Un court texte écrit en août-septembre 2012, avec pour inspiration un roman d'Arnaud Cathrine, La disparition de Richard Taylor.
Merci à C. pour sa lecture et ses commentaires.
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C’était le soir d’Halloween, et quand j’ai entendu la sonnette, j’ai d’abord cru qu’un groupe d’enfants avaient bravé la pluie torrentielle pour sacrifier à la tradition - et à l’appel des friandises.
Pas de groupe ni d’enfants devant chez moi, cependant, mais un homme dont les habits trempés collaient presque à la peau. Une mèche de ses cheveux gouttait littéralement sur son nez, et j’ai observé ce détail un instant. Ça lui donnait un air de chien de dessin animé.
- Vous voulez des bonbons ?, j’ai stupidement lancé parce que Monsieur le chien piteux ne se décidait pas à parler.
Il a souri à ma plaisanterie et j’en ai stupidement conçu une grande sympathie pour cet inconnu. Il y avait cette coupe, aussi.
- Je ne voudrais pas refuser, mais à vrai dire…
Il a eu une hésitation.
- Je ne veux pas trop en demander, mais serait-il possible de les déguster à l’intérieur, ces bonbons ?
Je me suis rendue compte à ce moment-là que pendant tout ce temps où le porche m’en avait protégée, l’homme était sous la pluie, et je l’ai invité à entrer.
oOo
Je n’ai pas l’habitude d’accueillir chez moi des inconnus. Mais il pleuvait vraiment fort ce jour-là, il avait trouvé mon humour amusant, et il avait l’air attendrissant d’un basset malheureux.
Je crois que cette soirée passée avec lui, une tasse de thé à la main et un bol de friandises au centre de la table basse - il fallait bien - était la plus sympathique que je passais depuis un certain temps. Il n’y a pas à dire, ma vielle télé, malgré mon affection pour elle, est bien moins intéressante allumée, et trop peu expressive éteinte.
oOo
Sa grand-tante préparait elle-même les caramels qu’elle offrait le soir d’Halloween. Des caramels délicieux, dont il raffolait, malgré un aspect très peu appétissant. Ce qui entraînait, chaque 31 octobre, son désespoir et sa rage impuissante de savoir que sa grand-tante distribuait - dilapidait - des montagnes de ces caramels que lui aimait tant, pour des tas d’enfants qui les jetteraient sans y avoir goûté. Et il tombait toujours une pluie diluvienne à 21 heures.
oOo
Il a sursauté en regardant sa montre, s’est excusé de manière précipitée et confuse d’être resté aussi longtemps, a récupéré ses vêtements dorénavant secs sur le radiateur et s’est dirigé vers la salle de bain que je lui avais indiquée plus tôt pour qu’il puisse retirer ses habits trempés et enfiler un peignoir - je ne possède pas de vêtements masculins.
Au moment où il s’apprêtait à repartir, à coups de remerciements hésitants, le bruit de la pluie contre les vitres s’est comme réanimé à mes oreilles, alors je lui ai demandé s’il voulait appeller un taxi.
- Non.
J’ai attendu une explication qui n’est pas venue, mais enfin quand on annonce qu’n ne va pas prendre une voiture sous une pluie pareille il y a bien une raison, une cause qu’on puisse décliner, je pense.
- Vous serez trempé avant d’avoir atteint l’arrêt de bus.
- Je ne compte pas prendre les transports.
Au moment où j’allais m’insurger contre cette idée loufoque, je me suis rendue compte que je ne savais pas où il allait.
- Vous avez rendez-vous chez l’une de mes voisines ?
Il a ri, d’un rire chaud et sympathique.
- Au revoir, Laura, a-t-il dit avant de fermer sur lui la porte.
oOo
Quelques semaines plus tard, j’ai reçu un colis. Il contenait des caramels bruns enveloppés dans du film transparent. Un mot les accompagnait :
« Les miens ne sont ni aussi bons ni aussi laids que ceux de la tante Baba, mais pour une fois que je confiais cette histoire de caramels… »
Il n’y avait pas d’adresse d’expéditeur. Le carton avait été envoyé de New York, soit à plus d’une centaine de kilomètres.
J’ai mis un mois et une semaine à manger les caramels. Un demi par jour, à l’heure du thé. |