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au 31 Mai 21 :
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Drôle d'été
Par Berenice
Originales  -  Romance/Fantastique  -  fr
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Le livre des prophéties

 

Lundi matin, 7h25. Il attendait près de la porte principale dans un vieux costume gris foncé ayant appartenu à son oncle, qui lui allait encore assez bien pensait-il étant donné les circonstances, quand Tancrède fit son apparition en haut de l’escalier. Il eu beaucoup de mal a contenir son admiration, il était tout simplement magnifique dans un costume 3 pièces gris clair taillé sur mesure, sur une chemise blanche et une cravate club, il portait l’habit avec une élégance rare, il se trouva minable tout à coup.

- Bonjour fit-il simplement, en espérant qu’il n’ait rien remarqué.

- Bonjour, répondit l’autre sans laisser poindre quoi que ce soit dans son attitude.

Le chauffeur les attendait et les déposa 30 minutes plus tard devant la porte de l’entreprise familiale. Ils n’avaient pas desserré les dents de tout le trajet. Ils se présentèrent au bureau du personnel où on leur indiqua dans quels services ils allaient travailler, à leur grand soulagement, ils n’étaient pas ensemble, ni dans la même partie du bâtiment. La journée passa très rapidement et ils repartirent de la même façon le soir vers 18h00. La semaine se déroula également sans encombre, Archibald appréciait vraiment l’ambiance et apprenait beaucoup de choses, il était prévu qu’il passe par différents services afin d’avoir une vue d’ensemble. Tancrède quant à lui occupait un bureau aux côtés de son père et le secondait à la direction. Il était fier de la confiance que lui témoignait ce dernier, même s’il se montrait très dur avec lui, mais il avait l’habitude… ils rentraient parfois ensembles, beaucoup plus tard et cela l’arrangeait car il ne voyait pas le stagiaire.

Le week-end arriva et on mit une voiture à la disposition de l’invité qui ne se fit pas prier pour visiter les environs et surtout la plage à quelques kilomètres seulement du château, si bien qu’il ne croisa le fils de la maison qu’aux repas du matin et du soir, ce qui limita les frictions. La deuxième semaine suivit le même chemin.

Le samedi suivant vit débarquer Alicia. Son fiancé vint à sa rencontre et la prit dans ses bras amicalement, il allait la lâcher quand Archibald apparut ; sans comprendre pourquoi, il posa un baiser sur ses lèvres avant de desserrer son étreinte. Elle le regarda surprise et ravie à la fois, il ne l’accueillait pas aussi chaleureusement d’habitude. Elle chuchota quelque chose à son oreille, lui fit un clin d’œil et disparut à l’intérieur.

- C’était qui ? demanda l’anglais.

- Alicia, ma fiancée, répondit calmement Tancrède.

- Waouh, elle est mignonne, je ne savais pas…

- Ne t’approche pas d’elle, ok ? Conseil d’ami… à part ça, tu aimerais venir monter avec nous dans, disons, 45 minutes ?

- Euh, oui, pourquoi pas…

- Je te fais envoyer de quoi te changer.

Il tourna les talons et fila. Le jeune brun était dubitatif et ne comprenait pas ce qui venait de se passer. Des menaces et une invitation… étrange, mais depuis qu’il était là, il avait envie de chevaucher à nouveau, comme avant, alors il ne ferait pas la fine bouche. Sa copine était un canon, tout à fait son genre, élancée, blonde aux yeux bleus, un superbe sourire… elle lui faisait un peu penser à Aliénor, dommage, mais il pressentait qu’il valait mieux ne rien tenter ! Une demi-heure plus tard, il était aux écuries. Son cheval était prêt, un hongre de 15 ans environ bai-brun, la jeune fille montait une pouliche pommelée, plutôt vive et le blond Bellérophon.

Ils partirent tranquillement d’abord en direction de la lande sauvage, une bonne partie des terres appartenaient au domaine, puis voyant que l’anglais se débrouillait bien, le couple parti soudainement dans un galop de charge, menant un train d’enfer. Il tenta de les suivre, mais son destrier n’était pas de taille face aux deux autres. Le couple s’était arrêté à l’aplomb d’une falaise depuis laquelle on voyait la mer, leurs silhouettes se découpaient sur le ciel et formaient une scène saisissante de majesté.

- Putain ce qu’ils sont beaux, se prit encore à penser Archibald.

Mais qu’est ce qu’il avait avec la beauté ces temps-ci ? Depuis qu’il était monté dans cette voiture cela tournait à l’obsession. Il fallait bien reconnaître que tout ici était beau, les paysages, le château, ses habitants, même le temps, tout était absolument parfait, pas une ombre au tableau… pas une ombre, non, mais une tâche, oui… lui ! Il prit soudain conscience que sa présence dans ces lieux les dénaturait, qu’il n’avait rien à faire là, que ce à quoi il avait pensé était ignoble, il tourna la bride et reparti en sens inverse aussi vite que le permit sa monture.

Les 2 jeunes gens se regardèrent surpris.

- Que lui arrive-t-il, demanda la blonde.

- Aucune idée…

- Tu devrais peut-être aller voir, non ?

- Ce n’est pas mon ami.

- Je l’avais remarqué… mais tout de même. Fit-elle d’un air de reproche.

- Bon, j’y vais…

- Je continue encore un moment et je rentre, ok ? A tout à l’heure.

Tancrède rattrapa facilement le fuyard et saisi les rennes pour le stopper. Il fixa le cavalier avec stupéfaction, le découvrant en pleurs.

- Je… qu’est ce que tu as ? Ca ne va pas ?

- …

- Je peux faire quelque chose pour toi ?  Demanda-t-il doucement.

- Oui, tu peux me laisser ! Barre-toi ! Répondit l’autre, hargneux.

Archibald frissonna, un vent frais venait de se lever brusquement et le ciel s’obscurcit. Il leva les yeux vers son interlocuteur et déglutit avec difficulté, son visage était impassible, mais ses yeux devenus gris acier exprimaient une colère noire mêlée à un autre sentiment qu’il ne déchiffra pas et il comprit instantanément que ce déchainement climatique n’avait rien de naturel.

- Pourquoi me détestes-tu a ce point ? Que t’ai-je fais ? Je ne cherchais qu’à t’aider. C’est la deuxième et dernière fois que tu me rejettes, tient le toi pour dit !

- … Je… je ne voulais pas dire ça, je ne te déteste pas…

Tancrède lâcha les lanières de cuir et parti au galop vers la forêt. L’air devint à nouveau respirable et tout rentra dans l’ordre. Il vacillait, il avait laissé éclater sa fureur sans se contrôler, c’était la première fois et il l’espérait, la dernière, cet abruti avait le don de lui faire perdre ses moyens. Il s’était senti humilié, encore une fois, comme quand il avait 14 ans…

T’es vraiment qu’un pauvre con, Archibald Rochester ! Se tança mentalement l’anglais. Bordel, mais qu’est ce qui m’a prit de lui parler comme ça ? Une fois ne suffisait pas, il fallait que je le rembarre à nouveau, pour le rapprochement c’est râpé… il l’avait vexé, plus que ça même, blessé, oui il avait voulut être gentil avec lui et… voilà le résultat !

Il reparti au pas vers la bâtisse grise, se traitant de tous les noms, cette fois, par contre, il irait s’excuser.

 °oOo°

Il n’en trouva pas l’occasion de toute la semaine, Tancrède s’ingéniant à l’éviter au maximum en passant le plus clair de son temps libre avec Alicia à courir la lande à cheval. La jeune femme les quitta le samedi après midi pour rejoindre sa famille en Espagne et gratifia son fiancé d’un long baiser d’adieu, enchantée d’avoir été au centre de son attention. Pour une fois, ce dernier était déçu de la voir partir, il lui serait plus difficile d’éviter l’autre, à présent. Cela ne faisait que 3 semaines qu’il était là, et déjà, il saturait. Une chose l’étonnait un peu, son père ne portait pas d’attention particulière à leur hôte ainsi qu’il l’aurait cru, le mystère restait donc entier, plus épais que jamais… Après le repas de midi, il se rendit dans sa chambre pour se changer et réfléchir un peu, quand l’anglais frappa à sa porte. Il se résigna à l’affronter et l’invita à entrer.

- Merci de me laisser enfin te voir.

- Ne te réjouis pas trop vite. Que veux-tu ?

Il s’effaça néanmoins pour le laisser passer.

- Que nous ayons une vraie conversation à propos du week-end dernier, et de certaines choses que je dois te dire.

- Bien, je t’écoute. Tu veux t’asseoir ?

- Non, merci. Avant toute chose, je tiens à m’excuser auprès de toi de ma conduite inqualifiable, je n’aurais jamais dû te parler ainsi, j’en suis sincèrement désolé.

- Je veux bien accepter tes excuses, mais j’aimerais comprendre pourquoi tu agis de la sorte avec moi, pourquoi tu ne m’aimes pas.

- Je n’ai jamais dit une chose pareille, enfin, pas comme ça. Je crois que nous avons démarré sur de mauvaises bases… quand je suis arrivé en France à 14 ans, je venais de perdre mes parents dans des circonstances tragiques… je ne sais pas si tu es au courant, mais ils ont été assassinés pour de stupides histoires de sorcelleries, de pureté de sang, les britanniques sont terriblement old-fashioned la dessus, mais on n’a jamais voulu me dire clairement de quoi il retournait exactement et je ne voulais plus rien avoir à faire avec le monde de la magie… j’étais dégoûté, tu vois ?

Il avait parlé lentement, et sa voix altérée témoignait du traumatisme subit par l’adolescent d’alors qui n'était pas encore cicatrisé.

- Si je te comprends, cela signifie que tu m’as repoussé uniquement parce que j’étais un sorcier, c’est ça ?

- Oui. Et seulement pour cela, il n’y avait rien de personnel, rien contre toi en particulier.

Tancrède n’en revenait pas, durant toutes ces années, il avait été persuadé qu’il le détestait pour une raison connue de lui seul, alors qu’il ne s’agissait que d’une réaction de gamin blessé. Un poids venait de se retirer de sa poitrine, il le regarda en souriant.

- Je pense que je te dois moi aussi des excuses, je n’aurais pas dû le prendre ainsi, je ne sais pas quoi dire…

- Tu n’a rien à te faire pardonner, tu étais un enfant toi aussi, tu ne pouvais pas comprendre…

- Peut-être. Et… samedi dernier… pourquoi pleurais-tu ?

- Je… j’étais jaloux et en colère contre moi-même.

- Jaloux ? Mais de qui ?

- De toi, je sais que c’est nul ! Mais je t’envie tellement, ça m’est tombé dessus d’un coup. Tu as tout : tu es riche, beau, intelligent, tu as des parents formidables, une fiancée géniale, alors que moi, je n’ai plus rien…

Il avait fini sa phrase dans un souffle. Son pouls s’était accéléré, lui avouer tout ça mettait son orgueil à mal, mais il souhaitait réellement faire la paix avec lui. Il fixa un motif du somptueux tapis, honteux.

- J’ai peut-être tout comme tu le dis, mais je ne suis pas heureux pour autant…

Archibald releva enfin les yeux vers lui. Son visage était toujours aussi impénétrable. Son allure de dandy désinvolte que rien n’atteint n’était elle qu’un personnage ? Il était surpris par cette confession.

- Mais, que te manque-t-il ? Demanda-t-il sincèrement étonné.

- Oh, pas grand-chose, juste un peu de liberté, je vis dans un carcan depuis que je suis né qui m’empêche d’exister. Un exemple ? Alicia, tout a été arrangé avant notre naissance, je l’apprécie beaucoup, mais je ne l’aime pas, et pourtant je dois l’épouser l’année prochaine… un autre ? Mes études, décidées en fonction du poste que je vais occuper dans la holding familiale… je n’ai jamais rien eu à dire, mon père a tout décidé pour moi.

- Je ne savais pas, étant orphelin et ruiné, je n’ai pas ce genres de problèmes… tu ne t’es jamais plaint ou révolté ?

Il haussa les épaules, désabusé.

- A quoi bon ? Mon père est quelqu’un de très puissant, je ne pourrais jamais lui échapper, même en partant à l’autre bout du monde. Et… je n’ai pas le courage de le décevoir.

Il s’était levé et regardait par la fenêtre l’air absent. Archibald le rejoint et posa une main sur son épaule.

- Je suis désolé, vraiment, tes parents ont pourtant l’air ouverts, je ne suis qu’un idiot…

Tancrède se retourna lentement et lui fit face, avec un léger sourire.

- Mais non tu n’es pas idiot, tu es même brillant et tu n’as pas complètement tort, je pourrais m’en accommoder, mais il y a autre chose qui me bride et me rend encore plus malheureux… je suis désespérément amoureux d’une personne qui ne partage pas mes sentiments.

Ses iris brillaient tels des diamants, l’autre le fixait d’un air étonné, semblant dire, comment est-ce possible, tu es la perfection incarnée ?

- C’est qui ?

- Toi…

Ne lui laissant pas le temps de réagir, Tancrède l’attira contre lui et posa ses lèvres sur les siennes. Le brun senti son corps entrer en vibration avec celui qui se collait à lui et la magie les enveloppa. Il s’agrippa à ses larges épaules et se senti décoller, les objets se mirent à voler et tourner autour d’eux, le blond continuait à l’embrasser, les yeux clos, inconscient de ce qu’il provoquait. Son cœur battait à un rythme affolant, la situation était par trop bizarre, il était tétanisé, incapable de réagir.

Geoffroi travaillait dans son bureau à la maison quand un frisson lui parcouru l’échine. Il reconnu immédiatement cette sensation, un important flux de magie se trouvait à proximité. Il sorti aussitôt et se dirigea vers la source qui s’avéra être la chambre de son fils. Il hésita une seconde, puis poussa doucement la porte. Le spectacle qui s’offrit à ses yeux le glaça d’effroi : Tancrède et Archibald, enlacés, lévitaient à plus d’un mètre du sol au milieu d’une tornade d’objets hétéroclites… il referma la porte et s’y adossa, il sentait des picotements dans sa chair tant la magie déployée était puissante. Il parti précipitamment et se dirigea vers la bibliothèque, sorti un vieil ouvrage de sa cachette et l’apporta dans son bureau, l’ouvrit, clos brièvement les paupières, accablé, puis remonta et frappa à la porte.

Tancrède sorti de sa transe et ils retrouvèrent le plancher des vaches, la pièce était dans un désordre indescriptible.

- Tancrède, allez-vous répondre à la fin ? Je sais que vous êtes là !

Archibald se cacha dans le dressing et son compagnon alla ouvrir.

- Vous en avez mis du temps ! Mais, qu’est ce que c’est que cette pagaille ? Tonna-t-il, vous allez me faire le plaisir de ranger ça, mais pour le moment j’ai besoin de vous parler, suivez-moi.

- Bien père…

  °oOo°

La porte bouclée, Geoffroi se tourna vers son fils qui l’avait suivit sans rechigner. Son regard était étrange.

- Il faut que je vous parle…

Son ton se voulait neutre, mais trahissait son inquiétude.

- C’est à propos d’Archibald.

Enfin, pensa le fils encore troublé, il allait savoir pourquoi il était là.

- Je vous écoute père.

- Je l’ai fait loger au château pour une raison bien précise qui vous concerne au premier chef.

Le visage de son rejeton demeurait impassible.

- Voyez-vous ce grimoire sur le sous-main ? Il s’agit du livre des prophéties des Morteterre… dans cet ouvrage, sont consignés générations après générations, et ce depuis des siècles, les évènements marquant concernant notre famille. Comme vous pouvez-vous en douter, ce livre est magique et les épisodes importants sont ajoutés au fur et à mesure qu’ils se réalisent.

Il s’empara du manuscrit et l’ouvrit à l’avant dernière page. Une image en 3 dimensions apparut alors, représentant la scène qui avait eu lieu quelques minutes plus tôt.

Tancrède n’en cru pas ses yeux. Il se reconnu avec Archibald et réalisa tout à coup ce qui c’était passé. C’est lui qui avait fait ça ? Bon sang, sa magie lui échappait de plus en plus souvent.

- Qu’est ce que cela signifie ? demanda-t-il pourtant.

- Ne me prenez pas pour un idiot… vous le savez pertinemment. J’ai… assisté à la scène. Inutile de prendre cet air étonné !

Il laissa échapper un soupir avant de reprendre.

- Cette image s’est matérialisée avant votre naissance. Plus tard les médecins nous on confirmés à votre mère et moi que vous seriez notre unique enfant, suite aux complications qu’a eu Aliénor après son accouchement…

Il avait tourné la page en arrière, et l’hologramme les représentant tous les 3 ne laissait pas planer le moindre doute, le rameau de figuier brisé en 7 morceaux aux pieds de sa mère en disait assez long. Une chose étrange attira son attention, le bébé (lui) tenait dans la main droite une fleur de lys, symbole de pureté et de virginité masquant son sexe, et dans la gauche, 4 runes druidiques dont les inscriptions lui semblaient familières… Il savait que ses parents désiraient une famille nombreuse, mais que leur rêve s’était écroulé par sa faute.

- J’ai fait venir M. Rochester ici car je l’ai reconnu dès que je l’ai vu, et j’espérais ainsi pouvoir contrôler la suite des évènements dans la mesure du possible… mais tout à l’heure, quand j’ai vu ça

Son visage s’assombrit. Il souleva la dernière page. Elle représentait Archibald et une éblouissante jeune fille blonde au côté d’un dragon blanc, se faisant face. Ils se tenaient par les mains, en habits nuptiaux, transfigurés par l’amour, debout sur le corps sans vie de Tancrède… le visage de celui-ci se décomposa, son cœur était sur le point d’exploser. L’air se rafraichi au point de devenir polaire, son haleine formait un bouillard devant sa bouche entrouverte.

- Tancrède ! Ressaisi toi !

Geoffroi s’était rapproché de lui et le secoua. Son fils cligna des yeux et la température remonta immédiatement. Des larmes commencèrent à perler à ses paupières, puis à couler sur ses joues sans qu’il tente de les retenir. Son père le serra tendrement dans ses bras et le laissa pleurer.

- Tancrède, murmura-t-il, mon fils.

Il semblait au bord des larmes lui aussi et caressait ses cheveux doucement.

- Je ne le permettrais pas, je l’empêcherai de te tuer, je le supprimerais avant s’il le faut.

Le jeune homme ressenti la détermination de son père, et surtout, pour la première fois, la force de son amour pour lui et cela le réconforta un peu.

- Non père, je ne vous laisserais pas faire cela… vous ne ferez rien, cette prophétie me concerne, je dois lui parler d’abord.

Il avait retrouvé son calme, mais ce n’était qu’apparent le comte le savait, il avait vu et éprouvé la profondeur de son désespoir.

- Tu aimes Rochester ?

- Oui, à un point que vous ne sauriez imaginer…

- J’en ai eu un aperçu… Ca fait longtemps ?

- Depuis toujours, je crois… mais pas lui, ça fait si mal… je vous en conjure père, ne tentez rien contre lui, je ne supporterais la perte d’aucun de vous deux.

  °oOo°

Archibald sorti de sa cachette et s’assit sur le sofa, terriblement troublé par ce qu’il venait de vivre. Les battements de son cœur se calmaient lentement. Il porta sa main à ses lèvres, il avait l’impression d’une brûlure et souffla. Il était reconnaissant à Morteterre sénior d’être intervenu, sinon Dieu sait ce qui se serait passé… Il regarda autour de lui et lança quelques formules pour remettre de l’ordre dans ce capharnaüm, il voyait les objets se soulever et reprendre leurs places initiales, son esprit suivait le même chemin. C’était la première fois qu’un homme l’embrassait, et pas n’importe lequel ! Tancrède… l’aimait, et étant donné l’intensité de sa réaction, ce n’était pas juste une tocade… C’est bizarre, mais jamais il n’aurait pensé qu’il était  homo… comment allait-il se dépêtrer de cette situation ? Ce qu’il ressentait pour lui était sans commune mesure avec ça, il voulait bien être son ami, mais rien de plus… il redoutait sa réaction quand il le comprendrait, car il ne pouvait pas lui mentir, il allait le rejeter, une troisième fois, il était dans un sacré guêpier !

Il dû néanmoins reconnaître qu’il avait éveillé en lui quelque chose de nouveau qu’il n’arrivait pas encore à définir, il se sentait lié à lui désormais, même s’il avait plus ou moins toujours su, confusément, qu’ils avaient un destin commun. Il était très inquiet, angoissé, il eu froid tout à coup.

- Tancrède… que t’arrive-t-il ? murmura-t-il. Je ressens ta douleur, pourquoi souffres-tu, que t’as dit ton père ?

La souffrance devint si insupportable qu’il se plia en deux en gémissant, puis elle disparue. Il tremblait, il fallait qu’il parte d’ici, le plus tôt possible, c’était trop glauque, il ne se sentait pas de taille à affronter ça, sa magie ne lui serait d’aucune utilité pour le protéger, Tancrède était bien plus puissant qu’il n’y paraissait.

La porte s’ouvrit soudain sur le blond, il avait les traits défaits malgré ses tentatives pour le dissimuler. L’anglais sursauta et se leva d’un bond, sur ses gardes et attendit.

- N’ai pas peur, je ne te ferais rien. Je suis désolé pour tout à l’heure… je n’aurais pas dû. Si tu veux partir, je ne te retiendrais pas.

Sa voix se brisa, il ferma les yeux et respira profondément. Il savait pertinemment qu’Archibald ne le tuerais pas, enfin pas directement, s’il devait mourir, ce serait de chagrin, à quoi bon continuer à vivre sans lui, et surtout comment supporter de le savoir heureux avec une autre ?

- Tancrède… Je ne sais pas quoi te dire… j’aimerais pouvoir te répondre que j’éprouve les mêmes sentiments pour toi, mais… c’est faux… je me sens mal tu sais ? J’ai l’impression qu’on m’a mit sur ta route pour te décevoir et te faire souffrir. Pourtant, je t’admire, j’ai de l’amitié pour toi, mais cela ne suffira pas, hein ?

Il saisi sa main et la posa sur son cœur, puis murmura quelques mots en latin lectum in anima mea in corde lectus / Credo Non vereor (lit dans mon âme, lit dans mon cœur / ai confiance, je n’ai pas peur). Le blond fit de même et répéta lectum in anima mea in corde lectus / Credo Non vereor.

Les deux jeunes hommes purent lire ouvertement l’un dans l’autre, cette loyauté prouva au jeune breton s’il était nécessaire qu’il n’avait rien à craindre de lui, même si son âme en peine avait besoin d’aide, de son aide. Il retira sa main, rompant le charme, émut par son geste.

- Tu n’y es pour rien, je te remercie. Mais fait attention à toi, ne laisse pas tes démons prendre le dessus, la colère n’est pas bonne conseillère... Je pense qu’il vaut mieux pour tout le monde que tu partes, j’ai trop de mal à me contrôler quand tu es près de moi. Laisse-moi seul s’il te plait.

Archibald le regarda, il avait envie de crier, de se révolter contre ce qu’il ressentait comme une injustice, s’il l’abandonnait maintenant il ne s’en relèverait pas, il l’avait vu, cependant, il obéit et retourna dans sa propre chambre, exprimant sa frustration en se défoulant sur tout ce qui lui tombait sous la main, rageant contre son impuissance.

  °oOo°

Tancrède se dirigea vers sa docking station et sélectionna Sing for absolution de Muse, enclencha la touche repeat et poussa le volume à fond. La voix éthérée du chanteur s’éleva :

“Lips are turning blue / A kiss that can't renew

I only dream of you / My beautiful…”

Il ne pouvait rester une minute de plus ici, il étouffait. Il se déshabilla dans le dressing et croisa son reflet dans le grand miroir du fond. Il fit la grimace : il ne s’aimait pas, il était mal à l’aise dans son corps, aussi beau soit-il et ne comprenait pas pourquoi. Jamais Archibald ne voudrait de lui… Il finit de se changer, sorti et se dirigeant naturellement vers les écuries, sella son étalon et galopa vers la forêt de chênes rouvres. Les paroles résonnaient dans sa tête :

“…There's nowhere left to hide / In no one to confide

The truth burns deep inside / And will never die”

Il se retrouva dans la petite clairière qui lui servait de refuge depuis son enfance solitaire, il s’était toujours senti en décalage par rapport aux autres. Il laissa Bellérophon et s’assit sur une des 4 roches plates sommairement taillées disposées en cercle, qui formaient les 4 points cardinaux. Cet endroit l’apaisait, il venait s’y consoler de ses peines, mais cette fois ci, il doutait que son pouvoir puisse l’aider… sa famille appartenait à cette terre depuis des siècles, et avant d’être des magiciens, ils avaient été druides, et cela faisait qu’il était proche de la nature et de ses cycles.

- Je n’ai que 23 ans, et pourtant, n’ai qu’un seul souhait : mourir. L’amour ne triomphe pas de tout…

Des étincelles apparurent au centre des pierres, il se leva prestement, surpris et s’approcha. La pierre de l’Ouest où il était assis affichait un H argenté en écriture runique, celle du Nord un E, celle de l’Est un N et la dernière du Sud un B. Il les lut les unes après les autres.

- Hagalaz, le noyau, Eihwaz, la mort, Naudhiz, la détresse et Berkanno, la renaissance…

Un 5ème signe se dessina alors au milieu du cercle imprimé d’un U.

- Uruz, le réceptacle...

La terre s’ouvrit à ses pieds et laissa apparaître des marches de granit s’enfonçant sous terre. Son cœur cognait dans sa poitrine quand il emprunta les escaliers et pénétra dans les ténèbres. Il marcha dans un couloir creusé dans la roche vers une lumière et déboucha sur une pièce circulaire éclairée par des torches. Autour d’une épaisse table de chêne ronde représentant le Triskell, se tenaient assis 5 personnages vêtus de blanc, il ne pouvait voir leurs visages, ceux-ci étant cachés par leurs capuches. Il frissonna quand l’un d’eux prit la parole en se levant, ils se décoiffèrent tous d’un même mouvement.

- Sois le bienvenu Tancrède, nous t’attendions.

La stupéfaction le rendit muet, il y avait 3 hommes et 2 femmes, sans âge, qu’il ne reconnu pas mais qu’il pressentait comme étant de sa famille, en effet, ils étaient tous comme lui, blonds aux yeux bleus. Que lui voulaient-ils ? Il essaya tant bien que mal de se ressaisir.

- Bon-bonjour, bégaya-t-il.

Tous lui sourirent amicalement, ce qui le détendit un peu. L’homme reprit.

- Tancrède, sais-tu pourquoi tu es parmi nous aujourd’hui ?

- Non, souffla-t-il.

- En es-tu sûr ? Ne s’est-il rien passé dans ta vie dernièrement ?

- Je… si, j’ai vu la prophétie qui annonce ma mort, murmura-t-il.

- Et qu’as-tu éprouvé ? Continua une des 2 femmes.

- Je… cela m’a surpris.

- Surpris ? C’est tout ? Reprit la femme.

Il la regarda.

- Oui, je ne pensais pas mourir si jeune… ajouta-t-il amer.

- N’y a-t-il rien d’autre ? Insista-t-elle à nouveau.

- Si, j’ai également vu celui que j’aime heureux avec une très belle jeune femme et dansant sur mon cadavre !

Il avait presque crié, et ses paroles résonnèrent et rebondirent sur les murs.

- Pardon, je suis désolé…

- Ne le soit pas, dit un 3ème personnage, nous comprenons ta détresse et c’est pourquoi tu es ici, nous pouvons t’aider.

- Vous voulez m’aider ? Mais comment ?

- Avant toute chose, nous devons vérifier une chose.

Une psyché en argent apparut à sa droite.

- Tourne-toi face au miroir et décrit nous ce que tu vois.

Il obtempéra.

- Je me vois habillé d’une étrange façon, dans ce qui semble être un œil, avec un dragon blanc aux ailes déployées derrière moi…

Il se retourna, mais ne vit pas la créature mythique dans la pièce...

- Merci, ce que tu viens de nous dire nous confirme que ton âme et ton corps son purs, ce qui est nécessaire si tu acceptes ce que nous allons te proposer.

Il rougit jusqu’à la racine des cheveux, horriblement gêné.

- De quoi as-tu honte ? De ta virginité ? Tu ne devrais pas, c’est un bienfait. Approuva la 2ème femme.

Un deuxième miroir se matérialisa à sa gauche.

- Si tu te mires à l’intérieur, tu découvriras la solution que nous t’offrons, si elle ne te sied pas, tu te retrouveras dehors tel que tu es et tu n’auras pas de souvenir de notre rencontre. Réfléchi bien avant de prendre ta décision.

Elle lui fit un sourire d’encouragement, et il se tourna lentement vers ce qui pouvait changer sa vie. Il écarquilla les yeux et faillit tomber à la renverse sous le choc. C’était donc ça leur solution !

- Mais, ce n’est pas possible ! Comment… je… non…

Il n’arrivait pas à détacher ses yeux de « son » reflet, il secouait la tête de droite à gauche incapable d’aligner 3 mots de manière cohérente.

- Qu’est ce qui te choque autant ? demanda la femme.

- Mais, c’est une plaisanterie, vous vous fichez de moi ? JE NE SUIS PAS UNE FEMME !

Il tremblait de tous ses membres, et regarda à nouveau la jeune fille qui se trouvait à sa place dans le miroir, elle ressemblait étrangement à celle de la prophétie, à part pour les vêtements… beaucoup plus sexy dans cette version là…

La femme le fixait d’un air atterré.

- En quoi est-ce un problème d’être une femme ? Dit-elle d’une façon peu aimable.

- Je… ce n’est pas ce que j’ai voulu dire… mais je ne peux pas être une femme !

- Et pourquoi ça ? S’enquit le 3ème homme.

Tancrède ouvrit encore plus grand les yeux.

- Vous voulez dire que vous pouvez vraiment me transformer en elle ?

- C’est ce que nous nous évertuons à te faire comprendre… ton ami n’est pas attiré par toi en tant qu’homme, mais si tu quittes cette apparence pour prendre celle que nous t’offrons, ce sera peut-être différent, si tu le veux toujours.

- En fait ce n’est pas véritablement une transformation, précisa la femme, nous ne faisons que te donner l’apparence que tu aurais eu si tu étais né femme, ce n’est rien d’autre qu’une renaissance, d’où la nécessité d’être vierge…

Elle lui fit un clin d’œil et continua.

- …mais attention, cela ne peut se produire qu’une seule et unique fois et c’est irréversible.

Il observa mieux son image et effectivement, elle lui ressemblait énormément : la blondeur, les yeux, le nez et même la forme de sa bouche, en plus pulpeux... Il sourit intérieurement, il était canon en fille !

- Admettons que j’accepte, finit-il par lâcher, comment vais-je expliquer ça au reste du monde ?

Ils lui sourirent amusés, et cela le vexa un peu.

- Je te croyais plus intelligent, s’impatienta la femme, si tu choisis cette option, ce sera comme si toi, sous ta forme actuelle, n’avais jamais existé, personne ne le saura jamais, excepté tes parents, ton fiancé et toi bien sur, en tout cas au début, car vous finirez par oublier assez rapidement et c’est mieux ainsi.

- Pourquoi eux ?

- Tes parents parce que ce sont eux qui t’ont donné la vie et cet évènement ne peut se produire qu’une seule fois pour eux ; et ton ami, car tu as planté une graine en lui et qu’il est impossible d’effacer ça.

- J’ai fait quoi ?

Elle leva les yeux au ciel et soupira.

- Mon pauvre garçon tu n’es pas bien vif… c’est une façon de parler !

- Eh ! J’avais compris, je ne suis pas complètement idiot. C’est juste que je ne sais pas comment j’ai fait…

Qu’est ce qu’il avait bien pu faire ? Il ne se rappelait pas… une graine… métaphorique ? Ils avaient parlé, il l’avait embrassé (ce souvenir le fit rosir), mis à part le maelstrom de sensations qui l’avait emporté, il ne se souvenait de rien, puis ils s’étaient dévoilés leurs âmes, à ce moment là ? Non ils ne pouvaient pas interagir l’un sur l’autre de cette façon, alors quand ? Avant ?

- Juste un indice, s’il vous plait, c’était inconscient, n’est-ce-pas ? Ca a rapport avec la magie ?

- Tu ne crois tout de même pas que nous allons tout t’expliquer, si ? Tu devrais être capable de trouver la réponse seul.

Elle le toisa d’un air narquois.

Elle en avait de bonne ! Il était stressé, son cœur battait la chamade, mais s’ils avaient raison ? Si la seule chance qu’il avait d’atteindre le cœur d’Archibald était d’être une femme ? Qu’est ce que cela pouvait bien changer pour lui après tout, ne songeait-il pas à mourir quelques heures avant ? Il se rappela l’hologramme, ils avaient l’air follement amoureux tous les deux… et n’était ce pas la plus belle preuve d’amour qu’il pouvait lui faire ? Cette option était une évidence.

- J’accepte, déclara-t-il soudain d’une voix ferme.

- A la bonne heure ! S’écrièrent-ils en chœur.

Il senti un déplacement d’air derrière lui et un souffle puissant ébouriffa ses cheveux. Il se retourna et cette fois ci, le majestueux dragon blanc était à ses côtés. Son cœur manqua un battement et il pâli.

- N’ai pas peur, cette dragonne, qui est ton alter ego féminin, va simplement effectuer l’opération en échangeant sa féminité contre ta masculinité. Ferme les yeux et détend toi, cela ne te fera aucun mal…

Il obéit. Une onde fraiche comme la bise du Nord l’envahit et s’évaporera lentement, il flottait à présent dans un liquide tiède comme l’eau d’une mer des tropiques où il pouvait respirer normalement, puis il eu l’impression de se recroqueviller pour se déployer à nouveau, et il rouvrit les yeux.

Il se sentait léger, il baissa le regard qui se posa sur sa poitrine ferme et galbée, ça lui fit drôle, il regarda ses mains, elles étaient fines et douces. Bon et bien voilà, il était une femme, ça n’était pas si terrible en fait, au contraire, il avait la curieuse sensation d’être enfin lui-même, enfin elle-même ! Durant toutes ces années, il ne s’était jamais senti aussi bien dans son corps en version homme et réalisa avec une amertume rétroactive ce qu’il avait pressenti confusément, que c’est la nature qui s’était trompée au départ et que grâce à ces 5 étranges personnages, l’erreur était enfin rectifiée.

Elle éclata de rire, rayonnante et fit face à ces aïeux.

- Merci, grâce à vous je suis ce que j’aurais toujours dû être, je ne suis plus accablée, vous m’avez redonné l’espoir, je vous en serais éternellement reconnaissante !

Ils s’approchèrent et lui donnèrent l’accolade chacun à leur tour et reprirent leurs places. Celui qui l’avait accueilli prit à nouveau la parole.

- Tancrède est mort. Aujourd’hui nous te rebaptisons Morgiane ! Va et sois heureuse.

 
 
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