La triste vie d'Antigone Rogue
Chapitre 4 : Papillon de fumée
La fabrication d'une potion est un processus subtil. Les propriétés magiques de chaque mixture sorcière dépendent d'un équilibre instable et complexe entre divers ingrédients. La moindre erreur de mesure peut retourner le chaudron contre son préparateur. Mais lorsque ce dernier parvient à dompter les substances magiques selon ses envies, alors même la plus impensable des idées devient réalisable.
Antigone Rogue, assise dans le jardin, le dos appuyé contre le mur de la cabane, goûtait pour la première fois à l'ivresse du maître des potions devant son chaudron. Elle avait étalé toutes les petites fioles colorées autour d'elle et les instillait à tour de rôle dans le modeste récipient en étain entre ses jambes, en suivant les instructions du manuel qui accompagnait son cadeau de Noël.
A quelques mètres d'elle à peine, Teddy et Victoire se battaient dans un faux duel de sorcier, utilisant les nombreux accessoires qu'ils avaient pu collecter afin de rendre leur jeu plus réaliste. Elle ne leur prêtait que peu d'attention, entièrement concentrée sur ses potions.
Le livret des petites potions : couleurs et images émerveillent les plus jeunes décrivait les instructions pour fabriquer des potions à peu près aussi efficaces que la fausse baguette de Teddy. Néanmoins, elles possédaient l'immense pouvoir de faire sourire Antigone. Pour la première fois de sa petite vie, Antigone souriait sans raison apparente. Devant son chaudron auto-chauffant sans flammes qui bouillonnait doucement, elle se sentait enfin à sa place. Ses gestes étaient assurés, bien à l'opposé de ses hésitations habituelles et constantes. Elle n'avait pas à se demander si son attitude était correcte ou si son comportement était acceptable. Elle savait ce qu'elle devait faire, sans se poser de questions, et elle savait comment le faire.
Jamais avant elle n'avait ressenti un tel apaisement. Elle ne craignait plus d'être épiée ou jugée. Elle s'épanouissait dans ses petites potions, sereinement. Et toujours avec un sourire accroché aux lèvres.
Il était effrayant de penser qu'un chaudron avait le pouvoir de l'apaiser plus rapidement que le jeune Teddy, qui essayait en vain depuis bien longtemps.
Elle réussissait tout ce qu'elle entreprenait. Même les mélanges qu'elle tentait de sa propre initiative faisaient apparaître des vapeurs multicolores et des senteurs douces. Elle avait rapidement fait le tour des propositions du manuel et s'était vite aperçu qu'il était bien plus amusant d'inventer.
Le principe était plus compliqué que la peinture avec laquelle elle jouait parfois chez Andromeda. La fiole violette rendait la potion multicolore. Avec la verte, elle était plutôt irisée. La noire donnait du pétillant tandis que la blanche faisait de la fumée. Le mélange de la bleue avec la jaune, ne donnait pas du vert mais des petites bulles alternativement rouges et orange.
Antigone retenait ce qu'elle faisait et s'en servait pour modifier et améliorer les potions du petit manuel pour arranger les couleurs et les formes à sa façon.
Teddy et Victoire ne remarquèrent rien, jusqu'à ce qu'un immense papillon de fumée multicolore surgisse du chaudron et traverse tout le jardin, interrompant le faux duel, avant de s'envoler dans le ciel pour rejoindre les nuages et disparaître.
— Hé ! J'étais en train de gagner ! protesta Teddy quand Victoire abandonna sa baguette en caoutchouc pour s'approcher d'Antigone.
— C'est toi qui as fait ça Antigone ? demanda la blonde. C'est joli ! Tu peux le refaire ?
Antigone se pencha vers les fioles.
— Je crois que je n'ai plus assez d'ingrédients pour cette potion… marmonna-t-elle en soulevant un flacon au fond duquel se baladait une seule goutte violette.
— Tu as fait le papillon avec une potion ! Mais t'es trop forte ! Maman dit toujours que la magie est très dure à maîtriser quand on est petit comme nous et…
— Eh ! protesta le garçon. On n'est pas petit !
— … et qu'il faut attendre d'être grand pour pouvoir faire comme les grands !
— On est déjà grand ! riposta Ted.
— Et puis Papa, il dit toujours que les potions c'est plus compliqué que le reste alors que c'est un grand sorcier.
— Nous aussi on est des grands sorciers !
— Mais arrête de dire des bêtises, Teddy.
— Je ne dis pas des bêtises !
— Si. D'ailleurs, Maman elle dit que je devrais t'apprendre un peu les bonnes manières parce que tu n'es pas très poli et…
— Je suis très poli !
— … que personne n'a du te les apprendre.
— Grand-mère me les a déjà apprises !
— Alors pourquoi tu me coupes toujours la parole ?
— C'est pas vrai !
— Si !
— Non !
— Si !
Antigone ne les écoutait plus depuis longtemps. Elle avait l'habitude et elle savait qu'il ne servait à rien d'essayer de les arrêter.
A la place, elle se concentra sur les fioles. Elle voulait essayer quelque chose de nouveau. Elle examina les flacons, les sourcils froncés, pendant un moment puis en choisit cinq dont elle versa des quantités différentes, mais réfléchies, dans le chaudron. Elle attendit mais rien ne se passa. La surface argentée de la potion lui renvoyait son reflet, en restant parfaitement immobile. Ce n'était pas le résultat qu'elle espérait.
La fillette se pencha davantage de la surface miroitante. Si près que son souffle créa des ridules dans le liquide et soulevèrent une fine poussière argentée. Antigone retint sa respiration alors que la poussière se mettait à pétiller tel un feu d'artifice miniature.
Elle sourit. Elle avait trouvé.
Elle inspira profondément et souffla aussi fort qu'elle le put sur la potion. Un nuage métallique s'en échappa, resta suspendu un moment en l'air, pendant qu'Antigone avait arrêté de respirer, puis explosa. Chaque grain de poussière éclatait, libérant une myriade de couleurs qui brillaient dans les yeux d'Antigone. Ted et Victoire s'étaient tus, trop absorbés par le spectacle sous leurs yeux pour penser à se disputer.
Antigone n'avait jamais été aussi heureuse et fière. Elle était fière d'elle-même. Fière de ce qu'elle avait réalisé, fière de ce qu'elle avait été capable de créer. Pour la première fois, elle se sentait fière et la sensation était enivrante. Elle aurait voulu s'accrocher à son chaudron toute la journée et ne jamais le lâcher. Elle aurait voulu s'occuper sans cesse de mélanger pour créer.
Malheureusement pour elle, une fois le nuage d'étincelles retombé, la dispute reprit.
— Il faut faire attention, prévint Victoire. Maman dit que le feu est dangereux, il ne faut pas s'amuser avec.
— Tu dis n'importe quoi ! s'énerva Ted.
Antigone soupira. Elle était quasiment sûre qu'il la contredisait juste pour le plaisir de l'embêter. Ils n'étaient jamais d'accord et leurs forts caractères les poussaient sans cesse à chercher le dernier mot. Et leurs disputes étaient extrêmement gênantes pour jouer tranquillement au fabriquant de potions.
— Non.
— Si !
— Non !
Antigone se releva, posa les mains sur ses hanches et s'approcha de ses deux amis, prête à les interrompre quand elle coupa son élan et se mit à sourire.
— Si !
— Nooooooon !
Antigone ne les aimait pas seulement parce qu'ils l'acceptaient. Ils étaient toujours pleins de vie, diamétralement opposés à ce qu'elle était, et lui apportaient la chaleur dont elle manquait cruellement.
— Siiiiii… Pourquoi tu souris Antigone ?
Le sourire au coin de ses lèvres se fana légèrement.
— Je ne sais pas, bafouilla-t-elle. Vous me faites… rire tous les deux.
Teddy ne s'offusqua pas. Au contraire, il se mit à sourire à son tour. Le bonheur d'Antigone faisait le sien.
— Tu nous apprends à faire les feux d'artifice ? demanda Victoire, timidement.
— Je croyais que c'était dangereux ? rétorqua Teddy, rancunier.
— Oui, mais c'est joli, contra Victoire. Alors, tu nous apprends ?
Les yeux d'Antigone se mirent à pétiller autant que les étincelles qu'elle produisait avec son chaudron. Elle se tourna vivement vers le récipient en étain et commença à donner les instructions :
— C'est Victoire qui commence ! annonça-t-elle et elle entendit Ted grogner mais elle poursuivit. On ne va pas recommencer le feu d'artifice parce qu'il n'y a plus assez de la fiole bleue. Mais on peut faire de la musique si tu veux. Regarde.
Elle récupéra le manuel sur le sol, alors que ses nouveaux élèves s'installaient à côté du chaudron. Antigone feuilleta rapidement le livre pour arriver à la page qui l'intéressait.
— Il faut mettre 3 gouttes de la fiole verte, 3 gouttes de la fiole violette et 3 gouttes de la fiole vermeille. Puis attendre 3 secondes. C'est super facile !
Elle releva le nez du livre au moment où Ted versait 3 gouttes de la fiole rouge.
— Non Teddy, c'est la vermeille qu'il fallait prendre !
Elle lui tendit le flacon qu'il aurait dû utiliser et lui retira des mains l'autre récipient.
— T'as tout gâché ! se plaignit Victoire.
— Oh, ça va, ça va. Je comprends rien du tout ! essaya de se justifier le pauvre petit garçon tout en réparant ses bêtises.
Il ajoute les 3 gouttes de vermeil alors que Victoire finissait de verser avec application les 3 gouttes vertes.
— Rebouchez tout, ordonna Antigone. Avant de faire une autre bêtise…
— Un, deux, trois ! compta Teddy.
Le timing était correct. Le résultat l'était beaucoup moins. Une sorte de plainte grinçante et chantante à la fois s'échappa du chaudron en faisait vibrer la surface de la potion. Les trois enfants se bouchèrent les oreilles en attendant que le supplice se termine. Les deux filles fusillèrent du regard le garçon pendant toute la "chanson" qu'il avait immanquablement ratée.
— Désolé, s'excusa Teddy quand le bruit se fut éteint. Mais c'est trop compliqué pour moi, ce truc.
— Attends, on peut recommencer, le rassura Antigone, peinée de voir son ami penaud.
Elle s'assit sur l'herbe, entre Ted et Victoire et attrapa deux fioles si naturellement qu'on aurait cru que sa main y était aimantée. Elle versa une goutte de chaque dans le chaudron, remua trois fois dans le sens des aiguilles d'une montre, puis trois fois dans le sens inverse et compta jusqu'à trois.
La musique les entoura soudainement. L'air vibra sous la magie de la mélodie, qui fut rejointe par le rire d'Antigone. Victoire fredonnait et Ted souriait de toutes ses dents.
Antigone était heureuse.
Quand le son s'évapora, Antigone souriait toujours.
— J'ai faim ! s'exclama Teddy en se levant. On va prendre le goûter ?
— Oui.
Victoire se redressa et épousseta le bas de sa jupe pour être certaine d'être présentable. Une demoiselle était toujours bien propre, comme lui disait sa maman.
Antigone hésitait. Elle observait le chaudron avec envie. Elle venait de découvrir un jeu dans lequel elle pouvait s'épanouir comme elle le désirait. Peu importait qu'elle soit la fille de Rogue ou qu'elle soit née dans un chaudron. Elle s'amusait vraiment.
— Tu viens ?
Teddy lui tendit la main. Elle quitta des yeux son cadeau de Noël pour se tourner vers Victoire, puis Teddy. Elle se surprit à sourire.
— Oui, répondit-elle doucement.
Elle avait deux amis et ils étaient bien plus importants pour elle que tout le reste. Il la tenait chacun par la main et ils ne la lâcheraient pas. Pourquoi lâcherait-elle ?
* * *
— Alors, tu as aimé tes cadeaux ? demanda Harry avec un sourire tendre.
Antigone se redressa dans les couvertures qu'Harry essayait de border. En vain.
— Beaucoup, dit-elle avec un enthousiasme que son père adoptif ne lui connaissait pas. Surtout le petit chaudron.
— Ah oui, Teddy m'a raconté tes exploits. Tu as vraiment fait apparaître un papillon ? s'extasia un peu exagérément l'homme.
Il ne voulait pas laisser voir sa fatigue à Antigone. La période des fêtes avait été éprouvante pour lui. Le Ministère s'acharnait plus que jamais et le département des Mystères commençait à pointer le bout de son nez. Comme si le département de la Justice ne le collait pas suffisamment. Mais Harry était déterminé à protéger Antigone, même si cela signifiait qu'il devait se battre contre les vautours qui lui tournaient autour autant que contre lui-même, afin de lui offrir l'enfance la plus heureuse qui soit.
— Oui, répondit la fillette. Il était de plein de couleurs et il s'est envolé dans le ciel. Et après, on a fait de la musique avec Ted et Victoire.
— C'est vraiment super. Il faudra que tu me montres ça !
— Demain ?
Harry hésita.
— Non, pas demain. Je vais sûrement travailler tard.
Ils soupirèrent en même temps.
— Tu veux qu'on lise un conte de Beedle ? demanda-t-il en attrapant le livre sur le sol.
— Parle-moi plutôt de mon vrai papa.
Harry perdit son sourire. Offrir une enfance heureuse à Antigone était aisé. Il savait comment faire pour se battre contre le Ministère, il l'avait fait quasiment toute sa vie. Mais parler de Severus Rogue à sa fille était un tout autre exploit dont il se savait incapable. Rogue avait toujours été un salaud avec lui. Le garçon lui avait pardonné mais cela ne signifiait pas pour autant qu'il avait de jolies histoires à raconter à propos de Severus Rogue.
— Ton père était le meilleur fabricant de potions que j'ai rencontré.
— Et moi je veux faire comme lui !
Harry détourna le regard. Il y avait tant d'éléments de la vie de Severus qu'il ne voulait jamais voir dans celle de sa fille adoptive qu'il n'aurait su par où commencer.
— Mais en réalité, Severus Rogue était un grand sorcier. Il rêvait d'être professeur de Défense Contre les Forces du Mal, parce qu'il connaissait les Forces du Mal mieux que personne.
Antigone le dévorait des yeux, s'abreuvant de ses mots, insatiablement.
— Il était vraiment doué, et il a combattu le mal toute sa vie.
Harry ne voulait pas mentir. Mais que pouvait-il dire à Antigone ?
— Et qu'est-ce qu'il a fait ? Il a combattu les monstres ?
On avait caché la vérité des horreurs du monde à Harry quand il était plus jeune et il comprenait enfin pourquoi. On ne peut pas infliger les souffrances du passé aux enfants. S'il en avait été capable, Harry n'aurait même jamais avoué à Antigone qu'elle était née dans le chaudron de Severus Rogue. Mais les journalistes et le Ministère auraient ruiné son secret à peine plus rapidement que la famille Weasley.
— Un jour, raconta Harry, alors que j'étais en première année à Poudlard, Severus a essayé de passer devant un chien à trois têtes. Il s'est fait mordre mais il n'a même pas eu peur.
— Whoua !
— Mais tu veux que je te dise un secret ?
Antigone hocha la tête tellement rapidement qu'Harry cru qu'elle allait s'en rompre le cou.
— Il suffisait de jouer de la musique au gros chien et il s'endormait comme un bébé.
— Un bébé ça dort pas bien. Ça se réveille tout le temps et ça pleure. Comme James.
Harry se mit à rire.
— James t'embête ?
— Un peu. Mais il est mignon, ajouta Antigone en baillant.
— Oh, je crois qu'il est temps de dormir, annonça Harry en repoussant Antigone sur le lit.
La petite fille se rallongea docilement. Elle semblait bien plus apaisée qu'elle ne l'avait jamais été et Harry se demandait si l'histoire de Touffu y était pour quelque chose. Il embrassa Antigone sur le front avant de quitter la chambre.
Il s'arrêta sur le seuil de la porte.
— Antigone ?
— Oui papa ?
— Pas de potions à côté de James. D'accord ?
— D'accord…
— Bonne nuit princesse.
A suivre...
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