire de me faire porter du sang. Merci pour tout Anke.
Le ton froid de Duo doucha la vampire et l’expression ravie qu’elle avait affichée un peu plus tôt disparut.
– Faites-moi appeler si vous avez besoin de quoi que ce soit, dit-elle poliment en se reprenant. Et ne sortez pas seul dans les couloirs, M. Yuy.
– L’impératrice a dit qu’il était sous sa protection, dois-je craindre qu’il soit attaqué quand même ?
– Non, bien sûr que non. Nul ici ne prendrait le risque de contester un ordre de Sa Majesté. Je disais cela parce que vous pourriez croiser… d’autres humains…
Heero comprit très bien de quoi elle parlait et Duo s’en voulut d’avoir posé la question. Le château était empli de victimes humaines que la noblesse dévorait, et il ne voulait pour rien au monde qu’Heero assistât à un tel spectacle.
Le natté remercia encore une fois la vampire et elle sortit en leur disant qu’un domestique allait venir leur apporter les bagages de Duo.
– Je suis ton calice ? demanda Heero quand elle eut refermé la porte.
– Ne dis pas n’importe quoi ! gronda Duo. C’est scandaleux qu’elle ait pu penser une chose pareille, comme si j’avais emmené un pique-nique…
– Même si ce n’est pas ce que tu veux, tu prends des risques en refusant de te nourrir… Tu n’as pas bu une seule goutte de sang depuis Chambord.
– Je n’en ai pas besoin, mentit Duo.
Mais Heero commençait à le connaître.
– Bien sûr que si tu en as besoin. Seulement tu t’y refuses obstinément. De quoi est-ce que tu as peur, Duo ? Tu crains que je t’accuse d’assassiner des pochettes de sang ?
Heero savait malgré son ton ironique qu’il n’était pas tombé loin. Il y avait dans la réticence de Duo un déni mêlé de honte.
– Mais non, répondit le natté penaud en se laissant tomber sur le lit.
Il se tut, cherchant ses mots.
– C’est parce que je suis en colère… contre ce que je suis. Si les vampires ne se nourrissaient pas des humains, il n’y aurait pas de guerre. Parfois je me dis que la haine des humains est légitime, nous menaçons vos vies par notre seule existence. Qu’est-ce qui te retient à mes côtés dans ce château lugubre où des monstres assoiffés de sang dévorent ceux de ta race ?
Heero s’approcha du lit et posa sa main sur l’épaule du natté.
– C’est notre amitié qui me retient à tes côtés, répondit-il très sincèrement. Je veux que les humains et les vampires puissent vivre en paix comme nous vivons en paix toi et moi. Tu m’as montré que tous les vampires n’étaient pas des tueurs sanguinaires, je veux te montrer que tous les humains ne haïssent pas aveuglément les vampires. Je n’ai pas peur de toi Duo, je ne te déteste pas et j’ai confiance en toi. Mais si une guerre se prépare il ne faut pas que tu sois affaibli parce que tu ne t’es pas nourri pendant des jours. Alors s’il te plait fais un effort et nourris toi.
Duo leva des yeux violets sur son ami. Une fois encore il avait chassé ses inquiétudes et écarté ses craintes en seulement quelques mots.
Heero n’avait pas retiré sa main de l’épaule du vampire et une douce chaleur irradiait de sa paume. Il n’avait pas le moins du monde conscience du frisson électrique que ce contact produisait dans le corps du vampire, il n’avait pas non plus réalisé que leurs visages étaient bien trop proches l’un de l’autre pour une simple conversation amicale, il n’avait même pas senti la main fraîche se poser à l’arrière de sa nuque et l’attirer vers le bas. La seule chose qu’il voyait c’était le regard intense à la couleur si singulière. Son cœur s’était mis à taper si fort dans sa poitrine qu’il résonnait également aux oreilles fines du vampire.
Un souffle doux se glissa entre les lèvres entrouvertes de l’humain. Dans le brouillard lointain de sa conscience, son instinct l’avertit qu’il y avait des bruits de pas et de voix dans le couloir, sa formation de chasseur de vampire l’informa qu’à quelques centimètres de sa bouche sous les lèvres si attirantes, il y avait des dents de prédateur qui pouvaient le tuer.
Son corps lui rappela combien il avait été agréable d’embrasser Duo la première fois et aucune prudence ne pouvait le retenir face à un appel si puissant…
Quelqu’un frappa à la porte.
– Duo tu es là ? appela une voix de fille en anglais.
Ils ne sursautèrent pas. L’un comme l’autre avait entendu les intrus approcher. Ils continuèrent à se fixer un instant, leurs bouches si proches l’une de l’autre qu’elles se fussent touchées au moindre frisson de l’un d’eux. Puis Duo émit un grondement sourd de mécontentement qu’Heero n’eut jamais pu entendre s’il n’avait pas été si proche de lui. La couleur de ses iris tira sur le rouge grenat. Sa colère aurait amusé Heero n’eut été sa propre déception.
Le brun se redressa à contre cœur, la main de Duo quitta sa nuque et le natté se leva. Heero le regarda se diriger jusqu’à la porte en essayant de reprendre ses esprits. Ils avaient failli s’embrasser. S’ils n’avaient pas été interrompus, ils échangeraient un baiser enfiévré en cet instant. Heero repensa à la main fraiche sur sa nuque, à l’appel brûlant de cette bouche qu’il aurait aimé dévorer, à ce regard de prédateur affamé qui réveillait ses propres instincts ; et ce fut soudain beaucoup plus difficile de reprendre ses esprits.
Il ne prêta qu’une vague attention à la jeune femme qui venait d’entrer dans la chambre et qui serrait Duo dans ses bras. Le monde entier était passé à l’arrière plan. Même s’il y avait eu des chimères dans cette pièce, sa seule obsession aurait été la bouche de Duo, ses yeux violets, ses mains sur sa peau…
Heero se passa une main dans les cheveux. Lui qui avait toujours été maître de lui-même, il en aurait crié de dépit d’être à ce point impuissant devant un désir aussi irrationnel.
Ses yeux lui transmirent quelques informations éparses : Duo souriait à cette fille, un domestique était debout dans l’encadrement de la porte et il portait la valise de Duo en attendant patiemment qu’on le laisse passer pour la déposer, les yeux de Duo étaient redevenus bleus…
– …et quand j’ai entendu le domestique dire que tu étais ici, disait la fille en anglais à Duo qui ne semblait pas très concentré, dans le bâtiment de la Kemenate, j’ai été tellement surprise que j’ai pensé un instant qu’il pouvait y avoir un autre Duo Maxwell ! Et puis je me suis souvenue que papa m’avait dit que vous aviez quitté Chambord. Oh je suis tellement contente que de vous savoir en sécurité ! Je n’ose pas imaginer le drame que c’eut été s’il été arrivé quelque chose à mon frère !
– Oui ça a été un sale moment pour tout le monde, répondit Duo quand elle le laissa en placer une. Heureusement on s’en est tous sortis. Ça n’a pas été le cas des humains, il y a eu des morts parmi les élèves.
– Oui, oui, je sais… Quel drame, j’espère que l’Eglise est fière d’elle !
– Et malheureusement avec la guerre qui approche, je pense qu’aucun de nous n’est plus en sécurité, ajouta Duo sombrement.
– Oui, c’est pour cette raison que je suis ici, répondit-elle tout aussi sombrement. Mon père m’a envoyée pour représenter la famille Winner au conseil extraordinaire auquel l’empereur a convoqué toutes les familles nobles.
– Heero approche, appela Duo en se tournant vers lui.
Le brun remarqua que les yeux de Duo s’étaient légèrement teintés de violet quand leurs regards s’étaient croisés. Il espéra de tout cœur que la femme n’avait pas remarquer son propre trouble. Le domestique avait posé la valise et était reparti avec la plus grande discrétion.
– Heero, je te présente Tamara Winner, une des sœurs de Quatre, elle travaille en Allemagne où elle gère l’une des succursales de la fondation Romefeller. Tamara, Heero Yuy était un Preventer, sa présence nous a sauvé la vie à Chambord.
Heero se demanda s’il devait s’incliner devant la vampire ou non. Elle répondit à cette question pour lui en lui serrant chaleureusement la main – du moins aussi chaleureusement que possible compte tenu de la température polaire de sa peau.
– Oh oui, j’ai entendu parler de vous ! Mon père m’a dit que mon petit frère avait sympathisé avec des Preventers et que vous vous étiez battus côte à côte contre les chimères. Quatre m’étonnera toujours !
– Est-ce que tu veux t’asseoir ? l’invita Duo en lui indiquant les fauteuils près du feu de cheminée.
– Non, je te remercie, la réunion du conseil commence bientôt, je ne peux pas rester longtemps… Mais qu’est-ce que vous faites ici tous les deux ? Vous êtes aussi venu y assister ?
– Nous sommes venus pour savoir quelle était exactement la situation, nous espérons de tout cœur que Leander trouvera une solution diplomatique pour convaincre Médéric de ne pas attaquer.
– Il faudra plus que de la diplomatie pour convaincre Médéric, répondit-elle en secouant la tête. C’est un homme belliqueux et entêté, cette guerre l’enchante, il n’entendra pas raison facilement.
Elle remarqua les mines inquiètes des deux garçons et essaya de nuancer son pessimisme.
– Mais Eva saura peut-être quoi faire. Elle est très vieille, plus vieille que Leander même, et elle connaît Médéric depuis longtemps. Il se peut qu’elle trouve un arrangement avec le Roi de France pour éviter la guerre avec les humains.
Pour la première fois depuis le début de la conversation, Heero s’intéressa à ce que disait la femme.
– L’impératrice est plus âgée que l’empereur ? demanda-t-il.
– Oui, et de beaucoup à ce qu’on raconte. L’empereur et l’impératrice sont sages et pacifistes. Ils ont tiré les leçons de la Croisade. Ne perdez pas espoir !
Elle déposa un baiser fraternel sur la joue de Duo.
– Je dois y aller, la réunion va bientôt débuter. Je repasserai te voir, prends bien soin de cet humain, la famille Winner a une dette envers lui !
Et elle ressortit de leur chambre aussi vite qu’elle y était entrée. Duo s’appuya dos contre la porte et se laissa glisser par terre. Il posa ses coudes sur ses genoux repliés et leva les yeux vers le brun.
– Elle a raison…
Sa voix était rauque.
– Je dois prendre soin de toi. Heero… Pardon pour tout à l’heure. Je ne fais aucun effort pour me contrôler depuis le début et…
– Je n’en ai pas fait non plus, constata objectivement Heero.
– Il va falloir qu’on en fasse. Parce que c’est malsain…
Heero secoua la tête. Il avait déjà choisi. Il avait choisi à l’instant où il avait compris que les lèvres de Duo ne toucheraient pas les siennes quand la femme avait frappé à la porte. Quand il l’avait senti s’éloigner. Il avait depuis longtemps appris à faire confiance à son cœur, même lorsque la décision à prendre était déraisonnable.
Il était un humain mortel dans un monde au bord de la guerre. Il avait 16 ans et il allait peut-être bientôt mourir. Il ne pouvait pas s’offrir le luxe de l’hésitation ou des remords. Si une seule chose valait la peine d’être vécue, il n’avait pas le droit de la laisser passer. Les yeux violets qui le dévoraient de convoitise semblaient adhérer à cette théorie.
– Vivre une vie qui n’a pas de but c’est malsain, rétorqua Heero calmement. Créer des armées de morts, déclencher des guerres, tuer ses semblables, vivre dans la haine… Toutes ces choses sont malsaines. Cite moi une seule chose que nous ayons faite qui soit malsaine…
– Nous ne sont pas de la même race Heero…
– Tes yeux n’ont pas l’air d’accord, le coupa le brun.
Duo baissa la tête et ne put s’empêcher un sourire en coin.
– Je pourrais te tuer, tu ne te rends pas compte comme c’est dangereux pour un humain de…
– Moi aussi je pourrais te tuer. Et pour avoir vécu plusieurs mois avec Odin qui venait à peine d’être transformé en vampire et contrôlait mal ses instincts, je crois que je me rends compte mieux que quiconque combien c’est dangereux. J’étais Preventer Duo. Je ne suis pas un enfant, je suis un guerrier.
Duo soupira. Il n’avait pas vraiment réalisé jusque là leur différence d’âge. Lui qui avait vécu de longues années d’insouciance auprès de Quatre n’avait pas vraiment vieilli. A présent il se souvenait combien Heero était jeune. Et il prenait pleinement conscience de la pression permanente à laquelle sa vie avait dû être soumise. Heero semblait plus vieux que lui, parce qu’il avait porté le poids de responsabilités plus lourdes. Parce qu’il avait appris à dompter la peur, à combattre ses propres faiblesses et à tuer efficacement des créatures qui étaient pourtant bien plus fortes que lui. Il n’était absolument pas question de recourir à des procédés hypocrites comme l’éloigner pour son bien. Il ne se sentait de toute façon pas capable de s’éloigner du brun. S’il ne voulait pas le faire souffrir, il savait qu’il allait devoir prendre sur lui et contrôler ses pulsions. Il devait ramener leur relation à quelque chose de plus normal. Il était la seule véritable amitié qui restait au brun. Il n’avait pas le droit de l’égarer avec ses désirs coupables…
– C’est vrai, je ne te sous-estime pas, Preventer, dit-il en prenant un ton faussement solennel. Mais je ne mériterais pas ton amitié si je profitais de toi comme un vieux vampire pervers. Je ne réitérerai pas ce que j’ai fait chez Mahaut. Nous sommes ici pour empêcher la guerre et pour donner un avenir à des humains comme toi qui n’ont jamais connu la paix. Quand cette affaire sera terminée tu pourras vivre une vie normale.
Il eut un sourire narquois.
– Peut-être même que Relena Peacecraft voudra t’épouser ! Tu avais l’air de lui plaire…
Heero voulu répliquer qu’il n’avait pas du tout l’intention de vivre une vie « normale » auprès d’une princesse humaine. Mais un doute le retint. Il aurait aimé dire que son désir le plus cher était de rester auprès de Duo, mais il lui sembla soudain que c’était très naïf et même égoïste. Et si Duo lui, n’en avait pas du tout envie ? Il était immortel et il ne voulait sans doute pas s’encombrer d’un humain. Leur amitié ne durerait que tant qu’il y aurait un risque de guerre.
Il réalisait qu’il n’était pas certain de savoir ce que Duo voulait de lui… Dans ses années d’aventures et de combats aux côtés d’Odin, il n’avait jamais été proche de quelqu’un comme il était proche de Duo. Jamais de cette façon, avec cette intensité… Mais peut-être que pour Duo c’était seulement un jeu auquel il était habitué. Les vampires avaient après tout beaucoup de charmes et un grand pouvoir de séduction sur les humains. Il était possible que cette sensation qui bouleversait l’âme d’Heero ne fût qu’un vague amusement pour le vampire.
Heero repensa avec incertitude à ce qu’il venait de se passer. S’ils n’avaient pas été interrompus par la sœur de Quatre, que serait-il arrivé après ce baiser ? Heero manqua de rougir violement lorsqu’une image plutôt gênante et explicite s’imposa à son esprit. Une chance que Duo ignorât ce qu’il avait à l’esprit…
Si le natté avait demandé plus qu’un baiser, qu’est-ce que lui-même aurait été capable de donner exactement ? Heero n’avait jamais pensé à ces choses-là et il réalisa qu’il avait de sérieuses lacunes en matière de relations humaines ; sans parler du fait que ses relations vampiriques étaient quasi-inexistantes… Cette idée que peut-être Duo aurait pu lui demander quelque chose de bien moins chaste qu’un baiser fit vaciller ses certitudes et il fut soudain heureux que le vampire eût posé des limites.
Un sentiment de sécurité apaisa ses craintes quand il croisa le regard mauve. Duo avait devancé ses peurs, il les avait devinées avant même qu’Heero ne les formulât. Il aurait dû se sentir frustré d’avoir été repoussé par le vampire, mais il ne ressentait que du soulagement. Il réalisa qu’il faisait entièrement confiance au natté. Bien plus que ce qu’il ne se l’était autorisé. C’était troublant et agréable à la fois de se trouver si proche d’une personne qu’on pût lui confier sa vie bien malgré soi.
– Si j’ai mon mot à dire, répondit l’humain après ce moment de réflexion, je préfèrerais que l’on ne me punisse pas d’avoir été un guerrier en me mariant avec Relena. Nous ferions un couple bien mal assorti…
Duo éclata de rire, un rire doux et sincère qui toucha le cœur d’Heero.
– Je plaisantais ! Si jamais nous pouvions voir la paix de notre vivant, tu serais libre de faire absolument ce que tu veux…
Heero se demanda si finalement cela signifiait qu’il pourrait rester avec lui. Le natté se releva et passa près d’Heero, le violet de ses yeux s’intensifia.
Il se pencha au dessus de sa valise, l’ouvrit et en sortit des vêtements propres. L’humain commençait à avoir sommeil et il regarda pensivement le lit double qu’il partagerait avec le vampire. La dernière fois où il avait dormi seul datait de Chambord. L’image gênante et explicite qu’il avait eue un peu plus tôt s’imposa furtivement à son esprit et il se mordit furieusement la lèvre.
– Je vais prendre une douche ! l’informa le natté en se dirigeant vers la salle de bain en sifflotant.
Il remarqua à la raideur de ses épaules que Duo était plus tendu qu’il n’en donnait l’air et il imaginait sans peine la douche glacée qu’il allait devoir prendre pour apaiser le feu qui brûlait en lui. Heero songea qu’il lui faudrait sans doute prendre la même.
Ces limites que Duo venait de poser semblaient bien fragiles, le vampire lui-même lutterait sans doute pour les respecter.
Et Heero ne parvint pas à se persuader que c’était une mauvaise chose…
A suivre…
Ecriture achevée le 27/06/2010 |