Disclaimer : Tous les personnages/ lieux/ périodes sont issus de ma propre imagination. J’ai cependant utilisé certains personnages pour des forums Rpg, ne vous étonnez donc pas si vous les croisez un jour, au hasard du net. :3 Notes : - Reprise du cours du temps normal, par rapport au précédent chapitre… J’espère ne pas vous avoir trop embrouillé :p - Je m’excuse par avance pour les fautes de grammaire ou d’orthographe qui m’ont échappée, j’avoue avoir des lacunes dans ce domaine, en particulier sur un ordinateur … __________________________________________________________________ Chapitre 4 : En avant la musique Le chant gracieux des violons, les rires cristallins des femmes, le tintement des verres et des coupes de boissons. Le faste des couleurs et des tissus, la richesse des broderies et des parures, l’élégance des coiffures et des chapeaux. L’une des plus belles fêtes qui ait jamais été donnée en ce royaume. Des danseurs dans tous les coins, les plus beaux et les plus riches jeunes gens du royaume qui se mêlent les uns aux autres, rient, boivent, dansent. Tous si jeunes, si insouciants. Et lui, au milieu, qui sourit, qui salue, qui accepte les compliments. Et qui attend. Un masque de plume qui se retire, un sourire complice et coquin, et des yeux si vifs, si brillants… Elle est belle, jeune, innocente. Une rangée de dents blanches apparaît entres deux lèvres rouges et sensuelles. L’argent d’une lame qui fuse, qui surgit d’une manche, qui se pose, mortelle et envoûtante, sur la gorge fine, juste au dessus d’une rivière de diamant étincelante. Autour, le ballet des violons continue, augmente, les danseurs virevoltent de plus belle. La jeune femme au masque de plume se fige, en sentant la morsure glacée sur son cou. Lui ne bouge pas, la contemple, face à elle. Elle ne comprend pas, elle le regarde, interloquée, sans savoir qui est cette personne derrière elle, et qui la menace ainsi, ni pourquoi celui qui est en face ne fait rien pour l’aider, et pourquoi est ce que personne ne remarque rien. Un léger mouvement de bras, à peine une petite entaille. Une gouttelette, d’un bleu étincelant, qui coule le long de la lame pour venir s’engouffrer par la très légère blessure. Et lorsqu’elle se mêle à une perle de sang par cette petite entaille, avant de s’engouffrer dans son corps blanc comme un mariage divin, la blessure se teinte de violet, une violet profond, brillant, mortel. Comme si le bleu de cette goutte, et le rouge de ce sang, s’étaient mêlés l’un à l’autre, en une parfaite union. Et quand le corps fin et délicat tombe à terre, foudroyé par ce poison mortellement bleu, lui la regarde encore, lui la regarde toujours, et croise, juste avant que la délicate jeune femme ne touche le sol, un regard aussi améthyste que le sang qui commence doucement à s’écouler de ce corps si pur et innocent, qui ne se soulèvera plus jamais. Un regard améthyste illuminant un sourire fugace, et un masque qui se remet, cachant vivement un visage comme le battement d’une aile d’oiseau. Et qui disparaît dans la foule, elle qui, continuant sa danse effrénée, ne se souciera pas encore de la mort de la jeune fille, de son cœur à jamais éteint, de ses yeux à jamais figé dans la surprise de la mort. Il inspire profondément, et se détourne. Dans l’immeuble, une personne se réveilla en sursaut, le corps en sueur, l'esprit troublé par cet étrange rêve qu'il venait de vivre. Encore une nuit où ses songes l'avaient entrainé dans les souvenirs d’un autre. -- Dans la salle, la musique était assourdissante. Les spots orangés balayaient la scène, éclairant tour à tour guitariste, batteur et chanteur. Le rythme était frénétique, brutal, bestial, la voix grave et blessante, les guitares rugissaient et la batterie semblait pareille à un canon dévastateur. Et pourtant, le timbre d’une jeune femme surpassa sans peine ce boucan infernal. -Sto-op ! cria-t-elle longuement. Les spots cessèrent de s’agiter. Les doigts des musiciens se figèrent automatiquement sur les cordes de leurs instruments. Le batteur se stoppa en plein mouvement, les baguettes levées vers le ciel. Kellnet abaissa son micro. -Elika ? Campée sur ses deux jambes, les mains sur les hanches, la petite sœur d’Ehissian, du haut de son petit mètre soixante, se tenait juste au pied de la scène. On ne pouvait pas compter les nombreuses mèches oranges qui s’échappaient de sa tresse, sans doute faite à la va vite. Elle foudroyait le phénix roux du regard. - Comment osez-vous répéter sans mon frère ? Kellnet soupira, posa le micro au sol et sauta à terre. La salle était déserte. De faibles néons éclairaient certaines alcôves, et la principale source de lumière provenait du bar, où le propriétaire des lieux était en train d’astiquer les verres qui revenaient du lave-vaisselle. Le jeune homme qui s’occupait de la régie ne tarda pas à apparaître, au sommet de l’escalier qui menait à sa plate forme. Le phénix gratta son bouc couleur brique, d’un air impatient et exaspéré. C’était son fils Léto qui, un jour en revenant de l’école, avait décidé que le groupe se nommerait « Feather». Kellnet l’avait aussitôt proposé aux autres membres du groupe, qui avaient été forcé d’accepter immédiatement, sous peine de se faire virer définitivement. Ils jouaient pour le plaisir, et n’étaient connus que par les habitués du Yellow bird, dans lequel ils se produisaient plusieurs fois par semaine, lorsqu’aucun groupe extérieur n’avait été invité pour la soirée. Effectivement, plutôt que de faire appel à un DJ et à ses platines pour animer le night club, le propriétaire avait préféré une musique plus vivante, et faisait défiler sur la scène des artistes de tous bords. C’était peut-être pour ça que le Yellow Bird était l’un des night club les plus fréquentés de la ville. -Ca faisait déjà trois jours qu’il n’était pas là, on allait quand même pas… -Vous avez déjà passé trois jours sans répéter, et vous n’en êtes pas mort pour autant, le coupa la jeune fille sans se démonter. Kellnet n’était pas grand, mais faisait déjà une bonne tête de plus qu’elle. Cependant, Elika avait un grand frère. Elle était habituée à tenir tête à des géants. -En plus, ce soir le club est fermé, à cause de la tempête. Alors vous n’avez pas besoin de répéter. -Elika… -Il est rentré tôt ce matin, il n’est pas passé à l’épicerie ? Tu ne lui as pas dit que vous comptiez répéter cet après midi ? -Si, je l’ai vu, et je le lui ai dit. Mais il a répondu qu’il était fatigué, et qu’il ne voulait pas… -Menteur. C’était fou ce que cette gamine pouvait être perspicace, songea Kellnet en pestant intérieurement. Sur ce point, elle et son frère étaient totalement différents. Autant Ehissian était tellement crédule qu’on pouvait lui faire gober n’importe quoi, autant Elika était difficile à berner. Pour le plus grand malheur de ses proches. -Alors ? Qu’as tu à dire pour ta défense ? demanda-t-elle en fronçant les sourcils. Derrière eux, les musiciens pouffèrent et retinrent leurs éclats de rire. Kellnet ne répondit pas. Il ne pouvait pas dire à la jeune fille que si son frère ne pouvait pas venir, c’était parce que de toute manière, sa blessure à la main l’empêchait de jouer ou de tenir un micro. Juste avant qu’ils ne se séparent, à l’épicerie, Ehissian lui avait fait promettre de ne surtout pas en parler à Elika, sous peine de mort dans d’atroces souffrances. Et si jamais Ehissian mettait sa menace à exécution, la punition que lui ferait ensuite Elécy et Léto, sa femme et son fils, pour être mort sans leur permission, serait dix fois pire. -Eh bien… -- Ehissian venait juste d’envoyer sa couette faire connaissance avec le plancher, excédé de ne pas réussir à se rendormir, lorsque lui aussi eut droit à sa part de boucan matinal. Comme quoi, il n’aurait vraiment pas pu dormir ce matin là, même avec toute la meilleure volonté du monde. Seulement, à la différence de la répétition des Feather qui se tenait actuellement au Yellow bird, le son qui atteignait si gracieusement ses délicates oreilles n’était pas celui de véritables instruments, mais celui d’une chaine hi-fi. La différence était néanmoins très faible, d’à peine une poignée de décibel. D’ailleurs, pour Ehissian, cela n’avait aucune importance, parce que cela venait de lui donner l’idée de la personne qu’il pourrait aller voir, pour passer le temps. Ils n’étaient que deux à habiter cet étage, avec seulement deux portes d’espace entre celles de leurs appartements respectifs, et il n’y avait que très peu de personnes dans les étages qui entouraient celui ci. Alors forcément, Ehissian et son presque voisin en profitaient. Et puis ils avaient les mêmes goûts musicaux, alors ça ne les dérangeaient jamais que l’autre mette le volume à fond, au risque de faire exploser les fenêtres. Il sourit, et enfila de nouveau un pull par dessus ses cicatrices. Son appartement était plutôt vide, et ne contenait en tout et pour tout qu’un mobilier sommaire, un spectre de cuisine avec deux squelettes de placards, le strict minimum en matière d’appareils d’électroménagers, une petite salle de bain au carreaux brisés, et en guise de décoration, un vase horrible et une fausse fleur en tissu, qui était censée changer de couleur selon le temps, même si elle restait depuis des années obstinément figée sur le rose pâle. C’était par ailleurs affreux, mais on s’y faisait. Ehissian passa devant le comptoir de la cuisine, pour prendre ses clefs, et remarqua avec amusement que la tasse oubliée là vibrait légèrement sous la puissance du son. Il la déposa dans l’évier, pour éviter de la retrouver en morceaux. Le phénix sortit de chez lui et longea le couloir en secouant la tête et chantonnant sur la chanson qui passait. Il ne connaissait pas tous les groupes et toutes les chansons que le démon transportait dans ses bagages, mais il les avait entendues passer tellement souvent qu’il les connaissait quasiment toutes par cœur. Ils en avaient même repris quelques unes, le soir, avec les Feathers, lorsqu’ils jouaient dans le night club tout en bas de l’immeuble. Plus on se rapprochait de la source du bruit, moins il était facile de se tromper d’appartement. Quand Ehissian frappa à la porte, il manqua de l’arracher de ses gonds, tellement elle vibrait. Et pourtant, aussitôt eut-il signalé sa présence, que la musique cessa. Le silence subit lui fit presque mal aux oreilles, et il sentit sa tête lui tourner quelques secondes. Un instant plus tard, la porte s’ouvrait. Ehissian n’avait jamais su comment est-ce qu’une personne normalement constituée pouvait faire pour l’entendre frapper à la porte, avec un boucan pareil. Par nature, les démons étaient tous très grands. Scysios ne faisait pas exception à la règle, et bien qu’il ne soit pas non plus très épais, il dépassait le phénix d’une bonne tête. Ses longs cheveux châtains étaient maintenus en arrière par un simple élastique, et il accueillit le jeune homme avec un grand sourire. -‘Sian ! Tu es rentré depuis longtemps ? Dans la langue de Scysios, la lettre «c » se prononçait comme un « k », si bien que de nombreux prénoms démons s’énonçaient et s’orthographiaient en conséquence, à la plus grande surprise des étrangers. C’était une particularité qui avait d’ailleurs beaucoup étonné Ehissian, lorsqu’il l’avait apprise ; et encore aujourd’hui, quand il était amené à écrire le prénom de Scysios, il était fréquent qu’il se trompe, plus habitué à la prononciation correcte qu’à son écriture. Mais ce nom à la prononciation exotique était loin d’être la seule particularité du jeune homme, bien au contraire. Car Scysios était un maudit. Ses yeux étaient violets, semblables à deux améthystes étincelantes. C’était quelque chose qui avait beaucoup dérangé, au tout début. De nombreuses personnes s’étaient opposées à son installation ici. Elécy, par exemple, qui habitait avec Kellnet et Léto l’appartement du dessus. Mais le démon étant trop gentil et sociable pour son propre bien, au fil du temps, tout le monde s’était mis à le considérer comme un individu normal, et sa « malédiction » fut finalement bientôt mise au placard. Sauf pour quelques uns, bien évidemment. Mais on ne pouvait pas faire oublier à quelqu’un un précepte qu’on lui enseignait depuis son enfance. Ehissian, quant à lui, s’était rapidement trouvé de très nombreux points communs avec le démon. A commencer par les goûts musicaux. -Non, je ne suis là que depuis ce matin. Je peux rentrer ? -Bien sûr ! Assura le démon avec un sourire bienveillant Il s’écarta, toujours agréable, et lui tourna le dos pour entreprendre une tentative de ménage, laissant au phénix le soin de refermer la porte. Lui aussi adepte de la méthode dite du « je m’habille avec la première chose qui me passe sous la main », comme une grande partie des célibataires de l’immeuble, il n’était pas non plus très doué pour l’ordre, et la pièce, sans pour autant l’égaler, rappelait étrangement le bureau-grenier du prince Lékilam. La couleur de leurs yeux, bien que légèrement différente, devait peut-être avoir une quelconque influence sur leur sens de l’organisation. Il y avait là aussi un mobilier réduit au minimum, une porte qui menait à un placard nommé salle de bain, et un unique comptoir pour séparer la chambre de la cuisine qui peinait à s’imposer dans le désordre du lieu. Entre deux étagères encombrées de bric-à-brac, qui supportaient aussi par miracle la chaîne hi-fi surpuissante, on pouvait apercevoir un bureau qui disparaissait partiellement sous les feuilles, et à moitié dévoré par un vieil ordinateur. Ce n’était pas vraiment un appartement, ni même un studio ; à peine plus grand qu’une chambre. Mais le démon ne venait là que par épisode, et rarement plus de quelques semaines. Quand il était dans l’immeuble, on ne le croisait que le soir, lors du repas et, plus rarement, au Yellow Bird. Le reste du temps, il restait penché sur son bureau, à griffonner et lire des tas de choses, un peu comme un universitaire qui résidait presque toujours ailleurs que dans son logement étudiant. Un jour, Ehissian, par curiosité, avait essayé de lire par dessus son épaule. Mais il ne connaissait pas les caractères de l’écriture qu’utilisait Scysios, et il était impossible de lui tirer les vers du nez pour savoir à quoi est-ce qu’il travaillait tous les jours. Cependant, le démon étant médecin, Ehissian en déduisait qu’il s’agissait probablement d’une très longue et inintéressante recherche sur telle plante ou telle partie du corps qui lui restait totalement inconnue. Quoique si Scysios avait été accepté dans l’immeuble, il y avait quelques siècles de cela, ce n’était pas parce qu’il était un simple médecin. Des personnes capables de panser et différencier une grippe d’un simple rhume, il y en avait déjà quelques unes qui vivaient là à l’époque, et de toute manière, malgré leur santé relativement fragile pour des immortels, les phénix ne tombaient que très rarement malade. Non, la chose qui différenciait le démon des médecins normaux, c’était qu’il était un guérisseur. En rencontrer était une chose assez commune, sur leur monde, malgré que l’examen de sélection soit réputé comme très ardu, et le nombre de places disponibles tout aussi restreint. D’autant plus que les études étaient longues, et qu’une personne totalement dénuée d’un certain talent magique ne pouvait même pas envisager cette profession. Par un simple toucher, ces gens là pouvaient faire disparaître une fièvre, cicatriser une plaie, et même faire repousser un membre amputé. Mais cela nécessitait beaucoup de force et de magie, et cette dernière était très, très rare dans ce monde. Aussi, le moindre petit soin laissait bien souvent celui qui le pratiquait complètement épuisé. Nombreux étaient les habitants de l’immeubles qui préféraient donc laisser leurs cicatrices guérir par elles mêmes, plutôt que d’aller voir le guérisseur. Ehissian enjamba deux piles de classeurs et de feuilles, et se fit une petite place sur le lit, s’asseyant sagement sur le bord du matelas. Scysios passa devant lui avec une pile de vêtement, qu’il balança en vrac dans la salle de bain, et vint s’asseoir près du phénix. Ils étaient des amis de longue date. Au tout début, Ehissian avait été l’une des rares exceptions à oser approcher le démon, si bien que depuis, leur amitié avait perduré. Elle n’était pas aussi forte que celle qu’il avait avec Kellnet, qu’il connaissait depuis qu’il avait emménagé ici. Mais le phénix s’ouvrait plus facilement, en présence du médecin, se confiait plus facilement à lui qu’à n’importe qui d’autre. Peut-être parce que de par leur nature, et surtout leurs travaux respectifs, ils éprouvaient une sorte de sentiment de camaraderie. Ehissian venait ici chaque fois qu’il avait besoin de parler, de raconter, ou tout simplement de profiter d’une présence, calme et attentive. Ou que sa solitude lui pesait trop, réalisa-t-il avec, peut-être, un peu d’appréhension. -Alors, raconte moi tout, engagea le maudit en lui souriant. Ehissian poussa un petit soupir. C’était une question récurrente. Depuis le temps, le médecin avait sans doute appris à déceler sur son visage quand quelque chose n’allait pas. Pour peu, ça aurait pu l’effrayer, s’il ne le savait pas aussi inoffensif qu’une mouche. -Eh bien… rien de spécial, mentit le phénix avec un sourire. Et moi ? Qu’est ce que j’ai raté ? -Pas grand chose. Le club est fermé hier soir, alors je ne suis pas sorti non plus… Scysios marqua une courte pause, puis repris. -…C’est plutôt à Kellnet que tu devrais poser cette question. -J’ai essayé, rétorqua le phénix avec une grimace. Mais tu sais comment il est, le matin. Scysios sourit de plus belle. Ehissian laissa son regard vagabonder dans la petite pièce, faisant une énième fois l’inventaire de tout le bric-à-brac du démon. Il aimait bien cet endroit. Le désordre ambiant avait quelque chose d’étrangement rassurant, et faisait partie des rares choses qui ne changeaient jamais durant ses absences plus ou moins longues. Comme une ancre, une attache dans son port d’origine. Il se leva soudain, pour examiner de plus près un petit ouvre-lettre en forme de poignard, usé et rongé par le temps, qui avait bougé de place depuis la dernière fois. Sans doute à cause de ses chutes répétées. Il fallait dire que perché au sommet d’une pile de livre, son ancienne position n’était pas des plus stables. -Qu’est ce que tu t’es fait, à la main ? Le phénix sursauta presque, reposa l’objet sur l’étagère, et soupira de nouveau. Il aurait pourtant dû s’attendre à cette question. Surtout avec son bandage grossier, refait à la va vite, qui était encore plus efficace qu’un panneau lumineux. -Un accident stupide… rien de grave. Ehissian se retourna vers Scysios et lui sourit, mais ce dernier avait froncé les sourcils. Raté, songea le phénix. -Montre moi ça. Le jeune homme s’exécuta. Il revint s’asseoir et tendit sa main blessée vers le démon, sans un mot. Le contredire en assurant que ce n’était rien n’aurait fait qu’aggraver son cas, et provoqué son interrogatoire et son arrestation en règle. Le médecin plissa les yeux, et prit sa main entre les siennes. Il défit délicatement le bandage, et inspecta prudemment la plaie. Elle n’était pas très belle à voir, mais elle avait été soignée et nettoyée à temps. Ca aurait pu être pire. -Laisse tomber, ce n’est pas grave. Ca guérira tout seul… Le démon ne répondit pas. Il referma les paumes de ses deux mains autour de celles du phénix. Ce dernier le vit fermer les yeux, sentit le petit picotement se glisser par la peau ouverte, et ressouder entre elles les chairs abimées. Il vit la très légère lueur bleutée quitter les doigts du démon, pour glisser dans sa blessure. Il sentit, peu à peu, la plaie se refermer, les tissus s’étirer et se raccrocher entre eux. C’était assez désagréable, mais pas douloureux. Cela ne dura pas plus de vingt secondes, et le démon relâcha sa main. Il prit aussitôt appuis sur ses deux bras pour ne pas s’écrouler en arrière, et inspira un peu plus fortement pendant quelques instants, reprenant son souffle. Ehissian s’en inquiéta, mais lorsque le démon lui sourit, il se sentit rassuré. Néanmoins, il poussa un soupir exaspéré. Encore un trop plein d’instinct professionnel. Mais il ne pouvait pas lui en vouloir, non ? -Merci. Non, bien sûr que non, pensa-t-il en apercevant que la marque n’avait pas tout à fait disparu, comme un souvenir indélébile de sa nuit passée avec le dragon. Il exécuta quelques légers moulinets du poignet, pour prendre connaissance de son état. Sous certaines positions, sa main lui faisait encore mal, mais il pourrait néanmoins s’en servir normalement et arrêter de la panser. -De rien, fit le démon en se redressant, un étrange sourire au lèvre. C’est mon métier, tu sais. Sans cesser de sourire, il se leva, et alla farfouiller dans un placard. Le phénix le suivit partiellement du regard, trop occupé à détailler sa main nouvellement réparée. -Et puis… Je pense que tu vas bientôt avoir besoin de tes deux mains, rajouta le médecin en sortant deux mugs. Ehissian fronça les sourcils, interloqué. Là, il avait manqué quelque chose. Le démon pouvait parfois être assez mystérieux, par jeu, mais étrangement, il lui avait semblé percevoir une trace de sérieux dans sa voix. -Qu’est ce que ça veut dire ? demanda-t-il en le regardant d’un air perplexe. -Rien, laisse... Tu veux un chocolat chaud ? Ou l’art de changer de sujet de manière indiscutable. -- Léto se jeta joyeusement dans la neige. Sa mère poussa un soupir exaspéré, mais ne fit rien pour le retenir, voyant que tous les autres l’imitaient déjà. Elle se demanda vaguement qui était l’abruti qui avait eu la bonne idée de faire d’aussi gros tas devant la porte. C’était une véritable tentation pour les enfants, un peu comme si on avait placé un immense panneau « sautez moi dessus, roulez vous sur moi, je suis là pour ça ». D’autant plus qu’il avait un peu reneigé depuis que l’on avait constitué ce tas, et que ce dernier n’avait fait que prendre de l’ampleur. Un véritable nid d’angoisse pour les mamans. Si jamais sa petite puce attrapait la crève, elle plumerait personnellement le responsable, avant de lui arracher les yeux avec une petite cuillère et de tremper le reste dans de la soude bouillante. Une boule de neige la tira de ses rêveries. Elle s’écrasa sur son anorak, en faisant un joyeux « pof », éclatant aussitôt en des dizaines de petits flocons. Ce n’était pas un accident. Bien au contraire, le projectile avait parfaitement fait mouche, c’était bien elle que l’on visait. -Ah oui, vous voulez jouer à ça. Elle s’agenouilla, ramassa un peu de neige, la malaxa un moment, et se releva pour la balancer sur le morpion le plus proche. Elle le rata de peu, et se baissa juste à temps pour esquiver une nouvelle attaque. La guerre était déclarée. Elle la remporta aisément, une bonne demi-heure plus tard. Après tout, ce n’était pas pour rien que c’était elle qu’on avait désigné pour jouer aux institutrices. Et ce n’était pas non plus la première fois, ni la dernière, qu’elle accompagnait ses monstres jouer dehors. A force, elle avait acquis une certaine expérience. Les gamins s’étaient bien défendus, mais des dissolutions internes au sein de leur groupe et sa grande pratique des batailles de boules de neige lui avait très vite donné l’avantage. Et puis un petit monstre, aussi déchaîné soit-il, ça s’épuisait très facilement. Elécy s’effondra dans la neige. Tant pis, ses vêtements –doublés, bien heureusement- seraient trempés. Ceux de son fils aussi, d’ailleurs. Et quelques mères risquaient de faire un infarctus, en récupérant un rejeton trempé des pieds à la tête. Mais un peu de neige sur des bouts de tissus n’avait jamais tué personne… Ils étaient tous essoufflés, les joues rougies par l’effort et par le froid. Mais un royal sourire s’étalait sur les lèvres de chacun, elle comprise. C’était effroyablement stupide et crétin, comme jeu. Mais c’était aussi affreusement amusant. Assis à même le sol blanc, ils récupéraient. Une mère aussi, ça s’épuisait vite, nota-t-elle pensivement. Moins que les morpions, heureusement pour elles, mais tout de même. A croire que la vie de famille ne lui réussissait pas. Pourtant, ce n’était pas l’exercice qui manquait, loin de là. Mais ça ne devait pas être la même chose, pour ses muscles et son organisme, puisqu’à présent, même une simple bataille de boule de neige la laissait sans force. Pensivement, du bout des doigts, elle confectionna un petit tas. Léto se pencha par dessus son épaule, curieux. Son regard s’illumina, brusquement, et il la contourna rapidement pour rajouter du volume à son tas, avant de se tourner joyeusement vers les autres. -Bonhomme de neige ! ! ! Il ne fallait jamais sous estimer la capacité de récupération d’un gosse, ni sa facilité à inventer des jeux avec tout et n’importe quoi, principalement des choses soit sales, soit gluantes, boueuses ou humides. Cependant, Elécy remarqua avec satisfaction qu’ils étaient plus doués pour les bonhommes que pour la pâte à modeler. Libellule serait contente. Et la neige, même si ça mouillait, ça s’enlevait plus facilement qu’une grosse boule de pâte chimique et colorée. Lorsqu’ils rentrèrent dans l’immeuble, chassés par le froid, les flocons qui recommençaient à tomber, et la nuit qui s’installait, ils laissèrent derrière eux, en bordure du petit chemin, un énorme bonhomme de neige aussi grand que la jeune femme. Avec une petite branche en guise de nez, quelques cailloux à la place des yeux et de la bouche, et une jolie écharpe rouge autour du cou. -- De tout temps à jamais, depuis les premiers jours de la vie en communauté réduite au sein de l’immeuble, le repas du soir avait toujours été, pour la grande majorité de ses résidents, un rituel incontournable et sacré. Dans l’un des derniers étages, près du sommet de la tour, une pièce entière avait été réquisitionnée pour servir de salle à manger. Une très, très longue table trônait en plein milieu, et tous les occupants de l’immeuble auraient aisément pu y manger tous ensemble, sans autre difficulté que le passage des plats d’un bout à l’autre. Cependant, cela n’arrivait que très rarement. La plupart du temps, les habitants préféraient manger chez eux, dans l’intimité, ou se séparaient en groupuscules qui mangeaient occasionnellement à divers endroits de la table, sans se soucier des autres. Il n’y avait qu’un petit groupe d’irréductible qui se réunissait là tous les soirs, occupant à chaque fois le centre de la table. Il était principalement composé des membres des Feather, dont Kellnet et Ehissian, de la petite famille de chacun, du barman, un phénix au teint sombre et au sourire avenant, de Libellule, de Scysios, et très occasionellement de Lékilam, bien évidemment toujours accompagné de Pavel, son garde du corps. Cela faisait tout de même un sacré chiffre, il fallait l’admettre. Et parfois même, certains masoch… certaines autres personnes venaient se joindre à eux, augmentant encore leur nombre, pour le simple plaisir d’assister à leurs joutes verbales, ou tout simplement pour se tenir au courant des activités du groupe. C’était convivial, animé, chaleureux. Même le plus timide et reclus des habitants voyait sa langue se délier et son sourire se creuser, au cours d’un de leurs repas. En vérité, ils se réunissaient ainsi depuis de très, très nombreuses années, avant même que le night club soit créé, et que le groupe des Feather ne commence à s’y produire. La tradition avait simplement perduré. Tous les soirs, certains faisaient une prière, lisaient une trentaine de pages, fumaient un cigare en face de la cheminée, buvaient un grand verre de tisane. Eux, ils mangeaient tous ensemble. La nourriture avait toujours été aussi bien un sujet de discorde, que d’entente et de rapprochement, entre les êtres vivants. C’était un fait beaucoup moins avéré chez les immortels, mais qui s’appliquait quand même. Lorsqu’Ehissian et Scysios arrivèrent dans la pièce, Léto était déjà en train de gesticuler sur sa chaise, tandis que son père tentait vainement de nouer une serviette autour de son petit cou. Elécy et Libellule, plus Jumelles que jamais, mettaient la table. Vêtues une énième fois de la même manière, l’une avait les cheveux tressés et souriait gentiment, l’autre les avaient lâches et fronçait les sourcils. n les voyant entrer, la nymphe sourit de plus belle, et Léto poussa une exclamation de joie. -Je rajoute deux couverts, fit-elle en se dirigeant vers un énorme buffet en bois. -Scy ! Scy ! Viens à côté de moi ! Le démon jeta un vague coup d’œil à Elécy, qui leur tournait le dos, et à Kellnet, qui acquiesça d’un sourire. Rasséréné, il tira alors la chaise à côté du petit phénix, et tout deux se lancèrent dans une conversation animée sur le bonhomme de neige qu’avaient réalisé les enfants un peu plus tôt, et que le démon avait entraperçu en se penchant par une fenêtre pour constater l’état du déblaiement qu’il avait réalisé dans la matinée. Ehissian eut un soupir mi attendri, mi amusé, et s’installa aux côtés de Kellnet. -Alors ? Quoi de neuf depuis ce matin ? -Absolument rien. Et toi ? Tu n’as plus ton bandage ? Rétorqua le roux après un temps d’arrêt. Le phénix leva la main à auteur de son visage, et lui fit un grand signe, accompagné d’un sourire joyeux. -Nan, on m’a réparé. Mais j’ai encore une grosse marque. En souriant, il désigna le trait large qui parcourait sa main, de la paume au poignet. A chaque mouvement, la peau se plissait un peu, de manière peut-être pas douloureuse, mais assez gênante. Kellnet haussa un sourcil. -Donc, tu pourras jouer demain ? Ehissian hocha la tête. -Je pense. Si on me l’autorise, murmura-t-il en plissant les yeux, et désignant discrètement du pouce le démon derrière eux, qui s’amusait à faire des origamis avec sa serviette en papier, sous l’œil ébahi de Léto. Le roux se mit à rire de bon coeur. -Tant mieux. Ca manquait sérieusement de guitare ce matin. Ils se sourirent. Mais ils ne purent discuter plus longtemps, car la porte s’ouvrit de nouveau, et le reste du groupe entra. Inutile de dire que l’animation dans la pièce fut aussitôt multipliée par dix. Assis à l’extrémité de la table, un petit groupe de phénix grimaça, en leur jetant des regards noirs qu’ils ignorèrent superbement. Ou ne remarquèrent même pas. Tout le monde s’installa, en papotant joyeusement, et Elécy et Libellule apportèrent un énorme plat de raviolis et une immense marmite de soupe. Le trafic des assiettes et des plats débuta, comme un ballet savamment orchestré de couverts et de bruits de vaisselles qui s’entrechoquaient. Les coups bas et les traîtrises ne manquaient pas, pour glaner le moindre petit morceau de fromage en plus sur sa part de ravioli, ou obtenir le premier la carafe d’eau. Une tranche de pain était une victoire, une cuillère de soupe en plus une célébration. Certains étaient plus doués en négociation, d’autres en vol subtils des gains amassés par ces mêmes négociateurs, mais dans le fond, tout le monde fut équitablement servi, à grande distribution de coup de louche et de cuillère de la part de Libellule. L’amitié franche, cependant, revint en masse lorsque tout le monde fut servi. Un tonitruant « bon appétit » général donna alors à tout le monde le signal du départ. Ehissian se resservit trois fois. Ce n’était pas qu’il aimait particulièrement les raviolis, mais la cuisine de la nymphe et des autres cuisinières était absolument sublime, et il aurait été dommage de laisser toute cette bonne nourriture à quelqu’un d’autre. Il n’était d’ailleurs pas le seul à penser ainsi, et juste avant que les affrontements ne reprennent, il fut décidé que les trois derniers raviolis seraient joués à une partie de « pierre papier ciseau ». Ce fut peut-être encore pire pour le dessert, une tarte aux pommes spécialement revue pour pouvoir nourrir une quinzaine de personnes. Et si un certain jeune phénix et un certain démon signalèrent vaguement un manque de chocolat dans ce repas, ils ne furent pas en reste pour se partager la toute dernière part. Le ventre plein, une bise de sa sœur sur la joue, un câlin de Léto, Ehissian remonta avec un cœur léger jusqu’à sa chambre. Envolés tous ses problèmes, envolés tous les casses pieds, envolée sa solitude qui commençait sérieusement à lui peser, en ce moment. C’était aussi pour ça, qu’il respectait aussi souvent le rituel du soir. Ses camarades avaient un don pour lui remonter le moral, même involontairement. Et comme pour s’accorder avec eux, même la fausse fleur en tissu rose, unique décoration de sa chambre, qui trônait dans un vase horrible sur sa vieille commode, avait viré à un bleu joyeux durant son absence. Ehissian tiqua, et se tourna vers elle. Elle était toujours aussi moche, toujours aussi fausse, toujours dans son très vieux vase abimé. Mais elle était bleue. Il soupira. Effectivement, cela aurait été trop beau qu’on le laisse se coucher comme ça, alors qu’il était encore dans sa bulle de bonheur. Et puis Libellule n’avait pas arrêté de lui lancer des regards insistant, durant tout le repas…. Oui, il aurait dû se douter que Lékilam voudrait l’entendre. Après tout, ce dernier n’avait pas assisté au repas. Cela signifiait qu’il avait encore un boulot monstre. Il reprit ses clefs, et tourna les talons, en direction du dernier étage. -- Le train était à l’arrêt. Dehors, la tempête faisait rage, et les flocons giflaient violemment les parois du train, comme des mains invisibles qui griffaient sans relâche un bout de ferraille. A l’intérieur, c’était le calme plat. Tout était noir, calme, silencieux. Le chariot repas était passé depuis un bon moment, et les lumières s’étaient éteintes depuis longtemps. On entendait, par dessus le léger sifflement du vent, quelques ronflements qui provenaient des cabines voisines, quelques murmures presque étouffés. Mais Fallnir ne dormait pas. Allongé sur le dos, un bras passé sous sa tête en guise d’oreiller, le dragon était torse nu sous sa couverture. Ses yeux verts restaient rivés sur une petite chose bleutée, qu’il faisait tourner entre ses doigts. La plume captait doucement les rares rayons de lunes que laissait passer les épais rideaux du train, créant des reflets tous différents et plus captivant les uns que les autres. Il ne parvenait pas à détacher ses yeux de sa belle couleur bleu nuit, de cesser de passer ses doigts dans ses brins si doux, de la lisser, encore et encore, et de la faire danser comme une délicate ballerine. Chaque petit détail lui rappelait le phénix. L’éclat de ses yeux, la douceur de sa peau, son odeur entêtante, le timbre de sa voix, la manière dont ses doigts s’étaient mêlés aux siens… Il n’en pouvait plus. Il voulait le revoir. C’était pire qu’un besoin, plus qu’une envie, brûlante, dévorante, de sentir son corps sous le sien, et ses bras autour de ses épaules, et son souffle dans sa nuque, et... Bref, cette tempête était une vraie calamité. Non seulement elle les retardait horriblement, mais en plus elle ne faisait qu’empirer, au fur et à mesure que le temps passait. A ce rythme là, ils ne seraient jamais à destination avant plusieurs jours, et cette simple pensée lui donnait envie de se taper la tête contre la paroi. Ce qu’il ne fit heureusement pas, pour ne pas se provoquer une migraine, et par respect pour les autres dormeurs. Cependant, sur la couchette d’en face, Shézac non plus ne dormait pas. Il était emmitouflé dans ses couvertures remontées jusqu’au milieu de son visage, tourné vers le dragon. Il observait son petit manège depuis un bon moment, sans que le jeune homme ne l’ait remarqué. Quelque chose n’allait pas. Un petit détail qui clochait, un petit engrenage rouillé, qui faussait toute la machine. Et qui, à force de ne pas pouvoir y mettre le doigt dessus, commençait sérieusement à casser les pieds au démon. Il soupira silencieusement, et changea de côté, tournant le dos à Fallnir, qui ne parvenait toujours pas à défaire son regard de cette plume brillante. -- A l’instar de Libellule, quelques heures plus tôt, Ehissian épousseta ses manches, tenta vainement de donner une forme à ses cheveux sombres, et inspira profondément. Il posa ses deux mains sur les battants de bois sculptés et ornementés avec art, qui quelques siècles plus tôt auraient suffi à intimider les ambassadeurs étrangers demandant audience à la reine. Ce n’était néanmoins plus arrivé depuis très longtemps, même si les portes n’avaient en rien perdu de leur éclat. Elles grincèrent à peine lorsqu’il les poussa. Libellule était déjà là, agenouillée devant la cheminée, sa jupe légèrement relevée pour ne pas la salir. Elle remuait une bûche dans le foyer, afin de réveiller une flamme paresseuse. La pièce était la plus haute de l’immeuble, mais n’était pas équipée de système de chauffage plus perfectionné que ce feu de bois. Le jour où ils avaient fait installer le chauffage dans la grande bâtisse, personne n’avait jugé nécessaire d’équiper le dernier étage, alors inoccupé. Parfois, Lékilam éprouvait quelques remords à cette idée. Ses genoux remontés contre son torse, recroquevillé dans son inconfortable fauteuil de pierre, le prince feuilletait avec mille précautions un vieux livre abîmé et jaunis par le temps. Pavel, assis comme à son habitude sur les marches au pied du fauteuil, releva à peine les yeux vers la porte en l’entendant s’ouvrir. Ehissian s’avança jusqu’au trône et s’arrêta à quelques pas des marches, posant un genou à terre. Il frappa de son poing droit l’endroit entre son cœur et sa clavicule gauche, en signe de respect et de soumission. -Mon prince, salua-t-il en gardant les yeux baissés. Il entendit le bruit des pages que l’on tournait, puis celui d’un livre que l’on refermait. -Relève-toi, Ehissian, et mettons fin aux formalités pour aujourd’hui. Je t’écoute. Le phénix se releva, et hocha silencieusement la tête. Pavel se tourna de manière à pouvoir l’écouter et le surveiller, tandis que Libellule époussetait sa jupe et se rapprochait doucement. Il se racla la gorge, et entama son récit. Il fit un rapport complet de ses trois derniers jours, détaillant chaque instant important, ne citant que l’essentiel des autres, ne s’attardant sur aucune information superflue. Cela faisait des siècles qu’il était au service du prince, et cela faisait des millénaires que les membres de sa famille s’inclinaient ainsi devant leurs souverains. Il avait hérité cela de son père, qui l’avait lui-même hérité de son grand père, et ainsi de suite depuis des générations. En tant qu’aîné et seul garçon de la famille, c’était à lui qu’était revenu la mission de devenir Chevalier ardent. C’était ainsi que l’on nommait, depuis le début des temps, les chevaliers les plus forts et les plus entraînés du royaume phénix. Entièrement dévoués à leur roi, ils exécutaient les ordres avec succès et honneur, sans jamais faillir. Lorsqu’ils avaient quitté leur monde d’origine, Ehissian n’était encore qu’un jeune adolescent, alors récemment promu apprenti. Il avait continué sa formation ici, parmi d’autres élèves, sous la tutelle de deux Chevaliers ardents désignés par le prince. Aujourd’hui, de la dizaine d’apprentis, il était le seul à avoir achevé sa formation et choisit de rester auprès de son prince. Quant aux instructeurs, ils étaient rentrés depuis très longtemps auprès de leur suzeraine. Mais Ehissian ne regrettait pas son choix. Sa sœur cadette n’avait jamais connu d’autre véritable maison que celle-ci, et elle était sa seule et unique famille. Par amour pour elle, il ne l’avait pas arrachée à son foyer. De plus, il ne savait où ses anciens camarades avaient bien pu s’installer, et lui même n’aurait trouvé de maison où pouvoir vivre, même seul. Tandis qu’ici, il avait des amis, de la chaleur, une famille. Son travail était certes dangereux, surtout depuis qu’il était seul pour accomplir les missions que son prince lui confiait. Mais il avait forgé une corde, un lien avec Lékilam, qu’il n’aurait jamais pu nouer dans d’autres lieux ou avec sa reine. Ils étaient arrivés ici avec à peine quelques années d’écarts. Ils s’étaient entraînés avec les mêmes maîtres. Ils avaient quasiment grandis ensemble. Lékilam respectait Ehissian, et Ehissian respectait Lékilam. Cependant, tout son respect, sa loyauté et son amitié ne parvinrent à l’empêcher de mentir sur sa dernière nuit d’absence. Il n’allait tout de même pas leur raconter que s’il avait pris autant de retard sur sa mission, c’était parce qu’il avait couché avec un dragon. Il se tut, après un très long moment. Comme à son habitude, Lékilam se mordillait la peau d’une phalange, plongé dans ses réflexions. Le silence dura une bonne minute, avant qu’enfin, le prince ne pose ses yeux étranges sur ceux de son chevalier. -L’objet est bien à l’abris, dis-tu ? -Oui. Introuvable. Lékilam hocha la tête. -Bien. C’est tout ce que je désirais savoir. Tu peux aller te coucher, Ehissian. Le phénix s’inclina légèrement, et leur sourit. -Bonne nuit. Le prince lui rendit son sourire, Pavel se replongea dans son demi sommeil, Libellule lui souhaita à son tour de passer une bonne nuit. Une dizaine de minutes plus tard, Ehissian retrouvait avec bonheur sa couette à triangle vert et rouge. Accoudée au rebord de la fenêtre, dans la salle à manger, Elécy regardait distraitement par la fenêtre. Dehors, il faisait toujours aussi noir, toujours aussi froid. Tout en bas, au pied de l’immeuble, elle apercevait à peine les lumières des lampadaires à travers les épais flocons. Mais il y avait une amélioration. Elle soupira, et s’éloigna de la fenêtre, renouant en quelques gestes ses longs cheveux. En bas, tout en bas, deux phares ronds et lumineux se frayèrent un chemin à travers la route enneigée. Les chasses neiges étaient en plein travail. Dans quelques jours, la tempête de neige ne serait plus que quelques flaques disséminées partout dans la ville. A suivre… ooo Voilà, fin du quatrième chapitre. Vous remarquerez qu’il n’y a en gros qu’un seul nouveau personnage qui apparaît ! Et encore, il était déjà présent dans le premier chapitre :p (si seulement ça pouvait être le cas pour toute la floppée de protagniste qu'il reste...) J’aime beaucoup Scysios, peut-être parce que je me suis longtemps servi de lui sur un forum Rpg (tout comme Shézac, mais beaucoup moins toutefois. ) J’espère qu’il vous plaira aussi… Parce que parti comme c’est parti il va prendre de plus en plus d’importance. TT On en apprend aussi un peu plus sur le travail d’Ehissian… Mais vu toutes ses cicatrices, ça devait être facilement devinable, je pense :p En tout cas, je vous remercie de tout coeur d'avoir pris le temps de lire jusqu'ici. J'espère vous revoir bientôt. :3 |