2 : Circonvolutions
« Chère Ginny,
Je suis désolée de te répondre si tard. Je vais bien. Je suis retournée à Poudlard pour aider Flitwick, McGonagall et les autres à remettre l’école en état pour la rentrée. Je n’ai pas assez d’expérience pour faire grand chose, et, heureusement, les réparations les plus importantes sont déjà finies, mais je suis quand même très occupée : hier j’ai aidé Mme Chourave à déblayer la serre n°4, avant-hier nous avons contrôlé le fonctionnement des escaliers avec Flitwick, aujourd’hui nous allons faire l’état des lieux du terrain de Quidditch ; pour les petits travaux, ça va vite, avec les elfes de maison, mais pour les contrôles, c’est sans fin. Il y a Olivier Dubois qui a passé l’été ici aussi. Il va partir en fin de semaine prochaine, quand son équipe va préparer la reprise de la saison.
Comment vas-tu ? Comment va Harry ? Embrasse bien Ron et Hermione pour moi, quand tu leur écriras, et tes parents… »
…
« Cher Neville,
Comment vas-tu ? Comment va ta grand-mère ?
Je suis à Poudlard depuis une semaine. McGonagall a bien voulu que je vienne donner un coup de main avant la rentrée. L’ambiance est très sympa. On m’a donné beaucoup de choses à faire et je suis contente de voir que je peux être utile. Je loge dans une des chambres annexes de l’infirmerie. J’avais peur que ce soit un peu lugubre au début mais pas du tout. Quand je suis arrivée, McGonagall était débordée (elle l’est toujours !) : elle a d’abord proposé que les elfes de maison me préparent le dortoir à Serdaigle, que je m’y installe en avance, mais on a vite pensé que ce serait mieux si je restais dans les étages inférieurs avec tout le monde. C’est vraiment mieux. C’est très lumineux à l’infirmerie, et finalement c’est un des secteurs les plus chaleureux du château. L’emplacement est bien choisi.
McGonagall est touchante. Elle ne s’entend pas du tout avec l’Auror qui est chargé de la surveillance du parc en semaine et, pour peu qu’on se mette dans ses pattes quand elle se dirige quelque part – ce qu’il a tendance à faire – elle explose. L’autre jour, elle s’est transformée en chat d’un bond en le croisant, pour ne pas avoir à lui parler ; je crois que ça l’a vexé. Mais c’est drôle de la voir sous sa forme d’Animagus dans les couloirs. Je crois que c’est un nouveau code : ne lui parler que lorsqu’elle a forme humaine…
[…] »
…
« Chère Luna,
J’ai écrit à McGonagall et puis j’ai relu ta lettre… J’espère que ça ne va pas l’embêter ! Elle doit déjà crouler sous le parchemin ! Enfin, j’imagine qu’elle ne doit traiter le courrier que quand elle juge qu’elle a le temps. Tu crois que je peux venir vous aider aussi ? J’aimerais bien venir. Tu pourrais demander à Flitwick ou Chourave ? J’imagine qu’on ne peut pas trop se pointer sans autorisation…
Tout va bien, mais je n’en peux plus de rester les bras croisés ! J’ai quelques nouvelles de Ginny, et Hannah, qui te passe le bonjour. Et ton père ?
Passe le bonjour de ma part à tout le monde à Poudlard ! A très bientôt, j’espère !
Bises, Neville »
…
Le hibou se servait copieusement dans le verre qu’elle avait rempli, refermant son bec par petits coups secs sur le liquide et projetant de l’eau avec un cliquetis régulier. La Grande Salle était quasiment vide mais la lumière couverte qui traversait le plafond enchanté, et la conversation de Septima Vektor et Pomona Chourave, peuplaient doucement les lieux. Ils mangeaient à la table des Gryffondors – celle qui était du côté de l’allée centrale qui permettait de profiter au mieux du soleil le matin. Ils changeaient avec les repas. La table des professeurs, qui dominait la salle déserte, avait été transformée en plan de travail : s’y étalaient des plans du château, originaux et copies, des listes de tâches à faire, des piles de rapports, des instruments de mesure inutiles et une pierre repousse-hibou. Elle s’était vite imprégnée de la routine et prenait sa première inspiration chaque matin en entendant l’estrade donner un son creux sous son pied lorsqu’elle allait voir son programme du jour avant de petit-déjeuner.
Emplie de l’ambiance de la salle, Luna faisait tourner un grain de raisin entre trois doigts. Elle avait une ronde à faire dans la matinée avec Mme Pince, puis elle allait rejoindre Flitwick et Olivier Dubois au terrain de Quidditch ; mais à présent, c’était une autre tâche qui prenait toute la place dans sa tête : transmettre le message de Neville. Elle n’osait pas interrompre la discussion de Vektor et Chourave non loin d’elle, et elle préférait, de toute façon, marcher un peu d’abord, pour pouvoir laisser reposer l’idée : Neville allait venir – elle était contente – ce serait un premier pas vers les retrouvailles de leur groupe de l’AD – sans pour autant que cela fasse réunion d’anciens combattants… Ils étaient amis. Elle était contente. C’était bien. Elle avait hâte de revoir Neville.
Elle arriva à la bibliothèque et poussa la porte déjà entrebâillée. Mme Pince avait commencé une bonne heure avant elle : Luna n’avait qu’à aller de table en table, de rayon en rayon dans son sillage pour mettre en ordre les livres retirés et faire léviter la pile jusqu’à l’endroit indiqué. Mme Pince ne parlait pas, elle ne disait pas immédiatement bonjour ; elle lui lançait une précision lorsqu’elle la croisait dans ses allées et venues ; Luna n’avait qu’à acquiescer.
C’était les elfes qui faisaient ça, habituellement, – en quelques secondes, le travail de deux heures serait fait – mais ils étaient justement beaucoup trop rapides et trop pleins de zèle et Mme Pince avait besoin de réfléchir. En plus de l’inventaire normal de fin d’année scolaire, qui n’avait pu être fait, il avait été décidé de revoir tous les ouvrages mis à disposition des élèves : les parchemins dangereux, disséminés par les Carrow dans les rayons, avaient été repérés et détruits ou isolés après la bataille, mais une nouvelle organisation des titres et des thèmes, moins immédiatement perceptible, initiée par Voldemort, quoique par le filtre de Rogue, avait commencé à chambouler le classement. La bibliothécaire s’efforçait de restaurer la hiérarchie fine des disciplines, mais ses gestes étaient plus brusques et rigides que jamais.
Luna s’était mise à se représenter la Réserve comme une grosse mémoire. Elle et Mme Pince avaient dégagé tout un rayon d’une aile obscure où stocker les ouvrages retirés, et c’était comme entrer à l’arrière d’une tête : passer la grille, entraîner un petit paquet de livres à sa suite et les arranger – « dans l’ordre que vous voulez » – dans les renfoncements. Elle défaisait et refaisait son classement régulièrement, mémorisait les titres sans le vouloir, se les récitait en revenant, les calant sur le rythme de ses pas, avec des répétitions, comme une comptine bizarre, puis elle passait à la pile suivante. Lorsqu’elle eut rattrapé Mme Pince, elle partit.
L’air de la bibliothèque était plein de poussière. Elle pressa le pas pour sortir. Les petits bruits d’effondrement la suivaient.
Dehors, il faisait clair. Midi approchait et elle secoua ses cheveux noués en attaquant le sentier qui menait au terrain.
Elle avait des bêtes sur les bras.
Elle trouva les deux hommes plantés au pied d’une tour de tribunes, une silhouette presque deux fois plus grande que l’autre, la plus petite inhabituellement immobile. Ils étaient censés décortiquer les enchantements autour du terrain pour s’assurer qu’il n’y avait pas besoin de refaire appel à des extérieurs : il y avait l’humidité des structures, le travail du bois, le champ de protection qui empêchait le Vif d’or de s’échapper trop loin, les éventuelles traces laissées par des mines magiques trouvées près des vestiaires, les barrières qui les empêchaient de tomber… Flitwick leva un bras et l’agita en l’air pour lancer un sort, ou peut-être simplement indiquer quelque chose sur la tenture jaunâtre. Elle entendit sa voix.
Mais Olivier se retourna le premier :
« Salut Luna !
- Miss Lovegood ! pépia Flitwick, venez donc nous redonner du cœur à l’ouvrage…
- Ça ne va pas ?
Olivier haussa les épaules :
- Soit on est beaucoup trop perfectionnistes, soit c’est monstrueux ce qu’il reste à faire…
- Plus cela semble secondaire, plus on y passe de temps, renchérit Flitwick. La bonne nouvelle, c’est que nous avons pu éliminer les résidus de magie noire. Mais nous commençons à tourner en rond.
- Quelle heure est-il ? demanda Olivier.
Luna ne savait pas : elle regarda derrière elle. Flitwick souleva un pan de sa robe de sorcier pour attraper sa montre à gousset.
- Hm ! Encore une petite heure. Une demi-heure au moins.
- Vous avez fini l’inspection ? demanda Luna.
- Non, répondit Olivier en montrant de la main des secteurs du terrain. Il nous reste cette zone-là, les tribunes hautes et les délimitations. On a passé l’herbe au peigne fin derrière les vestiaires.
- Et Monsieur Dubois voudrait contrôler les équipements, ajouta Flitwick.
Olivier eut un mouvement de tête et un rire gêné :
- Ouais… Mais je sais qu’il y a plus urgent.
- Rien n’empêche que vous y jetiez un coup d’œil avant que Mme Bibine prenne le relais, dit Flitwick avec un sourire bienveillant.
Luna hocha la tête.
- Ah, tenez, Miss Lovegood, rebondit Flitwick, vous allez pouvoir pratiquer le sort de diagnostic sur un champ de force. Ce sont les mêmes mouvements de baguette que ceux d’hier, mais vous n’avez pas eu l’occasion d’essayer.
Luna sourit. Inébranlable, peut-être inconsciemment, Flitwick faisait sans cesse basculer leurs interactions vers des occasions de cours ; c’était sans doute le cas avec Olivier aussi, et pas seulement avec elle, mais elle ne fit pas attention à la réaction du Gryffondor. La transition était fluide entre la façon qu’avait Flitwick de parler aux autres professeurs et sa façon de s’adresser à elle et Olivier. Tout le monde cherchait à les mettre à l’aise, mais lui, plus que les autres, s’adressait à plus que des anciens élèves, peut-être à des compagnons de guerre, des personnes attachées autant que lui à la remise en état de l’école – à en refaire un environnement d’enfants, d’étude, de vie. Il prenait des nouvelles, s’inquiétait du sommeil de chacun, sans pousser, avant d’orienter les efforts vers l’objectif commun.
Ils décidèrent de repousser les interventions concrètes à la fin d’après-midi et de terminer avec elle l’inspection. Une heure plus tard, ils décidèrent de repousser la fin de l’inspection à après manger. Luna rit intérieurement.
« Neville Londubat voudrait venir nous aider, dit-elle à Flitwick sur le chemin du retour. Il m’a écrit ce matin.
- Oh, un peu de sang neuf ne serait pas de refus ! s’exclama-t-il de sa voix aigue. Comment va-t-il ?
- Bien, dit-elle.
Et elle sourit.
- J’en toucherai deux mots à Minerva, mais vous pouvez lui dire que nous l’attendons avec plaisir. Elle sera ravie. »
C’était difficile à dire, en réalité, songea Luna. Fidèle à l’esprit frondeur de Poudlard, McGonagall avait toujours approuvé l’AD, mais les Carrows n’étaient pas Ombrage, et le souci qu’elle se faisait pour les élèves l’avait rendue particulièrement sévère à l’encontre de Neville, qu’elle coinçait en retenue au moindre soupçon d’initiative trop audacieuse.
Flitwick le savait – McGonagall allait soupirer, accepter, mais avec la migraine et de mauvais souvenirs – mais il continuait de professer l’optimisme et l’enchantement. C’était plus reposant de le croire.
Il abandonna Luna et Olivier dans le hall et Olivier proposa d’aller manger tout de suite. Après s’être choisi des sandwichs dans le plat préparé par les elfes, ils s’assirent l’un en face de l’autre à la table des Gryffondor. Ils étaient seuls dans la salle.
« Ça s’est bien passé avec la vieille ce matin ? demanda-t-il.
- Oui, plutôt.
- Je suis bien content que ce soit toi qui t’y colles. J’ai dû le faire deux fois et c’était un cauchemar – toute la matinée là-dedans…
- Ça ne me dérange pas. Ça met de l’ordre.
- J’ai cru que j’allais devenir dingue. Sérieusement. Non, vraiment, les livres, ça ne me manque pas.
- J’ai juste peur que toute cette poussière attire des Joncheruines, répondit Luna en toute sincérité.
Il se tut et la regarda.
Il ne voyait pas ce qu’elle voulait dire.
- Ouais, peut-être », finit-il par dire en souriant.
Elle haussa une épaule pour soulager une tension. Olivier s’absorba dans son sandwich qu’il engloutit comme un affamé. Le second subit le même sort et il se leva pour aller en chercher un autre. Luna le remercia : elle n’en voulait pas d’autre.
L’ex-Gryffondor était entièrement adulte. Il avait beau se rapprocher d’elle en âge, être son équivalent dans ce château vidé, il y avait un mur entre eux, quelques marches à gravir encore pour elle. Il semblait s’être trouvé. Il parlait de son métier avec naturel, marchait sans se poser de questions, l’interrogeait avec patience sur des sujets…
Ce fut bientôt une gêne de rester assise. Même s’ils passaient toute la journée debout et que la pause avait été nécessaire, elle voulait ressortir. Elle n’aimait pas la salle à midi. Elle n’était pas à l’aise seule ici avec Olivier. Elle avait hâte que Flitwick revienne.
…
Ils retournèrent au terrain avec un peu d’avance sur l’heure prévue. Ils ne pouvaient pas s’attaquer aux gradins sans Flitwick, mais Olivier voulait jeter un œil aux vestiaires. Il était plus gérable en marchant.
« Tu peux rester dehors, je fais ça pour moi… »
Luna hocha la tête et regarda le parc. Hormis le temps et le vert dense des arbres, elle aurait pu se croire une après-midi d’école, à retrouver Ginny au terrain pour prendre l’air avant de retourner dans les salles d’étude. L’herbe recouvrait déjà l’essentiel des marques. Elle rejoignit finalement son compagnon à l’intérieur.
Olivier était comme chez lui dans les vestiaires – comme dans une ancienne maison. Il avait ouvert un placard et manipulait les objets – balais, coffres, protège-tibias –, en sortait pour les remettre, sans particulièrement réorganiser. Un sourire en coin naquit sur son visage et il fit apparaître un morceau de craie avant de se pencher vers un des murs intérieurs. Luna se détourna sans rien dire et jeta un regard circulaire.
Elle n’était jamais rentrée dans les vestiaires, c’était la chasse gardée des membres de l’équipe. Tout paraissait vide. Étranger. Il y avait un casier mal fermé, et l’air tiède rentrait par la porte ouverte. Inconsciemment, elle lança un sort de Détection – une version à mi-chemin du sort qu’on lui avait appris le premier jour et de celui qu’il fallait qu’elle maîtrise maintenant ; sa lumière bleue glissa dans tous les recoins sans rencontrer le moindre obstacle. Il n’y avait plus aucune trace de magie, même les conduits d’eau vers les douches étaient effacés – on en percevait les contours, mais il allait falloir vite ramener l’activité.
Peut-être Olivier percevait-il ce qu’il y avait de vie ici ? Le bruit de sa fouille perturbait le champ trop lisse. Sans lui, le carrelage prenait toute la place. C’était presque lugubre.
Il pouffa de rire. Luna cilla.
Elle dissipa le sort.
« Alors ? demanda-t-il. C’est pas mieux que tous les grimoires du monde ici ?
Il souriait en montrant les casiers d’un geste de la main. Luna opina :
- Oui.
- J’ai l’impression que c’était hier mais en fait on m’a déjà remplacé. J’ai vu que les deux derniers Weasley avaient pris la relève ?
- Oui, Ginny est très douée.
- Et Harry… C’est dommage… Enfin… – il se tut. Enfin, il y a toujours des années rayées de l’Histoire. C’est dommage pour les septième année, de ne pas avoir pu profiter du Quidditch.
- Je crois qu’il y avait des équipes quand même.
- Obligées de jouer, d’après ce que j’ai entendu. J’aurais eu peur des « accidents », ça m’aurait gâché le plaisir. »
Son expression s’était vite assombrie : il regardait un casier en particulier, la mâchoire contractée.
Il y avait Fred. Fred et George Weasley avaient joué dans l’équipe Gryffondor du temps d’Olivier. Elle se rapprocha de lui et lui serra le bras.
Il se fendit d’un sourire.
…
Flitwick les trouva sur le terrain. Pas de temps à perdre. Ils se remirent vite en besogne et les démons passèrent.
…
« Chère Luna,
Bill a passé quinze jours à l’école au début de l’été pour dépister la magie noire avec son équipe de Gringotts. Ce n’était pas une mince affaire, mais il y avait moins de choses que prévu. Je ne sais pas si c’est que Voldemort tenait à l’intégrité de l’école, malgré tout, ou si c’est grâce à Rogue… Fais attention quand même.
George ne va pas bien et Harry m’énerve un peu. Il veut partir en formation d’Auror. Il a raison, mais bon. Je t’en parlerai quand on se verra. On a reçu un long courrier de Ron. Ils ont retrouvé les parents d’Hermione et ça ne se passe pas trop mal, même si, bien sûr, ils sont en colère. Je l’admire. Ça m’effraie, ce qu’elle a réussi à faire… J’espère que ton père va mieux.
Passe le bonjour à Neville (il m’a écrit pour dire qu’il allait à Poudlard aussi), et à Mme Bibine si elle est là (j’imagine que oui). Je vais lui écrire.
A bientôt ? Ginny
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