Que dire sur ce chapitre si ce n'est que j'ai adoré l'écrire ? J'espère juste que la partie explications ne sera pas trop longue, c'est peut-être ma grosse frayeur ^^'
Bref, bonne lecture !
Chapitre 2 - Découverte(s)
Les cinq Conseillers la surplombaient du haut de l'estrade où ils avaient pris place, confortablement installés dans leurs... fauteuils ? Trônes ? Trônes. Ca devait être ça. Jolis meubles. Aleya lui avait rapidement expliqué que chaque siège était flanqué du blason de chaque famille régente – et, de fait, de chacune des cinq régions de Santhieen. Compliqué, tout ça. Elle sentait le mal de crâne poindre doucement juste entre ses deux yeux. Et Dieu qu'elle était fatiguée ! Lys ferma un instant les paupières, se redressa un peu plus sur la chaise en bois dur où elle avait été installée, puis se décida à faire le tour des Conseillers. Les présentations avaient été brèves, mais elle avait retenu l'essentiel.
Tout au bout, à gauche, on pouvait trouver Souhina Locourbe. Jolie quadragénaire aux cheveux roux très raides et aux yeux noisette, elle avait le nez pointu et la lèvre supérieure un peu trop pleine par rapport à sa lèvre inférieure. Très mince, très grande aussi, elle avait l'air quelque peu hautaine. Pas du genre aimable. Ensuite venait Canelac Sombrage. Cheveux et barbe grisonnants, yeux d'un bleu trop pâle qui faisaient froid dans le dos, une apparence austère qui était démentie par un sourire aimable sous un nez busqué qui donnait l'impression d'avoir été cassé deux fois. Au moins. Il avait les mains noueuses et devait marcher avec une canne. Au moins soixante-dix ans. Peut-être même plus.
Leos Clairetour ensuite. La peau burinée, les yeux gris et les cheveux châtain coupés à ras, il avait une stature impressionnante qui lui rappelait celle de son père. Pas vraiment du genre bavard, mais rien ne semblait vraiment échapper à son attention et il parlait d'une voix profonde qui imposait un certain respect. Il devait avoir autour de quarante ans, comme Souhina. Après quoi on découvrait Dorvan Cavenoir, le père d'Aleya. Grand, nerveux, les yeux tout aussi noirs que sa peau, il semblait du genre colérique et ne se retenait qu'à grand peine, apparemment. Il avait des mains aussi larges que des battoirs.
Mais la plus grosse surprise restait en la personne de Shar Nodeyrn. La petite vingtaine, il était le plus jeune membre du Conseil et arborait constamment un grand sourire joyeux qui tranchait sur sa face basanée. Les cheveux sombres coupés dans un style qui aurait sans doute fait fureur sur Terre, il avait des yeux assez étranges. On ne savait jamais s'ils étaient bleus ou lilas. Quoi qu'il en était, ils étaient très clairs. Et ils ne la quittaient absolument pas. Lys se sentit frissonner violemment sous le poids de ce regard un peu trop curieux.
« Bien ! lança Canelac, attirant sur lui l'attention de la jeune femme. Commençons la Séance Exceptionnelle. »
On sentait les majuscules frémir dans sa voix. Il semblait qu'en sa qualité de doyen du conseil, le vieux Sombrage présidait les séances du Conseil.
« Déclinez nom, âge, date et lieu de naissance.
-Euh... Lys Dubré. Vingt-trois ans. Née à Bordeaux, France, le trente novembre 1989.
-Qu'est-ce que ça donne en date oranienne ? questionna Souhina en fronçant les sourcils.
-L'année, c'est sans aucun doute 741 mais pour le mois... répondit Canelac en se frottant machinalement la barbe. Quel mois de l'année, avez-vous dit ?
-Novembre... Le onzième, quoi.
-Ah, onzième... Ca nous fait le trentième jour de Cassur... le renouveau... Rien que votre date de naissance est un joli présage...
-Bien. Scribe, tout est noté ? »
Lys n'avait pas remarqué le petit homme chauve qui écrivait frénétiquement dans un coin de la salle. Elle était trop occupée à assimiler les nouvelles informations qu'elle venait d'entendre. Parce qu'en plus, ils avaient un découpage du temps différent de celui de la Terre ? Son apprentissage risquait d'être difficile...
Le fil de ses pensées s'interrompit net. Depuis quand avait-elle décidé qu'elle resterait dans ce monde de dingues ? En même temps... Elle ne savait absolument pas comment rentrer à Bordeaux. Elle était obligée de rester, pour le moment du moins. Et puisqu'elle était obligée de rester, il valait mieux qu'elle apprenne comment vivre dans ce nouveau monde... Elle soupira, finit par relever un œil curieux vers le doyen qui n'avait pas cessé de se caresser la barbe tout en l'observant.
« Depuis quand vos cheveux sont-ils blancs ? »
La question la prit un peu au dépourvu. Pourquoi ça l'intéressait tant ? Elle haussa un sourcil curieux, mais finit par répondre.
« Ils ont commencé à blanchir quand je devais avoir dix-sept ans, peut-être. Mais ça ne fait que trois ans qu'ils sont totalement blancs. Je ne sais pas pourquoi, d'ailleurs.
-Dites-moi... Un de vos aïeuls serait-il décédé l'année de vos dix-sept ans ? »
Lys pinça les lèvres. Maintenant qu'elle y repensait, c'était vrai que son grand-père maternel était décédé le jour où elle avait découvert son premier cheveu blanc. Elle hocha la tête en guise de réponse et le vieil homme lui renvoya un sourire indulgent.
« Les cheveux blancs sont le signe... disons... le plus visible de l'héritage des Veilleurs, expliqua-t-il tranquillement. Le jour où le Veilleur précédent décède, l'héritage magique se réveille chez son descendant qui présente le plus grand... potentiel. Le premier cheveu blanc marque l'activation de cet héritage et, le jour ou la pilosité du nouveau Veilleur devient totalement blanche, ça veut dire que la Magie est pleinement réveillée en lui. Ou en elle, dans votre cas. »
C'était bien beau tout ça, mais Lys avait du mal à suivre et ça devait se voir sur son visage puisque le doyen lâcha un long soupir. Elle s'imaginait tout à fait avec un air bovin sur la face. L'image mentale lui arracha un gloussement nerveux, bien vite interrompu par le raclement de gorge de Dorvan Cavenoir.
« Nous n'avons pas le temps de bavasser. Autant vérifier tout de suite si elle est la Veilleuse, une tignasse de cheveux blancs ne suffit pas. »
Et, sous les yeux médusés de la jeune femme, il fit naître une fichue boule de feu au creux de sa paume. De la magie. De la putain de magie. Ce n'était pas censé exister, la magie ! Ca n'apparaissait que dans les livres ! Et encore, dans Harry Potter, ils devaient avoir une baguette magique !
« Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? »
Personne ne daigna lui répondre et sa voix s'étrangla soudain quand les yeux sombres du Conseiller se braquèrent sur elle. Elle n'eut pas le temps de fuir. Elle n'eut que le temps de pousser un couinement digne d'une souris en plastique, couinement qui se transforma en hurlement quand il lui balança la damnée boule de feu en pleine figure. Elle leva les bras à hauteur de visage, ferma les yeux...
Et en rouvrit un quand elle constata que non, elle n'était pas en train de cramer sur place. Les flammes flottaient à quelques centimètres à peine de sa peau, sans dégager la moindre chaleur, du moins lui semblait-il. Elles restèrent là quelques secondes avant de disparaître, purement et simplement. Comme si tout ça n'avait jamais existé.
« Nous avons donc notre preuve. »
Et il disait ça avec tout le calme du monde, le taré !
« Vous êtes malade ? brailla Lys en passant toute sa trouille dans la fureur qui montait peu à peu dans son ventre. Vous avez voulu me faire cramer !
-La Magie élémentaire ne peut rien contre les Veilleurs, exposa calmement Dorvan en se rasseyant. Mon feu vous a reconnue comme porteuse du don de Veille, il s'est dont éteint sans vous toucher.
-Et si votre putain de feu à la con m'avait pas reconnue, hein ? Si j'avais pas été votre Veilleuse ?
-Vous seriez morte. »
Toujours ce calme imperturbable. Un calme qui fit l'effet d'une douche froide à la jeune femme. Elle se leva brutalement, renversant sa chaise dans le mouvement.
« Monde de timbrés. Je me casse. Faut que je me casse d'ici ! »
Personne ne chercha à la retenir.
***
« Ah... Je comprends mieux. Mon père est un peu extrême, parfois. »
Aleya eut un petit sourire d'excuse pour Lys qui ruminait sa colère, toute recroquevillée dans son fauteuil, les mains serrées autour d'une tasse d'infusion de grande-sapre parfumée à la menthe. Elle s'était toutefois calmée, la tête blanche, nettement calmée. Dieux merci, cette infusion était un vrai petit miracle contre les crises de nerfs.
La santhoise avait attendu la Veilleuse à l'extérieur du Dôme pendant son entrevue avec le Conseil. Autant dire qu'elle avait été surprise de la trouver dans un tel état de fureur... Et surtout, seule. Aussi, malgré ses protestations et ses jurons, elle l'avait entraînée vers la chambre qu'elle occupait. Les hautes fenêtres à ogives laissaient voir la mer. La mer, la mer et rien que la mer. Fort Sarangues étant une construction carrée bâtie sur une bizarrerie rocheuse plantée dans l'océan, à un peu moins d'un kilomètre des falaises, et reliée à la ville proprement dite uniquement par un pont de grès et de briques, trois de ses côtés donnaient sur la mer, tandis que le quatrième s'ouvrait sur le Pont Rouge.
Bref, Aleya avait entraîné Lys de gré ou de force vers sa chambre une heure auparavant, lui avait collé une tasse de grande-sapre dans les mains, et elle l'avait écoutée déblatérer contre son père. Elle avait fini par décortiquer ce qui s'était passé sous le Dôme et elle comprenait mieux l'accès de fureur meurtrière qui l'avait prise. Elle mit de côté son envie de rire et poussa un petit soupir.
« Il faut le comprendre, aussi, tenta-t-elle d'expliquer. Nous sommes en passe de perdre la guerre parce que la Magie disparaît et le Veilleur est la seule personne capable de la réactiver. Il n'avait pas envie de se faire des faux espoirs. Même s'il aurait pu trouver un autre moyen.
-Ouais. Mais... La Magie... Elle existe vraiment ? J'ai vu ton père faire mais... J'ai un peu de mal à accepter. »
Cette fois, la blonde se laissa aller à rire face à l'expression de petite fille qu'affichait Lys.
« Oui, elle existe. Enfin... Elle est en passe de disparaître.
-Tu m'expliques ? »
Aleya pinça les lèvres. Mais il fallait bien que quelqu'un explique le rôle de Veilleuse qui attendait la tête blanche, non ? Elle inspira profondément et entreprit de lui conter ce qu'elle avait appris dans les livres d'histoire et de Magie.
« La Magie santhoise se repose sur les quatre éléments... L'eau, le feu, la terre et l'air. Et ces quatre éléments sont représentés dans leur forme la plus pure et irrésistible par les Esprits élémentaires, ou les Esprits, plus simplement. Il y a l'esprit du feu, Bhasha, qui est un feu follet. Muse, l'esprit de l'eau, est une ondine. Coyairn, lui, est un sylvestre, c'est l'esprit de la terre... Et puis il y a Luàn, l'esprit de l'air, qui est une dragonne.
-Une dragonne ? s'étonna Lys en haussant un sourcil. Parce que quelqu'un a été vérifier si c'était un mâle ou une femelle ?
-Ce n'est pas vraiment le propos... Quoi qu'il en soit, la grande majorité du temps, ces esprits dorment quelque part en Santhieen. Le rôle du Veilleur, c'est d'aller les réveiller, une fois tous les vingt ans à peu près, pour éviter que la Magie ne s'éteigne. Les Esprits sont véritablement l'incarnation de la Magie... Je ne sais pas comment expliquer...
-Ouais, je vois ce que tu veux dire. Pas d'Esprits, pas de Magie. C'est ça ?
-En gros. Le problème, c'est que ça fait cent vingt ans que les Esprits n'ont pas été réveillés. Jusque là, comme tout dans le royaume est imprégné de Magie, ça ne s'est pas trop fait ressentir, mais elle commence à disparaître. Et si la Magie disparaît, on ne pourra plus se défendre contre les royaumes, empires, trucs et machins ennemis. »
Le silence s'installa dans la chambre, à peine brisé par le bruit que faisait Lys en gigotant sur son fauteuil pour trouver une position plus confortable. Elle commençait doucement à comprendre. Ce monde paraissait quand même franchement compliqué à ses yeux. Aleya ne serait pas de trop pour lui expliquer les us et coutumes du coin même si, d'après le peu qu'elle avait vu, le mode de vie s'approchait assez de celui qu'on connaissait au Moyen-Âge terrien. Même si elle n'avait pas vu le moindre tas d'ordures dans le coin. Le seul problème était cette histoire de don de Veille ou elle ne savait trop quoi.
« J'ai pas envie de faire ça, lâcha-t-elle soudain.
-Pardon ? »
Aleya la regardait d'un drôle d'air. Lys était étrange. Vraiment étrange. Lys qui poussa un soupir face à l'incompréhension de la blonde et déposa soigneusement sa tasse sur la petite table.
« Je... Bordel, je débarque à peine dans un monde magique complètement dingue et on s'attend à ce que je sauve le royaume ! Le problème c'est que je ne suis pas une héroïne, Aleya. Je suis juste... une fille normale, une bibliothécaire qui a abandonné ses études et qui aime un peu trop les bouquins, une fille qui a un frère et deux sœurs mais pas de vie sociale en dehors de ses collègues qui la considèrent seulement comme une nana complètement bizarre. Je ne suis pas une héroïne. Je peux pas faire ça. Je peux pas. C'est pas pour moi. »
Le silence s'intensifia pendant un moment, avant que la tête blanche ne pousse un soupir.
« Tout ce que je veux c'est rentrer chez moi. Revoir mes parents, mes sœurs, même mon chieur de petit frère qui vient d'avoir dix-neuf ans, c'est tout ce que je veux.
-Le problème c'est que... Techniquement, tu es originaire de Santhieen, souffla Aleya sur un ton quelque peu hésitant. Tu es... la descendante du Veilleur disparu. Ce qui fait de toi une Santhoise à part entière.
-Peut-être, convint la Terrienne. Mais je ne suis pas chez moi. Ce n'est pas l'endroit où j'ai grandi. »
Et encore ce silence qui mettait la blonde mal à l'aise. Elle gigota sur son siège, passa une main nerveuse dans ses cheveux frisés.
« Bon... Puisque je suis coincée ici, tu m'apprends ce que j'ai à savoir sur ce monde de dingues ? »
***
Lys s'étira longuement, poussa un bâillement sonore et repoussa finalement les couvertures qui lui avaient tenu chaud pendant la nuit. Elle avait mieux dormi cette nuit-là que durant toute sa vie entière, c'était étrange de le constater. Et ce en dépit de ce qui s'était passé durant la journée ! Certes, l'action du Conseiller Cavenoir trottait toujours dans son esprit, et elle ne risquait pas de lui pardonner de sitôt, mais elle avait aussi et surtout beaucoup appris grâce aux livres que lui avait refilé Aleya. La plupart étaient destinés aux jeunes enfants qui commençaient tout juste leur apprentissage de l'histoire, mais elle ne s'en était pas formalisée. Elle était un peu comme eux, après tout.
Elle avait ainsi appris qu'elle avait atterri sur le monde d'Orano, lequel était composé de sept grandes îles qui formaient des continents à elles toutes seules. Elle avait également appris qu'au début des temps, chaque île était le bastion d'un des sept royaumes humains ou elfique, mais qu'il n'en restait aujourd'hui plus que six, l'un d'entre eux ayant été détruit près de huit siècles auparavant. Le simple fait que les elfes existent en ce monde l'avait grandement étonnée et elle avait fini par dénicher un traité d'étude à leur sujet, lequel lui avait appris qu'ils ressemblaient beaucoup aux elfes des légendes terriennes, si ce n'était qu'ils n'avaient que leur longévité et leurs oreilles pointues comme signes particuliers. Ils n'étaient ni extraordinairement beaux, ni extraordinairement rapides, ni extraordinairement doués aux armes.
Les six royaumes encore existants, donc, étaient Santhieen, là où elle avait atterri. Si on prenait cette île comme point central, on trouvait le royaume de Liscredan tout de suite à l'ouest, l'empire de Lorior au nord, celui de Galerrina au nord-est, puis le royaume d'Arcande, loin au nord-ouest, au delà de la mer Dasard, et enfin le seul royaume elfique, Astirwën, au nord de l'empire de Galerinna. Elle avait arrêté sa lecture au chapitre concernant la destruction éclair du royaume de Dalcarine suite à l'invasion de l'empire de Lorior. Malgré son ventre qui criait famine, elle attrapa au vol le livre encore ouvert et se replongea dans l'histoire oranienne, poussée par sa curiosité dévorante.
« … L'empire de Lorior était alors dirigé par Mordric Evendar, sans doute le pire de tous les empereurs montés sur le trône lorois. Non content de mener une tyrannie terrible envers quiconque soulèverait la moindre question problématique sur sa façon de gérer son règne, exécutant parfois de simples roturiers qui avaient eu le malheur de proférer une critique à son encontre sur un ton trop peu discret, il se lança surtout dans une campagne sanglante contre le royaume de Dalcarine, qui constituait alors l'un des deux seuls royaumes elfiques d'Orano.
Si l'idée de conquête et de guerre court dans le sang des Lorois depuis toujours – les terres de l'empire ayant été repris aux mains des golems, peuple mythique semi-intelligent, par d'anciens esclaves d'Arcande en quête d'une terre vierge où s'établir –, ils ne se sont pourtant laissés aller à ce côté guerrier et sanglant que lors d'occasions bien définies et bien justifiées de leur part. La guerre menée contre les Dalcarhis, au contraire, n'avait aucun fondement valable autre que la folie d'un empereur enfermé dans ses délires de grandeur. L'armée loroise ne tarda pas à raser entièrement le royaume de Dalcarine dans une destruction éclair, tuant la quasi totalité de ses habitants et réduisant le peu de survivants en esclavage.
Cette guerre, bien vite nommée la Destructrice, marqua non seulement le déclin du peuple elfe mais aussi la fin de l'ère alors connue. Le Très Haut Conseil, qui réunissait les dirigeants de chaque royaume et empire existant tous les sept ans, condamna les actions de Mordric Evendar même si bon nombre de personnes constatèrent qu'ils l'avaient fait trop tard. Ils décidèrent également de commencer une nouvelle ère, ce qui remit le compte des ans à zéro, et enfin de créer une troupe d'action spéciale composée des plus grands combattants de chaque nation, afin de s'assurer que la Destructrice ne trouverait jamais d'écho. »
C'était quelque peu raté, pour ce dernier point. Si on en jugeait des actions des Lorois envers Santhieen, cette « troupe d'action spéciale » ne servait pas à grand-chose... Lys secoua la tête et abandonna son ouvrage sur son lit pour pouvoir se débarbouiller un coup. Il faudrait qu'elle trouve un bouquin consacré à l'empire de Lorior, tiens. Ce qu'elle avait lu les plaçait évidemment comme les grands méchants de l'histoire mais elle ne pouvait décemment pas juger un empire tout entier simplement sur les actes de certains de ses dirigeants. Ce serait se montrer aussi stupide que ce Mordric Evendar. Elle s'étira longuement, fit craquer ses épaules et son dos, sans prêter attention aux domestiques qui venaient d'entrer et qui s'affairaient déjà autour de son lit, qui pour le refaire, qui pour déposer un paquet de linge dessus. Un paquet qui lui fit hausser les épaules.
« Je vais quand même pas devoir mettre ça ?
-C'est mademoiselle la fille du Conseiller Cavenoir qui a insisté pour que vous vous vêtiez ainsi. J'exécute les ordres... Maintenant, si vous voulez bien, dénudez-vous. »
Elle n'eut pas le choix et, en un tour de main, elle se retrouva habillée d'une robe dans un tissu très léger, couleur vert mousse, passée sur une chemise et un jupon en lin blanc. Le tout tombait presque au sol mais était assez ample pour ne pas entraver ses mouvements. Mais c'était le simple fait de porter une robe qui l'embêtait. Elle n'avait pas l'habitude. Elle préférait les pantalons et les t-shirts, mais si ça pouvait faire plaisir à Aleya... Elle se tortilla un moment dans son corset qui la serrait un peu trop, grommela quelques injures envers la blonde alors qu'elle se laissait tomber sur une chaise pour picorer dans le saladier de fruits qu'on avait apporté pour son petit déjeuner.
« Nous pouvons vous apporter de la grande-sapre... Ou bien une autre infusion si vous le souhaitez.
-Non merci, ça ira. Le jus de fruits me convient parfaitement. »
La petite domestique semblait avoir autour de quinze ou seize ans, une jeunette donc, et se tordait nerveusement les mains, effrayée qu'elle était à l'idée de commettre une erreur. Lys lui rendit un sourire rassurant et repoussa son bol de raisin un peu plus loin sur la table.
« Bien, quel est le programme ? s'enquit-elle finalement.
-Et bien, la demoiselle Cavenoir souhaite que vous la retrouviez près du Dôme. Je crois qu'elle a prévu de vous faire découvrir la capitale, aujourd'hui, répondit la domestique en rosissant joliment.
-Très bien... Je vais donc y aller. Evitez juste de mettre la chambre sans dessus dessous ! »
S'étirant de nouveau, et jurant avec application contre le fichu corset qui lui donnait l'impression d'avoir le buste compressé dans un carcan, elle quitta sa chambre pour descendre tant bien que mal dans la cour intérieure de Fort Sarangues. Elle salua tranquillement les quelques personnes qu'elle croisa mais faillit bien se retrouver les quatre fers en l'air quand un vieil homme au visage silloné de rides et aux yeux chocolat intense lui tomba dessus.
« Par les quatre Esprits, c'était donc vrai. »
Il avait la voix rocailleuse, assez agréable, mais elle ne comprit pas pourquoi il vint la serrer contre lui à l'en étouffer.
Bon sang, mais que se passait-il encore dans ce monde de fous ?
***
Il faisait sombre dans la petite pièce dépouillée. Le peu de lumière venait d'une haute meurtrière très étroite et d'un bout de chandelle allumée sur l'écritoire. On pouvait entendre le bruit causé par l'agitation permanente dans la cour extérieure du Fort Sarangues. La silhouette s'agita, finit par s'asseoir devant l'écritoire avec un long soupir de vague agacement, puis sembla hésiter avant de s'emparer d'une plume et d'un bout de feuille pour se mettre à griffonner dessus.
« Ce que vous savez est revenu en Santhieen. Il est impératif qu'on le fasse disparaître pour de bon si vous voulez vous assurer une victoire totale et facile sur l'armée santhoise. Envoyez des assassins, ce que vous voulez, peu m'importe mais il faut qu'elle soit détruite avant que vous ne lanciez le dernier assaut contre le royaume.
Elle n'est pas difficile à reconnaître. Cheveux blancs, yeux vert pâle, plutôt petite. 25 ans au maximum. N'UTILISEZ PAS LA MAGIE CONTRE ELLE, elle en est immunisée de par son statut. »
La silhouette fouilla, sortit la cire à cacheter pour fermer soigneusement la missive. Et hésita encore un moment. Il fallait bien l'envoyer, cette lettre. Il n'y avait plus qu'à espérer que sa traîtrise ne soit pas révélée avant que Lorior n'ait entièrement la main mise sur Santhieen. Il y eut un nouveau soupir lourd de lassitude, puis le grincement des pieds de la chaise sur la pierre glacée du sol. La volière aux pigeons devait être vide à cette heure-ci, mais la silhouette préféra fouiller un moment dans la pièce pour ouvrir une cage. Il y eut un roucoulement. Le pigeon se frotta contre la main qui venait de le sortir de son coin d'ombre, se laissa bien sagement faire quand on vint accrocher le petit rouleau à sa patte gauche.
La meurtrière était assez large pour que l'oiseau puisse aller à l'extérieur. Il sautilla donc jusqu'au sol de sable et de gravier pour pouvoir prendre son envol sans lâcher le moindre cri, se laissant planer dans le ciel trop bleu jusqu'à ne plus être qu'un point quasiment invisible.
C'était fait. La missive arriverait entre les mains de l'impératrice d'ici une semaine, peut-être dix jours. C'était à elle de faire son choix, maintenant.
La bougie fut soufflée, la pénombre redevenant souveraine dans la petite pièce. La porte s'ouvrit, se referma presque aussitôt pour être ensuite verrouillée, le cliquetis de la clef se faisant entendre dans la serrure. Il y eut enfin des bruits de pas qui s'éloignaient et qui se turent bien vite, puis le silence reprit ses droits dans cette partie de la forteresse. |