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au 31 Mai 21 :
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contenant 15226 chapitres
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Bec d'écaille, croc de plume
Par Jaiga
Originales  -  Romance/Fantaisie  -  fr
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    Chapitre 12     Les chapitres     64 Reviews     Illustration    
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Petits mensonges entre amis

Disclaimer : Tous les personnages/ lieu/ périodes sont issus de mes dérivations intellectuelles. J’ai cependant utilisé certains personnages pour des forums Rpg, ne vous étonnez donc pas si vous les croisez un jour, au hasard du net.

Notes :

- Le début de ce chapitre a été récemment remanié, parce qu’il était décidemment trop affreux et à côté de la plaque pour être laissé dans son état originel. De plus, ce chapitre donne les réponses de certaines questions qui ont été soulevées dans les premiers chapitres, ce qui fait que la compréhension sera peut-être un peu difficile… ;p

- Je m’excuse par avance pour les fautes de grammaire ou d’orthographe qui m’ont échappée, j’avoue avoir des lacunes dans ce domaine, en particulier sur un ordinateur … D'autant plus que ce chapitre est le seul à avoir échappé au gros ravalement de façade que j'ai effectué lorsque j'ai publié le chapitre 13. Il avait été posté trop récemment pour que j'aie le courage de le relire... X3

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Chapitre 12 : Petits mensonges entre amis

- Bien, maintenant qu’on est tous les quatre, si on parlait des choses sérieuses ? annonça Shézac d’une voix guillerette, en souriant aux deux amants. Vos retrouvailles se sont bien passées ?

Fallnir et Ehissian se regardèrent du coin de l’œil, alors que leurs cœurs commençaient à battre la chamade. Surtout celui d’Ehissian, à vrai dire, qui ne savait absolument pas que Shézac était au courant.

- Ils n’ont pas besoin que tu te mêles de leur vie sexuelle, Shézac, tu sais ? Soupira Scysios en posant son jeu sur la table. De quoi veux-tu qu’on parle ? Ils sont grands, ils peuvent se débrouiller tout seul…

- Mais, Scy, c’est nous qui les avons mis dans cette galère, intervint Shézac avec une moue apitoyée. Si jamais ils étaient découverts, on aurait des problèmes aussi…

Ehissian cligna des yeux, abasourdi. Il ne comprenait pas tout, mais il tout de même en mesure de saisir en partie une chose. Les deux démons savaient pour eux deux, et pas qu’un peu.

-Tu savais pour moi et Fallnir ? Répéta-t-il à voix haute à l’adresse de Scysios, les yeux aussi ronds que des soucoupes.

-Tu as mis quelqu’un d’autre au courant ? Sursauta Fallnir en jetant sur Shézac un regard légèrement paniqué.

Sans le vouloir, les deux amants avaient parlés au même moment. Surpris, ils se regardèrent de nouveau, perdu, échangeant une expression d’incompréhension. Eux qui avaient toujours été persuadé que leur liaison était aussi secrète que la couleur de la première paire de chaussette du prince Lékilam, tombaient soudainement de leur haut piédestal.

Ce fut au tour de Shézac de froncer les sourcils, toujours tourné vers l’autre démon.

-Tu ne lui as rien dit ?

Scysios haussa les épaules, blasé.

-Toi non plus, je te signale.

Le blond détourna alors les yeux, pensif. Il semblait réfléchir, et sérieusement pour une fois.

-Oh. Alors je suppose qu’il faudrait qu’on leur explique.

-Ca le semblerait judicieux, en effet, observa le médecin en levant les yeux au ciel. Ehissian, oui, je savais pour toi et Fallnir. Et oui, Fallnir, il m’avait mit au courant.

Le ton de sa voix était très légèrement remonté. Avec un peu d’attention, on aurait même pu voir l’électricité qui jaillissait du médecin, et s’orientait tout entière vers son compagnon blond. Tout à sa stupeur, Fallnir en prit vaguement conscience, et se raidit très imperceptiblement, se rapprochant d’Ehissian.

-Je croyais que tu devais rester discret… se plaignit le dragon en dévisageant Shézac.

- Je sais bien, mais pour te faire entrer à la Volière, il fallait bien que j’aie un contact sur place, tu ne crois pas ? Tu ne te souviens pas, le jour où tu es venu me demander, j’ai passé un coup de fil à quelqu’un… -Fallnir hocha la tête, se rappelant vaguement- Eh bien ce quelqu’un, c’était Scysios ! Annonça fièrement le blond, content de son effet.

-Même si l’intéressé doit avouer que l’appel qu’il a reçu n’exposait pas clairement toute la vérité, répliqua Scysios d’un ton froid, en foudroyant du regard son compagnon.

Il reprit d’une voix plus calme, à l’adresse des deux amants.

- Disons que j’ai servi de premier entremetteur, et le prince a fini par trouver l’idée amusante…

-Le prince sait pour nous ? s’écria Ehissian, totalement affolé.

- Non, il ne sait pas, l’apaisa Scysios en secouant doucement la tête. Il y a quelques tensions entre différents peuples, en ce moment, et il voulait depuis longtemps ouvrir la Volière aux étrangers pour essayer de nouer contact. Il se doute peut-être que si Fallnir a accepté de venir ici, c’est que quelqu’un lui a tapé dans l’œil, mais il ne sait pas que vous en êtes déjà… Enfin… Que vous êtes déjà très proche.

Ehissian s’empourpra aussitôt, et piqua du nez. Fallnir, lui, emmagasinait lentement les informations. Quelque chose clochait, dans les différentes versions qu’on lui avait données. Quelque chose le gênait, et il arrivait plus ou moins à savoir quoi. Mais il avait peur d’en réaliser toutes les conséquences.

- Attendez une minute, mais vous, vous vous connaissez ? Réalisa Ehissian en écarquillant encore plus ses yeux, s’il lui était possible de le faire.

La curiosité des phénix étaient légendaires, presque autant que leur naïveté. D’ailleurs, les deux allaient de pairs. Il suffisait qu’un papillon bizarre leur passe sous le nez pour qu’ils oublient ce qu’ils étaient en train de faire.

- Non, on ne se connaît pas plus que ça, répondit aussitôt Scysios d’une voix devenue subitement glaciale. Juste des vagues connaissances. D’ailleurs, je vais vous laisser, maintenant, je crois que je n’ai plus rien à faire ici.

Il se leva sur ces mots, pour quitter la pièce d’un pas décidé, sans rien ajouter d’autre. Les deux amants frissonnèrent lorsque la porte fut claquée sans ménagement, et échangèrent un regard perplexe.

Shézac marqua une courte pose, ouvrit la bouche, leva l’index, et ferma les yeux.

- Accordez-moi deux minutes.

Et il fila à toute jambe vers la sortie, laissant seul Fallnir et Ehissian, plus perdus que jamais.

-Scysios !

Ce dernier ne répondit pas, et continua d’avancer fermement vers l’escalier, le dos droit et le regard rivé vers l’avant. Il n’accéléra pas lorsque Shézac se mit à courir pour le rattraper, ne se débattit pas non plus lorsque le blond le saisit par le bras pour le forcer à s’arrêter. En revanche, il se refusa de poser les yeux sur sa mine apitoyée, et les garda obstinément tournés vers le mur.

- Scysios… répéta Shézac d’une voix piteuse. S’il te plait, regarde-moi…

Les muscles du médecin se contractèrent, sous la main du blond, et celui ci raffermit un peu plus son emprise sur son bras. Scysios resta sourd à sa supplique, indifférent comme une statue de marbre. Il refusait de s’incliner devant l’autre. Ils refusaient tous les deux de s’incliner devant l’autre. C’était un combat silencieux entre leurs deux volontés, leurs déterminations à tous les deux de ne pas plier. La plupart des démons préféraient s’affronter par la force ; la légende disait que la première cause de mortalité de leur peuple était les duels. En réalité, les démons ne se battaient que pour le plaisir, pour l’amour de la bagarre et des combats acharnés. En cas de conflit, ils devenaient des tacticiens beaucoup plus subtils, et comptaient alors sur leur véritable arme secrète, l’art de la parole et du discours, appuyé par leur détermination inébranlable.

La lutte entre les deux démons aurait pu durer des heures, si Shézac ne s’était pas subitement décidé à changer du tout au tout de tactique.

Avec vivacité, il tira Scysios vers l’arrière, le plaqua sans douceur contre le mur, et l’immobilisant par la force de ses bras, l’embrassa fougueusement.

Il n’y eut aucune résistance, ni morsure, ni coup violent. Les lèvres du médecin étaient douces, terriblement désirables, et ne tardèrent pas à répondre avec envie au baiser. Peu à peu, Shézac sentit le corps contre le sien se relâcher, et une paire de bras vint se nouer autour de son cou, d’abord hésitant, puis plus audacieux. Ses mains cédèrent alors l’emprise qu’elles exerçaient, et se glissèrent autour de sa taille pour ramener Scysios contre lui.

Si cela n’avait tenu qu’à lui, il l’aurait renversé sur le sol sans plus de ménagement, et l’aurait dévoré sur place, possédé pendant des heures et des heures. Il voulait s’enivrer de sa douceur, de son odeur, de son essence même, de tout ce qui faisait qu’il était Scysios, et qu’à ses yeux, il était irremplaçable. Sans qu’il ne s’en rende compte, ses doigts s’immiscèrent sous la chemise du châtain, effleurèrent légèrement ses reins, et se posèrent enfin sur son dos, cédant à la convoitise et à l’envie oppressante de le toucher, et de couvrir son corps de caresse. Avec hésitation, il voulu se glisser dans son esprit, pénétrer dedans comme un vieil ami qui connaissait la maison, vérifier si tout était à la même place que la dernière fois. Il parviendrait à coup sûr à trouver le recoin de son esprit qui contrôlait ses réactions physiques, pour lui faire par la pensée toutes les choses qu’il voulait lui faire dans la réalité, ou bien, discrètement, s’immiscer dans ses souvenirs pour comprendre ce qui avait suscité le courroux du médecin à son égard…

Ce fut peut-être la seule chose que le médecin lui refusa, tout en douceur et en délicatesse. La porte de son esprit resta close, et il l’en écarta subrepticement, par d’autres stratagèmes, comme par exemple une main agile qui vint défaire l’élastique qui retenait ses longs cheveux blonds, et glissa ses doigts dans sa soyeuse chevelure. Shézac se sentit fondre, autant de plaisir que de désir, et du se faire violence pour contenir ses pulsions.

Le baiser passionné finit par s’achever, et leurs lèvres se séparèrent, non sans une pointe de réticences. Leurs paupières se rouvrirent, et leurs regards se croisèrent, hésitant, emplis de tout un tas de chose qui ne pouvaient se lire que dans les yeux.

-Tu aurais pu me dire la vérité, quand tu m’as appelé… Me dire que c’était toi qui venais, au lieu de me raconter que c’était deux de tes amis…

Scysios le regardait d’un air dans lequel on pouvait percevoir une blessure, une estafilade derrière le masque de sa volonté et de son désir. L’heure des explications avaient sonnées.

-Je voulais te faire une surprise, répondit Shézac, penaud. Je suis désolé, c’était stupide….

Il appuya doucement son front contre celui de son compagnon, et attrapa ses mains, pour mêler ses doigts aux siens. Il lui avait tellement manqué… Il ne l’avait pas vu depuis des mois, des années… Shézac n’était arrivé que très récemment sur ce monde ci, quelques semaines, tout au plus, pour voir comment se portait Fallnir. C’était lui qui avait conseillé cette planète tranquille au dragon, et il se préoccupait de temps en temps de savoir comment l’auburn allait, l’espace de quelque jours. Jamais suffisamment pour savoir si Scysios était également de passage chez les phénix, ni pour lui rendre visite. Alors quand par hasard, le dragon l’avait appelé justement au moment où le blond était lui-même présent sur ce monde, et que Scysios avait répondu en personne au téléphone qu’il laissait tout le temps à la Volière…

- Et le lendemain matin ? Tu n’étais pas obligé de partir comme un voleur… accusa le châtain d’un ton réprobateur.

Un nouveau poids de culpabilité se rajouta sur les épaules de Shézac, qui baissa la tête, et nicha le visage dans le cou du médecin aux yeux violets. Les marques de la nuit de leurs retrouvailles avaient disparues, et il inspira longuement, profondément, pour se gorger de l’odeur suave de sa peau.

- Désolé… Le prince nous avais donné rendez vous à midi, j’ai pensé… Je suis navré…

Scysios frémit lorsque le souffle et les lèvres de Shézac effleurèrent le creux de son cou, au rythme des mots qu’il prononçait. Il posa doucement une main sur le dos du blond, pour le tenir un peu plus contre lui, et le caresser tout en légèreté. Presque comme un signe de pardon.

-Tu n’es vraiment qu’un crétin, tu sais ? Soupira-t-il avec un léger sourire aux lèvres.

- Je sais, gloussa Shézac en réponse, toujours niché contre lui. Dis… Tu ne m’en veux plus ?

Il se serra contre le châtain, pour échanger un câlin tendre, dénué de la passion de leur précédent baiser. Son désir s’était peu à peu assoupi, son ardeur adoucie, au profit d’un simple besoin de chaleur et de contact complice.

- Non, je ne t’en veux plus, répondit Scysios d’une voix douce. C’est moi qui m’en veux, maintenant. J’aurais du te forcer à l’abstinence…

Shézac se détacha de lui, et eut une grimace expressive.

- Ca, ça aurait vraiment été méchant.

Le médecin éclata de rire, et quitta l’appui du mur, pour reprendre le chemin de la salle commune.

-Tu viens ? Ils doivent se demander ce qu’on fait…

Shézac le suivit sans rechigner, trop heureux de se voir enfin pardonné. Ou du moins, réconcilié.

Ils trouvèrent les deux tourtereaux mains dans la main, l’un à cheval sur les genoux de l’autre, en train de s’appliquer à ce qu’ils avaient eux même fait quelques minutes plus tôt ; à savoir, s’embrasser avec toute la passion dont ils étaient capables, agrippé l’un à l’autre comme si leur vie en dépendait.

- Eh bien, y en a qui perdent pas de temps, se moqua Shézac d’une voix forte, pour surprendre les deux amants qui ne les avaient pas remarqués.

Ehissian sursauta, et descendit bien vite des genoux du dragon, rouge comme une tomate. Il se recroquevilla sur sa chaise et fixa avec un grand intérêt le bout de ses chaussures, extrêmement mal à l’aise. Fallnir, infiniment moins pudique, surtout devant deux démons qui avaient par définition du voir -et faire- pire que deux amant surpris en train de s’embrasser, se contenta de froncer les sourcils.

- Vous en avez mis, du temps.

Les deux démons vinrent se rassoir, côte à côte, et échangèrent un sourire.

- J’avais deux trois choses à me faire pardonner, se contenta d’expliquer le blond. Ne te plains pas, si les murs de la Volière n’étaient pas aussi inconfortable, on aurait pu être encore plus long.

Ehissian rougit encore plus, si c’était du moins phénixement possible, et Scysios pinça amicalement le bras de son compagnon, qui protesta pour la forme.

-Euh… Mais… Scysios, ça veut dire que… La personne en qui le prince fait confiance, celle qui a plaidée pour nous… C’était toi ? Bégaya subitement Ehissian, sans doute pour essayer de changer de sujet. Je croyais que Libellule…

Souriant, le maudit secoua négativement la tête. Il paraissait beaucoup plus calme et chaleureux que tout à l’heure. Peut-être encore un peu mélancolique, mais plus calme.

-Non. Pour être précis, j’en ai d’abord parlé à Libellule, et nous sommes allés ensemble convaincre le prince.

L’auburn hocha la tête, plongé dans ses pensées. Il restait donc toujours une inconnue à l’équation. Le prince Lékilam n’aurait jamais accepté aussi facilement, à moins d’être fou. Quelqu’un d’autre avait du également intercéder en sa faveur, en plus du démon et de la nymphe, mais il ignorait toujours qui.

Il y avait également un autre mystère, qui subsistait, mais Shézac donna la solution avant même qu’il ne pose la question.

- Mais si tu veux tout savoir, mon petit lézard, l’ami que je voulais revoir, c’était bien lui.

Scysios poussa un « Quoi ? » sonore, se tournant vers le blond avec des yeux ronds comme des billes. Mais ce dernier éluda l’interrogation d’un sourire lumineux, en prétextant qu’ils verraient cela plus tard.

Un petit silence s’installa ensuite, personne ne sachant quoi dire. Ce genre de silence qui s’installait parfois, entre gens appartenant à des groupes différents, qui se connaissaient bien mais pas suffisamment pour que la discussion soit permanente. Ce fut Ehissian qui le brisa, en prenant pensivement la parole, une lueur inquiète dan le regard.

-Et… Libellule, elle est au courant, pour nous ?

Shézac lui sourit, d’un autre de ses larges sourires joyeux, étincelant de blancheur.

- Eh, on n’est pas fou. Nous sommes les quatre seuls au courant de vos petites affaires. Et ça vaut mieux pour vous.

Le phénix approuva en silence, les joues un peu roses. C’était tant mieux, que seul les démons sachent pour lui et Fallnir. Ils pouvaient faire confiance à Scysios, il en était certain. Et ci ce dernier connaissait bien Shézac, ce qui avait apparemment l’air d’être le cas, et plutôt deux fois qu’une, alors il pouvait aussi faire confiance au blond.

Du moins, il l’espérait.

Fallnir remua un peu sur sa chaise, embarrassé.

-Vous croyez que l’on doit absolument se cacher ? Je veux dire… Les autres phénix n’ont pas l’air si dérangé que ça que je sois un dragon…

Et le chevalier sentit une boule lui monter dans la gorge.

Non, les autres ne devaient surtout pas savoir, jamais. Mais il ne pouvait se résoudre à dire ça à son amant. C’était trop égoïste. Ce serait se préoccuper uniquement de ses propres intérêts, et ne considérer son amant que comme un jouet encombrant, ou un animal de compagnie gênant, dont on ne pouvait malgré tout se passer.

Scysios le sauva cependant.

-Il ne vaut mieux pas. La situation n’est pas très stable, chez nous. Et Libellule a largement préparé le terrain avant votre arrivée. Les habitants n’ont pas encore vraiment réalisé que tu étais un dragon, mais crois moi, il suffirait qu’il y ait un accrochage un peu trop violent dans notre monde, et que d’une manière ou d’une autre cela s’apprenne ici, pour qu’ils retrouvent la mémoire.

L’auburn baissa les yeux.

Cela ne l’enchantait guère de ne pouvoir rester librement aux côtés d’Ehissian. Mais puisqu’il le fallait…

Après tout, il avait l’habitude des secrets…

-D’accord… Alors j’essaierais de me retenir de te sauter dessus, soupira-t-il en souriant doucement à Ehissian.

Ehissian qui, malgré son soulagement, ne parvint pas à faire redescendre cette boule dans sa gorge.

- En fait, le mieux, c’est que tu restes toujours en présence de l’un de nous deux, observa simplement Shézac. Des étrangers qui restent entre eux, ça n’intrigue jamais personne.

L’autre démon approuva de la tête. Un sourire narquois passant le temps d’un éclair sur les lèvres du blond, trop rapidement pour que quelqu’un l’aperçoive, et il s’empressa de continuer.

-Et si vous tenez absolument à vous rencontrer dans la journée sans éveiller les soupçons, comme Ehissian est officiellement amis avec Scysios, et que tout le monde sait que je connais très bien Fallnir, il suffit que les gens apprennent que je suis aussi une bonne connaissance de Scy, et on pourra s’organiser des petites rencontres comme celle d’aujourd’hui. C’est chouette, non ?

Le maudit lui donna un coup de coude si violent que le blond en eut le souffle coupé pendant une bonne trentaine de seconde.

Fallnir et Ehissian éclatèrent de rire, tandis qu’imperturbable aux faux gémissements de douleur de Shézac, Scysios mélangeait soigneusement toutes leurs cartes.

La poignée de la porte tourna subitement, et en un éclair, ils se redressèrent tous sur leurs sièges. Droit comme des i, il reprirent une expression neutre, quoiqu’un peu maladroite.

Réflexe défensif dut à la peur. Et, pour sauver leur amour propre, disons qu’il valait mieux appliquer dès maintenant ce qu’ils venaient de décider.

La frêle silhouette de Libellule apparut dans l’embrasure de la porte. Sa longue jupe laissait à peine entrevoir ses pieds, alors qu’elle s’inclinait en souriant.

-Libé ! Entre ! s’exclama Shézac le plus naturellement du monde.

Ses longs cheveux sombres, aux si beaux reflets verts, se balancèrent doucement, sagement tressés dans son dos.

-Bonjour tout le monde… Je suis navrée d’interrompre votre partie, mais je dois vous transmettre un message…

Ils froncèrent tous les quatre les sourcils, intrigués.

Et légèrement anxieux, il fallait bien le dire.

- A vrai dire, ça ne concerne que Shézac et… Fallnir, c’est bien ça ? Demanda-t-elle avec un sourire. Il faut que l’on vous fasse remplir quelques petits papiers. C’est juste une archive, pour garder une trace de tout ceux qui ont résidé ici, rien de vraiment très formel…

Les deux intéressés échangèrent un regard.

-Tout de suite ?

La nymphe acquiesça, les mains jointes sur le devant de sa jupe.

-Oui, maintenant que la santé du prince s’est améliorée, le plus tôt serait le mieux… Et comme ça, vous serez débarrassé, ajouta-t-elle avec un sourire.

Il se levèrent de concert, et s’excusèrent auprès de leurs compagnons, comme si de rien n’était. Même si le blond leur fit un discret clin d’œil.

-On arrive… A plus, vous deux !

Scysios leur fit un signe de la main.

-Rejoignez nous à la salle à manger, à l’heure du repas, on vous présentera aux autres.

Les deux compères acceptèrent rapidement, et suivirent ensuite Libellule à l’extérieur de la pièce. Lorsque la porte se referma, Ehissian poussa un soupir.

-Tu sais quoi ? Je donnerais cher pour pouvoir y jeter un œil, à ce dossier. Je ne sais pas la moindre chose sur Fallnir.

Amusé, Scysios distribua les cartes avec dextérité.

-Moi aussi, j’aimerais bien. Pour savoir ce que Shézac va baratiner au prince.

Ils échangèrent un sourire entendu.

L’épreuve des dossiers, comme certains l’appelaient, ils y étaient tous passés, lors de leur arrivée ici. Même Ehissian, qui n’était pourtant alors qu’un jeune orphelin. C’était un conseiller qui l’avait interrogé, mais il avait bénéficié de la présence d’une amie de sa mère, pour l’épauler.

Ce n’était en fait que des questions de bases. Patronyme, âge, signe particulier, lieu de naissance, mais surtout, motivation ayant poussé à rejoindre la Volière, et selon les personnes, quelques questions plus ou moins précises sur l’origine et le passé du nouvel arrivant.

Nul doute que Fallnir devrait mentir au moins pour l’un de ces points. Mais à présent que tout était clair, Ehissian lui faisait confiance.

Et peut-être qu’un jour, il pourrait demander à Lékilam de lui laisser jeter un œil sur les dossiers… Pour qu’il sache exactement quel genre d’individus logeait ici. Uniquement dans un but professionnel, donc.

Rapidement, il observa le jeu qu’il tenait en main, avant de lever le regard vers Scysios.

-Si je gagne, tu me racontes comment tu as rencontré Shézac.

Le démon sourit.

-Ok. Mais si tu perds, c’est toi qui racontes comment tu as rencontré Fallnir.

Ils se sourirent de nouveau.

--

Libellule toqua à la lourde porte de bois, avant de disparaître dans le dédale des escaliers, dans un bruissement de jupe.

Shézac et Fallnir se retrouvèrent seul, dans le couloir désert, à attendre que le prince accepte de les recevoir. Ils échangèrent un regard, qui se voulait certainement rassurant de la part du blond. Nul besoin d’être devin, ou de l’analyser en détail, pour savoir que Fallnir était angoissé.

Et encore. Le mot était faible.

Le dragon résistait tant bien que mal au désir de se mettre tout de suite à se ronger les ongles, comme un gosse ou une jeune fille. Ce ne serait certes pas très masculins, mais soulagerait grandement ses intestins, qui étaient en train de former un tel sac de nœud qu’il doutait de pouvoir manger ce soir là.

Il avait beau se répéter que tout se passerait bien, qu’il aurait enfin l’occasion de parler et de mettre les choses au clair avec le prince, comme il aurait voulu le faire dès qu’il avait connu le lieu où il vivrait dorénavant, il ne parvenait à se redonner courage que pour une fraction de seconde. Un éclair de soulagement et de calme, et paf, tous ses doutes et ses angoisses revenaient en moins de temps qu’il n’en fallait pour dire « zen ».

Aussi, lorsque la porte s’ouvrit en grinçant, il fit un tel bond que Shézac crut qu’il allait se cogner contre le plafond. Mais heureusement pour son amour propre, cela n’arriva pas.

Se tenant sur le pas de la porte, Pavel leur jeta un regard peu engageant, et les scruta des pieds à la tête en fronçant les sourcils. Peut-être avait-il peur que l’un des deux soit venu armé. Qui sait. Toujours est-il qu’à moitié satisfait, il s’écarta, et les laissa pénétrer dans la pièce.

Inutile de s’attarder sur le fatras habituel, il n’avait pas bougé d’un pouce des étagères encombrées. Si ce n’était un semblant de ménage sur la vieille table en bois massif, qui trônait entre les mêmes vieilles étagères, dans le but de dégager un maigre couloir, qui permettrait à deux personnes de se faire face sans avoir de fioles vides ou de vieil appareil rouillé dans son champs de vision, à la place du visage de son interlocuteur.

Le prince se trouvait d’ailleurs assis d’un côté de ce couloir inespéré. Devant lui, un épais volume relié de cuir était ouvert, une panoplie d’encrier et de plumes resplendissantes à ses côtés. Fallnir nota cependant que Lékilam s’amusait avec le bouton d’un stylo à bille. Cela devait sans doute être plus rapide. Beaucoup moins classe qu’une belle écriture déliée à l’encre noire, mais plus rapide.

En les voyant entrer en hésitant, il releva la tête des pages jaunies, encombrées de pattes de mouches, et leur fit un sourire.

-Bonjour ! Entrez, entrez, ne restez pas dans le couloir !

Il s’exécutèrent, et la porte craqua si violemment lorsque Pavel la referma, qu’il sursautèrent de nouveau tous les deux. Le garde du corps passa devant eux sans leur accorder un regard, et vint se poster dans le dos de son protégé, les bras croisés sur son torse.

D’un même mouvement, le blond et l’auburn s’inclinèrent à la manière phénix, en guise de salut.

-Majesté…

Le prince tourna rapidement les pages de son livres, jusqu’à trouver une page vierge de toute écriture. Il saisit son stylo, et commença à griffonner lentement, tout en se mettant à parler.

-Bien, je suppose que Libellule vous a tout expliqué. Il s’agit juste d’un petit entretien individuel, pour tenir un registre sur nos habitants, rien de très formel.

Shézac ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais se tut avant même d’avoir commencé. Mieux valait se taire, dans une situation pareille. Les nobles étaient excentriques, et tenaient souvent à leurs effets de styles. L’attitude du prince était sans doute délibérément indifférente, dans le but de leur rappeler quelle était leur place. Oui, il devait volontairement les faire attendre ainsi, se préoccupant uniquement de ce qu’il écrivait, sans leur accorder plus d’attention.

A moins qu’il ne soit simplement trop concentré sur son texte pour leur parler en même temps. C’était tout aussi plausible. Malgré tout, ils attendirent docilement que Lékilam pousse un soupir, et repose enfin son stylo pour les dévisager.

-Voilà, nous pouvons y aller. Hum… Fallnir, c’est cela ? Si vous le voulez bien, nous allons commencer par vous. Shézac, je suis navré, mais l’entretien est privé…

Le blond secoua la tête, et sourit d’un air sincère.

-Ce n’est rien, mon prince, je comprends tout à fait.

Et il donna une petite tape d’encouragement dans le dos de Fallnir, avant de s’incliner encore, et de retourner dehors.

-Pavel, cela vaux aussi pour toi, informa doucement Lékilam à son garde du corps, en se tournant vers lui.

Ce dernier parut décontenancé, et le regarda sans comprendre.

-Mais… Mon prince…

Le susnommé resta intraitable, et agita son index de gauche à droite, en lui lançant un sourire rassurant. Et amusé, aussi.

-Tut tut, privé, c’est privé. Et je n’ai rien à craindre, n’est ce pas, Fallnir ?

Le dragon se sentit frissonner de la tête aux pieds, et lança vaguement une réponse positive. Il sentit le regard doré du garde du corps se poser sur lui, et le dépecer mentalement, en prenant bien son temps, avec une lame rouillée et émoussée.

-Comme vous voudrez, céda-t-il finalement, avant de tourner les talons et de rejoindre Shézac à l’extérieur.

Un instant, Fallnir le prit en pitié. Il allait devoir passer un long moment en compagnie de Shézac, dans un couloir étroit et sombre. En plus, il était bel homme. Quelque chose lui disait que ses nerfs et son sang froid de garde du corps seraient soumis à rudes épreuves.

Et aussi qu’il devrait pour une fois utiliser toute sa science pour préserver son intégrité physique, au lieu de protéger celle de son prince.

L’auburn fut rapidement tiré de ses pensées par un mouvement du dit prince, qui l’invitait à prendre place face à lui. Fallnir dévisagea la chaise avec réticence, et ne décelant aucune trace de piège ou de pot de glue renversé, il consentit à la demande. Au moment même où il s’assit, la porte claqua et se verrouilla.

Il était seul face au prince.

Ce dernier, lui, ne semblait nullement dérangé par cette idée. Il reprit même son stylo, et le fit jouer entre ses doigts, un sourire aux lèvres.

-Alors allons-y. Vous vous appelez donc Fallnir, énonça-t-il tout en se remettant à écrire sur la page de son vieux volume. Dragon, si je ne m’abuse. Votre peuple n’attribue pas de nom de famille, c’est bien ça ?

L’auburn hocha la tête, un creux au fond de l’estomac.

-Oui… Seulement un nom de clan… Mais…

-C’est bien ce qu’il me semblait, le coupa Lékilam. Hum… Alors je propose de marquer que vous êtes originaire du clan Telësohs. Nous sommes en paix avec eux depuis pas mal d’année. Ca passera mieux.

Eberlué, Fallnir le regarda inscrire le nom du clan, juste à côté de son prénom. De ce qu’il savait, le clan Telësohs était effectivement l’un des clans les plus pacifiques envers les phénix, et le plus éloigné du traditionalisme dragon. On disait d’eux qu’ils ne se battaient même plus en tant que mercenaires, comme le faisaient tous les autres clans sans exceptions. Fallnir n’en était pas certains. Ils vivaient à l’autre bout du monde, dans des montagnes recluses, et les autres membres de leurs peuples les fuyaient comme la peste. Surtout les membres de son véritable clan, en fait.

-Mais je ne suis pas…

-De ce clan là ? J’espère bien. Mais c’est ce que Libellule a répété à tout le monde. Comme nous sommes en partenariat avec leurs commerçants, je pense que personne ne se posera trop de question sur vous. Et que vous serez plutôt bien accepté, dans l’ensemble.

Fallnir n’en croyait pas ses oreilles. Il avait justement redouté que le prince lui demande de quel clan il était originaire. Il y avait longuement réfléchit, depuis qu’il était ici, et avait même envisagé de mentir, dans le pire des cas.

Mais à aucun moment il n’aurait pensé que se serait le prince lui-même qui proposerait le mensonge.

-Donc, Fallnir Telësohs. Vous connaissez votre âge précis ?

-J’ai sept milles quatre cent vingt-trois ans, répondit Fallnir d’une voix plus posée, mais… Mon prince…

Ce fut au tour de Lékilam de le regarder avec de grands yeux étonnés. L’auburn en fut un moment désarçonné, surtout lorsque le prince se mit à sourire.

- Plus de sept milles ans ? Vous êtes plus vieux que ce que je pensais ! Je n’ai moi-même pas plus de trois milles ans…. Vous avez donc participé aux affrontements durant le jour de ma naissance, non ?

A nouveau, Fallnir fut dérouté. Etait ce possible d’être aussi insouciant ? Le prince lui demandait si il avait participé à l’une des plus importante et sanglante bataille ayant jamais opposés les dragons et les phénix, celle qui s’était déroulée le jour même de l’accouchement de la reine, au pied de la forteresse royale, comme il lui demanderait si il ne l’avait pas déjà croisé l’autre jour à la boulangerie.

L’air de ce pays avait une influence louche sur les jeunes.

-Je… Oui, j’y étais… Mais vous n’avez pas peur ? Je veux dire… Vous réalisez dans quel clan je suis né ?

Le prince haussa les épaules, d’un air blasé.

-Bien sûr que je le sais, voyons. Vous êtes Fallnir Garnësir, Crocs de troisième classe, anciennement Griffe de première catégorie, du clan Garnësir. Le clan certainement le plus virulent à notre égard. D’ailleurs, le gouverneur de l’ouest risque de bientôt entrer en guerre avec eux. Mais vous ne devez certainement pas être au courant, je me trompe ?

Devant l’air mi amusé, mi excédé de son royal interlocuteur, le trouble de Fallnir s’accentua encore. Alors le prince était au courant ? De tout ? De ce qu’il était, de là où il venait, de ce qui s’était passé ? Il se sentit désorienté.

-Non, je ne le savais pas. Mais comment… Qui vous a parlé de moi ? Et pourquoi est-ce que vous m’avez accepté, si vous savez ce que… qui j’étais ?

Un instant, il aurait pu pensé que c’était Shézac, qui avait raconté tout cela à Lékilam. Mais le blond n’aurait jamais fait ça sans l’en informer d’abord, et n’aurait pas non plus eut le temps de le faire, depuis leur arrivée. Alors qui ? Il ne voyait qu’une possibilité, celle de la mystérieuse personne qui avait intercédé auprès du prince avec Scysios et Libellule. Elle devait tout avoir raconté à Lékilam ce jour là. Mais qui pouvait-elle être ?

Le prince lui sourit, d’un air compatissant, et sincèrement gentil.

-J’ai mes sources. Et comme vous venez de le dire, vous ne savez absolument pas ce qui se trame dans votre clan. De plus, vous voyagez et vivez seul, ce que jamais un dragon ne serait autorisé à faire, surtout un de votre grade. En partant de là, ce n’est pas très difficile de deviner que vous êtes à présent inoffensif.

Là, Fallnir était forcé d’admettre qu’il avait raison.

-Mais…

-Vous vous répétez, je trouve.

Le dragon referma la bouche instantanément, à deux doigts de rougir. Le prince lui lança un regard bienveillant.

Qui signifiait clairement que la discussion à ce sujet était close, et qu’il était inutile de tenter d’en savoir plus. Si Fallnir tenait à apprendre autre chose, ce ne serait pas ce jour là qu’il obtiendrait satisfaction.

Frustré, mais néanmoins contraint de prendre sa patience à deux mains, il baissa les yeux, et acquiesça en silence.

- …. Soit. Je dirais que je suis du clan Telësohs.

Le prince eut une expression radieuse, et appuya sur le bouton de son stylo à bille.

-Parfait, nous sommes enfin d’accord ! Bien, passons donc aux autres questions…

Le dragon poussa un soupir, et s’enfonça sur sa chaise, prêt à devoir rencontrer de nouvelles surprises.

-Les raisons qui vous ont poussé à résider ici… Si nous disions que vous cherchiez à créer de nouveaux contacts commerciaux avec les nôtres ?

Et il ne fut pas déçu.

--

Dépité, Fallnir quitta enfin le bureau du prince.

Pas un mot de ce qui avait été inscrit sur le papier n’était vrai. Tout n’était que mensonge, broderies autour d’une première ineptie, à savoir son clan d’origine, dans le but de rendre son personnage crédible. Pendant une demie heure, le prince semblait avoir prit un grand plaisir à inventer de nouvelles réponses, comme un jeu, sans même lui laisser le temps d’énoncer les siennes, et de le forcer de manières détournées à les accepter.

Le futur roi des phénix serait un adversaire coriace, dans l’avenir. Il ne ferait pas bon être à la place de ses ennemis.

Mais dans l’immédiat, c’était autre chose qui tracassait l’auburn.

Non seulement Lékilam était au courant de tout, mais en plus, tout portait à croire que c’était quelqu’un d’extérieur à la Volière qui l’avait renseigné. Quelqu’un qui, vraisemblablement, connaissait tout de lui, alors que lui ignorait tout sur cette personne.

C’était énervant. Pire. Angoissant.

Sans parler du fait qu’il n’avait rien pu expliquer au prince. Tout ce qu’il s’était forcé à apprendre par cœur pour justifier sa venue ici, et plaider sa cause, ne lui avait au final servit à rien. Résultat, il ne s’en sentait que plus tourmenté.

Mais le pire était peut-être qu’avant de le laisser partir, le prince, l’air de rien, lui avait soigneusement fait répété tout ce qu’ils venaient d’inscrire sur le vieux livre. Sans doute comme garantie qu’il avait bien retenu la leçon, et qu’il jouerait son rôle du commerçant pacifique à merveille.

Il sortit tellement en rogne dans le couloir, qu’il ne fit pas attention à l’œillade graveleuse que lança un Shézac au mieux de sa forme à un Pavel visiblement plus qu’excédé.

Les mains dans les poches, la mine renfrognée, il alla s’appuyer contre le mur d’en face, et resta ainsi, prostré, surprenant même le garde du corps, qui ne rencontrait pas tout les jours quelqu’un capable de le battre à un concours de mutisme.

--

- Mon prince ?

Un hochement de tête répondit au démon, et, le sourire aux lèvres, il s’avança vers la grande table.

-C’est plutôt encombré chez vous, fit-il remarquer en observant le désordre ambiant. Vous avez dévalisé un musée ?

Le nez penché sur son gros livre, Lékilam sourit, et secoua les épaules. On aurait presque pu dire qu’il voulait se plonger dans son texte, ainsi penché sur les pattes de mouches. Ou alors, qu’il avait un problème de vue. Il apporta un point final à la phrase qu’il venait d’écrire, et la page bruissa doucement lorsqu’il la tourna.

-Non, j’ai seulement emprunté quelques objets dans le grenier familial. La salle du trésor du palais est tellement vaste que je suis sûr que personne n’a rien remarqué.

Shézac se mit à jouer avec une sphère en verre bleutée. A l’intérieur, un liquide outremer se balançait doucement, comme un océan miniature prisonnier du ciel bleu. Il suffisait de plisser les yeux, pour imaginer les poissons colorés et les grands vaisseaux à voile qui parcouraient l’océan.

-J’ai déjà vu ça quelque part… murmura-t-il en faisant tourner le globe. C’était à votre arrière grand-mère, je me trompe ?

Le regard violet du prince se posa sur l’objet, et il eut un sourire mélancolique, un brin nostalgique. Un flot de souvenir sembla s’emparer de lui, le laissant silencieux un moment. Comme si sa vie défilait devant ses yeux.

- La reine Léoma est mon arrière arrière grand-mère, pour être exact. L’ange qui épousa un phénix, récita-t-il pompeusement. Elle vous a sans doute raconté cette histoire, non ?

Shézac haussa les épaules, et rangea délicatement le globe à sa place. Reposant négligemment l’océan sur son étagère poussiéreuse.

-Tous les gosses qui ont sautés sur ses genoux connaissent cette histoire, souffla-t-il avec un sourire amusé. Elle préfère la raconter aux enfants qu’aux adultes. Peut-être qu’ils sont plus romantiques que nous…

Lékilam et lui échangèrent une expression amusée. Complices, comme deux amis d’enfances qui ne se seraient jamais quittés. Puis, le prince s’accouda à la table, songeur.

- Si tout c’était passé autrement, c’est moi qui aurais dû m’incliner devant vous, lorsque vous êtes arrivé ici. Et vous ne seriez pas ici en ce moment pour subir un interrogatoire.

Il y eut un petit silence, durant lequel les deux jeunes hommes ruminèrent leurs pensées. Plongés dans leur histoire, à nouveau, sans pouvoir sans défaire. Les yeux dans le vague, des images d’antan semblèrent défiler dans leurs têtes, l’espace d’un instant.

-Bah, le passé est le passé, on ne peut pas le changer. Vous n’étiez même pas né, quand tout est arrivé, et moi, je savais à peine tenir une épée. Ca ne sert à rien de se plaindre… rétorqua Shézac en haussant les épaules, venant se placer devant la table, face au prince.

Ce dernier sourit, d’un air apaisé.

-Je suppose que vous avez raison… Et si nous commencions, au lieu de nous morfondre ?

Le sourire du démon redevint aussi lumineux que d’habitude, retrouvant son sarcasme habituel.

-Mais je n’attendais que vous, mon prince. C’est quoi la première question ?

Lékilam éclata d’un rire léger, sonnant comme du cristal, dans sa gorge juvénile. Il était adorable, comme cela, songea le démon en croisant les bras sur son torse. Dommage qu’il fut déjà prit.

-Nom et prénom, annonça le prince en retrouvant un calme paisible. Que dois-je inscrire ?

-Je ne sais pas si vos parents apprécieraient de savoir que vous trafiquez certains de vos rapports…

-Mes parents n’apprécieraient certainement pas, c’est vrai, mais mon arrière arrière grand-mère en sautillerait de joie tellement elle approuverait. Je pense qu’elle l’emporte par l’âge et le titre. Alors ?

Shézac sourit de nouveau, devant la logique tirée par les cheveux de son cadet, et secoua la tête de gauche à droite pour montrer une fausse exaspération. En vérité, plus amusé qu’autre chose.

- Voyons… Mon vrai nom de famille ferait hérisser des têtes, s’il s’ébruitait. Mettez que je m’appelle Shézac Méroën. Il m’a déjà pas mal servi, ce nom là, et le personnage collera bien avec le reste.

Sans en demander plus, le prince se mit à inscrire, les mots apparaissant peu à peu sous la bille de son stylo.

-Votre âge ? S’enquit-il sans relever les yeux.

- Seize mille deux cents et des poussières, je crois. Pour l’âge exact, faudrait demander à mon père. Il a un calendrier à la place de la cervelle.

Inutile de mentir, de ce côté-là. Le démon répondant au nom de Méroën, personnage inventé de toute pièce par lui-même, présentait de nombreuses similitudes avec le véritable Shézac. Dont l’âge, pour éviter de faire des bourdes, et surtout parce que personne n’irais vérifier jusque dans ce genre de détail. Chez les immortels, où chacun pouvait se rendre physiquement plus vieux ou plus jeune à tout instant, l’âge d’une personne finissait par perdre son importance…

-Ancienne profession, avant de venir ici ?

-Pirate sanguinaire ?

Le blond papillonna des yeux, alors que le prince relevait un moment les siens, provoquant l’amusement de ce dernier.

-Disons plutôt marin. Ma mère ne me le pardonnerait pas, rectifia-t-il en se remettant à écrire.

-Comme vous voulez. De toute manière, ce ne sera pas tellement loin de la vérité.

La chaise grinça un peu lorsque Shézac la tira, pour s’asseoir dessus. Il posa ses pieds sur un recoin dégagé de la table, se tenant volontairement en diagonale pour garder le visage face au prince. Ce n’était pas une position des plus sages et respectueuses, surtout en comparaison ave le dragon qui s’était tenu là plus tôt, droites comme un i. Mais Lékilam ne fit aucune remarque, et ne sembla même pas s’en apercevoir. Peut-être par la force de l’habitude.

- Vous êtes un démon, donc je suppose que je dois vous demander si vous avez une affiliation quelconque…

- Marquez que j’aurais voulu être le démon de l’alcool ou de la bière, mais que malheureusement, on ne choisit pas comment on va naître, rétorqua aussitôt Shézac.

-Pour faire simple, mettons la mention Pas d’affiliation, annonça le prince en écrivant de nouveau. Motif de la venue ?

Un petit instant, ils restèrent silencieux, l’un cherchant ce qu’il allait dire, l’autre guettant sa réponse.

Les rayons de soleil, qui passaient à travers la fenêtre poussiéreuse, se teintaient au fur et à mesure d’or et d’orange. Le jour déclinait, et il serait bientôt l’heure d’aller dîner. Cependant, pour le moment, ce n’était qu’un détail sans importance.

-Oh, je crois que je vais vous laisser faire. Il faudrait marquer quelque chose en rapport avec les bêtises que vous avez écrites pour Fallnir. Il faudrait qu’on ait l’air crédible.

Le prince acquiesça d’un sourire, et mâchonna un moment le bout de son stylo, avant de l’agiter fièrement devant le nez de Shézac.

-Très bien. Vous êtes le partenaire d’un négociant dragon, celui qui sera chargé d’acheminer sa marchandise. Pour vous assurer de faire du profit, vous avez décidé de l’accompagner dans ses démarches, et lui avez conseillé de commencer par la Volière. Ca vous va ?

-C’est parfait, assura le démon. Quoi d’autre ?

-Oh, juste un court résumé de votre vie d’emprunt, et ce sera tout, je pense.

Shézac eut un large sourire carnassier, et fit craquer les jointures de ses mains.

- Un résumé de la vie de Shézac Méroën ? Prenez des notes, ça va pas être triste.

--

-Je vous remercie d’être venu, et de m’avoir accordé du temps.

Shézac et Fallnir s’inclinèrent de concert. La lumière du jour était de plus en plus faible, et la silhouette du prince se détachait doucement dans l’embrasure de la porte. Son éternel sourire paisible sur les lèvres, il s’inclina à son tour, bien que moins bas que les deux compagnons.

Il se faisait tard, et le dragon n’avait plus qu’une envie, rejoindre la salle à manger pour retrouver Ehissian.

Aussi, il retint un soupir de soulagement lorsque le prince coupa court aux politesses, ou plus exactement son garde du corps, qui prétexta que son protégé avait encore du travail.

L’auburn s’empressa de prendre la manche de son blond de démon, pour le traîner rapidement jusqu’à l’escalier le plus proche, sous le regard amusé d’un Lékilam qui lui aussi mourait d’envie d’un câlin de son amoureux. Ce que se dernier se dépêcha d’ailleurs de faire, dès que la porte fut refermée, mais c’était une autre histoire.

Un Shézac tout sourire tenta vainement de poser quelques questions au dragon, sur la manière dont son entretient c’était déroulé. Mais ce dernier resta muet comme une carpe, dévalant d’un bon pas l’escalier de pierre, désespérément coincé dans son mutisme. Et le démon songea que décidemment, ça ne lui réussissait pas, la frustration affective. Alors, compatissant à ses souffrances, il accélérera lui aussi le rythme de sa marche.

Aucun des deux n’étant doté de montre, ils ignoraient totalement l’heure qu’il pouvait bien être. Cependant, leurs estomacs et l’estimation approximative du temps passé chez le prince leurs signalaient qu’il devait très certainement être l’heure de manger. Aussi, sans plus de détour, ils se rendirent directement au lieu où Scysios et Ehissian les avaient conviés.

Seulement, là bas, il n’y avait personne.

La porte était désespérément fermée, les lumières éteintes, et pas le moindre bruit ne venait confirmer la présence d’une vie derrière les murs. Pas même un liseré de lumière doré sous la porte, ou un raclement de fourchette sur une assiette, ou le tintement d’un verre. Juste la lumière bleutée provenant de l’escalier, et leur souffle intrigués. Et aussi, à leur plus grande surprise, des bruits de pas sur les marches.

-Ah, vous êtes déjà là ?

Un grand phénix aux cheveux couleurs de briques, un piercing à l’oreille, et un petit bouc sur le menton. Les mains dans les poches, il s’avança nonchalamment vers eux, partageant probablement leur surprise.

Ce fut Shézac qui réagit le premier, surtout lorsque la silhouette athlétique du jeune homme se découpa dans la lumière. Qui avait dit que le démon était intéressé ?

-Euh… Oui… Tu es Kellnet, c’est ça ? Tenta-t-il, sourire charmeur à l’appuis.

Fallnir haussa un sourcil. Ce n’était pas un ami d’Ehissian, celui-ci ? Mais s’il se souvenait bien, il avait une femme et un fils… Apparemment, cela ne dérangeait nullement un certain blond de sa connaissance.

-Oui, ravi de voir que tu t’en souviennes. Mais… Vous savez qu’il est un peu tôt, pour venir manger ?

Les deux intéressés se regardèrent de nouveau, avant de se tourner vers le phénix, interloqué. Celui-ci soupira, et leur sourit.

-Il n’y a encore personne, à cette heure ci… Tout le monde est en bas, pour préparer le club.

-Ah… On ne savait pas…

Kellnet secoua la tête. D’apparence mauvais garçon, il était en fait plus gentil que ce que l’on croyait. Et pour preuve…

-Bah, c’est normal, c’est la première fois que vous venez, non ? Mais vous n’avez qu’à m’accompagner en bas, comme ça, vous ferez connaissance avec les autres.

Ils acceptèrent, sans réfléchir plus longtemps.

Kellnet les conduisit vers l’ascenseur, sans doute par soucis d’économiser leurs forces d’étranger. Après tout, les phénix étaient habitués à la grimpette, et leurs jambes les portaient sans problème, même après des heures de marche. Ce qu’ils savaient ne pas être le cas de tous les autres peuples.

Fallnir nota le trou de serrure, incrusté dans le panneau sur le mur de la cabine. On lui avait expliqué qu’il fallait y tourner trois fois la clef de son appartement, s’il voulait composer le numéro d’un étage supérieur à ceux des boutiques, qui étaient officiellement désaffectés.

Le roux, lui, se contenta d’appuyer sur le bouton du rez-de-chaussée. L’ascenseur s’ébranla, et descendit lentement à travers les épais murs de la Volière.

Elle paraissait étrangement plus grande de l’intérieur que de l’extérieur, sans doute à cause d’un effet d’optique, ou de l’épaisseur des pierres. Mais l’attente fut malgré tout relativement courte, avant que les portes ne s’ouvrent en émettant un doux bruit de frottement.

Le hall était encore désert, et pour cause, le Yellow bird n’ouvrait pas avant quatre bonnes heures. Les jeunes humaines, qui travaillaient dans le bureau au rez-de-chaussée, étaient néanmoins parties elles aussi depuis quelques temps, à en voir les lumières éteintes et les pancartes retournées sur la porte de leur office.

Kellnet n’y prêta aucune attention. A croire que croiser l’une de ces jeunes femmes, qui devaient rester persuadées d’être les dernières parties de l’immeuble, lui était complètement égal.

Sans même les attendre, il les devança au sortir de l’ascenseur, et disparut en un éclair derrière les portes du club, en les ouvrant à peine.

Shézac et Fallnir haussèrent les épaules en même temps.

Et un « surprise » monumental leur broya les oreilles lorsqu’ils entrèrent à leur tour, comme si le mot avait été annoncé en chœur par tous les résidents de la Volière.

D’ailleurs, c’était effectivement le cas, comme ils purent en juger une fois que les confettis, les serpentins et les ballons s’évaporèrent de leur champ de vision.

A suivre…

ooo

Ce chapitre m’aura donné du mal... Il y a bien des choses qui renvoient à des questions des premiers chapitres, et de nouvelles interrogations qui apparaissent. J’ai bien peur que tout cela ne devienne à chaque fois un peu plus incompréhensible… TT

Comme toujours, n’hésitez pas à m’écrire une review ou un mail pour me dire la moindre chose qui vous passerait dans la tête, parce que j’ai énormément besoin de connaître votre ressenti et vos impressions pour m’améliorer (et éventuellement conserver la motivation pour terminer cette fic avant noël 2012… TT)

Voilà, je vous remercie infiniment d'avoir lu jusqu'ici. :3

A bientôt !

 
 
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