Mercredi 27 Mars 2013, 5:26
Il est tôt. Tôt le matin, tard la nuit. Choisis. Je suis pas très sûr de vouloir savoir. En fait, je m'en tape. Ce n'est pas très important. Comme moi. Le contraire de toi. J'en sais trop rien. Je t'écris parce que le besoin s'en fait sentir, mais je ne sais pas quoi t'écrire. C'est un peu comme si tu appelais quelqu'un à qui tu n'as pas parlé depuis des lustres pour avoir des nouvelles mais que, tragiquement, tu n'as rien de plus à lui apprendre qu'il y a six mois. Parce que ta vie est douloureusement la même depuis.
Aucun putain de changement. Est-ce que j'ai envie, tu crois ? que ça change. Peut-être. Oui, je pense. C'est épuisant, d'être comme ça. Tu t'es jamais épuisé toi-même, toi, je suppose, pas vrai ? Monsieur est trop parfait pour être épuisant…
Même être ironique ou sarcastique me semble fade. J'aimais ça, avant, m'énerver sur toi, t'en foutre plein la gueule, même si t'en avais rien à cirer. Maintenant j'suis comme toi. Ça ne me fait ni chaud, ni froid. Ou peut-être froid. Très froid. Un bloc de glace qu'on m'aurait forcé à avaler. Entier.
Beauvoir dit que dans chaque larme s'attarde un espoir. Je pense que c'est vrai. Malgré ce que je t'ai dit dans mon dernier message, j'ai toujours pas fait le trait sur nous deux, le gros brouillon raturé que nous étions. J'ai l'impression d'être un mauvais auteur, penché au-dessus d'une feuille blanche avec son putain de stylo en main. Syndrome de la page blanche. Et un amoncèlement de boules de papiers froissés sous la table, sur la table, une corbeille qui dégorge et un auteur éploré. Peut-être que tout est de ma seule faute. De mon seul fait. Que je t'accuse en vain. Pour rien. Alors que je devrais me blâmer tout seul. Et tu vois, j'arrive même pas à écrire un seul mot, sur notre page à nous. J'y pointe mon stylo, et pas une seule putain de ligne ne s'écrit.
Tristesse non feinte d'un amateur qui s'est perdu tout seul.
Je t'avais parlé d'Hermione, la dernière fois. Elle est venue, hier soir. J'avais toujours pas répondu à ses nombreux appels, alors elle a cru que j'avais fait une connerie, pour changer. Elle a bien dû toquer une quinzaine de fois avant que j'aille lui ouvrir. Elle m'aurait presque fait peur avec ses cheveux dans tous les sens, ses bras croisés sur sa poitrine et son air à la fois sérieux, triste et énervé. On s'est regardés quelques secondes, peut-être quelques minutes, mais elle a dû voir un truc de changé sur moi, parce qu'au final, ses lèvres ont tremblé et ses yeux se sont troublés, et elle m'a sauté dans les bras. Ça faisait un brin mélodramatique, pour moi, jusqu'à ce qu'elle me force à me regarder dans un miroir. Et c'est vrai que j'ai mauvaise mine. Une sale gueule. Pâle, plus maigre que jamais, les yeux un peu vitreux. J'avais l'air un peu chétif. On aurait pas dit moi. J'me suis pas reconnu, hier soir.
Je lui avais dit que ça irait mieux, tu sais. A Hermione. On s'était assis, une fois, dans un café. C'était une des rares fois où elle a réussi à me faire sortir. Et j'lui ai dit que je ferais de mon mieux pour me relever, pour me chercher un nouveau job, pour arrêter de broyer du noir. Elle avait cet air inquiet qu'elle arbore à chaque fois qu'un truc la tracasse. Sa nouvelle énigme, c'est moi, son meilleur ami. D'ailleurs, je t'en foutrais, moi, des meilleurs amis.
Je suis… las. Dégoûté. Un peu déçu. De toi. De nous. Et de cette mascarade. On dirait une pièce de théâtre mal jouée, avec des acteurs en papier mâché et des décors en carton-pâte. J'ai le sentiment d'être un ridicule spectateur au milieu d'une foule souriante. Un noyé au milieu du désert. Perdu dans un vague océan de coton, infiltré par tous les pores de ma peau désormais pâle.
Comme un vampire. J'ai passé ce dernier mois en ermite, terré dans ma chambre trop bleue, trop pleine, les volets fermés, les rideaux tirés. En pensant à toi. Toujours. Et je ne sais pas pourquoi, mais tu es là, omniprésent, tu obstrues ma vue, ma gorge, mon esprit, et je ne sais plus quoi faire pour te chasser de là.
Parasitaire. Sans cœur et sans raison.
J'aurais voulu te le dire, Draco… Tant de putains de fois. Que pour moi ça ne signifiait pas rien. Mais t'as pas voulu écouter. Alors je me dis que tu voulais pas vraiment savoir… Et ça me fait mal, que tu ne saches pas. Ça me fait chier que tu restes un petit con qui ne répond pas, un sale enfoiré, un lâche. Mais c'est ce que t'as toujours été, hein ?
Et puis pourquoi tu te comporterais autrement avec un idiot comme moi… Un navet. Un abruti. Une petite chose fragile, à deux doigts de se jeter dans le vide. Tu crois qu'en touchant le sol je me briserai en mille morceaux, comme le miroir ?
… Tu crois qu'on m'oubliera ?
J'ose à peine te demander de me répondre. Je me dis qu'à vivre dans le noir tout ce temps, mourir dans le noir ne doit plus être si effrayant. Je ne verrai rien. Pas de sang. Jute la douleur, vive, comme la dernière fois. Et le noir, à nouveau. Sans que ça ne change quoi que ce soit.
La mort doit être douce, tranquille.
Tout est de ma faute. Je sais. Le sale enfoiré, l'immonde bâtard, ici, c'est moi. Moi, putain.
La mort doit être brûlante. Et la douleur cuisante.
Comme celle de t'avoir perdu…
Pourquoi la mort serait-elle différente ? |