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Les Chroniques de Ren
Par nausicaa2008
Originales  -  Romance/Drame  -  fr
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    Chapitre 1     1 Review    
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Les Chroniques de Ren 

            Quatre mots qui résonnent dans la nuit, comme une malédiction. Une cloche sonne, puis deux, leurs sons cristallins envahissent le silence, puis la troisième, plus sourde, qui domine toutes les autres. Elle annonce la fin, la mort. Il est parti maintenant pour ne plus revenir. Un chant s’élève et emplit les ténèbres. La prière est destinée à guider les âmes pour qu’elles atteignent le royaume des esprits. Il est grave et s’insinue dans les cœurs. Il est réconfortant. Le chant est-il réellement pour les âmes ou pour ceux qui restent ? La lumière se répand peu à peu, elle est chaude et s’étend comme une voie d’eau se déversant par les interstices d’une terre asséchée. La rivière de lumière ruissèle de cris et de pleurs. Quatre mots sont répétés inlassablement, dirigés vers le ciel, comme si on voulait qu’il se passât un miracle. Quatre mots qui sont mêlés de colère. Le peuple crie à la vengeance à travers eux, il demande justice. « L’Empereur est mort ! » Quatre mots qui vont changer le cours de toutes ces vies. Puis plus rien. Le noir, le vide…

 

            Les premiers rayons du soleil décident enfin à dépasser les sommets des montagnes de l’est. Leur douce chaleur lui caresse la joue et c’est comme si le noir se dilatait, se disloquait. Le temps des ténèbres est passé et peu à peu sa conscience reprend le contrôle de son corps. Pourtant, la lassitude qu’elle ressent lui indique qu’elle n’a pas fermé l’œil. Elle lève la tête et regarde autour d’elle. Elle reconnait tout de suite les lourdes tapisseries aux couleurs flamboyantes, destinées à égayer les murs et à conserver la chaleur. Elle est dans la chambre de son fils, mais elle ne sait comment elle est arrivée là. Tout se mélange dans sa tête, des paroles et des bruits fusent des quatre coins de son esprit, mais elle refuse de les entendre. Des images l’agressent comme si elles avaient soif de vérité, mais elle ne se permet pas de les revivre. Tout ce qu’elle veut maintenant, c’est la paix.

            La respiration de l’enfant est lourde et calme. Comme c’est apaisant de regarder un enfant dormir. Celui-ci n’a même pas conscience de ce qui s’est passé quelques heures plus tôt. Et même s’il avait été éveillé, il n’aurait pas compris. Il est bien trop jeune.  Elle l’envie, lui et sa vie si simple. Simple ? Elle ne le sera plus jamais. Un trop grand poids pèse maintenant sur ses petites épaules. Comme la vie est étrange parfois : l’avenir se trouve maintenant dans le bon vouloir d’un petit garçon qui sait à peine compter. Elle le regarde dormir et aussitôt elle sent une grande tristesse l’envahir. Il n’aura jamais d’enfance, il ne connaîtra jamais la joie de l’insouciance et leur en voudra toujours pour ce qu’il n’aura jamais eu alors qu’il était en droit de l’attendre. C’est la malédiction de ceux qui naissent grands. On décidera toujours à leur place, même quand ils auront l’impression de diriger leur vie.

            Elle se détourne de cette petite âme condamnée à la souffrance. Le soleil a maintenant dépassé la montagne et éclaire le port d’une douce lumière matinale. Un étrange silence règne sur la ville et même les mouettes, d’habitude si bavardes, n’osent émettre le moindre son. C’est la première fois, depuis qu’elle est arrivée à Ren, qu’elle peut entendre le bruit de la mer, la respiration de se monstre qui vient briser ses vagues sur le quai de l’immense port. Navires et bateaux sont vides alors qu’habituellement les ponts grouillent déjà d’activité quand l’aube arrive. Aujourd’hui devait être jour de marché : des marins musculeux auraient dû charger des charrettes de marchandise qui les auraient aussitôt emmenées sur l’une des trois grandes places qui font le cœur de la ville. Ou, pour ceux qui n’ont pas les moyens, des colonnes de porteurs et d’esclaves, chargés comme des animaux de bât, auraient dû être en train de s’acheminer vers ses mêmes places, passant le quartier des affaires aux mille commerçants, et les hauts bâtiments administratifs, aussi dénués de fioritures architecturales qu’ils sont efficaces dans leurs domaines. Les cheminées auraient déjà dû commencer à cracher leur fumée âcre, déversant dans les quartiers d’habitation des odeurs de nourriture donnant la bave aux babines des chiens errants et des mendiants. Les hommes en manque d’amour auraient dû commencer à sortir des auberges où des filles de joie leur auraient tenu belle compagnie, ou inversement, des courtisanes habillées de couleurs provocantes auraient dû descendre les petites rues dérobées qui serpentaient entre les grands manoirs de la noblesse décadente qui habitait cette fière cité. Certaines auraient tourné un regard rempli d’envie vers ses grandes villas construites avec forces colonnades et autres bas-reliefs, rendant l’ensemble tout sauf esthétique. Mais à l’intérieur, ce n’était que luxe et oisiveté, les problèmes d’argent ne se posaient pas et le seul talent qu’on attendait de vous c’était d’être beau ou de savoir faire des courbettes à défaut d’autre chose.

            Puis progressivement, leurs yeux seraient montés vers le sommet de la colline, où le magnifique palais impérial de Ren, veille sur la cité depuis des siècles. Situé au bout d’un immense escalier de marbre blanc, cette forteresse en forme de fer à cheval est aussi imposante que dénuée de toute décoration. Les murs s’élèvent hauts et lisses vers le ciel, aussi rouges que la roche dans laquelle ils ont été construits. Il s’étend sur cinq étages et se finit par un toit pyramidal recouvert de tuiles sombres, dont les avancées protègent les murs contre les intempéries. Les pointes s’élèvent en statues d’or, représentants les esprits protecteurs de la famille impériale. Le palais s’impose à la cité par sa beauté sauvage et naturelle.

            Peu à peu, la ville se serait éveillée, et sur la colline sud, celle qui supporte le temple, auraient retenti les sons des cloches, les premières de la matinée. La cité sacrée, fierté de Ren et royaume des prêtres à l’intérieur même de la ville, s’étend sur toute la colline. Il n’est pas rare d’entendre des chants et des prières sortir de la multitude de petites bâtisses rectangulaires et sans distinction, qui servent d’internat à ceux qui ont destiné leur vie au culte. Seuls les grands pontifes ont leurs propres appartements que l’on voit désespérément tenter de se rapprocher autant que possible du temple principal. S’élevant au sommet de la colline, le bâtiment est aussi chatoyant de couleurs et richement paré que le palais est dépouillé de toutes ces démonstrations inutiles. Essayant de se rapprocher du ciel, il est une immense tour au sommet de laquelle se trouvent trois cloches et un toit de forme pyramidale, seul lien qui unit royauté et religion. Bien entendu, il y a d’autres temples au sein même de la cité sacrée, mais ils sont de moindre importance, et leurs toits dépassent à peine des murs d’enceinte.

            Mais aujourd’hui n’est pas un jour comme les autres, et la seule chose qui s’est levé jusqu’à présent, c’est un brouillard irisé de violet, balayé par un léger vent d’hiver. A l’approche de la mauvaise saison, la cité se part de gris et de marron, mais lorsqu’elle elle était venue pour la première fois, c’était le printemps, tout était vert et coloré.

 

 C’était son frère qui l’avait emmenée à Ren, quand il était revenu de cette guerre qui avait tué leur père et une grande partie de l’armée impériale. Une grande victoire clamait-on alors dans tout le pays ; un carnage lui avait expliqué son frère. Il lui avait décrit comment des milliers de corps jonchaient le sol, se déversant de leur sang, et comment la terre était devenue rouge de s’être repue de ce liquide de vie. Il lui avait raconté comment les généraux et l’Empereur avaient fêté l’évènement ce soir là alors que l’odeur de la chair brûlée envahissait encore tout le campement. Ils buvaient plus de vin que leurs ventres ne pouvaient le supporter réellement et  profitaient des prostitués qui avaient été amenées pour l’occasion.

 

Elle avait déjà vu de nombreuses fois depuis qu’elle habitait la Capitale comment les hommes fêtaient « dignement » ces occasions là, et cela la dégoûtait chaque fois un peu plus.

 

Elle ne sait pas pourquoi elle a besoin de se remémorer tout ça, mais elle sent que c’est dans le passé qu’elle trouvera la réponse… les réponses aux questions qu’elle se pose. Et pour cela, il lui faut se souvenir de tout et dans l’ordre exact. Comment a-t-on pu en arriver là ?

 

Ce fut lors de ce repas que l’Empereur demanda à son général, plus comme un ordre qu’un véritable souhait, de l’emmener à la cour. Elle vivait encore à Rava, le domaine de leur père. Elle avait fêté ses dix-huit ans à l’époque, et son plus grand souci était de savoir quand son frère reviendrait de cette guerre interminable. Chaque jour, elle priait les esprits qu’il ne lui arrivât rien, habillée dans sa robe de deuil qui contrastait avec le nacre de son teint. Chaque jour, elle attendait avec angoisse qu’un messager lui annonçât la nouvelle fatidique, comme il l’avait fait pour son père. Elle tournait ses yeux verts, en forme d’amande, à chaque bruit de sabot qui longeait alors les murs du jardin, s’attendant à voir pénétrer le cavalier du malheur. Aussi, quand il revint et lui proposa de le suivre à la Capitale, elle accepta sans hésiter et ce malgré ses réticences. Elle savait que la nouvelle fonction de général qui incombait à son frère l’obligerait à vivre loin de Rava, et elle ne pouvait supporter l’idée de vivre loin de lui aussi longtemps. La perte de son père était moins douloureuse que cet éloignement.

Il essaya en vain de la dissuader. Au-delà du fait que la vie à la cour ne ressemblait en rien à celle de la campagne, et qu’elle avait corrompu plus d’une belle âme, ce qui le préoccupait principalement, c’était la malédiction qui les liait l’un à l’autre.

            Ils étaient nés le même jour de la même mère. Même s’il n’y avait ni vénération, ni peur liée aux jumeaux dans ce pays, leur premier jour sur terre fut teinté d’une grande tristesse : leur naissance apporta la mort de celle qui leur avait donné la vie, leur mère si belle dont ils avaient hérité les yeux. Leur ressemblance était telle que dans les dix premières années de leur existence, ils pouvaient échanger leurs vêtements sans que personne ne s’aperçût de quoi que ce fût, si bien que leur père avait décidé de leur donner exactement la même éducation, jusqu’à ce que les différences morphologiques ne missent fin à leur enfance.

 

            Mais, au-delà de cette ressemblance qui les affectait toujours, c’était un étrange lien invisible qui les empêchait de vivre éloignés l’un de l’autre. Elle y pensait à chaque séparation trop longue : elle avait l’impression qu’on lui arrachait une partie d’elle-même. Contrairement à ce que certains pouvaient dire, elle ne ressentait pas ce qu’il ressentait, et il ne connaissait pas ses sentiments, mais ce dont elle était certaine, c’était que la mort de l’un produirait irrémédiablement la mort de l’autre. Peut-on vivre sans cœur ? Peut-on vivre à moitié ? Leur malédiction signifiait qu’ils n’étaient qu’une seule et même personne avec deux esprits différents.

Elle n’avait rien répondu  à ses objections et lui avait promis qu’elle se plierait à sa décision, mais elle lui fit comprendre qu’un tel éloignement lui serait sans aucun doute intolérable. Son frère céda et quelques jours plus tard, ils partaient vers la Capitale.

 

            Les paysages se succédaient aux paysages tandis que  le convoi traversait la campagne à une vitesse modérée. Ils fendaient un océan de vert et d’or agité par les vents alors qu’au lointain les montagnes enneigées s’élevaient comme des immenses écumes immobiles…

 

Quelles inepties ! C’est ce que qu’elle avait pensé lors de ce voyage, son premier voyage hors de Rava. Elle aurait aimé avoir cette sensibilité poétique qui permettait aux écrivains de créer des descriptions qui tiraient les larmes aux yeux, mais sa sensibilité semblait de glace devant ces paysages de campagne quelconques.

Ce voyage ne lui laissa que le goût amer de la déception et fut l’occasion d’une de ses plus grandes réflexions. Pourquoi essayait-on toujours de trouver de la beauté là où il n’y en avait pas ? Pourquoi essayait-on d’embellir le monde ? L’homme ne pouvait-il pas se contenter de l’ordinaire ? Non, il cherchait toujours plus, au point parfois d’en arriver à mentir, et même à se mentir à lui-même. Certes, cette campagne qu’ils traversaient était très agréable, mais elle était loin de ressembler à celles qu’elle avait imaginées au fil de ses lectures. Elle avait tellement attendu ce voyage, afin de vivre des émotions similaires que celles que décrivaient les poètes, mais elle fut affreusement déçue et dut se résigner à la frustration que lui inspirait cette simple campagne.

 

Elle se souvient qu’elle avait partagé son sentiment avec son frère. Tout lui revient en mémoire comme si on lui racontait une histoire dont elle serait le personnage principale.

 

Il lui sourit avec compassion, et lui dit avec une légère ironie :

-          Tu lis trop.

-          Il faut bien que je m’occupe pendant ton absence ! s’écria-t-elle.

Il accusa le coup. Son regard s’assombrit à nouveau. Elle fut alors stupéfaite de constater à quel point il avait changé. Son visage était resté le même, sauf les quelques marques que le temps et les combats lui avaient laissé, et la maigreur de ses joues qui lui donnait une apparence plus virile. Il avait perdu sa jeunesse dans cette longue guerre et surement aussi une partie de son innocence. Son visage aux traits purs abordait constamment une expression sombre comme s’il avait découvert ce que l’homme avait de pire en lui, mais surtout jusqu’où sa propre âme pouvait se compromettre. Sur son front large s’étaient creusées quelques rides qui s’animaient lorsqu’il réfléchissait. Ses yeux qui avaient été verts tiraient à présent sur le marron.

Elle décida de se concentrer sur ce qui n’avait pas changé : son nez était resté droit et fin, ses pommettes toujours saillantes qui lui donnaient un grand charme. Elle remarqua cependant malgré elle que ses lèvres ne s’étiraient plus en sourire, ce sourire qui était si cher à leur père et qui manifestait une réelle joie de vivre. Il avait dû perdre ce sourire la première fois qu’il avait enfoncé sa lame dans le corps d’un autre homme et qu’il avait senti la vie s’en échapper.

            Alors qu’elle le regardait fixement, absorbée par ses constatations, il continua sur le fil de sa pensée.

-          Les artistes sont cruels dans leurs créations. Il y a par le monde des spectacles fabuleux, mais nous aurons toujours tendance à enjoliver les choses et parfois au point d’en perdre leur essence. Et pourquoi fait-on cela ? Même si de prime abord il y a une réelle envie de partager son expérience avec les autres, il n’en reste pas moins que c’est pour se démarquer des autres et même parfois leur être supérieur. Ce n’est pas le monde qui est faux : il nous apparaît toujours tel qu’il est réellement, mais c’est nous qui le trahissons à force de vouloir le rendre plus beau qu’il ne l’est.

Elle acquiesça vaguement. Elle vit une pensée traverser son esprit alors que ses yeux se peignaient d’une ombre. Il prit alors le même ton moralisateur que prenait leur père lorsqu’il leur parlait de telle ou telle connaissance qui ne respectait pas les valeurs qu’incombait son rang.

-          En fait, dit-il, les hommes sont pareils : nous mettons de beaux habits et nous nous maquillons pour nous cacher des autres et montrer ce que nous ne sommes pas. L’homme n’est que vanité et superficialité quand il est en société, et surtout ceux qui ont du temps à revendre pour mieux se cacher. Nous croyons vivre ensemble mais en réalité nous vivons malgré les autres et ce sont eux qui nous font porter des masques qui ne correspondent en rien à ce que nous sommes réellement. Parfois même auprès de ceux que nous aimons, nous ne pouvons nous dévoiler entièrement car nous savons que la vérité fait trop mal.

Il se tut. Elle savait que ce discours était moins pour elle que la simple élaboration d’une pensée qui lui pesait sur la conscience. Mais il n’en dit pas plus, et elle ne sut ce qui le tourmentait ainsi. Elle décida de changer de conversation et lui demanda de décrire l’Empereur. Il prit le temps de la réflexion et dit d’un ton complètement détaché :

-          L’Empereur est le plus beau et le plus cruel des hommes. La vie peut lui être un jour d’une importance primordiale et un autre une simple formalité éthique.

Puis il se tut définitivement, aux prises avec son esprit. Son frère était étrange depuis son retour, mais elle se tut et resta sur sa faim en ce qui concernait leur souverain. Elle médita cependant ce qu’il lui avait dit quant à la vie de cour. C’était, d’après lui, un univers très différent de celui de la campagne de Rava, et il lui faudrait s’intégrer ou vivre recluse. Cette perspective la hanta tout le reste du voyage.

 

      Ils arrivèrent à Ren au milieu du printemps. La ville lui apparut d’abord par son immense muraille protectrice. L’entrée de l’est était une grande arche de plus de cinq mètres de haut, qui semblait avoir été creusée à même la pierre. Les immenses battants de la porte étaient en fer gris et tellement lourds que chaque matin, deux douzaines d’énormes bovins s’échinaient sans relâche pour les ouvrir. Elles étaient ensuite callées par un ingénieux système de cordage. Il suffisait de relâcher les cordes pour que les portes se refermassent l’une sur l’autre, entraînées par leur poids. Cela permettait de ne pas être pris en défaut si un ennemi attaquait.

      Leur convoie entra sans difficulté dans la ville et ils furent accueillis par une multitude de bruits qui lui étaient étrangers. Elle ne connaissait alors que le calme latent de la campagne et le pépiement des oiseaux, et elle fut surprise d’entendre les cris des commerçants, les crissements des carrosses sur les pavés, le battement des centaines de sabots qui foulaient le sol, et autres pulsations qui lui donnaient l’impression d’entendre un cœur géant. Mais plus ils s’éloignaient du centre et plus le bruit s’étouffait. Bientôt, ils arrivèrent au pied de la colline Nord, celle où trônait le palais, et elle l’aperçut. Elle eut le souffle coupé par cette imposante bâtisse qui pourtant ne faisait aucun effort décoratif, mais, c’était au fond ce qu’elle admirait chez lui : il était aussi beau qu’il était simple, une beauté vraie et sauvage. Elle en tomba immédiatement amoureuse.

Ils grimpèrent la colline par une grande avenue bordée de cerisiers. La saison les avait faits fleurir et leurs pétales tombaient comme de la neige.

 

Elle se souvient comment elle s’était prise à imaginer qu’on avait orchestré ce spectacle rien que pour sa venue et elle sourit malgré elle de cette idée. A l’époque elle pensait qu’elle n’avait pas besoin de raison pour être heureuse. Comment aurait-elle su que la neige des cerisiers n’était pas pour elle ?

 

Ils arrivèrent enfin à l’immense escalier qui menait au château. Son frère la fit descendre et lui expliqua que c’était le seul moyen pour accéder au palais.

-          Ainsi tout le monde fournit le même effort pour arriver au trône, même l’Empereur.

 

Maintenant, elle comprend.

 

            Elle n’avait pas rencontré l’Empereur le jour même. En effet, son frère préférait qu’elle s’habituât aux lieux et aux nombreuses règles qui entouraient une audience auprès du dirigeant et la vie de la cour. Elle ne s’en formalisa pas. Même si elle avait reçu l’éducation que toutes les jeunes filles de la haute société se doivent de posséder, elle savait que sa situation était un cas tout à fait atypique. En effet, elle avait dix-huit ans et n’était pas mariée. Dans son pays, on se mariait généralement vers quatorze ou quinze ans, âge où on pouvait déjà assurer une descendance. Mais son père avait préféré attendre que son frère gravisse les échelons avant de penser à son mariage. Il craignait que leur ressemblance n’affectât les décisions de certains. Elle avait donc passé ce « temps libre » à s’instruire et à lire la bibliothèque de son père. Elle avait ainsi une connaissance incroyable, et se trouvait être assez instruite en plantes et autres fleurs, mais surtout en ce qui concernait la stratégie militaire. Elle se gardait bien cependant de faire valoir cette distinction qui pouvait en courroucer plus d’un.

            C’étaient les moqueries et autres cruautés que craignait le jeune général. Il savait à quel point la cour, et particulièrement les jeunes femmes de nobles familles pouvaient se montrer ingénieuses dans la mise à mort d’une réputation. Aussi préférait-il que sa sœur eût toutes les armes en main pour aller au combat.

 

            L’audience eut lieu quatre jours après leur arrivée. Ils pénétrèrent dans la vaste salle du trône, soutenue par d’immenses colonnes de plus de trois mètres de haut et taillées dans un seul et même arbre. Les murs n’étaient que fresques guerrières aux couleurs flamboyantes permettant à tous d’admirer la gloire du passé. Entre deux fresques une fenêtre plus haute que deux hommes offrait à la salle une gaie clarté et toute la lumière dont elle nécessitait. Le plafond n’était qu’or et lustres de cristal.

            La salle mesurait bien huit mètres de largeur sur dix de longueur. On entrait par une immense porte en bois d’ébène, toujours ouverte mais constamment gardée par des soldats aux plastrons rouge sang. Un immense tapis de velours vermeil s’allongeait sur le sol et menait les nouveaux arrivants jusqu’au trône, au fond de la pièce. Il était très imposant et occupait à lui seul la place de trois personnes. On l’avait construit dans un bois très rare dans les contrées de l’Empire, qui résistait au temps, sculpté d’effets floraux avec la plus grande minutie et recouvert de coussins de velours pour le rendre plus confortable. De chaque côté du trône et du tapis, s’alignaient des courtisans empressés. Tous portaient des habits très colorés et surmontés de nombreuses pierreries brillantes qui attiraient l’œil. On aurait pu croire qu’ils portaient sur eux le trésor qu’ils s’ingéniaient à garder précieusement dans les coffres de leurs grandes villas. Le tout était tellement disparate et froufrouteux que cela en était inesthétique.

            Ils entrèrent alors que l’annonceur criait leurs noms. Elle examina la pièce avec attention tandis que tous les regards se portaient sur cet étrange couple. Elle se sentit comme oppressée soudainement par tous ces yeux qui ne regardaient qu’eux. Elle lança un regard à son frère, qui gardait un maintien exemplaire dans son bel habit de général. Elle décida de ne pas se laisser impressionner et releva fièrement la tête Elle était habillée d’une légère robe à bustier en satin rouge, dont la seule richesse se composait de fines broderies élaborées sur la poitrine, la ceinture et les extrémités des manches et du jupon qui se déployait amplement et élégamment à chacun de ses pas.

            L’Empereur attendait patiemment assis avec une dignité princière sur son grand trône. Elle dut admettre que la description de son frère était plus que succincte quant à la beauté du souverain. C’était un jeune homme d’une vingtaine d’année, aux traits bien dessinés et très séduisants. Il avait de longs cheveux bruns qui lui tombaient élégamment sur les épaules, tenus en arrière par une légère couronne d’or et de pierres précieuses. Ces yeux noirs semblaient voir l’âme des gens derrière le masque des apparats, et les regardaient s’avancer avec un mélange étrange de joie infinie et de frustration. Cependant, toute sa personne semblait figée sur un sourire de bienveillance. Quand ils arrivèrent à sa hauteur, son frère salua l’Empereur comme son grade de général le lui permettait, tandis qu’elle se fendait en une révérence majestueuse qui permit à tous de découvrir ses frêles épaules. Le souverain se leva et alla donner l’accolade à son bras droit, puis il se tourna vers sa sœur toujours prostrée dans son salut.

-          Ainsi c’est elle, dit le jeune homme sans faire mine de vouloir l’autoriser à se relever. A ce point, ce n’est plus de la ressemblance mais un vrai miroir.

-          Je n’ai jamais cherché à vous le dissimuler, dit simplement son frère.

-          Non, Yann, juste à me la cacher, s’écria l’autre avec un sourire amusé. Pourquoi priver ainsi votre sœur de son dû ?

-          C’est mon père qui a décidé de cela, expliqua calmement son frère. Il avait peur qu’elle ne m’éclipse.

-          Et il avait raison ! s’écria sa majesté,  puis il se tourna enfin vers la pauvre jeune femme toujours à demi agenouillée. Êtes-vous bien ainsi, chère Lhyrian ?

-          Je dois avouer, seigneur, que malgré tout le respect que je vous porte, cette position est plus qu’inconfortable, répondit-elle, le visage toujours dirigé sur le sol.

Un long silence suivit la déclaration. Cette petite idiote s’amusait à répondre à l’Empereur avec tant d’aplomb que chacun s’attendait déjà à assister à son humiliation publique.

-          Voilà qui est osé, pour une première audience auprès de votre seigneur, jeune demoiselle, et il insista sur ces derniers mots pour lui faire comprendre qu’elle n’avait pas encore le statut pour se permettre de telle liberté.

Mais Lhyrian n’avait pas agit par simple pulsion caractérielle. Elle savait que le grand jeu de l’Empereur était de tester les jeunes filles en les laissant le plus longtemps dans cette position désagréable. Pour s’amuser ou par sadisme, elle ne le savait pas, mais elle était décidée à ne pas se laisser faire. Il s’agissait de montrer à sa majesté qu’on pouvait être à la cour sans masque mais sans pour autant se laisser marcher sur les pieds.

-          Je pense, grand seigneur, que vous connaissez assez mon frère pour savoir mon âge, et je ne suis plus si jeune pour me réjouir d’une telle mise à l’épreuve.

-          Pourtant, remarqua le jeune homme, vous êtes encore en génuflexion, êtes-vous trop vieille que vous ne puissiez vous relever ?

L’assistance se fendit de quelques rires de complaisance, mais elle sentait que parmi eux, certain ricanaient de bon cœur. Peu importaient les autres, c’était son moment et elle n’entendait pas se laisser déconcentrer. Elle esquissa un sourire, releva la tête et regarda son altesse droit dans les yeux, sans se relever pour autant.

-          Il n’y a pas d’âge pour respecter son seigneur, répondit-elle simplement.

Ils s’affrontèrent un instant, puis le regard du souverain s’alluma d’une joie folle, où toute frustration s’était envolée. Il donna à son général une forte frappe dans le dos.

-          Elle a beaucoup de répartie, ta chère sœur ! s’écria-t-il. Tu sais à quel point j’aime ça ! Bienvenue dans ma cour Lhyrian. J’espère que tu y trouveras une nouvelle maison.

 

Pus tard, l’Empereur la fit entrer au service de l’Impératrice Eiya. C’était une jeune femme un peu plus âgée que le souverain, à la beauté délicate et fragile comme une rose. Elle avait un teint très pâle qui lui donnait un air un peu malade et des cheveux très clairs, mais elle était d’une douceur et d’une générosité exemplaire. Elle accueillit la nouvelle arrivante avec une gentillesse sans réserve, mais sans grande effusion non plus. A ses côtés, Lhyrian pu découvrir à quel point l’Impératrice était cultivée. Elle lisait beaucoup et s’entourait de nombreux artistes. Elle assistait avec ses demoiselles de compagnie à toutes les audiences, aussi bien par devoir que par goût, et s’amusait ensuite à reproduire chaque doléance et en débattre avec un entourage restreint et de confiance. Il ne s’agissait pas de contester les décisions de l’Empereur et elle se gardait bien d’intervenir durant les entrevues, mais simplement de développer un esprit critique et permettre ainsi des débats qui les occupaient pendant de nombreuses heures. De temps à autres, elle descendait en ville pour parler avec « ses amis », comme elle appelait les simples gens du peuple, et régler les petites affaires qui n’étaient pas la priorité du souverain. Elle était très populaire et respectée de son peuple.

-          Croyez-moi Lhyrian, lui dit-elle un jour qu’elles étaient seules dans les appartements de la souveraine, ce n’est pas seulement par bonté d’âme que je fais tout cela, même si le sort de tous ces gens me préoccupe, mais aussi par intérêt.

Lhyrian reposa la théière d’où elle avait versé le thé vert à la vanille et aux baies d’orriages, le préféré de l’Impératrice qu’elle prenait quotidiennement. Elle était devenue très proche de cette femme qu’elle admirait profondément. De son côté, la souveraine avait fait de la jeune femme sa grande confidente. Elle aimait en elle cet irrespect modéré des règles qu’impliquait la vie de la cour et qui lui permettait de rester naturelle, ainsi que cette capacité à faire fi des remarques et rumeurs blessantes des personnes jalouses de cette soudaine ascension sociale. Quand elles n’étaient que toutes les deux, il n’était plus question de protocole et elles discutaient en toute franchise

-          Depuis que j’ai perdu mon dernier enfant, je suis stérile, continua l’Impératrice Eiya. Ma position serait plus que précaire si je n’avais pas avec moi le soutien du peuple et des érudits de la cité.

-          Pensez-vous que l’Empereur pourrait vous écarter comme une simple courtisane, s’indigna Lhyrian. Il vous a choisit vous et pas une autre.

-          Les sentiments ne sont pas éternels, je l’ai appris à mes dépends. Oui, quand le prince m’a épousée, nous nous aimions parce qu’il était jeune et que je le fascinais, mais cela fait quelques années déjà que je ne partage plus sa couche. Et maintenant encore moins…

Elle posa un regard d’une profonde tristesse sur le jardin paré du vert de l’été, où des enfants de tous les âges s’amusaient à se courir après. Lhyrian se contenta de se taire et observa les petites silhouettes à son tour. Parmi eux se trouvaient les trois princesses, mais aucun héritier. Puis elle porta un regard vers la fenêtre opposée. Dans l’ombre une femme aux cheveux de jais les observait, un sourire cruel sur le visage ; la concubine officielle du Seigneur qui caressait un ventre arrondi par la grossesse. Lhyrian réprima le commentaire qui lui venait aux lèvres et bu le thé au goût doux-amer.

 

Elle ne passait pas tout son temps auprès de l’Impératrice. En effet, il lui arrivait très souvent de rester de longs après-midis auprès de son frère, que les périodes de paix rendaient inactif. Elle le suivait alors dans toutes ses inspections et ses entraînements, et se prêtait à l’exercice, s’affirmant parmi les soldats dans le combat à l’épée et le tir à l’arc à cheval. Ceux-ci ne s’en offusquaient pas, tant la ressemblance avec leur général leur faisait oublier qu’ils affrontaient une femme. Yann réprimait tout de même les ardeurs de certains, craignant pour l’intégrité de sa sœur.

De plus en plus souvent, l’Empereur lui-même vint leur rendre visite, lorsque ses obligations lui laissaient quelques répits. Il était plutôt un homme d’action que d’administration, et ces longues périodes d’inaction le fatiguaient plus que les journées de bataille entière. C’est pour cela que, dès qu’il en avait l’occasion, il laissait ses ministres s’occuper des affaires courantes et ne s’intéressait qu’aux plus importantes ou qui nécessitaient une compétence particulière. Malgré cet apparent désintérêt des tâches administratives, se cachait pourtant une connaissance et un contrôle étonnant de chaque chose. Rien ne lui échappait, et rien ne pouvait se faire sans qu’il en ait eu connaissance.

-          C’est tout le secret d’un bon souverain, dit-il alors qu’elle lui posait la question par un chaud après-midi. La connaissance c’est le pouvoir : si je ne sais pas ce qui se passe alors je ne contrôle qu’un empire imaginaire.

-          Mais lorsque vous êtes à la guerre, vous confiez bien la gestion de votre empire à vos ministres ?

-          Oui, et c’est d’ailleurs très frustrant. Mais je vais vous donner un conseil qui peut s’appliquer pour chaque chose dans la vie : diviser pour mieux régner. Si je donne un peu et surtout quelque chose de très particulier à plusieurs personnes, alors je limite les risques. Au pire, le temps que l’un d’entre eux parvienne à s’emparer du pouvoir, je serais déjà revenu et l’aurait envoyé rejoindre ses ancêtres.

-          Vous n’avez donc confiance en personne ?

L’Empereur fit mine de réfléchir, puis esquissa un non de la tête, avant de se raviser :

-          Si, seulement en votre frère, dit-il avec un sourire facétieux.

Ce jour-là, Lhyrian avait constaté à quel point son frère était devenu l’appui du jeune Empereur.

Un jour, Yann partit en mission dans l’ouest de l’Empire. Des mouvements de révoltes avaient renversé le gouverneur et les forces impériales en présence dans la région de Saleine. D’après les espions, le chef des révoltés tenterait de prendre contact avec les régions limitrophes de l’Empire. L’Empereur décida d’y envoyer des troupes tout de suite, pour limiter l’expansion du mouvement et prévenir une guerre meurtrière. Ce fut très difficile de le convaincre de rester. Il finit par céder sous la pression et envoya son meilleur homme.

Cela faisait à présent plus de dix jours que son frère était parti et Lhyrian ne parvenait pas à se défaire de la mine soucieuse et sombre qui s’était affichée sur son visage depuis le départ des troupes. L’Impératrice, s’inquiétant de son état, avait réuni son entourage et organisé un débat sur cette révolte. La jeune femme regardait les feuilles orangées tomber, écoutant d’une oreille distraite les discussions, quand une voix dure comme la glace intervint la faisant se retourner :

-          Ils ne méritent que la mort !

Il n’y avait pas d’emportement mais une simple déclaration, ferme et ne permettant aucune réplique. Lhyrian se tourna vers son auteur et découvrit Amali, la concubine de l’Empereur, qui était assise sur un coussin de velours aussi gros que le ventre qu’elle portait et qu’elle caressait de manière ostentatoire. Elle tournait vers l’Impératrice un regard ironique, auquel celle-ci répondait durement, bien qu’elle conservât tout son calme.

-          Qui ? demanda Eiya. Qui doit mourir ? Les révoltés ? Même s’il ne s’agit que de femmes ou d’enfants ?

-          Tous, répondit la concubine. Du moment où ils ont défié notre seigneur, ils sont tous coupables ! Femmes, enfants, infirmes ou séniles, ils ne méritent plus la vie.

-          Vous catégorisez bien trop, répliqua la souveraine, et s’ils n’avaient pas eu le choix ?

-          On a toujours le choix, insista l’autre, un bon ou un mauvais. Si vous faîtes le mauvais choix, alors vous devez assumer et attendre ce qui vous est dû. C’est vous qui êtes trop laxiste.

Elle saisit le bol rempli d’amandes et de noisettes et le tendit à l’Impératrice qui le déclina d’un geste de la main. Elle irradiait d’une joie malsaine, celle d’être la favorite de l’Empereur face à la pauvre reine déchue et stérile. Elle avait pour elle une beauté sauvage et provocante, souligné par un maquillage abondant qui la mettait parfaitement en valeur, mais surtout, le ventre qui pouvait apporter au trône un héritier potentiel. Ses longs cheveux noirs se balançaient sur ses épaules tandis qu’elle les haussait devant le refus pincé de la souveraine.

-          Tout n’est pas blanc ou noir, intervint alors Lhyrian, ce serait trop simple. La vraie question est de savoir pourquoi il y a eu révolte. Les paysans ne s’amusent pas à se soulever sur un coup de tête. Je ne dis pas qu’il n’y a pas d’opportunistes parmi eux, prêts à tout pour le pouvoir, mais si ces gens là parviennent à rassembler d’autres personnes, c’est qu’il persiste une situation insupportable et qu’elles voient en ces hommes le seul moyen de s’en sortir. Il faut être bien désespéré pour en arriver aux armes ! Et, qui nous dit que le gouverneur en poste là-bas n’abuse pas de ces paysans ? Cela s’est déjà vu et peut arriver n’importe où. Alors avant de condamner l’ensemble, il faut d’abord écouter, et ainsi nous gagnerons le respect. Leur respect mais aussi celui de tous les autres.

-          Voilà qui est bien parlé, l’interrompit une voix d’homme derrière elle.

Elle se retourna tandis que les autres s’inclinaient devant l’arrivée de l’Empereur. Prise au dépourvu, elle exécuta une révérence maladroite qui fit sourire le jeune homme.

-          Majesté, dit celui-ci en s’adressant à son épouse, puis-je vous emprunter cette dame ? Nous avons reçu des nouvelles de la garnison.

-          Faites donc votre Majesté, répondit-elle, je suis certaine qu’elle en meure d’impatience.

Lhyrian se leva et rendit à l’Impératrice un sourire de remerciement tandis qu’elle saluait l’assemblée. Puis sans un regard pour sa concubine qui s’était remise à caresser son ventre, l’Empereur lui emboîta le pas.

-          Alors Majesté, s’impatienta la jeune fille, qu’elles sont ces nouvelles ?

-          Ils vont bientôt arriver dans la province de Saleine et le voyage s’est déroulé pour le mieux.

-          Et…C’est tout ? s’écria-t-elle frustrée.

-          Oui, pourquoi ? Attendais-tu quelque chose de particulier.

-          Non, mais, sauf votre respect, Majesté, cela aurait pu attendre la fin du débat…

-          Certes, mais je m’ennuyais terriblement, seul dans mon palais, alors je suis venue chercher de la compagnie. Pensais-tu vraiment ce que tu disais ?

-          A propos de quoi ?

-          A propos des révoltés. Leur accorderais-tu le bénéfice du doute ?

-          Il est plus facile d’organiser un procès que de ramener un mort, non ? Et puis, si on extermine les paysans, qui s’occuperait de la terre ?

-          On en enverrait d’autres… La population augmente tellement qu’on ne sait plus où installer les gens.

-          Est-ce comme cela qu’on éradique une épidémie ? On tue les malades, on les enterre et on espère qu’elle s’arrêtera là ? Alors que si on faisait quelques recherches, on s’apercevrait que c’est l’eau qui est contaminée et non l’homme. De plus, vous seriez craint pour cette action mais aussi détesté et cela pourrait créer des tensions, alors qu’en permettant à ces personnes de s’expliquer lors d’un procès, vous seriez considéré comme juste, et respecté. Avoir le droit de se défendre, ce n’est pas la même chose que d’être acquitté.

Il lui sourit d’un air absent.

-          Tu as la même franchise que ton frère, lui dit-il. C’est ce que j’apprécie chez lui.

Elle rougit et ne répondit rien. Ils continuèrent leur chemin vers le parc.

 

Les journées passèrent ainsi, entre son devoir à la cour et l’attente de nouvelles de son frère. L’armée impériale menait une offensive efficace, mais les paysans, habitués au terrain, ne se laissaient pas vaincre aussi facilement. Ils avaient tout de même pu empêcher les contacts avec les pays ennemis et ainsi limiter l’expansion des combats. Mais, les pertes étaient plus lourdes chaque jour, et les vents de l’hiver annonçaient une saison des plus froides.

Même si Lhyrian souffrait de l’absence de son frère et s’inquiétait des conditions dans lesquelles il se trouvait, elle ne pouvait s’empêcher d’être heureuse. Elle passait de plus en plus de temps avec l’Empereur, sans négliger l’Impératrice pour autant, mais leurs entretiens se faisaient plus nombreux, plus longs, plus intimes. Elle voyait dans l’attitude du jeune homme qu’il était à la recherche de quelque chose en elle, mais elle n’aurait su dire quoi. Peut-être son comportement qui la différentiait de toutes les autres femmes de cour, ou le fait qu’ils pouvaient parler ensemble de n’importe quel sujet. Peu à peu, les contacts physiques entrèrent dans leurs entrevues, de légères caresses, des petites attentions qui la faisaient tomber progressivement sous le charme du seigneur. Mais, à ce bonheur inattendu, s’ajoutaient un malaise grandissant et une tristesse qui étreignaient le cœur de la jeune femme. Elle ne pouvait déterminer si ce qu’elle faisait était bien ou mal. En effet, même si l’Empereur ne cachait pas ses nombreuses conquêtes, il n’en restait pas moins qu’elle était la dame de compagnie de l’Impératrice Eiya et de plus son amie, sa confidente. Elle avait l’impression de la trahir et en même temps, elle ne pouvait pas réprimer ses sentiments grandissants. Bientôt, la situation devint insupportable. Son cœur bondissait dans sa poitrine à chaque entrée du souverain, à chacune de ses paroles, et bien qu’elle essayât de cacher son état, elle avait l’impression que tout le monde était déjà au courant. Elle ressentait une honte immense et se détestait de ressentir ce qu’elle ressentait. Mais aussitôt que l’Empereur reparaissait, elle ne pouvait s’empêcher de l’aimer.

Par un après-midi d’hiver, alors que la neige tombait à gros flocons, ils décidèrent de se rendre dans les jardins. C’était la première fois qu’elle voyait la neige de sa vie, Rava se trouvant bien plus au sud-est que Ren et ne connaissant en hiver qu’un temps très doux avec quelques pluies. Lhyrian savoura le plaisir de marcher dans la neige fraîchement tombée et s’émerveilla du paysage tout de blanc vêtu. La ville de Ren qu’on apercevait au-delà de la limite des arbres avait réellement un tout autre aspect ainsi parée. Elle resta immobile à contempler le spectacle de la nature quand un frisson la fit trembler de tous ses membres. Elle n’avait pas prévu de vêtements chauds et sa cape de velours ne la réchauffait pas assez. Elle souffla dans ses mains pour se réchauffer mais elle dut s’avouer vaincue. Elle allait se retourner vers l’Empereur pour lui demander de rentrer quand celui-ci la prit soudainement dans ses bras. Son cœur se mit alors à battre avec une force qu’elle ne lui connaissait pas, si bien qu’elle crut qu’il allait s’arrêter. Elle sentait la chaleur du Seigneur l’envahir tandis que sa température à elle augmentait dangereusement. Le jeune homme semblait très calme comme si la situation ne le gênait pas le moins du monde, mais de quoi pouvait-il être gêné ? Soudain, la pensée fugitive de l’Impératrice s’imposa dans l’esprit de Lhyrian et la honte s’empara d’elle. Elle tenta de se dégager mais il la retint fermement contre lui. Elle sentit son parfum l’envahir, l’étourdir, s’imprégner dans tous ses vêtements. Mais l’image d’Eiya ne la quittait plus à présent et son malaise s’intensifia.

-          Majesté, finit-elle par dire, comme dans un râle, je vous en prie…

-          Irais-tu contre la volonté de ton seigneur ? demanda-t-il entre fermeté et douceur.

-          Oui, parce que c’est mal.

Il se dégagea soudain d’elle, comme si on venait de lui donner un coup.

-          Qu’est-ce qu’il y a de mal à aimer ? s’emporta-t-il soudain, la fureur faisant rougir ses joues. Pourquoi te refuses-tu encore à moi ?

Elle accusa le coup sans comprendre. Il la regarda de toute sa hauteur, et elle vit une terrible frustration envahir le regard du jeune homme.

-          C’est mal…, tenta-t-elle d’articuler, parce que…je ferais souffrir les gens que j’aime, et…je ne veux pas.

-          Peu importe les autres ! cria l’Empereur. Je me fiche de ce que pense les autres ! Je veux vivre dangereusement, et je te veux toi !

Elle n’aurait pu dire exactement pourquoi, mais Lhyrian avait comme l’impression qu’il lui parlait à elle et qu’il s’adressait en même temps à une autre personne. Elle tenta de s’approcher pour l’apaiser, mais il la repoussa et partit en direction du palais. Elle resta seule dans la neige, comme pétrifiée, et malgré le froid, elle n’en bougea pas, observant la ville et n’ayant au fond du cœur qu’un profond désespoir.

            Elle ne sut combien de temps elle resta ainsi, mais elle ne se ressaisit que lorsqu’une main chaude se posa doucement sur son épaule glacée. Elle se retourna et vit l’Impératrice dans un manteau de fourrure qui lui souriait chaleureusement. Alors, elle se mit à pleurer.

 

-          Il y a longtemps qu’il ne m’aime plus, Lhyrian, je le sais, dit Eiya, alors qu’elle lui tendait une tasse de thé chaud.

Elle l’avait aidée à retourner dans le palais et l’avait aidée à se réchauffer pour qu’elle n’attrapât pas froid.

-          Il y a longtemps que je n’ai plus pour moi que le nom d’épouse et la fonction d’Impératrice. Il est donc normal qu’il se tourne vers d’autres jeunes femmes, et comme tu le sais tu n’es ni la première et tu ne seras surement pas la dernière.

-          Mais, Majesté, sanglota la jeune femme, je me sens tellement mal vis-à-vis de vous. J’ai l’impression de vous trahir.

-          Le mal a été fait il y a longtemps, répondit l’Impératrice le regard dans le vague. Et je n’ai jamais été dupe sur les raisons qu’avait mon époux de te faire entrer à mon service. Je m’attendais qu’un jour ou l’autre il fasse de toi l’une de ses maîtresse, mais je suis heureuse que tu aies eu ce genre de remords.

Lhyrian regarda l’Impératrice et baissa la tête, effrayée de ce qu’elle y vit.

-          Va, Lhyrian, va le rejoindre, puisque c’est ce qu’il désire. Je préfère le savoir avec toi qu’avec une autre de ces petites putains qui pullulent au palais. Va Lhyrian, puisque toi aussi tu l’aimes.

Sans rien dire de plus, et sans la regarder, la jeune femme se leva et sortit des appartements de l’Impératrice. Elle ne pouvait supporter de regarder en face l’immense tristesse, l’abandon et le vide qu’elle avait perçus dans les yeux de la souveraine. Elle ne se retourna pas et courut vers ses appartements. Elle avait quelque chose à récupérer.

 

            L’Empereur était assis sur sa chaise de barbier dans une obscurité presque complète, la tête renversée sur un coussin et à la gorge à découvert. Il ruminait avec fureur ce qui venait de se passer. Comment avait-il pu essuyer un tel refus ? Il était l’Empereur, LE Souverain suprême à qui on ne pouvait rien refuser. Mais si. On lui avait refusé ce qu’il désirait le plus. Il avait cru qu’elle pouvait remplacer ce vide, ce vide qui l’envahissait quand il regardait les autres. Il avait cru qu’elle pouvait combler ce désir qui l’assaillait depuis quelque temps. Elle était parfaite, exactement ce dont il rêvait pour l’harmonie de son être et de son Empire. Mais, elle lui avait dit non, et il ne lui restait aucun espoir. Ou alors, il lui faudrait la prendre par la force, mais cette solution lui répugnait quelque peu. Il verrait. Peut-être serait-il contraint d’en arriver à cette extrémité…

            Il se renversa un peu plus sur sa chaise de barbier. Il aimait cette position qui lui permettait de mieux réfléchir.

Soudain, le tranchant d’une lame vint se poser sur sa gorge. Il ouvrit les yeux, mais s’avisa de ne pas bouger pour ne pas s’entailler la peau. C’était la lame d’un sabre à double tranchant, une lame très meurtrière mais très difficile à manipuler. Une petite main blanche en tenait la poignée. Ses yeux remontèrent vers le visage de son agresseur qui était encore dans l’ombre. Il essaya de parler mais l’autre appuya la lame qui incisa la peau, faisant couler un léger filet de sang. L’Empereur se tut, mais aussi discrètement que sa position le lui permettait, il tenta de récupérer son arme qui se trouvait heureusement du côté caché de l’agresseur. Celui-ci se rapprocha de l’oreille du souverain et dans un murmure dit :

-          Alors, on veut vivre dangereusement, Majesté ?

Il parvint à attraper son arme, et dans un mouvement aussi rapide que précis il entailla la main de son agresseur qui fit un bond en arrière pour reprendre sa garde. L’Empereur essuya le sang qui lui coulait dans le cou et regarda droit dans les yeux la jeune femme qui le défiait en combat singulier. Puis sans plus attendre, il engagea le combat. Lhyrian para avec agilité. Elle n’avait pas la force d’un homme et devait donc compenser par sa vitesse et son habilité. Elle sauta sur le côté, attaqua, se dégagea à nouveau, rétablit son équilibre et attaqua encore. Le jeune homme exécuta quelques passes qui lui permirent d’éviter les coups de la jeune femme. Il l’observait pour savoir quelle stratégie adopter, mais dès qu’il pensait avoir saisi sa technique, elle en changeait pour attaquer avec une autre.

Ils combattaient depuis un bon moment quand enfin il réussit à la bloquer dans un espace restreint. Elle ne se démonta pas et l’attaqua à nouveau, mais cette fois-ci, il para de telle façon qu’il força le sabre de son adversaire à se coincer dans l’une des tentures qui pendaient du plafond. La jeune femme tenta désespérément de libérer sa lame, mais il ne lui en donna pas l’occasion et la projeta au sol d’un puissant coup de pied dans le ventre. Elle s’écroula dans un râle, et essaya de se relever tout de suite, mais elle n’y parvint pas : elle était trop épuisée et le coup de l’Empereur la clouait au sol. Celui-ci s’approcha et pointa son sabre au-dessus de sa gorge.

-          Tu es vaincue, dit-il sans émotion.

-          Je … je suis vaincue, accepta Lhyrian.

Et, elle se laissa choir sur le sol. L’Empereur s’agenouilla auprès d’elle, lâcha son sabre et essuya le filet de sang qui coulait de la lèvre qu’elle s’était mordue en tombant. Elle le laissa faire, se contentant de sourire. Alors, il entreprit de défaire les lacets de son corset.

 

            Yann revint quelques mois plus tard. La révolte était complètement maîtrisée, et ses chefs capturés. Il y avait eu dans la région de Saleine de grands procès pour déterminer l’implication de chacun dans ce mouvement. De nombreuses personnes avaient pu ainsi échapper à une mort aveugle et furent condamnées à céder leurs terres, leurs possessions et parfois à accomplir des travaux forcés. D’autres avaient été emprisonnées pour plusieurs années, à titre d’exemple, mais les véritables responsables de l’agitation avaient été ramenés devant l’Empereur qui devaient juger de leur sort. A Saleine, la vie reprenait son cours sous la bonne garde de la cinquième garnison impériale. Malgré tout cela, les nouvelles n’étaient pas des meilleures puisque le jeune général avait mis au jour les agissements d’une secte de l’ombre jusqu’ici inconnue des autorités impériales. Cette secte touchait toutes les couches de la société et son but était de renverser le pouvoir actuel. Saleine n’avait été qu’une expérimentation de son influence, puisque la région était depuis quelques années opprimée par le gouverneur en charge.

            L’Empereur accueillit l’information avec moins de joie qu’il n’avait accueilli le retour du jeune général. Et Yann fut quelque peu surpris d’apprendre que sa sœur était devenue l’une des maîtresses du souverain. Mais si cela l’affectât, il n’en dit rien et préféra partager le bonheur de sa sœur et de son ami. Cependant, quand ils étaient ensembles, Lhyrian voyait passer fugitivement un air réprobateur dans le regard de son frère.

            De son côté, L’impératrice n’avait pas changé de comportement vis-à-vis de la jeune femme et elle s’en réjouissait. Leurs discussions étaient toujours aussi intéressantes et dénuées de tout sentiment de malaise. Les habitudes reprirent leur train habituel, Lhyrian passait la plupart de ses après-midis auprès de son frère et de son amant, tous deux préoccupés par cette étrange secte venue de nulle part et se profilant dangereusement dans tout l’Empire. Les espions étaient à pied d’œuvre et des centaines, des milliers de noms apparaissaient soudainement, parfois, très proches d’eux. C’était une situation particulièrement difficile pour l’Empereur qui soudainement ne pouvait plus avoir confiance en certains hommes qu’ils côtoyaient depuis longtemps, si bien que la nuit, elle s’efforçait du mieux qu’elle pouvait de lui faire oublier ses ennuis quotidiens.

            Lhyrian s’épanouissait pleinement dans ce nouveau rôle d’amante, d’amie, de conseillère de l’Empereur, même si la jalousie de certaines personnes devenait de plus en plus palpable. Et en tête de liste, la concubine Amali, qui au grand regret de tous, mais surtout du sien, avait accouché d’une petite fille deux mois plus tôt. C’était maintenant son tour d’être déchue, et elle ne le supportait pas. Au grand étonnement de Lhyrian, l’Impératrice ne semblait pas trouver de plaisir dans l’éviction de la concubine.

-          Nous voilà toutes les deux dans la même situation, lui répondit-elle alors que la jeune femme lui en faisait part. Sauf que ma situation est bien plus confortable. Je suis l’Impératrice alors qu’elle n’est plus qu’une courtisane incapable de lui donner un fils. Elle est devenue la risée de son entourage et de ceux qu’elle a défiés et énervés par son comportement, et elle, aucun statut ne la protège. Rien ne dure Lhyrian, tout est éphémère, et il faut savoir protéger ses arrières si on ne veut pas tomber de haut.

Les mois passèrent ainsi et l’Empire connut la plus grande purge de toute son existence. Tous les jours, des dizaines de nouveaux noms apparaissaient, tous accusés de faire partie de cette fameuse secte. L’Empereur dut se résoudre à créer un organisme spécial, chargé de traquer et de juger ses membres, ne s’occupant lui-même que des grands pontes de la société. Mais il s’avéra que tout l’empire était nécrosé par ce parasite spirituel.

Bientôt Lhyrian commença à ressentir les premiers symptômes de la grossesse. Son bonheur était complet et les médecins prédisaient déjà la venue d’un héritier. Les mois parurent s’accélérer alors que son ventre s’arrondissait de plus en plus. L’Empereur lui rendait des visites fréquentes, le soir dans ses appartements, bien qu’espacées puisqu’accaparé par ses affaires. Son frère la soutint du mieux qu’il put, mais il fut envoyé dans une autre région sensible pour y ramener le calme. Lhyrian se retrouva donc seule avec l’Impératrice, à qui elle essayait tant bien que mal de ne pas trop montrer son ventre pour ne pas la mettre mal à l’aise. Les jours passèrent dans la même routine, et au milieu du printemps suivant, elle donna naissance à des jumeaux, un garçon et une fille. La joie était à son comble pour le royaume qui obtenait ainsi son héritier, mais la jeune mère ne put en profiter car des complications lors de son accouchement lui avaient fait frôler la mort. Elle resta quelques temps dans le coma, veillée par l’Empereur et l’Impératrice.

Quand enfin elle sortit de son sommeil prolongé, elle eut la joie de retrouver son frère, rentré avec la permission spéciale du souverain pour aider sa sœur.

 

Son bonheur était complet. Même dans ses rêves les plus fous, ou dans les livres qu’elle lisait elle n’aurait pu trouver un tel paradis. Mais comme toute chose, le bonheur a une fin et aujourd’hui elle sait qu’il a le prix du sang.

 

Malgré les efforts de l’Empereur, la secte gagnait en popularité et en membres. Des temps troublés s’abattaient sur l’Empire et l’atteignirent bientôt en plein cœur. Par une froide après-midi d’hiver, Lhyrian et l’Impératrice prenaient leur collation habituelle tout en discutant de leur visite dans la cité du matin même. La jeune femme exposait à la souveraine que les conditions de vie de certains habitants étaient à la limite du supportables et qu’il serait bon d’y remédier. Selon elle, c’était une des raisons des accès de violence et de désespoir. L’Impératrice acquiesçait en silence, mais comme toutes leurs discussions, ce n’était que des suggestions évasives. Elles se servirent du thé et les traditionnels petits gâteaux aux amandes qui reposaient dans une assiette de porcelaine blanche, quand soudain, Lhyrian sentit comme un malaise, comme si quelque chose n’allait pas. Elle regarda autour d’elle, cherchant vers l’extérieur l’auteur de cette sensation, mais les jardins étaient vides et couverts d’une épaisse neige blanche et immaculée.

Pourtant, le malaise persistait bel et bien et elle le sentait plus proche qu’elle ne semblait le voir. Alors qu’elle balayait la pièce du regard, elle se tourna vers Eiya qui finissait l’une des petites gourmandises.

-          Majesté, vous ne sentez rien d’inhabituel ?

-          Non, pourqu…

Elle n’eut pas le temps d’en demander plus qu’elle portait la main à sa gorge. Elle étouffait. Lhyrian se précipita sur elle, appela au secours, et tenta tant bien que mal de la faire respirer, mais rien n’y faisait. Les servantes arrivèrent en courant auxquelles elle cria de faire venir un médecin de toute urgence, mais le temps qu’il arrivât, l’Impératrice avait déjà succombé.

            L’Empereur et son frère arrivèrent quelques temps après l’incident, bouleversés par cette tragédie. Ils demandèrent des explications à tous ceux qui étaient présents mais la seule constatation possible était qu’elle avait été empoisonnée.

-          Mais le goûteur n’est pas mort que je sache ! hurla le jeune souverain sous l’emprise d’une colère immense. Et Lhyrian…

-          Parce que ce poison n’a eu d’effet que sur l’Impératrice et elle seule, affirma le médecin alors qu’il humait le thé refroidi dans théière.

-          Qu’est-ce que cela signifie ? demanda Yann, blanc comme la neige.

-          Sa Majesté souffrait depuis toujours d’une allergie aux arachides, expliqua le médecin. Je la soignais depuis longtemps. Tous les jours, elle buvait une tasse dans lequel elle rajoutait des baies d’orriage qui est un contrepoison très efficace. Mais dans ce thé, je ne sens que des fruits rouges. Ils se ressemblent, mais n’ont pas les mêmes vertus.

-          Qui aurait pu…

-          Toute personne possédant l’information, un médecin, un apothicaire, ou toute autre personne au courant…

Suite à cela, une grande enquête fut menée. On incinéra l’Impératrice dans un grand désordre. Les cloches sonnèrent pour les esprits et à nouveau, la vie reprit son cours, mais Lhyrian fut très touchée par la disparition de son amie la plus chère. Elle resta très longtemps assise dans les appartements de l’ancienne souveraine, espérant y retrouver les moments de bonheur passés. Quelques jours plus tard, le coupable fut découvert. Ou plutôt, la coupable : Amali, l’ancienne concubine de l’Empereur, qui s’était faite enrôler dans cette fameuse secte, fut découverte en possession d’une lettre indiquant les allergies de l’Impératrice. Amali connut la pire des exécutions et sa fille fut envoyée dans une région reculée du royaume et condamnée à l’exil.

Ce fut une période très sombre. On savait maintenant que personne n’était plus en sécurité, même dans le palais. De plus, le peuple, très affecté par la mort de leur souveraine chérie, supportait de moins en moins leurs conditions de vie. Afin d’apaiser cette époque de grandes tensions, les ministres suggérèrent à L’Empereur de prendre une nouvelle Impératrice, et son choix se porta naturellement sur Lhyrian. Tout d’abord, elle s’y refusa. L’unique Impératrice, c’était Eiya et personne ne pourrait la remplacer. Malgré les mois qui passaient, elle ne se consolait toujours pas de sa mort, mais finalement, elle y vit un moyen de continuer l’ouvrage de la souveraine défunte et d’assurer à son fils une certaine sécurité. C’est ainsi qu’au début de l’été, tout l’Empire fêta avec bonheur le mariage de L’Empereur et de Lhyrian de Rava qui avait su conquérir leur cœur.

Après l’évènement, Yann fut envoyé en mission secrète et ne reparut plus, mais Lhyrian avait bien d’autre chose à penser. Son statut d’Impératrice était bien plus lourd que ne le lui avait fait supposer Eiya, surtout qu’elle essayait de s’impliquer au mieux dans les affaires de l’Etat. Toujours en accord avec l’Empereur, elle améliora considérablement les conditions de vie des habitants de Ren, puis progressivement, de l’Empire. On ne pouvait pas dire qu’elle avait éradiqué la misère, mais déjà on sentait les gens soulagés d’un fardeau trop important. Elle donna de l’argent afin que des travaux d’aménagements puissent être menés dans les campagnes, même les plus reculées. Puis, elle remit la religion à une place privilégiée, celle de la lumière, afin de contrecarrer la philosophie de cette secte de l’ombre. Jamais l’Empereur et son gouvernement ne furent plus populaires. On nota une forte diminution des enrôlements dans la secte, si bien qu’elle perdit en très peu de temps la quasi entièreté de ses ramifications.

Les beaux jour revenaient enfin sur l’Empire. C’était comme si on sortait soudainement de la nuit, de l’obscurité et du froid. Lhyrian était comblée dans son rôle d’épouse et de dirigeante, mais, étrangement, elle avait l’impression que plus elle s’épanouissait, plus l’Empereur se rembrunissait. Elle avait l’impression désagréable que lorsqu’il était avec elle, il n’était pas vraiment là, mais auprès d’une autre personne. Elle ne pouvait alors s’empêcher de se remémorer les phrases d’Eiya « Rien ne dure, tout est éphémère, et il faut savoir protéger ses arrières si on ne veut pas tomber de haut ». Et même si maintenant elle se savait protégée, elle ne pouvait supporter que l’Empereur ne l’aimât plus, ou pire, qu’il en aimât une autre.

Alors que les jumeaux fêtaient leurs deux ans, Lhyrian tomba enceinte à nouveau, et donna prématurément naissance à une petite fille, si faible qu’on crut qu’elle ne survivrait pas. Elle survécut cependant, mais son état était un constant sujet d’inquiétude pour sa mère. L’Empereur était de plus en plus distant avec elle, et pour oublier la douleur que la solitude lui infligeait, elle s’absorba dans les affaires de l’Etat. Elle s’occupait de tout ce que son époux délaissait, et jamais Impératrice ne fut plus aimée de son peuple que Lhyrian. Celle-ci s’appliquait à poursuivre la tradition des promenades en ville, et emmenait parfois le Prince et la Princesse pour que peuple s’habituât à les voir et à les aimer. Elle en profitait toujours pour marquer sa dévotion au temple. Le clergé était à son entière disposition et elle fut la première femme autorisée à pénétrer dans le temple principal.

Puis un jour, Yann revint avec une nouvelle terrifiante. Les adeptes de la secte s’étaient réunis dans le plus grand secret à l’est dans la région d’Inola, proche de Rava. Ils avaient formé une armée et étaient entrés en contact avec des rois des pays voisins qui leur envoyaient régulièrement et discrètement des troupes. Ils avaient retenus la leçon de Saleine et cette fois, ils s’étaient bien préparés. L’Empereur déclara immédiatement la guerre et réunit son armée. Cette fois, rien ne pouvait le retenir : il partirait coûte que coûte. Il confia les rênes de l’Etat à Lhyrian, qui était à nouveau enceinte. Elle ne l’avait jamais vu aussi heureux, sauf au tout début de leur relation. Quelque part, dans un coin de son esprit, elle espérait que cette guerre lui ferait du bien et qu’il n’en reviendrait que plus fort vers elle.

 

Elle avait tort.

 

La guerre s’éternisa. Chaque fois qu’elle recevait des nouvelles, les pertes étaient toujours plus lourdes et les combats toujours plus sanglants. Chaque fois, elle s’attendait à recevoir la nouvelle fatidique qui lui annoncerait la mort de l’un des deux hommes qu’elle aimait. Ou même des deux… Ce qui se passait dans l’Empire n’était pas mieux. L’été avait été très sec et les récoltes presque nulles. Une grande pénurie alimentaire s’installait petit à petit étant donné que la moitié des vivres était envoyée au front, en ravitaillement. Lhyrian avait été chargée de constituer des renforts avec les hommes valides. Progressivement, les campagnes et les villes se dépeuplaient. Femmes et enfants durent travailler dur. L’Impératrice faisait tout ce qu’elle pouvait pour rendre la situation plus confortable, mais elle ne l’était pour personne. Elle fut bientôt obligée de prendre des mesures très impopulaires auprès des nobles qui possédaient la fortune, puis auprès du clergé et enfin auprès des bourgeois et des commerçants. A tous ceux qui s’opposaient à elle, elle répétait douloureusement : « Pensez à nos chers parents, enfants, ou amis qui se battent pour nous et à qui tout cela profitera. N’est-ce pas un petit sacrifice en comparaison de leur vie ? » Et on se taisait, mais on n’en pensait pas moins. Elle avait engagé de nombreuses personnes dont le seul travail consistait à informer le peuple des nouvelles du front et à installer dans les esprits l’idée que la secte en était l’unique responsable.

Au bout de cinq mois, la tension fut telle qu’elle accoucha prématurément d’un garçon mort-né. Cette mort l’affecta terriblement et elle ne pu jamais véritablement s’en remettre. Il n’y avait personne au palais qu’elle considérait comme un proche ou un ami, et l’absence de son époux et de son frère augmentait sa tristesse. Mais elle dut faire face. L’Empire avait besoin de quelqu’un à sa tête, et elle n’avait pas le droit de se laisser aller. Courageusement, elle sortit de sa dépression, bien qu’au fond d’elle-même elle se sentait aussi vide qu’une coquille.

Puis comme toute chose, la guerre aussi eut une fin. L’Empereur et ses troupes finirent par terrasser l’armée de la secte et repousser l’ennemi en dehors de ses frontières. Ce fut triomphant qu’ils revinrent à Ren, auréolés de gloire, mais couvert du sang des milliers de morts qu’il y avait eu là-bas. Ce fut avec un profond soulagement que Lhyrian accueillit son époux et son frère. Elle les prit dans ses bras avec une énergie retrouvée, mais si son frère était heureux de la revoir, elle sentit que la joie de son époux n’était que de façade. Elle l’avait quitté en froid, et elle le retrouvait encore plus distant qu’avant. Elle ne sut qu’en penser, mais conserva un masque de dignité prompt à célébrer l’évènement.

Peu à peu, les choses reprirent leur cours et l’Empereur reprit les rênes de l’Etat, mais surement pas celles d’époux. Tout d’abord, elle mit cela sur le compte de la guerre, des atrocités qui peuvent vous dégoûter de la vie pendant un certain moment. Mais ce n’était pas cela qui semblait expliquer l’étrange comportement du souverain. Il se comportait avec elle comme si elle lui était parfaitement indifférente, comme s’il ne partageait qu’un travail commun et rien d’autre. Lhyrian en devenait folle. Elle avait l’impression qu’on lui broyait le cœur et que personne ne s’en rendait compte. Elle s’en ouvrit à son frère qui ne lui répondit que par un regard gêné et contrit qu’elle ne comprit pas. Elle en parla enfin à l’Empereur qui lui assura qu’elle se faisait des idées et que ce n’était qu’une passade. Mais les mois passèrent, et rien ne changea dans le comportement du jeune homme.

 

Puis un jour, elle comprit

 

Cette situation lui avait fait perdre le sommeil, si bien qu’il lui arrivait de temps à autres d’aller se promener dans les jardins. Le silence de la nuit apaisait son âme et lui permettait de retourner dans des souvenirs plus heureux. Cette nuit là, alors qu’elle revenait de sa promenade nocturne, elle entendit des bruits, comme des chuchotements. Discrètement, elle se rapprocha de la source d’où ils émanaient et bientôt elle put apercevoir deux silhouettes dans l’obscurité. Cela devait surement être deux amants qui se retrouvaient dans le secret des arbres et elle décida de ne pas en apprendre plus, lorsque soudain elle reconnu la voix de son frère. Elle s’immobilisa aussitôt et se retourna vers les silhouettes en se concentrant.

Elle distingua son frère, qui lui faisait face et qui semblait repousser les avances d’une grande femme aux longs cheveux bruns. Ce n’était pas véritablement surprenant de surprendre Yann avec une femme, mais il ne lui avait jamais parlé de ses conquêtes, si bien qu’elle en avait presque oublié qu’il était un homme. Elle plissa les yeux pour essayer de reconnaître la femme avec qui il était. Il tentait de la repousser mais tout dans son corps indiquait qu’il était immanquablement attiré par elle. Puis l’inconnue tendit une main vers le visage de Yann, et caressa sa joue, dans un geste de tendresse infinie. Il la repoussa encore, mais avec moins de fermeté cette fois. La femme y vit une occasion ; elle passa la main dans les cheveux du général et l’approcha doucement mais fermement de son visage. Il ne résista pas et embrassa son amante. Une passion dévorante s’insinua dans ce simple baiser. Quelque part au-dessus d’eux, un volet claqua, faisant tomber un trait de lumière sur les amants. Alors Lhyrian sut. L’inconnue était un homme.

 

Elle était assise sur le lit. Les appartements de l’Empereur étaient encore remplis de ses cris de jouissance. Elle avait eu gain de cause et il l’avait accepté dans sa couche. Mais elle avait sentit comme une distance insondable entre leurs deux âmes malgré le rapprochement de leur corps. Elle l’avait perdu, elle devait l’admettre. Mais, elle ne comptait pas abandonner aussi facilement. Elle entendit les pas précipités dans le couloir. Elle réveilla l’Empereur.

-          Tu as de la visite, dit-elle simplement.

Il se redressa, il était nu sous les draps de soie. Son corps était parfait. Elle ressentit un profond regret. Yann entra précipitamment dans les appartements, un papier serré dans la main, regarda d’abord sa sœur, assise tranquillement sur le bord du lit et l’Empereur, nu, qui le regardait avec le même étonnement.

-          Regarde chéri, ton amant est là, s’écria-t-elle faussement.

Les deux hommes portèrent leur regard vers la jeune femme dont le calme n’était qu’apparent. Puis ils se regardèrent, aussi impuissant l’un que l’autre.

-          Lhyrian…, commença son frère.

-          Tais-toi ! siffla l’Impératrice. N’essayez pas de nier, je vous ai vu…hier soir.

La colère rendait les mots difficiles à prononcer.

-          Depuis quand ? demanda-t-elle.

Ils se regardèrent sans répondre. Alors elle comprit que cela avait commencé bien avant son arrivée, et avait continué après son mariage. Des larmes de rage lui troublèrent la vue. Comment avait-elle pu être aussi aveugle ?

-          De toute façon, dit-elle aussi bien pour elle que pour les deux autres, tout est fini.

-          Que veux-tu dire ? s’écria Yann inquiet par ce soudain retour au calme.

A peine eut-il posé la question que l’Empereur se révulsait déjà sur le lit. Son corps parfait était agité de spasmes tandis que le poison s’insinuait lentement dans ses muscles. Yann se précipita vers l’Empereur et tenta de le placer sur le côté pour l’empêcher de se mordre la langue.

-          Qu’as-tu fait ? cria-t-il à sa sœur.

Mais elle était déjà partie. L’Empereur fit alors un effort surhumain pour reprendre le contrôle de lui-même. La fièvre montait très vite et une douleur intense s’emparait doucement de ses muscles. Le poison allait être lent. Il agrippa le bras de son amant pour capter son attention, et dans un effort désespéré lui dit ses derniers mots :

-          Je veux mourir de tes mains…car…c’est toi que j’aime…plus que tout…

Yann contempla la douleur dans les yeux de celui qu’il aimait depuis toujours. Alors, il reposa le corps trempé de sueur sur le lit, se saisit du poignard qu’il gardait constamment à la ceinture, et d’un coup rapide et précis lui planta la lame dans le cœur. L’Empereur eut un dernier sursaut, puis mourut, le sourire aux lèvres, lèvres sur lesquelles son amant venait de déposer un dernier baiser.

            Derrière la porte, Lhyrian pleurait les dernières larmes qu’elle verserait par amour.

 

C’est l’après-midi maintenant, et toute sa vie est passée devant ses yeux. Elle se trouve à présent sur le balcon d’un amphithéâtre. La foule endeuillée s’installe en silence. En bas, les défenseurs se concertent, mais la décision ne reviendra définitivement qu’à une seule personne. Pour le moment elle n’en a rien à faire. Lhyrian est seule avec ses pensées.

Elle aurait pu avoir tout ce qu’elle voulait, mais ce qu’elle voulait était en fait inaccessible. On s’était servi d’elle, elle s’en rendait compte maintenant, avec le recul. L’Empereur avait cru que sa ressemblance avec l’homme qu’il aimait lui permettrait d’assouvir ses désirs tout en restant en harmonie avec ce qu’il était : un homme, qui n’a pas le droit d’aimer les autres hommes. C’est mal, c’est contre-nature, mais surtout c’est la loi. Et pourtant, son amant s’apprêtait à mourir par amour pour lui. C’était beau, inutile et stupide, mais au moins l’Empereur savait qui il était et où il en était. Qu’en est-il d’elle ?

Elle était une meurtrière : elle avait tué l’Empereur. Mais ces mains n’étaient pas seulement tâchées de ce sang : il avait fallu aussi en verser pour devenir Impératrice. Oh, elle avait bien retenu les paroles d’Eiya : « Les sentiments ne sont pas éternels ; rien ne dure, tout est éphémère, et il faut savoir protéger ses arrières si on ne veut pas tomber de haut ; comme tu le sais tu n’es ni la première et tu ne seras surement pas la dernière… »

Oui, tout cela, elle l’avait bien appris et elle avait voulu s’assurer que ça ne lui arriverait pas à elle. Il avait été facile de connaître l’allergie de l’Impératrice Eiya à la simple odeur de son thé. Lhyrian était une experte dans les plantes et elle l’avait reconnue tout de suite. Et il avait été encore plus simple de convaincre Amali de tuer la souveraine, en lui faisant croire que c’était Lhyrian qui était visée. Une simple lettre, adressée à la concubine qui crevait de jalousie et sa réplique exacte, signée d’un des membres présumés de la secte. Seule sa tristesse n’avait pas été feinte. Elle avait aimé Eiya comme une sœur, et n’avait aucune autre raison de la tuer que celle de s’assurer le destin qu’elle méritait. On pouvait dire qu’Eiya n’était qu’un dommage collatéral, malheureusement pour elle…

Oui, Lhyrian avait bien retenu ses leçons. Elle avait suivit l’Impératrice et avait appris comment se faire aimer de son peuple, mais bien plus que cela, elle avait su passer de la théorie à la pratique, et elle avait été encore bien plus aimée. Mais qu’importe l’amour du peuple si elle ne pouvait pas avoir celui du seul homme qu’elle n’avait jamais aimé.

Les tambours s’animent, annonçant l’arrivée du prisonnier. La foule se met à huer celui qu’elle considère comme responsable de la mort de son bon souverain. Il a été retrouvé poignardé dans ses bras, du sang encore frais sur les mains, et l’arme du crime à ses côtés. Qui aurait pu prétendre que ce n’était pas lui ?

Yann paraît dans un simple vêtement blanc. Il est pâle et semble très fatigué, mais il reste digne.

L’annonceur crie : « Pour le meurtre de son Altesse Impériale, Djan le vainqueur, nous déclarons l’accusé, Yann de Rava, coupable. »

La sentence est tombée, comme un couperet sur une gorge. Elle se lève ; les voiles noirs de ses manches bruissent dans le vent.

« Que sa majesté, l’Impératrice Lhyrian de Rava, délivre sa sentence ! »

Tous sont suspendus aux lèvres de la jeune femme. Elle ne dit rien. Elle regarde son frère avec un mélange de tristesse, de compassion et de mépris. Lui, il ne la regarde pas. Il ne la considère plus comme sa sœur, mais seulement comme la meurtrière de son amant. Et il n’est pas dupe sur son avenir. Elle, elle ne se sent pas coupable : elle n’a fait que reprendre ce qui lui appartenait, mais pour les autres, il en faut un. Il faut que quelqu’un paie pour le crime.

 

Il y a quelques années, elle pensait que la mort de l’un produirait irrémédiablement la mort de l’autre…

 

-          L’accusé est condamné à mourir par décapitation, comme un homme et comme un général. Ainsi le jugement est rendu !

 

Aujourd’hui encore, elle pense que c’est vrai. Lhyrian est morte au moment même où la lame du sabre a tranché la tête de son frère.

 

Seule l’Impératrice reste…

 

FIN

 
     
     
 
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