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au 31 Mai 21 :
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Mémoires d'un fils.
Par Artemine
Originales  -  Humour/Action/Aventure  -  fr
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Every little thing she does is magic

"You're talkin to ME ?" - Taxi Driver

Ainsi donc je me suis retrouvé dans un bar, à téléphoner aux divers contacts louches de ma mère, puis à mes contacts louches. Lors de la disparition de ma mère, il a bien fallu que j’essaye tout ce que j’avais sous la main. J’avais un bateau et des avions remplis de clandestins qui maniaient bien les couteaux et les bombes et quelques amis haut placés dans diverses mafias, alors j’avais constitué un certain réseau : c’est avec eux que j’étais. Ils avaient créé un gang assez reconnu dans le milieu des gangs, et je leur offrais une sacrée protection alors j’étais le « boss ». C’était assez marrant. Au début. Bref, je leur demandais ce qu’il pensait de cette horrible histoire, mais la moitié d’entre eux était complètement morte de leur dernière bouteille et croupissait dans un coin. Je commençais à évacuer le reste de vodka, les idées que nous avions n’étaient donc pas très claires. Je ne me souviens plus vraiment où j’ai dormi ni pourquoi je me suis réveillé aux côtés d’une adolescente avec un horrible rire de crécelle, mais je me souviens que nous n’avions jamais eu aussi peu d’idées concernant une affaire un peu bizarre. Je suis donc rentré à la maison, j’ai expliqué la situation à Tatiana et ses filles, j’ai fait un discours très mignon à son enterrement, je me suis consolé dans les bras d’Abigaïl Breslin, et j’ai passé les deux années les plus emmerdantes de toute ma vie. Puis vint le jour de mes dix-sept ans : j’étais majeur aux États-Unis, alors j’y suis allé. J’avais plusieurs maisons à travers les « States », mais c’est celle de Boston, actuellement ma préférée et pourtant celle que j’aimais le moins à l’époque, qui fut un lieu important de cette histoire. C’est à Boston que j’ai rencontré Minerve. 

*** 

J’ai toujours vécu au États-Unis. C’était mon pays, ma vie, et j’avais décidé d’y rester jusqu’à ce que mort s’ensuive. Et pourtant, je n’habite plus là où je suis née. Je m’appelle Minerve. Qu’est-ce que je fous là ? C’est un récit de superstar. Moi j’étudie la médecine. Qu’est-ce que je fous là ? J’espère bien qu’Arty va vous le dire. Je ne suis que sa femme. Mais quand même. 

*** 

- Hahaha ! Je n’aurai jamais de femme, voyons ! Je vis dans le vent ! 
Ceci est une déclaration tout à fait inutile faite à un journaliste américain après un film où je jouais un ado qui se mariait jeune. Moi ? Jamais j’me marierais. Non mais oh. Je n’avais pas le temps de m’occuper d’une femme. Il me semble aujourd’hui que tout ce dont j’étais sûr s’est avéré faux. J’ai écrit un livre. Je me suis marié, et j’ai eu des faux-jumeaux. Vous voulez savoir qui est Minerve ? Ma femme, pourquoi ? Oh. Non, il n’y a aucune incohérence. Je vais vous expliquer. Lorsque je suis parti de chez moi, j’ai tourné quelques films, ma carrière continuait et montait de plus en plus. Mais mon occupation principale était de chercher ma mère. Evidemment, je peux vous confirmer qu’une foule de filles en chaleur à chaque apparition publique n’est pas le meilleur plan pour être discret, alors j’ai décidé d’arrêter provisoirement ma carrière. J’ai fait croire que j’allais préparer un nouveau scénario, et j’ai précisé au monde entier que celui qui me parlerait ou me dérangerait lors de mes apparitions publiques aurait affaire à John et Ron, les deux colosses qui gardaient ma porte d’entrée. J’ai eu quelques problèmes tout de même, des filles canons qui ne voulaient que coucher avec moi (évidemment j’ai dû coucher avec elles : je n’allais pas les laisser seules sans protection devant ma porte), mais globalement les gens voyaient que j’étais dans leur rue, mais ne m’approchaient pas. De toute façon je n’y faisais pas vraiment attention. 

Je cherchais partout une piste, j’avais toujours en ligne ma petite mafia personnelle en France, et ils furetaient eux aussi un peu partout. C’est comme ça que je me suis échoué devant l’université de médecine de Boston. C’est là que j’ai vu Minerve. Soudainement, j’avais oublié que j’avais quelque chose à faire, que j’avais défendu quiconque de me parler, et que la presse me courait après. C’était la première fois que j’oubliais l’essentiel. Vous l’auriez vue. Elle était splendide. Vous devez savoir qu’il n’y a que très peu de choses que je n’ai faites qu’une fois dans ma vie. Outre naître et boire du décaféiné (non mais sérieusement, c’est une blague cette boisson, non ?), c’est tomber amoureux et tuer quelqu’un. Pourquoi je devais réaliser ces actions contraires sur une même personne ? Je ne sais pas. Minerve est la seule personne que j’ai jamais tuée et aimée. Elle avait sûrement un triste destin. Après sa mort, je me suis longtemps posé la question : est-ce que toutes les Minerve ont un destin tragique ? Ma mère, elle… c’était pour le moins étrange. Je l’avais rencontrée dans un parc, en face de la faculté de médecine de Boston. Ce parc était au bord d’une route. 

Elle était seule, assise sur un banc. Les arbres qui l’entouraient donnait un côté magique à l’air ambiant. Elle était le genre de femmes qui ne se laissait pas séduire facilement, ce genre de filles qui avait fait depuis longtemps passer les études et les ambitions avant la vie amoureuse. J’avais l’âge symbolique de vingt ans, étais persuadé qu’aucune fille ne pouvait résister à mon charme tapageur. Elle était là, elle était jolie, je m’ennuyais alors je me suis approché. Je flânais suite à un lapin que m’avait posé un de mes informateurs. Il avait dû se faire égorger au coin d’une rue par ceux que j’observais en ce moment. La qualité principale de ces types n’était ni la douceur ni la gentillesse. Enfin bref, cette fille était un défi intéressant, alors j’ai poussé son sac pour m’asseoir à côté d’elle. Ses écouteurs crachaient une chanson que je n’arrivais pas à reconnaître. Elle ne m’adressa pas un regard lorsqu’elle dit d’un ton habitué : 
- Vous êtes très gentil de vous être intéressé à moi, mais non merci. 
- Vous savez, lui ai-je répondu, quand vous parlerez à un homme qui voulait juste s’asseoir, il va être surpris de votre phrase. 
Elle baissa le son de sa musique, toujours en parlant au livre qu’elle tenait. 
- Il y a d’autres bancs, et je doute vraiment que vous ne vouliez que vous asseoir. Si c’est le cas, je répète : il y a d’autres bancs. Mon sac était très bien où il était avant que vous ne le décaliez. 

Elle ne m’avait pas regardé une seule fois. Evidemment qu’elle me parlait comme ça, elle ne m’avait pas reconnu. Il le fallait, pourtant. Autrement, je n’étais qu’un séduisant mais ordinaire jeune homme. Ce que je ne pouvais pas admettre évidemment. Je lui pris un écouteur et le mis dans mon oreille. J’avais enfin reconnu la musique et écouté la moitié du troisième couplet. C’était Eminem. « Love the way you lie ». Elle se retourna sèchement, arracha l’écouteur de mon oreille pour le récupérer, et me regarda enfin. Je lui souris, de ce sourire ravageur qui m’avait tant de fois servi. Elle me fixa, et lâcha l’écouteur. 
- Est-ce que je me trompe, ou je regarde vraiment une star de cinéma ? 

TADAM ! 

- Oh, vous m’avez reconnu ! 
- Evidemment. C’est surprenant que vous ne soyez pas suivi par une troupe de femmes déchaînées. 
- Je les ai toutes épuisées. 
Elle récupéra son écouteur et le replaça dans son oreille sans un mot de plus. Je n’eus pas le temps de dire autre chose, un groupe d’étudiantes approchait et l’une d’elles m’avait vu de loin. 
- Oh, mon, dieu ! Minerve, tu as vu avec qui tu parles ? Tu discutes avec LUI ? 
C’est comme ça que j’ai entendu la première fois le prénom de la fille assise malgré elle à côté de moi. Elle ôta une fois de plus son écouteur d’un air agacé pour se retourner vers celles qui devaient être ses amies. 
- Je ne discute pas, il parle tout seul. 
- Mais tu te rends vraiment compte de qui c’est ? 
- Enchanté ! ai-je lancé en me levant pour couper court à la discussion. 
- En… enchantée, répondit la plus jolie des filles, qui s’était avancée en battant des cils. 
Je suis parti avec le groupe d’étudiantes, elles m’ont posé pleins de questions stupides et puis j’ai passé la nuit avec la plus jolie dont je ne sais toujours pas le prénom (si tu lis ça, ne m’en veux pas). Celle qui me contrariait s’appelait Minerve et apparemment ne m’aimait pas des masses. C’est le problème de la célébrité, vous ne pouvez pas approcher quelqu’un sans qu’il ou elle ait déjà une opinion de vous, vraie ou fausse et bonne ou mauvaise. Enfin, je ne dirais pas que ce soit un vrai problème quand on est milliardaire et qu’on fait ce que l’on veut, mais parfois, dans de rares moments c’est ennuyeux. 

Je suis donc revenu le lendemain matin, un 21 juillet. Je suis revenu à la même heure, espérant qu’elle soit là. J’avais vu juste : ce devait être une heure qu’elle réservait, ou qu’elle avait de libre, car elle se trouvait au même endroit, un carnet sur les genoux. Elle avait une robe et des ballerines blanches, ainsi qu’un serre-tête de la même couleur qui faisait contraste avec la couleur foncée de ses yeux et de ses cheveux. Bon, oui, elle était magnifique, mais ça je ne suis censé vous le faire remarquer qu’après, alors ne coupez pas ma narration parfaite. A ce stade du récit, je suis encore un homme respectable qui ne fond pas en larmes lorsqu’une fille le quitte. Mais c’est une autre histoire que je ne raconterai sûrement pas en entier et dans tous ses détails. Bref, j’étais appuyé contre un arbre, me fichant complètement de la sève qui dégoulinait sur un de mes plus beaux smokings. Lorsqu’elle sentit un regard, elle se retourna vers moi. 

*** 

Il était encore là. Mais bon dieu, que me voulait vraiment ce type ? C’est vrai, ce n’était rien que le fils de Minerva Petersen. J’étais amoureuse de lui depuis que j’avais compris la notion d’être amoureuse. Mais je ne voulais certainement pas le laisser me draguer, et puis coucher avec lui et devenir une petite croix dans un carnet plein de croix symbolisant le nombre d’inconnues avec qui il avait eu une histoire. J’allais résister. 
« Vous faites partie d’une infime partie de la population qui pense que je suis un vrai salop ? 
- Êtes-vous sûr que cette partie est aussi infime que vous le dites ? » 
Il ne répondit pas. Il avait, à l’époque, déjà la mauvaise habitude d’enlever un de mes écouteurs, le gauche, pour pouvoir lui aussi profiter de la musique. C’est quelque chose qui m’a toujours horripilée, mais à l’instant présent j’étais surtout concentrée sur le fait qu’il avait frôlé ma hanche et que j’avais envie de lui sauter dessus. Il faut que je vous explique pourquoi je me retenais. Non mais sérieusement, c’était comme vous demander de choisir entre une journée avec votre pire cauchemar ou une avec Brad Pitt (ou toute autre star significative pour vous). Vous n’auriez pas hésité longtemps. J’avais été éduquée dans une famille sans télé. Sans média, sans rien, mon père ayant une haine sans égale pour la presse et tout ce qui allait avec. Etant petite, je me réfugiais chez ma meilleure amie, Iris, avec qui je suivais les infos, je regardais des films, j’écoutais de la musique… Tout ce que je ne pouvais pas faire moi-même et chez moi. 

C’était sa mère qui m’avait fait découvrir Minerva Petersen. Toute petite, elle l’avait pointée du doigt à la télé en disant : « Regarde, c’est une actrice très célèbre. Elle a le même prénom que toi, et est née le même jour. C’est marrant, hein ? ». Je me souviens encore de ce jour. J’avais peut-être six ou sept ans. Je m’étais mise en tête de regarder tous ses films, tous, sans exception, parce que je voulais la connaître par cœur. Et puis, deux ou trois ans plus tard, c’était le tour d’Iris de me montrer quelqu’un. Cette phrase m’a marquée. « Tu vois le garçon trop mignon à côté de Minerva ? C’est son fils. C’est Artemis. Il est troooooooooop beau. » Je m’étais dis que si un jour j’écrivais cette phrase, je devrais mettre tout plein de « o ». Nous étions en admiration devant ce blondinet aux lunettes de soleil. Et de là, je me mis à fureter partout et à me tenir au courant de tout ce qui touchait de près ou de loin à la famille Petersen, mère et fils. Un jour, Iris l’a rencontré. Lui, Artemis, NOTRE idole. Elle ne s’est jamais remise de n’avoir été qu’une petite aventure d’un soir. Elle était jeune, elle avait quatorze ou quinze ans. Ce n’était pas si loin dans le temps, finalement. Je m’étais juré de ne jamais faire la même chose, car je ne voulais pas être blessée comme elle l’avait été. Mais ce jour-là, je doutais de mes sérieuses résolutions. Que voulait Artemis ? Peut-être qu’il ne voulait qu’un renseignement. 

Enfin, il était évident que ce matin je ne m’étais PAS faite toute belle pour lui en espérant qu’il allait revenir, alors de toute façon cela m’était égal. Il recommença à parler, sa voix me donnait d’horribles frissons. 
- Je pense qu’elle est infime. Voyez-vous, plus de personnes sur cette planète me considèrent comme une victime. Et puis vous êtes au courant que j’écris un scénario sur la douleur qu’un fils peut avoir lorsque sa mère disparaît… vous comprenez, cette partie de ma vie est très dure pour moi. Ce n’est que souffrance et accablement. 
- C’est bon, vous avez terminé avec le champ lexical de la douleur, de la tristesse et votre histoire bidon ? avais-je répliqué de frustration. 
Il me regarda avec un air assez étonné et me posa une simple question. 
- Si je vous embrasse, qu’est-ce qu’il se passera ? 

J’ai imaginé mille, dix milles et plus encore de scénarios possibles. Je pouvais faire le premier pas, et devenir sa conquête du jour, ou encore le frapper violemment. Bien évidemment cette dernière option n’était qu’un rêve car je n’aurais jamais osé le frapper à cette période-là de notre « relation ». Mais dans ma tête, je ne serais jamais restée plantée comme un poireau ou tout autre légume immonde pendant qu’un Apollon tel que lui m’embrassait. Pourtant c’est ce que j’ai fait. Il n’avait pas attendu la réponse que ses lèvres se posaient sur les miennes. Il les retira avec un léger sourire et se releva en disant une seule petite phrase. 
- Je suis désolé, mais maintenant vous allez devoir tomber amoureuse de moi, parce que vous voyez j’ai des lèvres assez envoûtantes. 
Cette phrase m’as mise, me met et me mettra je pense toujours hors de moi, et je me suis écriée comme si j’avais voulu me rattraper de quelque chose : 
- Mais c’est n’importe quoi ! Comment peut-on être aussi prétentieux ? Je ne vais certainement pas tomber « amoureuse » de vous. Du reste, je vous prierai de ne plus m’embrasser sans mon autorisation. 

Il me sourit d’un air contrit, l’air de celui qui se désole d’une fille qui ne croit pas un mot de ce qu’elle dit. Bien sûr, j’avais raison. Je ne pouvais pas tomber amoureuse de lui. Evidemment, je l’étais depuis que j’avais cinq ans. Ça reste, ce genre de sentiments. 

*** 

Je l’avais embrassée, mais pourquoi ? Pourquoi j’avais fait un geste assez insensé ? Ce qui ne m’arrivait jamais. Et qui bizarrement s’est reproduit plein de fois après. Bizarrement. Enfin bref, j’étais de retour chez moi, ayant étrangement passé le reste du trajet à faire le tour de mes lèvres avec ma bouche, essayant de retrouver le goût du gloss à la pomme qu’avait Minerve. Je l’ai retrouvé jusqu’à la dernière goutte, et puis je suis arrivé chez moi. C’était une maison éloignée du reste de la ville et des résidences, une grande maison avec trois étages et plein de pièces qui ne me servaient à rien mais qui faisaient toujours classes quand on avait des invités. C’était une grande maison en pierre avec un traditionnel toit rouge en brique. Ma femme de ménage était en train de faire les vitres quand j’ai croisé son regard dans la voiture. Elle me montra du doigt un groupe de personnes amassées devant ma porte. Quelle tristesse, ces gens qui croyaient tous que j’allais daigner leur montrer quelque attention particulière. 

Ces personnes, groupées en tas batifolant, qui discutaient avec animation de quelques sujets sans intérêts à mon sujet étaient mon manager, qui avait engagé la deuxième personne et la seule silencieuse du groupe mon garde du corps, qui ne m’était d’aucune utilité mais que je n’avais pas envie de licencier. Celui-ci avait laissé passer quatre paparazzis de quatre journaux différents. Une septième personne assise sur le perron n’avait rien à voir avec le reste : c’était ma cuisinière, indifférente aux vociférations sous son nez et préférant bouder en m’attendant. Elle voulait sûrement une hausse de salaire (encore), ou l’autorisation de partir plus tôt. Lorsque je m’approchai du petit groupe, ceux-ci se rendirent compte qu’une Jaguar avait franchi l’énorme portail noir et traversé l’allée de platanes et qu’elle pouvait appartenir à l’humble star qu’ils attendaient. On pouvait lire dans le regard de mon manager un soupçon de déception d’avance, car il me connaissait assez pour savoir que je n’allais certainement pas répondre à ses questions et celles des journalistes. Quant à ces derniers, ils se pressaient autour de leurs matériels divers. Le premier micro et la première caméra des deux premiers journalistes s’approchèrent de moi, et le reste suivit. 

Ils parlaient tous en même temps, et une effusion de mots parvint à mes oreilles. 
- Ce n’est pas prudent de vous exposer ainsi, disait calmement mon garde du corps. 
- Mr Petersen, parlez-nous un peu de Blanche-Neige, la jeune fille de ce matin ! cria le premier journaliste en utilisant d’horribles métaphores. 
- Artemis, c’était quoi, ça ? Mon manager me montrait une photo de moi et Minerve en train de s’embrasser. 
- Je veux m’en aller, j’ai fini mon boulot ! essaya d’enchaîner ma cuisinière. 
- Mr Petersen, parlez-nous de votre scénario qui, me semblait-il, nécessitait une grande concentration et pas de femmes ! riait le deuxième journaliste avec ironie. 
- Artemis, une déclaration à nous faire ? parla ridiculement le dernier journaliste. 

J’avais une réponse en tête. Un court mot qui ne satisferait personne. Donc un mot parfait. 

- Non. 

Je traversai mon jardin, suivi de ce petit groupe de personnes acharnées. Je levai les yeux au ciel. 
- Vous me stressez, tous. 
Je pris ma cuisinière par le bras, ignorant ses cris de protestation, et rentrai chez moi dans un soupir. Lorsque j’eus fermé ma porte, ma cuisinière reprit ses demandes, et je ne lui répondis que plus tard. 
- J’ai faim. Je veux manger ce soir, et vous connaissez mes talents fous de cuisinier. Donc vous allez dans la cuisine, et vous me faites à manger. Quelque chose de bon. Pour deux. 
Elle grogna, mais n’ayant pas le choix se dirigea lentement vers la pièce dans laquelle je n’étais jamais entré. La cuisine. Un vrai mystère pour moi. J’interpellai ma femme de ménage, accessoirement celle qui faisait les courses, et toutes les autres tâches ménagères possibles. Les qualités d’une maman. Pas de la mienne, évidemment, mais bon. J’avais toujours vécu comme ça, et ce n’est pas vraiment quelque chose qui me dérangeait. 

Elle se tourna vers moi en souriant. Elle souriait tout le temps. Son chignon vacillait et quelques mèches commençaient à se décrocher, dû à l’effort qu’elle venait de faire : nettoyer toute la grande baie vitrée devant le balcon. Un vrai effort. Un jour je penserais à la payer, mais elle réclamait toujours au mauvais moment. Bref. 
- Vous désirez quelque chose ? 

Sa voix était encore haletante, et ses joues rouges lui donnaient un air enjoué. Peut-être qu’elle pourrait me payer en nature ? Je pensais à lui répondre quand elle commença à froncer les sourcils en se demandant ce que je pensais. Je préférais ne pas lui expliquer le fin fond de mes plus profondes idées. 
- Ma voiture. Oui, voilà, c’est ça. Tu peux me préparer ma voiture ? 

Elle hocha la tête et descendit en trombe les escaliers pour avoir le temps de tout faire avant que j’arrive en bas. Ma cuisinière me demanda si le dîner était toujours pour deux personnes, et je lui dis rapidement que j’allais justement chercher cette dernière. Je commençais à descendre les marches quand j’eus une idée. J’appelai Abi, de son vrai nom Abigaïl, pour qu’elle remonte les escaliers que je lui explique le dernier plan que j’avais en tête. Elle remonta donc de ce pas, son chignon étant définitivement tombé en vagues sur ses épaules. 
- Vous allez appelez ce numéro. 

Je lui tendis un téléphone avec un numéro déjà composé à l’écran. 

- Et demandez Minerve. Elle répondra, vous raconterez quelque chose, n’importe quoi du moment qu’elle reste en ligne, et grâce aux renseignements que je vais vous donner ensuite, vous irez chez elle et la ramènerez. 
Elle avait pris le numéro et hocha la tête. Je la rassurai sur divers points, c'est-à-dire que Minerve la suivrait quand elle verrait qu’elle-même était poursuivie par des journalistes et elle démarra rapidement, me laissant seul en haut des marches dans ma maison pleine de grandes pièces inutiles. Je courus (je marchai vite, d’accord) vers mon grand bureau ou se trouvait un localisateur d’appels, petit logiciel très pratique et tout à fait illégal dans la maison d’un particulier. Bien évidemment vous avez compris que je ne suis pas ce qu'on appelle un « particulier ». 

*** 

J’étais rentrée chez moi tout de suite après qu’Il soit parti. Non mais quelle merde cette histoire. Je vivais sûrement dans un rêve. J’avais pensé tout le long du trajet en métro. La station était devant chez moi, je n’avais qu’à traverser la route. Je sortais en montant les escaliers quand je les ai vus. Une vingtaine de journalistes devant ma porte, des caméras, des magnétophones, tout l’attirail. J’ai ouvert grand les yeux et repris le métro en sens inverse. J’étais furieuse. Non seulement je n’allais certainement pas répondre à leurs questions, mais en plus j’allais devoir trouver un autre endroit pour dormir. Impossible de rentrer chez moi. Voilà qui allait être drôle. De plus, contrairement à l’autre qui m’avait mise dans cette horrible situation je ne pouvais pas échapper à la presse. Lui avait dû virer les deux-trois paparazzis qui avait réussi à rentrer dans son jardin, et tout s’était bien terminé. A ce moment, mon téléphone sonna. Je décrochai et réussis, je ne sais comment, à dire d’un ton tout à fait aimable : 
- Allo ? 
- Bonjour mademoiselle. Vous êtes Minerve ? 

Une voix professionnelle de femme me parlait. Elle était en voiture à en juger par les bruits qui me parvenaient. Je lui répondis d’une voix hésitante. 
- Oui ? 

Elle enchaîna immédiatement. 
- Je vous dérange ?

Ce que je ne savais pas à l’époque c’est que cette gentille Abigaïl avait pour ordre de m’occuper suffisamment de manière à ce qu’Artemis ait le temps de localiser l’appel et de me retrouver quelque part pour m’emmener avec lui. Comme j’étais totalement ignorante de la puissance d’action de personnes telles que lui, j’ai répondu docilement à toutes les questions de sa femme de ménage, qui roulait et faisait des tours et des demi-tours avec sa voiture en attendant une destination précise. 
- Non, pas le moins du monde. Vous êtes ? 
- Je suis Abigaïl, du service client Verizon. 
Evidemment, j’y ai cru. Verizon est l’opérateur téléphonique le plus connu aux Etats-Unis, et j’y étais abonnée. Pour la suite, j’ai appris plus tard qu’Artemis avait toute ma vie privée sur son écran d’ordinateur et qu’il envoyait de charmants renseignements sur un autre téléphone à Abi, pour qu’elle puisse me convaincre qu’elle était celle qu’elle prétendait. 
- Je voulais vous parler d’une offre commerciale qui pourrait vous être profitable. Vous avez le temps ? 
- Euh… oui, mais essayez de faire vite. 
- Le plus possible. 
« Le plus possible ». Tu m’étonnes. 
- C’est une offre pour l’été, actuellement vous avez un forfait à 99,99 dollars par mois ? 
- Oui, répondis-je, maintenant persuadée que la dame faisait partie du service client Verizon Wireless. 
- Une offre limitée a été créée, pour 3 dollars de plus par mois vous avez les SMS illimités, au lieu de 10 de plus chez Virgin Mobile ! 
- Eh bien… oui, pourquoi pas. 
- Parfait. Le changement s’effectuera le 17, date de votre renouvellement de crédit. Vous avez le temps pour un sondage ? 

J’allais répondre que non car je sortais du tramway pour trouver un hôtel ou me rendre chez une amie, quand, dans une maison secondaire à l’extérieur de Boston, les yeux verts d’un jeune homme s’illuminaient en criant « bingo ! ». La femme au téléphone posa la première question avant même que je n’ai répondu. Les bruits derrière elle devenaient plus importants. Son « bureau » était vraiment bruyant. 
- Avez-vous le réflexe, à chaque problème de téléphone, d’appeler le service dépannage de Verizon ? 
- Excusez-moi, je n’ai vraiment pas le temps pour un sondage. Essayez de rappeler plus tard ! 

J’ai toujours été aimable. Même énervée, même en retard, même triste, on m’a souvent dit qu’on en profiterait. La réponse d’Abi aurait dû m’intriguer, d’autant que des bruits de pas et de bus dans un bureau devenaient tout à fait incongrus. 
- Oh, ça, ne vous inquiétez pas. Je vous rappellerai sous peu ! 

Sa voix trahissait un sourire, que je vis apparaître devant moi sans même y faire attention. Une Jaguar XJ308, vieille voiture qui faisait tourner les têtes (y compris la mienne) tellement elle était belle. Comme on pouvait l’imaginer, Abi s’était arrêtée et ralentissait le long du trottoir où je marchais. J’avais déjà vu cette voiture. Où ? Je n’avais pas à chercher bien longtemps. Tout fan qui se respecte savait que cette magnifique voiture appartenait au grand Artemis Petersen, et que la belle conductrice n’était autre que sa « femme à tout faire ». Je commençai à comprendre en tournant au coin d’une rue quand la voiture me suivit. Je m’arrêtai pour traverser, essayant de paraître insensible au fait qu’une Jaguar me suivait, et qu’au volant le regard d’Abigaïl me fixait. Elle se stoppa d’abord pour me laisser traverser, puis avança et s’arrêta au milieu du passage piéton, bloquant des dizaines de personnes des deux côtés, qui l’insultaient de tous les noms possibles. Elle me fixa. 
- Montez. Maintenant. 

Ça ne vous est sûrement jamais arrivé, une situation pareille, mais je peux vous dire que sur ce ton-là et avec ces yeux-là, j’aurais fait n’importe quoi pour celle qui m’ouvrait la porte avant droite. Alors je suis montée dans la Jaguar, sous les yeux admiratifs des personnes alentours. J’ai évidemment protesté quelques instants, une fois dans la voiture, mais ça ne fut pas long. Au bout d’un moment, je préférais bouder. Ce qui m’arrivait était juste incroyable. 
- Vous êtes QUI ? 
Le ton énervé de ma voix faisait contraste avec celui d’Abigaïl, calme et maîtrisé. Elle me tendit un téléphone en me disant simplement : 
- Vous allez comprendre. 
Une voix se fit entendre. Masculine, évidemment. 
- Bonjour, Minerve. 
- BONJOUR ? BONJOUR ? VOUS ÊTES FOU ? ON SE CROIRAIT DANS UN MAUVAIS FILM ! 
- Il n’est en aucun cas nécessaire de me parler sur ce ton-là. Vous êtes encore dans ma voiture, vous ne savez pas encore où vous êtes censée aller et je peux demander n’importe quoi à Abi, assise à côté de vous. Pour répondre à vos questions précédentes et celles qui vont arriver, oui, bonjour, je répète, oui, bonjour, mon avis personnel sur la question de la folie est assez complexe, je vous emmène chez moi, et ce car votre maison est assaillie par une horde de journalistes assoiffés de scoop qui ne veulent que vos confidences, que vous n’avez nulle part oùu aller et que je vous inviterais bien à dîner. 

La seule chose que je fus capable de répondre fut : 
- J’habite dans un appartement, pas une maison. 
- Evidemment, je comprends que vous ne vouliez pas avoir l’air de ne pas avoir le choix. J’en suis désolé, c’est très peu gentleman, mais que voulez-vous ? C’est la vie. 
- Non ! C’est pas la vie ! Ma vie c’est pas ça ! C’est la vie de personne de se faire kidnapper par une star de cinéma sans le vouloir ! 
- Vous avez raison. D’habitude, les gens sont plutôt d’accord. 

Vous vous doutez que je n’avais définitivement plus rien à dire, alors je n’ai plus rien dit. J’ai remis mes écouteurs que j’avais enlevés pour répondre au téléphone, coupant toute conversation. J’avais besoin de cacher ma joie. Il fallait que je paraisse vexée. En vérité, je ne l’étais pas. Logiquement, quand une star hollywoodienne vous enlève pour vous inviter à dîner, vous n’êtes pas vraiment énervée. Même si c’est une star que vous n’aimez pas. Ce qui était loin d’être mon cas. 

*** 

Elle arrivait ! Elle arrivait ! Mon plan avait marché, et j’étais un génie. Que c’est dur de ne jamais se tromper, vous ne pouvez même pas imaginer. Je courais (marchais vite, d’accord, ça suffit maintenant !) dans ma grande maison vide, à travers les pièces, cherchant à m’occuper du mieux que je pouvais. La seule chose qui me calma fut mon reflet dans mon miroir. Etonnant, non ? J’ai croisé mon regard affolé et je me suis remis les idées en place. Je m’en souviens comme si c’était hier. J’ai essayé pendant plusieurs minutes de dire ne serait-ce que bonjour, j’ai fini par forcer mon accent français parce que ça faisait forcément craquer une jeune américaine, j’ai dû me changer quatre ou cinq fois, pour finalement opter pour un pull en cachemire vert foncé, et un jean excellemment bien coupé, puis je me suis mis pieds nus, pour avoir l’air décontracté. Une vraie fille. Je criais de temps en temps des « C’est bientôt prêt ? » à ma cuisinière, qui me répondait par un grognement. 

Quand je me suis finalement trouvé tout à fait parfait (encore plus que je ne l’étais d’ordinaire), j’ai arrêté de me contempler et j’ai observé du balcon la route jusqu’à ce que ma belle voiture arrive. Fut un temps, je vérifiais chaque détail de ma carrosserie, pour vérifier s’il y avait une quelconque égratignure. Il y en a eu une, une seule fois. Maintenant, c’est Abi qui regarde elle-même si elle n’a rien abîmé tellement elle se rappelle de ma colère et de ces quelques mois de salaires disparus comme des vies de juifs pendant la deuxième guerre mondiale. Mais revenons-en à l’arrivée de mon invitée. Elles sont descendues toutes deux de voiture, et je pouvais voir un sourire discret sur les lèvres de Minerve, qui observait la maison. Quand elle a croisé mon regard sur le balcon, elle a tout de suite abandonné le mince repli que formait la commissure de ses lèvres. 

Elle reprit un regard méprisant qu’elle ne pouvait empêcher d’être un petit peu admiratif. Elle me faisait déjà rire. Avez-vous déjà essayé de paraître fâché car vous n’aviez pas envie d’aller là où vous êtes, et que vous ne pouvez vous résoudre à paraître finalement heureux et parler aux autres, car en vérité vous vous amusez ? Ça vous est bien arrivé au moins une fois dans votre vie. Ça arrive à tout le monde, et ce coup-ci, c’était le tour de Minerve. Elle avait envie de sourire, d’observer, de s’extasier devant ma voiture et ma baie vitrée, mais elle savait que si elle faisait ça, j’aurais gagné. Bien évidemment, je l’avais remarqué, comme les gens autour de vous remarquent que vous voulez sourire lorsque vous faîtes semblant de bouder. Abi lui avait ouvert la porte pour qu’elle monte les escaliers secondaires menant aux pièces du bas, quand je l’ai arrêtée. 
- Amène-là donc vers le balcon ! Ne lui fais pas traverser les bas-fonds de ce bâtiment ! 

Minerve grommela un « au point où j’en suis » et choisit finalement les escaliers menant directement à mon balcon et ma baie vitrée. Au cas où vous poseriez la question, oui, j’aime ma baie vitrée. En plus, c’est un joli mot, non ? Baie vitrée. Minerve était montée et se tenait devant moi, droite comme un piquet, son sac en bandoulière. Elle me fixait. Je lui souris. 
- Vous en voulez une ? 

Je lui tendais une cigarette en en mettant une sur le bord de mes lèvres. Tout était prévu, c’est toujours sexy, une cigarette à la bouche. Le geste d’aspirer puis de souffler la fumée, ça a toujours été magnifique. Elle la refusa. 
- J’ai les miennes. 

Elle me sourit sadiquement, et en prit une à son tour. Apparemment, elle était au courant de l’effet de la cigarette sur quelqu’un qui fume aussi et qui sait que c’est beau et classe. A cet instant, je la détestais. Elle lisait dans mon jeu comme dans un livre et je n’ai jamais aimé ça. Je n’aime toujours pas ça, surtout pas venant d’elle. Elle chercha dans son sac un briquet, mais j’avais, ce coup-là, été plus rapide qu’elle. Les allumettes étaient posées sur une petite table derrière moi, et je m’approchai d’elle, allumant d’un simple geste le bout de sa cigarette. Surprise, elle ne réagit pas tout de suite, mais accepta finalement de tirer sur le filtre pour l’allumer. Nos visages se touchaient presque et je pouvais voir le brillant du gloss qu’elle avait remis. J’avais une furieuse envie de la réembrasser. J’aurais pu. Je pouvais. Elle était si près. Quelques centimètres… 

Je tournai la tête en essayant de croiser le regard d’Abigaïl, mais elle était déjà rentrée dans la maison et elle me tournait le dos en rentrant dans la cuisine. Je grognai discrètement. J’attendrais qu’elle sorte. 
- Alors comme ça, vous ne pouvez plus rentrez chez vous. 
- Je vais effectivement avoir du mal. 
- Vous pourrez sûrement rentrer demain, mais ils vont vous chercher un peu partout. Vous étudiez à l’université de médecine de Boston, c’est ça ? 
- Exact, me répondit-elle en clignant des yeux. 
- Il m’est avis que vous allez avoir du mal à vous y rendre sans une nuée de journalistes. 

Elle me regarda fixement, un air de mépris dans les yeux qu’elle ne voulait certainement pas dissimuler. 
- Vous avez bien réussi. 

Je lui répondis en un sourire condescendant : 
- Oui mais moi mon compte en banque dépasse celui de tous les gens que vous avez fréquentés jusque là réunis. Et je suis une star, et je fais ce que je veux quand je veux où je veux. Et en plus je suis beau, alors pour moi la vie est nettement plus simple. 

Elle écrasa sa cigarette en me répondant méchamment : 
- Et vous ne pouvez rien faire pour moi, au lieu de vanter vos mérites ? 
- Si, certainement, mais il est plus facile de vanter mes mérites, et en plus ça ne me coûte rien. 

J’écrasai à mon tour la mienne, lui ouvrit ma baie vitrée (baie vitrée !) d’un geste rapide. Elle rentra dans mon salon avec un regard admiratif. Il faut dire que la décoration était exquise, et que mon salon était un peu à l’image de mon bon goût : parfait et constant. Minerve se tourna vers moi au moment où Abigaïl sortait de la cuisine. 
- Bien sûr. 

Je la poussai doucement pour laisser passer Minerve dans l’escalier qui menait à mes humbles appartements. Au passage, je lui glissai un « mets nos plus beaux couverts et ne dis rien » qui la fit grimacer. Elle n’aimait pas quand elle devait jouer la femme de ménage comme dans les vieux films, poser les plats et partir. D’ordinaire, cela ne me dérangeait pas qu’elle mange avec moi. C’était plutôt une fille agréable, et elle vivait ici, alors tant qu’à ne pas manger seul… Mais là, je tenais à un dîner en tête-à-tête. J’avais laissé celui-ci aux bons soins de ma cuisinière, et je n’avais aucune idée de ce qu’elle préparait. On va dire que ce soir, j’avais une totale confiance en elle. Je ne doute pas qu’elle ait essayé deux ou trois fois de m’empoisonner, et je ne compte plus le nombre de fois où mon repas était carbonisé, ou quelque chose dans ce genre-là. Mais je l’ai toujours gardée, nous formions une sorte d’équipe, moi, elle et Abi. C’était une sorte de pacte entre nous. Abi n’avait même plus besoin de salaire, puisqu’elle était nourrie, logée et blanchie et ce jusqu’à ce qu’elle décide de partir, qu’elle démissionne ou toute autre raison auxiliaire. Elle le réclamait juste pour la forme et parce qu’elle voulait exterminer ma radinerie quant aux salaires de mes sous-fifres. Quand elle avait besoin de ma carte bleue, elle la trouvait toujours. C’était un peu ma petite sœur. Seulement, une petite sœur douée en tout et extrêmement obéissante. 

Mais revenons à Minerve. Elle avait monté les escaliers, le regard en l’air, attendant d’avoir autre chose à admirer que les magnifiques marches de celui-ci. Elle arrivait à l’étage, où le sol venait d’être nettoyé et était encore humide. Une fois en haut, elle se tourna vers moi. 
- A quoi exactement te servent toutes ces pièces ? 
- Strictement à rien. 

Elle acquiesça devant l’honnêteté de la réponse et continua sa visite silencieuse. Elle entra dans ma chambre. Je souris, car elle réagit comme toutes les personnes qui rentraient dans la grande pièce du haut. C’était une immense pièce rectangulaire, avec un grand lit deux places (où l’on pouvait tout de même tenir à trois voire quatre). Les murs blancs à l’origine étaient maintenant colorés de centaines d’affiches de films format cinéma. Les murs avaient été construits de telle façon que deux affiches de taille cinéma pouvaient rentrer en longueur, et suivant les murs, six ou douze en largeur. En fait, on ne voyait plus le blanc des murs, ni celui du plafond, recouvert lui aussi par des affiches de films diverses et variées et tenues par je ne sais quelle colle. Ça avait été la chambre de ma mère, et quand je suis né, elle me l'a léguée comme genre de cadeau de naissance. Le plus beau, assurément. Il faut l’avouer : cette chambre était magnifique. 

Minerve ne pût s’empêcher de faire un « Wooooouaaaaah » significatif, qu’elle regretta immédiatement à en juger par la main qu’elle avait déposée sur sa bouche pour s’empêcher de parler. Elle avança dans la chambre, observant chaque millimètre carré. Dans le fond de la chambre, prenant un mur complet, se trouvait un immense miroir. Elle se retourna vers moi. 
- A peine narcissique ? 

Je secouai la tête. 
- Non, tu vois, il y a une discrète poignée, dans le coin gauche. Je dis non, ce n’est pas qu’un miroir, hein, pas ‘non’ je ne suis pas narcissique. Je ne voudrais pas de malentendu. 
- Evidemment, répondit-elle en levant les yeux au plafond. 

Je la rejoignis. Elle cherchait l‘ouverture des yeux. Je pouvais, avec l’habitude, la trouver les yeux fermés. Tout en observant Minerve, je glissai mes doigts dans une minuscule fente sur la gauche, et tirai un grand coup. Le miroir se replia sur le côté du mur opposé et sans un bruit, l’énorme quantité de vêtements et de chaussures et de cravates et d’accessoires divers apparut à nos yeux. Ceux de Minerve s’ouvrirent en grand. 
- Bon, j’admets, c’est magnifique. Mais je suis quasi-certaine que tu ne portes pas tous ces costumes. 

Je lui souris. 
- Dans la mesure où je les garde tous, non. Je tirai un petit costume Armani noir d’un cintre, et lui tendis. 
- Je suis sûr que tu le reconnais. 
- Evidemment, me répondit-elle en souriant, le costume du festival de Cannes. 

Je hochai la tête en signe d’approbation. Elle me rendit le costume et je le replaçai sur son cintre quand ma poche gauche vibra. J’en sortis un portable. Un message s’affichait sur mon écran. Minerve avait tourné sur elle-même pour voir les affiches au plafond. 
« Le dîner est prêt. Bouge ton cul et ne fais pas pour une fois le prétentieux salop superstar. Ne fais pas toi, si tu veux la séduire. Je l’aime bien. Et ça va être froid alors vite. Tu me trouveras dans la cuisine, encore faut-il que tu saches où elle est tellement cette pièce t’est peu familière. » 

Ma tendre Abi. Je crois qu’elle m’en veut encore de l’avoir laissée à part ce jour-là. Ceci dit, vive la technologie. Elle m’avait dit tout ça par texto, dans le temps elle aurait sonné une cloche et m’aurait balancé ça à la figure. Remarque, non. Elle n’aurait jamais osé me le dire en face. 
- Minerve ? Le dîner est prêt, dis-je en m’approchant d’elle. 
Elle se tourna et opina du chef. 
- Qu’est-ce qu’on mange ? 
- Je n’en ai aucune idée, figure-toi. 

Elle me regarda d’un air méprisant. 
- Quand on invite une femme à dîner, on doit au moins pouvoir lui réciter le menu de ce qu’on lui a préparé. Je croyais que vous étiez un gentleman. 
- L’embêtant, lui répondis-je, c’est que ce n’est pas moi qui ai préparé. Je laisse le prestige de vous dire votre repas à la cuisinière. 
- Non, vous laissez l’ennui et la galère de préparer et de me dire le repas à la cuisinière. 

Elle allait me gaver, finalement. 
- Je n’aime pas vraiment les nuances que vous faites. D’autant que ma cuisinière est tout à fait ravie de nous faire à manger. 
- Votre cuisinière est ravie de la somme qu’elle gagne chaque mois. 
- Arrêtez ça ! 

J’avais crié un peu trop fort, sûrement, car elle sourit. Elle pensait avoir gagné. Bon d’accord, je n’avais aucune idée de ce que j’allais répondre sur l’instant, alors j’ai préféré prendre l’alternative avec l’air « ce que vous dites ne me touche pas. ». Et puis merde, elle se prenait pour qui celle-là ? 
- Bref, le dîner est prêt. Dans le pire des cas, vous pouvez toujours errer jusqu’à trouver un pont sous lequel dormir. 
Je l’avais probablement vexée en disant ça, car elle leva les yeux au ciel en me répondant d’un air suffisant : 
- Je ne suis ni une sans-abri, ni une trainée. Aussi j’ai assez d’argent pour me payer une chambre d’hôtel ou dormir chez une amie. Ce n’est pas comme si vous étiez quelqu’un d’exceptionnel et que je ratais quelque chose. 
- Très bien. Après tout, vous avez raison. Je ne suis ni une superstar mondiale, ni quelqu’un d’unique, et je vous ré-inviterai sûrement à dîner sous peu. Ce n’est pas comme si c’était une occasion de savoir tout ce que vous voulez, prendre des photos et avoir un excellent repas gratuit. Je vous raccompagne à la porte d’entrée ? Oh, non, pas la peine. Vous connaissez le chemin, ce n’est qu’une maison banale où vous n’allez pas vous perdre. Après vous. 

Je lui montrai du doigt la porte de sortie de mon immense chambre. Elle se mordit la lèvre en me fusillant du regard. Je la fixai, m’étant allongé sur mon lit, décidé à faire comme si de rien n’était. Elle soupira. 
- Bon. Je vous suis. 
- Oh, que la vie doit être dure pour vous. Obligée à rester manger et dormir chez Artemis Petersen. Que de malheurs ! 

Elle commença à sortir de la chambre et moi à me relever de mon grand lit quand elle se retourna. 
- Arrêtez d’être comme ça ! Et je ne dors pas chez vous. Votre servante va bien me trouver un hôtel. Je ne voudrais pas abuser de votre maison aussi banale. Après tout, ce n’est pas comme si vous n’aviez que ça à faire. Oh mais si : vous n’avez que ça à faire. Je suppose que tout le monde s’occupe de tout. 

J’allais ouvrir la bouche pour dire quelque chose de stupide comme je ne pouvais pas nier l’évidence, mais Abigaïl arriva à ce moment-là. Je lui dois toujours quelque chose d’être arrivé à un moment pareil. 
- Mademoiselle, dit-elle d’un sourire charmeur en penchant la tête vers Minerve, je vous prie de m’excuser pour les piètres présentations que j’ai pu vous faire tout à l’heure : je suis Abigaïl, mais vous pouvez m’appelez Abi, si vous préférez. Je suis le bras droit de Mr Petersen. Si vous voulez bien descendre, le dîner est prêt. 

Minerve fit un grand sourire à mon « bras droit » (oui, elle avait un peu exagéré sur ce coup-là) et s’avança dans les escaliers. Elles descendaient en discutant. Je soupirai en me retournant vers la glace. Je souris à mon insolent reflet. Il était blond presque platine. Un beau reflet. Je me levai pour m’en approcher, et gardai une distance tout à fait raisonnable en me mettant à refaire une scène culte du film Taxi Driver. Je fixai les yeux verts de l’homme du miroir. 
- You’ talkin’ to me ? You’ talkin’ to me? Then who the hell you think you talkin’ to ? You talkin' to me? Well I'm the only one here. 
- No, you’re not. 

Je me retournai dans un sursaut en apercevant Abi, remontée pour me dire une dernière fois de descendre manger ce que la cuisinière avait préparé. 
- Arrête de te prendre pour Robert de Niro. Tu lui arrives pas à la cheville, surtout pas en parlant tout seul devant ton miroir. En plus t’es blond. 
- Who the hell you think you're talking to ? lui répondis-je en souriant. Désolé, fallait que je finisse cette réplique. Je viens tout de suite. 

*** 
Si vous êtes arrivés jusqu'à cette note de bas de page, c'est que vous avez probablement tout lu, dans ce cas merci. Si vous êtes descendu jusque là pour jeter un coup d'oeil à la fin, ... merci quand même, on sait jamais, vous pourriez recommencer pour le lire cette fois.

 
 
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