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au 31 Mai 21 :
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Le rêve d'Eric
Par Aqat
Le sourire du Dragon  -  Romance/Action/Aventure  -  fr
4 chapitres - Complète - Rating : T (13ans et plus) Télécharger en PDF Exporter la fiction
    Chapitre 4     Les chapitres     0 Review    
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La vengeance de la magie

Complètement désorienté, Eric était revenu à lui au milieu d’une cacophonie de sons et de lumières. Que se passait-il ? Et où diable avaient filé les autres ? Avisant Hank recraché à son tour par la lentille aux pieds du sarcophage, il traversa en trois roulades d’affilée les quelques mètres qui le séparaient du milieu de la salle, mais un jet de magie concentrée vert vitriol le frôla quand il se redressait sur ses jarrets et il manqua sa cible. Hank ballotté comme jamais par le passage mourant était tombé sur son derrière, de toute évidence inconscient du pandémonium que le salle funéraire était devenue. Eric entrevit Dékion, l’épée à bout de bras, qui alternait les tirs de sa main libre et de son arme, mais son adversaire était indiscernable, et le jeune guerrier disparut aux regards aussi promptement qu’il était apparu dans son champ de vision. Les gerbes de pouvoir réduisaient à néant la visibilité au milieu de la salle, entre la statue du chevalier au rubis, le trépied enflammé et le mur d’en face. Un cri aigu attira l’attention du Cavalier. Il connaissait cette voix perçante. Une trouée dans le nuage de magie dévoila les quatre autres, pelotonnés les uns auprès des autres contre l’amas de richesses sur le versant opposé de la salle. Uni partagée entre l’affolement et une joie indescriptible, avait grimpé sur les épaules du Barbare, d’où elle bêlait en direction d’Eric.

« Diana », lança-t-il en s’efforçant de dominer la cacophonie, « dis à Bobby de vous ménager une sortie dans le mur et battez en retraite ; moi je ne peux pas, Hank a été bien secoué... »

« Vous n’irez nulle part », contra quelqu’un du cœur de la mêlée.

Le sang s’était accéléré dans les veines des cinq aventuriers. Il n’y avait aucun chance qu’ils oublient à qui appartenait ce timbre nasal et haut perché... Une minute, se dit Eric ; s’il s’agissait de qui ils assumaient, que trafiquait-il, à rompre des lances avec le Chevalier Céleste ?

« Ne l’écoutez pas », intervint Dékion toujours invisible. « Cet ersatz de Grand Maître est responsable de l’effondrement du portail ; il ne voulait absolument pas que vous reveniez... »

« Tu ne comprends rien, mon pauvre Dékion. Le temps presse, et tu m’as trop retenu... Fiche le camp ! »

Une explosion blanche et aveuglante se produisit au plus profond de la nuée floconneuse de magie. Un cri retentit, puis le front du nuage fondit et s’estompa comme un morceau de polystyrène aspergé d’acide. La voix du Grand Maître se fit alors entendre :

« Vite, mes jeunes disciples. Faites cercle autour de moi... Toi aussi, Cavalier, et amène le Ranger. Pas la peine de me dévisager avec ces yeux-là, je suis bien le vrai moi. »

Les ultimes volutes de magie dévoilèrent le gnome dégarni en robe rouge. Ses traits éternellement joviaux respiraient de l’appréhension mêlée à une certaine colère ; de même pour son regard, dur, tendu et excédé du temps que lui avait fait perdre Dékion. Son corps crépitait littéralement de puissance. Même pour le Cavalier, que sa journée comme Grand Maître avait renseigné sur les capacités réelles du petit homme, la magnitude véritable de ses pouvoirs possédait quelque chose d’une révélation. Hormis pour la violence et l’orgueil démesuré, son aura calquait singulièrement celle de Vengeur. Décidément, songea le brun, l’un et l’autre partageaient bien des caractéristiques ; c’en était troublant...

« Grand Maître ! », s’exclamèrent cinq voix à l’unisson, vite rejointes par celles de Hank soutenu par les bras d’Eric. « Nous avons essayé de rentrer par nous mêmes, mais le portail — »

La fin de la phrase fut emportée par un vrombissement infernal. L’orant au rubis vibra en tanguant sur son socle, chancela puis tomba de côté avec un bruit creux. La gemme roula sur la première marche menant au sarcophage, avant qu’une crevasse ne lézarde la chambre sur toute sa largeur et ne l’avale de concert avec les éboulis. Encore une secousse, et ce fut l’intégralité du tombeau qui roulait sur ses bases. Non qu’il s’agît d’un séisme ou d’un déplacement de terrain. A l’épicentre du phénomène, la portion de gradin sur laquelle se dressait la cuve funéraire. L’or y étincelait, comme éclairé par des dizaines de projecteurs. Personne, ni Dékion au cours de sa précédente visite au mausolée ni les jeunes humains quand il y avaient pénétré une demi journée plus tôt en temps terrien, mais huit ou dix minutes seulement selon le comput en vigueur dans le Royaume, n’avait prêté attention au portrait du roi oublié enseveli ici. Bien à tort, attendu que la figure humaine en pied burinée dans sa masse s’inscrivait dorénavant en sombre sur les flots de lumière jetées par le sarcophage, à la façon d’un pochoir. L’image gagnait en relief. Elle se précisait et avec elle croissait la luminosité du métal. On pouvait voir un homme de grande taille, bâti puissamment sous ce qui ressemblait à une toge surchargée d’ornements, et auréolé de la gloire de sa chevelure, de très longues nattes qui s’achevaient en anglaises derrière ses mollets, mais autrement sans visage. Sa face était un désert entrecoupé de deux fentes.

Un vent de panique passa dans les yeux du Grand Maître. Sa voix se fit coupante et sans réplique :

« Donnez-moi vos Armes. S’il n’est pas déjà trop tard... »

« Sa Petitesse daignerait-elle expliquer ce qui, boucan de tous les diables , est en train de se passer ? Et où notre Chevalier favori est-il parti ? »

« Eric ! C’est pas le moment... »

« Il a raison, vous avez le droit de savoir. Mais les Armes d’abord. »

Chacun lui tendit la sienne. Le vieil homme les déposa dans le creux du Bouclier, où elles émirent un halo translucide. Une manipulation de ses doigts les fit devenir aussi brillantes que l’or du sarcophage. Pendant ce temps, son autre main envoyait une brève décharge pourpre sur la stèle à l’inscription cassée. Celle-ci disparut de son emplacement pour se matérialiser à côté du Grand Maître. Il se mit à discourir de son ton habituel, tout en transférant de la puissance en grandes quantités dans l’amas d’armes. Il sautait aux yeux que l’effort le drainait ; les rides s’étaient faites bien plus accusées sur son visage et les plis de son cou, et ses os saillaient durement sur ses tempes. En cet instant, il accusait le poids de ses mille deux cent ans.

La voix de Bobby retentit, grosse de toute l’intransigeance de son âge :

« Vous deviez vous expliquer, Grand Maître. Et s’il vous plaît, trêve de charabia... »

Gros soupir de l’intéressé. Le tas d’armes qui flottait au dessus de sa main droite pulsait d’énergie, mais la charge magique n’était toujours pas suffisante. Il devait patienter encore, se concentrer pour permettre à sa force de vie de sortir librement de son corps et pénétrer les artefacts. Le niveau de concentration requis permettait à peine de réfléchir, mais les enfants attendaient des réponses... Sa voix se fit murmure :

« J’avais une excellente raison de ne pas vous aiguiller jusqu’ici, mes jeunes amis. Ainsi que le Ranger l’a deviné — j’étais conscient de ce que vous faisiez sur l’autre versant, mais je ne pouvais agir, avec Dékion interposé —, toute la magie de ce tombeau est tournée vers le passé, vers l’époque où le Duc a été enterré. Le portail ne pouvait que vous transporter des milliers et des milliers d’années avant votre naissance... Le malheur est qu’en revenant, vous avez activé une malédiction impitoyable. Ranger, le dernier vers devrait être lisible ; si tu veux nous dire ce qu’il contient... »

« Euh... Exaucer le passant comblait d’aise mon Sire. Un refus lui voyait l’impertinent occire. — Quoi ? »

Le Grand Maître les surprit, avant qu’ils aient pu glapir de surprise et de malaise, en ramenant ses deux mains autour du tas d’armes et en poussant un « han ! » sonore. Un très large rayon de puissance rouge striée de blanc s’épancha depuis ses doigts jusqu’à l’image sombre sur fond or de l’homme du sarcophage. La lumière dorée réagit en bouillonnant dans un bruit de chalumeau et en expulsant un bouquet d’étincelles multicolores qui dissipèrent net le rai pourpre. La lèvre inférieure du vieil homme se plissa en un rictus de contrariété ; ses longs cheveux blancs volèrent dans son dos comme ses mains suscitaient un second tir, encore plus intense et aveuglant. Cette fois-ci, l’éclat d’or venu du sarcophage pâlit et la figure du roi sans visage s’estompa considérablement. Le Grand Maître reprit la parole sans cesser les passes des doigts qui nourrissaient son attaque. Son front affaissé sous le poids des ans collait littéralement de sueur.

« Je me suis déplacé aussitôt que j’ai perçu l’aura du Cœur du Changement — si vous préférez, le rubis. Mon premier geste a été de me précipiter sur vos talons, mais Dékion a mal jugé le sens de mes actions ; il a vidé le portail d’une partie de son énergie afin que je ne puisse vous suivre sur Terre. Comment il a réussi ce tour de force, je l’ignore. Quant à ce vers... Voyez-vous, le Cœur était un passage qui servait à envoyer les gens dans des dimensions correspondant à leurs désirs ou à leurs rêves. Le fait de rebrousser chemin constitue un refus de ce cadeau du Duc à ceux qui se servent de sa pierre. Et maintenant, Il n’a pas le choix ; de par sa propre volonté, Il lui faut sortir de son cercueil et tuer les qui ont dérangé son repos. Vous six. Je me sers de vos pouvoirs afin de l’entraver ; peut-être gagnerons-nous de quoi fuir... »

« Vous... » Eric en bafouillait. Le rai de magie était assez concentré pour détruire n’importe quoi, cela il le ressentait dans les moelles de ses os. Néanmoins, la lueur écarlate et blanche s’évaporait au contact de la lumière dorée dont pulsait le sarcophage. La silhouette de l’homme aux longs cheveux avait viré de sa teinte sombre de négatif photographique à un or solide et resplendissant. Tout le pouvoir du vieux sorcier et des armes magiques arrivait à grand peine à balafrer de ci de là son corps, estafilades immédiatement comblées alors que toujours plus de lumière s’épanchait du couvercle. Il était clair que le cadavre au dedans de la cuve se préparait à jaillir et fusionner avec cette image matérialisée à partir de sa représentation sur l’avers du sarcophage. « Vous voulez dire que vous ne pouvez pas stopper le processus ? Vous plaisantez, voyons ; je sais de quoi vous êtes capables, votre puissance a été mienne un temps... »

Le Grand Maître secoua tristement la tête, répondant au Ranger et délogeant par la même occasion le filet de transpiration qui s’était frayé un chemin à travers ses sourcils jusqu’à son œil droit.

« J’aimerais qu’il en fût ainsi... Hélas le Duc du Changement était Grand Maître à son époque ; il a sauvé, rendez-vous compte, le Royaume des griffes de Celui Dont Le Nom Ne Saurait Etre Dit ! Je ne suis pas de taille. Nul ne l’est. Et Vengeur le sait. Pourquoi croyez-vous qu’il a monté ce stratagème ? »

« Je le savais », intervint Eric du bout de la salle où ses pas l’avaient mené de leur propre initiative. « Ce bon à rien de Dékion, être plus fin que le Cornu... Quelles étaient les chances que ça arrive ? Mais, dîtes, les gars, si on mettait les voiles avant que l’autre zigoto ne sorte de sa boîte ? »

« Attendez une seconde », lança le vieil homme. Ses mains entre lesquelles flottaient les armes s’étaient dressées au dessus de sa tête ; une espèce d’éclair phosphorescent les parcourut, avant qu’il ne se propage autour du sarcophage recouvert par le halo des magies rouges et blanches. Celles-ci réagirent, explosant en un champignon d’électricité statique qui vint emmailloter la masse de la cuve funéraire. L’immense force qui en émanait disparut en un tournemain. Le mausolée ne roulait plus sur ses bases. Le Grand Maître se laissa aller de côté sur le sol, au milieu des armes magiques redevenues inertes. Un chuchotement paniqué parcourut le groupe ; la pierre en forme de losange qui pendait au dessous de sa poitrine et servait de témoin du niveau de sa force vitale, était devenue d’un blanc vitreux. Elle fluctua, fluctua, puis se rétablit et il se redressa tant bien que mal. Le sourire qu’il força sur son visage était bien las.

« Maintenant nous pouvons partir sans crainte... Tant que son corps demeurera à l’état d’ossements, il ne pourra disposer de toute sa puissance, il est donc prisonnier de l’aura que vous voyez. Mais cela ne va pas le retarder longtemps. Il faut que vous m’ameniez au Donjon au Cœur de l’Aube ; mes pouvoirs ont grand besoin d’être renouvelés. J’ai laissé de l’énergie dans vos armes, mais soyez-en économes... »

« Super ! Déjà que vous ne servez pas à grand-chose d’habitude, là c’est le summum... Changez de métier, si vous êtes trop vieux ; on n’est pas capables de vous transporter là-bas par nos propres moyens. » Eric s’était à mis à pester et à bougonner, mais Hank qui avait chargé le Grand Maître sur son dos lui intima silence d’un froncement de sourcils. Presto, Bobby et Sheila se rangèrent à ses côtés

« C’est très juste », intervint Diana ; l’Acrobate s’était postée entre Eric et Hank, les mains sur ses hanches et fixait durement tant le Ranger que le vieillard avachi contre ses épaules. « Comment atteindre le monde souterrain puisque vous ne pouvez plus nous y envoyer ? »

Hank força la jeune fille à s’écarter et descendit rapidement l’allée centrale, les autres dans son sillage. Ils allaient passer dans la pièce d’à côté lorsque le Grand Maître détourna la tête. Sa voix résonna sous le crâne d’Eric et de Diana.

Quelqu’un dont la présence n’est pas souhaitée nous attendra lorsque la situation semblera sans issue... Ayez confiance, tous les deux, et venez. Je ne suis pas encore à la retraite.

Ils quittèrent le mausolée, puis la cour intérieure plus que jamais semblable d’éclairage au fond d’un puits, et foncèrent ensuite à travers le château, qu’ils traversèrent en un temps record malgré ses dimensions. L’intérieur de la bâtisse, de vide et sans âme, s’était fait lugubre avec une touche d’hostilité. Le réveil du Duc catalysait la tristesse des lieux ; les jeunes humains sentaient la noirceur s’amonceler dans les murs et les plafonds, hargneuse, avide et jalouse de leur force de vie. Ce leur était une raison supplémentaire de ne pas s’attarder. Le Grand Maître déclinait ; de toute évidence, disposant de la plus grande vitalité au sein du groupe, il se ressentait davantage de cette influence morbide. Bobby avait insisté afin de fermer la marche, résolu à faire tâter de sa Massue au Duc Machin Chose si jamais le sinistre personnage se libérait de son confinement dans des délais plus courts que ne l’avait prédit leur guide.

Au terme d’une marche sans incident, ils émergèrent au jour. Les bayous étendaient leur plaine putride à perte de vue. Comment était-ce possible ? Disparus le mur d’enceinte du terre-plein, ainsi que l’allée des griffons normalement visible à travers les brèches de la muraille ; il n’y avait plus que la masse colossale du château et dans toutes les directions des kilomètres de canaux croupis parmi les palétuviers, les roseaux et les plantes aquatiques. Ils entendirent le Grand Maître marmonner quelque chose à propos de la capacité de la nature à se plier aux desiderata du Duc. La situation devenait limpide : les pouvoirs de la chose dans son sarcophage avaient commencé d’affecter les alentours ; probablement le pays entier serait-il bientôt le reflet de l’esprit du monarque. Son titre n’était-il pas le Duc du Changement ?

Le front plissé et soucieux de Hank suffit à éclairer Eric sur les pensées de son amant. Les deux garçons échangèrent un signe, puis le Cavalier se baissa de manière à recevoir sur son dos la forme inerte du Grand Maître. Le temps jouait contre eux ; ils ne pouvaient plus faire dans la dentelle. Le Ranger tira son Arc et en éprouva le pouvoir en le bandant. Son regard inflexible embrassa le Barbare et le Magicien.

« Bobby, fais chauffer ton Gourdin ; nous allons jeter à bas ce château. Toi, Presto, vois si tu réussirais à changer ton Chapeau en ballon. Tu te souviens, comme à la Cité des Ours des Nuages ? Tout autre moyen nous ralentirait beaucoup trop... »

« C’est parti ! », répliquèrent les deux voix, Presto avec un peu moins d’entrain que Bobby.

Eric guida les trois autres à distance respectueuse des murailles du château. L’odeur immonde remontant de la plaine marécageuse leur retournait le cœur. Impossible vraiment de faire comme à l’aller et couper à travers ces bayous... L’apprenti Magicien se battait contre les réticences du Chapeau à devenir toile de ballon. Hank et Bobby, de leur côté, paraissaient avoir affaire à forte partie. Les flèches de feu du premier ricochaient sans dommage contre les murailles cyclopéennes ; et il fallait vraiment que le second s’échine sur un élément de maçonnerie pour qu’une crevasse y apparaisse. Le Ranger dit quelque chose au Barbare qui ne parvint pas jusqu’à Eric et consorts. Le garçonnet changea alors de tactique ; il fit courir ses doigts sur le bas du linteau massif de la herse, cria à son tour et asséna un coup de Massue contre le point sur lequel il s’était arrêté tantôt. Une section entière de mur éclata sous l’arme, essaimant des fissures plus larges que Bobby dans toutes les directions. Un carreau de feu jaune agrandit encore les dommages, puis le Barbare revint à la charge sur un pan intact. En alternant les attaques physiques frontales et les impacts de l’Arc, ils firent s’ébouler les vingt mètres de la grand porte, très vite suivies par la herse, le chemin de ronde deux étages au dessus et bientôt les tours articulées à l’entrée du château. L’avant tout entier de ce dernier craquela et se fissura. Mais le corps de logis principal tenait bon, la citadelle ferme sur ses bases de par son poids quelques éléments périphériques qu’elle eut déjà perdus. Bobby était en nage à force de cogner, et l’Arc, à force de prodiguer ses carreaux, crépitait dangereusement. Le résultat était plutôt satisfaisant, au bout de pas cinq minutes d’efforts frénétiques. La presque totalité de l’avant du château était réduite en un amoncellement de gravats et de blocs plus ou moins volumineux ; les crevasses allaient bon train en direction du donjon et de la cour intérieure, propagées comme un jeté de dominos par la force centrifuge. Le Ranger banda une dernière son arme, retint la flèche fluctuante qu’il produisit après deux tentatives infructueuses assez longtemps pour qu’elle se charge d’une force destructrice, et la relâcha avec un juron très haut dans l’atmosphère. Quelques secondes passèrent. Le trait de feu jaune retomba à la base de l’orgueilleuse perspective du donjon, emportant avec lui une poterne, un pan du beffroi et un escalier à ciel ouvert. Raté. La construction était bien trop solide, les pierres par trop anciennes et jointives, pour céder aisément. Du moins c’est ce que toute l’assistance, minorée du Grand Maître qui semblait assoupi, crut dans un premier temps. Un craquement de fin du monde les avertit que le coup avait fait mouche. Le monstrueux quadrilatère s’affaissait lentement sur lui-même ! La poterne en s’abîmant avait dû emporter des murs maîtres et sapé l’équilibre de ses masses. Le château entier craquait bientôt dans tous ses corps.

Un bruit déplacé détourna l’attention de l’assistance sur Presto. Le Chapeau lui avait échappé après une énième tentative et, après avoir plané en grossissant au dessus de la tête de son infortuné propriétaire, très largement hors de portée, s’était vidé de ses gaz de répugnante manière. Le Magicien le récupéra quand il retomba avec aussi peu de douceur que s’il s’était agi d’un détritus, le regarda avec dégoût et le balança par terre. Le cône de tissu émeraude ne toucha jamais le sol ; son embouchure s’éclaira et il s’éleva une nouvelle fois en l’air, où il se mit à décrire des arabesques empreintes de ridicule. On eût vraiment dit que l’artefact se moquait de son possesseur, à la façon qu’il avait de gigoter au dessus de Presto.

« Désolé, Hank ; il n’y rien à attendre de ce vieux sombrero. Ce n’est pas faute d’avoir essayé... »

« Qu’est-ce que tu racontes ? Regarde mieux. »

Le Magicien avait clos ses paupières de dépit ; il les rouvrit sous l’injonction de Hank et dut combattre la propension de son maxillaire inférieure à se décrocher sous la stupeur. Finalement las de faire le pitre, le Chapeau était devenu haut et large comme une toile de parachute, puis la ramure d’un arbre, et ensuite une maison. Stabilisé aux dimensions d’une tourelle du feu château, il retombait doucement, son ouverture pointée vers le sol précédée par les cordages qui s’en étaient dégagés. L’extrémité de ceux-ci ne toucha pas terre, car leur matière grouilla et se contorsionna brièvement, à l’instar d’une masse de tentacules, pour composer une forme oblongue et aplatie. Les derniers entrelacs de la nacelle apparurent au jour lorsque la montgolfière atterrit en douceur devant le petit groupe. Une section du bastingage se déplia à l’endroit où Presto interdit frottait ses yeux. Il ignorait de quelle manière le tour avait marché, mais ce ballon était plus grand, plus solide et plus engageant que celui qui leur avait rendu service plusieurs mois auparavant. Les motifs de couleur vive formant un lacis protecteur sur l’enveloppe de l’aérostat et les dizaines de sacs de sable accrochés sur la circonférence de la nacelle dégageaient une impression de sécurité ; l’engin devait être plus rapide aussi, témoins les dérives qui ornaient la moitié supérieure de la voilure et surtout les trois hélices, de très récente formation, qui faisaient face à l’embarcadère. L’intérieur était vaste, probablement assez pour qu’ils aient leurs aises durant le voyage, et même au delà.

Un sourire béat illumina ses traits. Il eut une manipulation des doigts. Sa robe de magicien se fit tenue de steward, complète jusqu’aux galons et à la casquette. Même ses lunettes avaient changé, monture mode en acier autour de verres rectangulaire plus en rapport avec la forme de son visage.

« Si ces Messieurs Dames veulent se donner la peine... Air Presto vous convie à embarquer. »

L’humeur était à la franche rigolade comme chacun montait à bord. L’espace était en effet conséquent, si le confort laissait à désirer. Une cabane de rotin d’environ cinq mètres de diamètre et trois de haut formait comme une cabine ; une table, un trépied de bronze et deux bancs scellés au plancher se dressaient devant son ouverture. Cabine et coin dînette étaient ceinturés par une balustrade ronde, également en rotin, qui s’interrompait à plusieurs reprises sur un petit portail. Une large galerie circulaire occupait le restant de l’espace, permettant de circuler le long du bord extérieur de la nacelle. Chacun s’y accouda, exception faite pour le Grand Maître qu’Eric avait déposé sur un lit de camp à l’intérieur de la cabine. Le ballon s’éleva de lui-même, puis s’ébranla vers l’ouest. Vu du ciel, le château était beaucoup plus étendu qu’il ne l’avait semblé et les dégâts de moindre ampleur, quoique Bobby et Hank notèrent avec satisfaction que le donjon avait croulé sur la cour intérieure. L’aérostat qui s’éloignait rapidement leur offrit un dernier aperçu des dommages avant que la forteresse et la vallée entière ne s’estompent dans le lointain. Ils étaient à présent au dessus de la couche des nuages et filaient bon train. Presto pourtant n’était pas tranquille. Qu’était-ce qu’une vitesse de trente ou quarante kilomètres à l’heure lorsque leur nouvel ennemi détenait suffisamment de pouvoirs pour transir d’effroi le Grand Maître en personne ? Sans compter qu’avec leurs armes bien entamées, ils constituaient une cible facile. Le Magicien serra les dents. C’était à lui de mettre le maximum de chances de leur côté. Ses bras s’élevèrent et il incanta dans sa barbe : Ballon né du Chapeau, va plus vite que le vent Distancer ce démon on le doit maintenant. La montgolfière tressaillit, puis les dérives se déployèrent et les hélices commencèrent à tourner. Quelques secondes suffirent à l’engin pour quadrupler sa vitesse. Cependant, malgré le vent qui fouettait l’intérieur de la nacelle, nul à coup ni secousse ; il n’y avait même pas besoin de se tenir. Décidément, le Chapeau s’était surpassé.

Hank regarda la mer cotonneuse défiler au dessous d’eux. Le ballon, supposait-il, savait où ils allaient. Or cela ne ressemblait pas au Grand Maître de les envoyer à l’aventure s’il ne disposait d’une vision nette de ce qui était censé advenir. Néanmoins, le blond était inquiet. La prescience de leur guide avait été déjouée par Vengeur, puisque apparemment le Seigneur Rouge était la main invisible qui avait rendu ce désastre possible ; tout laissait croire qu’il pouvait en aller encore de même. Le Donjon souterrain constituait leur priorité ; une fois le Grand Maître sur pied et leurs armes rechargées, les perspectives se dégageraient. Il serait alors temps de chercher à résoudre le problème du Duc du Changement. D’ici là, ils feraient comme toujours — serrer les dents et maintenir le cap. Cela leur avait jusqu’à présent réussi.

Un contact chaud et souple dissipa ses pensées. Profitant de ce que les autres étaient assis de l’autre côté du ballon devant Presto et ses tours de cartes — ils volaient depuis une heure, avait déclaré la montre à gousset du Magicien, et comme Bobby commençait à s’ennuyer et sa sœur à trouver le temps long sans la présence rassurante du Ranger et en l’absence de la conversation de Diana, rentrée entre-temps s’étendre dans la cabine, Presto avait jugé bon de les distraire avec ses talents, considérablement accrus à l’intérieur du Royaume, de prestidigitateur —, Eric s’était assis à côté de Hank et enhardi à poser sa tête contre la nuque du blond. Celui-ci s’abandonna contre le contact, avant de rire en sourdine.

« Tu piques », dit-il en passant deux doigts sur le menton du brun. L’ombre d’une barbe noire y était en effet visible. Ce n’était pas le seul changement subtil que Hank remarqua ; il aurait voulu le faire voir à son compagnon plus tôt, hélas ils n’avaient jamais été seuls depuis leur retour dans le tombeau, et maintenant qu’ils disposaient d’un peu de temps à eux, le Ranger hésitait. Déclarer tout de go à Eric que son visage s’était rempli au niveau des tempes et du menton, le faisant paraître moins émacié et plus mûr, n’était pas forcément souhaitable, vu son tempérament... Le blond choisit en définitive de se taire.

« Tu peux parler », rétorqua Eric. « De ce que tes poils sont blonds ils ne sont pas moins drus. Et on dirait que tu as forci du pare-brise ; faut moins manger, mon grand, sinon attention aux dégâts... »

Hank se passa une main sur le visage. C’était exact ; des poils drus accrochaient au niveau de son menton et derrière ses oreilles. Mais la réflexion du Cavalier à propos de ses traits le troublait par dessus tout. Il ne pouvait s’agir d’une coïncidence. Pas lorsqu’il avait constaté les même marques sur Eric. Pourtant, leur vieillissement s’arrêtait dans le Royaume... Il y avaient passé quoi ? l’espace d’une année, et, hormis leurs cheveux qui repoussaient à un rythme variable, ils étaient restés comme au premier jour. Ce n’était pas leur demie journée sur Terre qui les avaient changés à ce point.

Le blond se redressa en hâte. Ses yeux brillants parlaient des volumes. Eric s’écarta en soupirant. Il avait encore cédé à sa sacré bon sang de méchante langue au lieu de se taire et de laisser passer... L’eût-il fait que Hank serait à son côté, à le cajoler. Mais il lui était si difficile de ne pas rétorquer. Affaire d’habitude. Son personnage de mouche de coche avait fini par devenir une seconde nature. Il se leva à contrecoeur et suivit Hank. Ce dernier s’était avancé jusqu’à avoir Presto, Bobby et Sheila dans sa ligne de vision, sans qu’ils ne soient en mesure de l’apercevoir. Son visage s’était fait grave. Il les considéra un petit moment, puis vint vers eux. Eric comprit ce qui avait frappé ses yeux. Sur la lèvre supérieure, naguère imberbe, de Presto s’accrochait une ombre de moustache brune. L’intéressé finit par se rendre compte de l’attention dont il était l’objet. Il détourna un regard interrogateur vers Hank.

« Les copains, je pense qu’on a passé davantage de temps dans ce désert qu’il nous est apparu alors. Une distorsion ou quelque chose dans ce goût-là, qui a altéré nos perceptions... Eric et moi avons la barbe qui a poussé ; toi aussi, Presto, dans une mesure moindre. Comme nous sommes plutôt peu velus, et que pour ma part je me rasais une fois par quinzaine, avant la fête foraine, faites le calcul. Cette demie journée là-bas a duré assez longtemps pour que mon duvet devienne poil dru : au moins un mois et demi, peut-être davantage... Je comprends mieux pourquoi le portail s’est refermé si vite côté Terre ; d’accord Dékion lui a tiré dessus côté Royaume, mais le Grand Maître nous l’a dit, ça lui’avait semblé bizarre, que sa magie aie pu affecter autant un pouvoir aussi puissant que celui du rubis. Vous avez ressenti la force du Duc ; Dékion est un nain en comparaison. »

« Tandis que si beaucoup de temps s’était écoulé, le portail a fini par péricliter dans notre monde, et nos armes marchaient forcément moins bien... » finit Eric. « Tu dois avoir raison ! »

Quatre interjections surprises. Diana était ressortie à temps pour capturer au vol les mots du Ranger. Elle fit une moue songeuse. Bobby, lui, diplomate comme jamais, pointa un doigt accusateur sur le Cavalier.

« Et qui c’est qui a pris du bide ? Ne cherchez pas où toute la nourriture a pu filer. »

Eric furibond lui aurait sauté dessus si Hank et Diana ne s’étaient interposés. En entraînant le brun dans la direction opposée au Barbare, le blond posa par mégarde une main sur son abdomen. Quelle ne fut pas sa surprise de rencontrer une légère proéminence au niveau du nombril ! La différence était assez subtile, du fait de la cuirasse et de la cotte de mailles qui l’écrasaient, mais à présent que son attention était éveillée, le doute n’était pas envisageable. Eric avait effectivement grossi. Sa réaction fut inexplicable : une main furieuse écrasa les doigts des Ranger avant de les relâcher avec une force telle que Hank en fut déséquilibré et tomba à la renverse. « Pas touche », glapit-il, « c’est sensible ! ».

Rien dans leurs démêlés avec les innombrables monstres et merveilles du Royaume ne les avait préparés à ce qui suivit. Le Grand Maître apparut entre les deux garçons, plongea ses yeux sans âge dans les pupilles d’obsidienne d’Eric, en soutint l’éclat et hocha tristement la tête. Hank tenta de dire quelque chose, pour être interrompu d’un signe impérieux de la main du vieil homme. L’examen dont Eric faisait l’objet de la part de leur guide commençait à lui porter sur les nerfs, et il s’étrangla presque en ravalant une répartie cinglante. Lorsque le Grand Maître daigna enfin parler, le Cavalier regretta le silence inconfortable de naguère. Son sang s’était glacé dans ses veines, un vertige subit voyait les êtres et le décor tourner comme un manège autour de sa personne. Il n’avait tout de même pas pu entendre cela ! Malheureusement, l’air horrifié, perdu et incrédule qui chiffonnait les traits du Ranger lui apporta la réponse.

Il ne s’était en rien mépris sur les paroles du vieil homme.

« Je veux bien croire que c’est sensible, Cavalier. Tu attends un enfant. Et ta grossesse est déjà avancée. »

 
 
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