- Miku, tu viens ?

L’intéressée observa le groupe de jeunes hommes qui les avaient abordés, Yuzu, Akané et elle alors qu’elles allaient au karaoké. C’était toujours la même chose et en général, ça ne la dérangeait pas. Elle flirtait gentiment avec un inconnu avant de quitter furtivement la partie quand on proposait de finir la soirée ailleurs et séparés.

C’était toujours la même chose et aujourd’hui, elle en avait marre.

- Non, je rentre, répondit-elle en se détournant. On se voit lundi.

- Miku, attends, commença Akané, embarrassée.

Elle prit son amie par le bras et s’éloigna de quelques pas pour lui parler.

- Qu’est-ce qui te prend tout à coup, s’énerva-t-elle à voix basse. Y’en a un qui va se retrouver en plan, là.

- Maintenant ou après, qu’est-ce que ça change, répliqua Miku en se dégageant. A plus.

Un des garçons s’approcha ; le brun et le plus mignon d’entre eux. Mais aussi le plus dangereux, Miku le devinait rien qu’à sa manière de la reluquer sans retenue.

- Tu ne viens pas boire un verre ? C’est moi qui l’offre.

- Non, merci, répondit-elle d’une voix atone en s’immobilisant, à demi tournée.

Ce qui l’effrayait le plus, c’était cette impression de le connaître. Qui sait ? Peut-être qu’elle l’avait déjà rencontré et planté un jour et qu’il était simplement venu se venger ? Il la mettait réellement mal-à-l’aise. Quelque chose clochait chez lui.

- Aller, Miku, pleurnicha Yuzu. Juste un verre…

Miku regarda ses amies qui la suppliaient du regard, les deux garçons postés derrière elles et enfin, le brun aux yeux vert de serpent. Prendre un verre ne l’engageait à rien, même si l’insistance avec laquelle le brun l’avait invité était plus que suspecte.

- A une seule condition, déclara-t-elle en le regardant droit dans les yeux.

Elle ne pouvait pas laisser Yuzu et Akané seules. C’était trop risqué.

- Laquelle, demanda-t-il calmement.

Il avait très bien compris qu’elle s’adressait à lui. Tant mieux car elle ne se répéterait pas.

- Vos noms, les garçons, lança-t-elle en souriant. Sinon, on ne pourra pas aller loin.

Il lui rendit son sourire, maîtrisé et commercial.

- Nagi, dit le blond décoloré.

- Takeshi, déclara le roux aux yeux noisette.

Presque le même prénom que son propre père. Miku posa ensuite son regard sur le brun et patienta.

- Hyo. Et d’après ce que j’ai compris, tu es Miku.

Elle hocha la tête. Il était plus vieux qu’elle. La vingtaine passée à en juger par son comportement et sa physionomie.

Akané et Yuzu se présentèrent à leur tour et entreprirent sans plus tarder leur phase séduction. Miku resta à l’arrière en compagnie de Hyo. Elle n’avait aucune envie de jouer les aguicheuses aujourd’hui.

D’une part, parce qu’elle en avait marre de n’être qu’un jouet aux yeux des mecs, raison pour laquelle elle les plantait systématiquement. Et d’autre part, parce que le mec en question avait l’air plutôt coriace et qu’il ne la laisserait pas filer si facilement. Surtout, si elle lui avait déjà fait le coup.

- Vous venez souvent ici ?

Miku sursauta et se tourna vers Hyo. A présent, il semblait plus détendu, presque amical. Mais la jeune fille resta sur ses gardes.

- A peu près toutes les deux semaines, répondit-elle évasivement. Ça dépend. Et vous ?

- Ça devait bien faire trois mois que je n’y avais pas mis les pieds, répondit-t-il. Sauf pour le boulot.

- Tu fais quoi ?

- Ben… Je jouais dans un groupe à la fac mais comme je viens de recevoir mon diplôme, j’ai arrêté…

- Pourquoi ? Ça ne marchait pas ?

Pour une fois, elle était vraiment curieuse. Qui sait ? Peut-être était-ce lors d’un concert qu’elle l’avait aperçu ? Ce qui expliquerait cette impression de déjà-vu.

Elle le regarda discrètement du coin de l’œil et son expression vague et distante la surprit. Il semblait si triste, tellement nostalgique.

- Pour tout t’avouer, on s'en sortait plutôt bien, déclara-t-il. Une maison de disques avait même proposé de nous sponsoriser. Mais on a refusé.

- Vous ne vous sentiez pas prêts à entrer dans le monde des idoles, demanda doucement la jeune fille sans oser le regarder.

Elle avait peur qu’il ne s’interrompe ses explications. Après tout, elle lui était inconnue. Alors, il n’avait aucune raison de lui raconter sa vie en long, en large et en travers.

- Il y avait de ça mais pas que, répondit-il d’un air songeur. Il nous manquait quelque chose pour que notre carrière soit durable, qu’elle marche vraiment.

Cette fois-ci, Miku se tourna vers lui, attentive. Hyo paraissait tourmenté voire agacé.

- Et tu as trouvé ce que c’était, demanda-t-elle timidement.

Il baissa les yeux sur elle et eut un sourire en coin. Sa sollicitude la touchait vraiment mais le surprenait aussi beaucoup. Aucune des filles qu’il avait abordé jusqu’à maintenant ne l’avait interrogé comme cela. Enfin. En général, ils n’avaient pas ce genre de discussion. Hyo se fichait bien de la fille à proprement parler. Ce qui comptait, c’était sa carrière musicale. Sinon, elles devenaient trop collantes. Mais Miku ne l’était pas. Elle ne l’écoutait pas pour faire la lèche-bottes mais parce que ça l’intéressait.

Réalisant que sa réponse tardait à venir et qu’il l’avait fixé trop longtemps, il se détourna et s’éclaircit la gorge.

- Oui et c’est pour ça que je fais une pause.

- J’espère que tu t’y remettras vite, déclara Miku en observant les devantures des magasins. J’aimerai bien t’entendre chanter.

Hyo tressaillit. Se moquait-elle de lui ?

- Je ne crois pas avoir mentionné mon rôle dans le groupe, glissa-t-il d’une voix sourde.

Miku ne se démonta pas. Elle ne semblait même pas avoir compris les sous-entendus qu’il avait presque explicitement glissés dans sa phrase.

- Pour moi, ça va de soit. Tu es chanteur et parolier du groupe.

Elle l’observa un moment en fronçant les sourcils, le jaugeant des pieds à la tête.

- Et je dirais même que tu joues d’un instrument, ajouta-t-elle. Guitare ? Basse ?

- Guitare, répondit-il dans un souffle, surpris par sa perspicacité.

Car, il ne doutait plus d’elle et qu’elle ait abordé le sujet sans en connaître la finalité. Elle était spontanée et extralucide, voilà tout.

Il sourit et fit signe au groupe d’entrée dans un bar plutôt propre et pas trop mal fréquenté. Ils s’installèrent, garçons d’un côté et filles de l’autre.

D'après ce que Miku pouvait voir, Akané et Yuzu s'entendaient plutôt bien avec leur compagnon.

Nagi était plutôt du genre farceur et souriant et Akané riait aux éclats, essuyant ses yeux noisette du mieux qu'elle pouvait pour ne pas étaler son maquillage. Elle ressemblait à une geisha avec ses longs cheveux de jais et sa peau blanche comme le lait. Elle était dotée de la grâce des plus belles danseuses et d’une bonté légendaire, ce qui en faisait une proie facile.

Yuzu était plutôt réservée et parlait avec Takeshi à voix basse, penchée sur la table. La jeune fille avait les cheveux couleur miel et de grands yeux de biches à couper le souffle. Elle savait se servir de ses atouts à la perfection mais préférait encore utiliser sa tête. Tout le contraire d’Akané en somme, sauf pour ce qui était de séduire. Se sentir aimée. Elles adoraient ça.

Miku sourit et scruta la salle. Hyo était au comptoir et discutait avec un barman ou le gérant. Il était plutôt jeune, 25 ans tout au plus et souriait comme un gamin. Hyo et lui semblaient bons amis.

Le brun se retourna et vit son regard insistant. Il lui fit signe de venir, un sourire amusé aux lèvres en la voyant rougir. Posant sa main sur son épaule, il la poussa devant lui et fit les présentations sans plus attendre :

- Miku, voici Masamuné, le batteur du groupe. Masamuné, Miku.

- Enchantée, balbutia-t-elle.

- Alors, tu t’intéresses au groupe, demanda Masamuné sans se départir de son sourire.

- Hyo m’a dit que vous faisiez une pause, répondit-elle. J’espère qu’elle sera bénéfique.

- Moi aussi. Mais pour le moment, dis-moi plutôt ce que tu veux boire. C’est la maison qui offre.

Miku l’observa un moment puis sourit, reconnaissante. Elle se choisit un cocktail sans alcool et s’assit  au comptoir après que Hyo lui ait galamment tiré une chaise.

- Je vais prévenir les autres qu’on est ici, lança-t-il en s’éloignant.

Miku hocha la tête et ne put s’empêcher de sourire. Hyo se la jouait dur mais finalement, il était très sympathique. Elle se retourna et observa Masamuné manipuler le checker. Il était très habile, le faisant voler pour le rattraper du bout des doigts. Quand il finit son numéro, elle applaudit, enthousiaste.

Il versa le mélange dans un verre dont les bords étaient garnis de sucre coloré et lui servit. Elle le remercia de son plus beau sourire et sirota avec délice son cocktail.

Hyo revint et s’accouda au comptoir. Discrètement, Miku jeta un coup d’œil par-dessus son épaule et vit ses deux amies l’encourager. Nagi et Takeshi prenaient leur aise et cela ne semblait pas déranger les deux jeunes filles…

Miku leur sourit en réponse et se tourna vers son cavalier qui l’observait en souriant, la tête reposant paresseusement sur ses paumes ouvertes. Elle lui sourit et sirota son cocktail. Comparé à son comportement dans la rue, il était étrangement serein.

- Du coup, vu que tu as mis ta carrière entre parenthèses, tu te lances dans quoi, demanda-t-elle en reposant sa boisson.

Il ne répondit pas immédiatement. La fixant toujours, il prit son verre et le porta à ses lèvres. La jeune fille retint son souffle en remarquant qu’il buvait dans son verre.

- Tout d’abord, tu es au lycée, non ?

Miku ne comprit pas le rapport mais répondit de bonne grâce.

- Oui, au lycée Ouran.

Il eut un sourire en coin et fit un clin d’œil à Masamuné qui les observait de l’autre bout du comptoir.

- Quelle section ?

- Littéraire, répondit-elle du tac au tac, de plus en plus perdue.

Masamuné éclata de rire. Miku fit volte-face et l’observa. Il sortit de derrière le bar et vint poser une main sur son épaule.

- Vous risquez de vous voir très prochainement, alors, déclara-t-il, hilare.

La jeune fille resta hébétée un moment puis les dévisagea à tour de rôle, Hyo qui souriait de toutes ses dents, visiblement amusé par la situation et Masamuné qui se retenait difficilement d’éclater de rire.

- Tu veux dire que… tu travailleras à Ouran, bredouilla-t-elle.

- Tout juste, répliqua le brun en la fixant longuement de ses yeux émeraude. Je suis le nouveau professeur de littérature étrangère et professeur titulaire de l’unique classe de 2de année littéraire.