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au 31 Mai 21 :
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Bec d'écaille, croc de plume
Par Jaiga
Originales  -  Romance/Fantaisie  -  fr
33 chapitres - Complète - Rating : T+ (16ans et plus) Télécharger en PDF Exporter la fiction
    Chapitre 1     Les chapitres     64 Reviews     Illustration    
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Histoire de fenêtre

Disclaimer : Tous les personnages/ lieux/ périodes sont issus de ma propre imagination. J’ai cependant utilisé certains personnages pour des forums Rpg, ne vous étonnez donc pas si vous les croisez un jour, au hasard du net. :3

L'ilustration : De MlleAiras, trouvable ici en plus grand (je vous invite à aller visiter le reste de sa galerie :D) :  http://mlle-airas.deviantart.com/
Je la remercie très fort. ♥

Notes :

- J’ai commencé cette histoire en septembre 2005, et je trouve que l’on sent la différence entre les tout premiers chapitres et ceux plus récents… J'ai remanié en 2008 plusieurs petits détails, pour donner un peu de cohérenceà l'ensemble, mais sachez malgré tout que compte tenu de son ancienneté, le premier chapitre n’est pas vraiment un indicateur fiable pour le ton et le style d’écriture du reste de l’histoire. (Ou comment s’excuser d’un chapitre qui fais peur )

-Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, le monde où se déroule cette histoire est très similaire, mais néanmoins différent du notre. Alors ne vous inquiétez pas si certaines choses vous paraissent un peu étrange, c’est normal ;p

- Je m’excuse par avance pour les fautes de grammaire ou d’orthographe qui m’ont échappée, j’avoue avoir des lacunes dans ce domaine, en particulier sur un ordinateur …

______________________________________________________________________________

Chapitre 1 : Histoire de fenêtre

Il était plus de minuit, et la pleine lune faisait scintiller les toits et les fenêtres des buildings environnants, de sa pâle lueur argentée. Elle était toute petite, petite bille blanche dans l’immensité sombre du ciel d’une grande ville endormie. Et pourtant, de la grande baie vitrée de l’appartement du vingt et unième étage, on semblait ne voir qu’elle, comme si elle était la seule habitante du ciel. On était tellement obnubilé par sa présence, plongé dans sa contemplation, qu’on pouvait presque ne pas en remarquer la petite tâche sombre qui s’approchait de plus en plus de la baie vitrée. Qui grandissait de plus en plus, se rapprochant de secondes en secondes.

Et passa à travers la vitre en un fracas de morceaux de verres.

Les débris retombèrent sur la moquette sombre comme des centaines de petits confettis argentés, scintillant plus que des étoiles dans leur chute. Au milieu des débris, tombé au sol avec un bruit sourd, une masse de plumes noires se soulevait au rythme d’une respiration difficile. A peine plus petite qu’un homme, recroquevillée sur elle-même, tremblotante et mal en point, la créature se redressa, tant bien que mal, hissant ce qui semblait être sa tête sur ses frêles épaules. Elle s’ébroua, une nuée de plumes s’envolant de toute part. Et, alors que le reste du corps se levait peu à peu, les plumes s’effacèrent, unes à unes, la silhouette grandit, s’affina, se campa bientôt sur deux jambes, jeunes et solides, elles-mêmes bientôt recouvertes par le tissus d’un pantalon.

En quelques secondes, le tas de plumes difforme laissa place à un jeune homme.

Ce dernier passa une main dans ses cheveux sombres, trop longs, couleur de nuit, pour les remettre en place.

Comme si de rien n’était, comme s’il n’était pas minuit, qu’il ne venait pas de passer à travers la vitre d’un appartement du vingt et unième étage. Comme s’il ne venait pas de se métamorphoser en quelques instants.

Comme si, assis dans un fauteuil de l’appartement, face à la baie vitrée, un homme ne le fixait pas avec surprise, un livre encore ouvert à la main.

Leurs regards se croisèrent.

D’abord, il y eut de la surprise. Et de l’étonnement. Ils se fixèrent sans dire un mot, se dévisageant du coin de l’œil, l’espace d’un battement de cil. Puis, un sourire espiègle et impertinent, néanmoins gêné, se peignit sur le visage de l’homme oiseau.

-Désolé. Je paierai pour la fenêtre.

L’autre lui sourit, un sourire tout aussi étrange, impérieux et fier, mais amusé, bienveillant.

Ca pouvait vouloir dire énormément de choses, un sourire, pour peu que l’on y fasse attention.

Le livre fut refermé, et posé de côté.

-Ca vous prend souvent de foncer dans les fenêtres des gens honnêtes, à minuit passé ? demanda une voix étrangement enrouée.

Un regard clair se posa sur un regard sombre.

Les yeux verts de l’homme assis semblaient examiner avec précisions ceux de son vis à vis, aussi bleu que la nuit qui les enveloppait.

-A vrai dire, non. Mais si j’étais sûr que je tomberais à chaque fois sur un homme aussi charmant que vous, alors je le ferais plus souvent... Répondit l’autre presque innocemment.

Ne bougeant pas d’un millimètre de son fauteuil, l’homme haussa suspicieusement un sourcil, alors qu’une mèche auburn tombait sur son visage, et que son sourire s’agrandissait sous l’amusement.

Et puis, le temps d’un battement de cil, il était debout, au côté de son visiteur nocturne, prenant sa main dans la sienne pour l’examiner attentivement.

L’autre avait sursauté, ne l’ayant presque pas vu venir. Il regarda étrangement l’homme qui lui faisait face, fouillant dans son visage pour trouver la raison de cette réaction.

Ils ne souriaient plus.

Et leurs regards ne se croisaient plus non plus.

-Vous êtes blessé, lâcha finalement le roux en relevant son regard du poignet du jeune homme, toujours avec son étrange voix enrouée.

L’homme oiseau fut surpris. Tout d’abord, parce qu’il ne s’attendait pas à ça. Ensuite, parce qu’il en vint à se demander comment est-ce que son hôte improvisé ne s’en était pas aperçu plus tôt.

Un petit cercle écarlate tâchait la moquette de l’appartement, au milieu des débris de verre.

-Ce n’est pas… commença-t-il en essayant de retirer sa main.

-Comment vous appelez-vous ? demanda soudainement l’autre, sans lui laisser le temps de continuer.

-… Ehissian.

-Alors, Ehissian, vous allez me faire le plaisir de ne pas discuter, de ne pas tâcher encore plus qu’elle ne doit l’être ma splendide moquette, et de vous laisser soigner sans discuter. Je ne tiens pas à avoir un cadavre de phénix sur les bras.

Ehissian tressaillit à peine lorsque son vis-à-vis l’appela phénix. Il savait depuis l’instant où ils s’étaient souri que l’autre avait découvert sa véritable nature. Tout comme lui savait que son hôte était un dragon.

Cela se voyait dans leurs physiques, dans leurs gestes, dans leurs attitudes. Comme une aura qui les entourait, ou une odeur qui les caractérisait.

C’était peut-être pour cela qu’aucun des deux ne s’était méfié de l’autre, parce qu’ils venaient du même endroit. Du même monde. A des centaines d’années lumière de celui-ci, de cette ville illuminée, de cet appartement à la baie vitrée brisée. Les lois du hasard étaient impénétrables.

C’était peut-être pour cela qu’il se laissa faire, et qu’il se laissa guider jusqu’à la chambre, puis asseoir sur le grand lit, sans tâcher la moquette.

Et lorsque le Dragon, qui l’avait laissé seul quelques instant, revint avec un rouleau de bandelette, du coton et du désinfectant, il souriait de nouveau.

Le roux s’assit à côté de lui, assis de travers sur le rebord du matelas, et prit à nouveau, très délicatement, sa main dans la sienne. Elle était couverte de sang, beaucoup de sang. Une entaille courait le long de sa paume, jusqu’à son poignet. Avec d’infinies précautions, il nettoya la plaie à l’aide d’un coton imbibé d’alcool. Le phénix ne broncha pas, ressentant tout de même une certaine sensation de picotement et de fraîcheur sur sa blessure. Cependant, les gestes de son hôte étaient si doux et adroits, effleurant parfois du bout des doigts la peau de son poignet encore intacte, qu’il n’y fit presque pas attention.

Ehissian détailla longuement le dragon.

Depuis le début, aucune lumière n’avait été allumée. Les rayons de lune suffisaient, et de toute manière, les phénix pouvaient voir dans l’obscurité. C’était apparemment aussi le cas pour les dragons, puisque lorsqu’il avait percuté la baie vitrée du salon, ce dernier était en train de lire dans l’obscurité, bien que le phénix remarqua bientôt que l’auburn s’aidait énormément par le toucher.

Il était beau, avec son visage ovale, ses yeux pâles et ses courts cheveux rouges. S’il avait juste été un peu moins grand, et un peu plus fin, on aurait aisément pu le confondre avec une femme. Mais il se dégageait de son visage aux traits si délicat une telle impression de puissance et de force, que sa masculinité ne faisait aucun doute. Ses gestes étaient aussi plutôt fluides, rapides et agiles, un peu comme ceux d’un reptile. Ses beaux yeux verts étaient penchés sur sa main blessée, et le dragon ne se rendait pas compte qu’il faisait l’objet d’une étude approfondie. Ou alors, il n’en laissait rien paraître.

-Quel est votre nom ? demanda soudainement le phénix, brisant ainsi le silence.

Le dragon releva son visage vers lui et sourit, d’un beau sourire sincère, alors qu’à nouveau, la voix éraillée s’élevait.

-Fallnir.

Et ses yeux se baissèrent de nouveau, pour cette fois, dérouler les bandelettes de gaze.

Le phénix se répéta inlassablement ce nom. Fallnir. C’était bien un nom de dragon.

Ils retombèrent dans le silence, uniquement perturbé par le bruissement des bandes que l’on déroulait. L’un plongé dans son observation, l’autre occupé à ses soins. Cela dura quelques minutes. Mais bientôt, trop tôt au goût d’Ehissian, le dragon eut terminé. Il relâcha doucement sa main, et referma soigneusement bouteille d’alcool, paquet de coton et rouleau de gaze, qu’il déposa au pied du lit. Le silence se transforma, se teinta de gêne.

Le sourire de Fallnir avait un peu disparu, celui de son vis-à-vis n’était toujours pas revenu. A présent, ils ne savaient que faire.

Et puis, au même moment, leurs visages se tournèrent l’un vers l’autre, parfaitement synchronisés par le hasard, qui avait fait qu’ils voulurent prendre la parole au même moment.

Leurs lèvres se frôlèrent, leurs souffles se mêlèrent, leurs yeux s’écarquillèrent légèrement sous la surprise et le malaise.

Ehissian ne sut jamais si c’était un instinct dû à sa nature, ou la faute de la pleine lune, ou même une sorte de réflexe de son propre organisme.

Toujours est-il que, presque en même temps, un peu comme un automatisme, leurs visages franchirent la barrière qui les séparaient, et qu’ils s’embrassèrent.

D’abord chastement, juste du bout des lèvres.

Puis, le phénix se sentit poussé en arrière, et alors que son dos touchait le matelas, le baiser s’intensifia, leurs langues se frôlèrent, et des mains se mirent à glisser, tant sur les cheveux que sur le torse et le dos, repoussant les barrières de tissus.

Qui ne furent bientôt qu’un lointain souvenir, oubliés au pied du lit.

--

La première chose que remarqua Fallnir, en se réveillant, ce fut la lumière.

Vifs, éclatants, les rayons du soleil d’été passaient à travers sa fenêtre, et inondaient les draps blancs de leur lumière aveuglante. Il cligna plusieurs fois des yeux, autant de surprise que d’éblouissement, avant de pouvoir les ouvrir complètement.

Il était seul.

Et pourtant… Pourtant, le lit était totalement défait, et il restait comme une odeur, sur l’oreiller. Une bonne odeur d’épice, sur les tissus et sur sa peau, la marque d’un corps sur les draps, les souvenirs d’une présence pas si lointaine que ça.

Et à la place où aurait normalement dû se trouver un beau jeune homme endormi, il trouva une plume. Une longue plume, belle, effilée, de couleur bleu nuit. Aussi bleue que les yeux qui s’étaient plongés dans les siens toute la nuit durant.

Elle était là, juste à côté de lui, emplissant de sa seule présence l’espace vide laissé par la couverture relevée. Il n’eut qu’à tendre la main pour l’attraper, et la faire tourner entre ses doigts.

Ce n’était qu’une petite plume, mais elle était soudain devenue très importante à ses yeux. Oui, cette petite plume était très, très importante, aussi importante que le soleil, qui s’amusait à créer des reflets bleus sur elle, l’était pour les êtres vivants.

Un sourire s’étira sur son visage.

--

Il faisait froid. Horriblement froid. Une véritable tempête de neige se déchaînait au dehors, et bien que l’appartement soit situé à un étage très élevé, il y avait bien cinq centimètres de neige sur les rebords des vieux carreaux des fenêtres.

Mais Ehissian n’en avait strictement rien à faire.

Emmitouflé dans une épaisse couette, un sourire bienheureux flottait sur son visage, alors qu’il était plongé dans un profond sommeil. Il était rentré tard, bien trop tard. Ou plutôt bien trop tôt. Ses vêtements, trempés par la neige, séchaient sur un radiateur proche de son lit, et une petite flaque d’eau s’était formée sous ce même radiateur et ses chaussures, laissées dans l’entrée.

Voilà ce qu’il se passait quand on restait quasiment dans le même fuseau horaire, mais que l’on changeait d’hémisphère.

On oubliait que s’il faisait un temps à se mettre torse nu d’un côté, il était suicidaire de sortir sans quatre épaisseurs de tissus de l’autre. Mais Ehissian avait toujours été très tête en l’air…Il remua un peu sous sa couette, au si jolis motifs triangulaires rouge et vert. Dormir lui faisait le plus grand bien… Son corps et son esprit étaient totalement épuisés. Tellement, qu’il n’avait même plus la force de rêver.

C’est à peine s’il sentit la vibration se propager dans tout l’immeuble. D’abord très faible, à peine perceptible. Puis, de plus en plus forte, si bien que les rares objets de son appartement se mirent à trembler et à vaciller, et que les meubles se déplacèrent peu à peu, sous l’effet des secousses.

Il ouvrit un œil.

Pour voir très nettement son lit glisser sur le côté.

Un tremblement de terre. Les murs se mirent presque à vaciller, et l’ampoule de la chambre clignota dangereusement, se balançant comme une vulgaire poupée de chiffon à ses fils électriques Un grondement sourd s’élevait, accompagné du tintement des verres et du raclement du bois sur la moquette.

Et malgré l’urgence de la situation, et la peur réflexe qui commençait à nouer son estomac, il se rappela soudain d’un détail. Il n’y avait jamais eu de tremblement de terre dans cette région, et ils étaient à plusieurs centaines de kilomètres d’une plaque tectonique ou même d’un volcan.

Ce n’était pas une secousse naturelle.

Ehissian se redressa, pour constater que tout autour de lui tremblait encore. Il lui semblait même que c’était l’immeuble en lui même qui était la cause de cette secousse. Comme si c’était sa structure qui était ébranlée…

Soudain, il y eut un craquement sinistre, rappelant un déchirement, puis un bruit sec, qui retentit à travers la pièce et raisonna pendant de longues secondes.

L’instant d’après, un énorme poids sembla atterrir sur lui, comme si une pierre s’était détachée du plafond pour tomber en plein sur son abdomen. C’est d’ailleurs ce qu’il crut, les premiers dixièmes de secondes.

Ce n’est qu’après qu’il ne réalisa que les tremblements avaient cessé à l’instant même où ce bloc de pierre lui était tombé dessus.

Et d’ailleurs, jusqu’à preuve du contraire, les blocs de pierres ne parlaient pas. N’avaient pas non plus de bras pour se mettre à vous secouer comme un prunier. Ni de longs cheveux oranges, et de gros pull en laine.

-Espèce de crétin, crétin, crétin ! ! ! T’étais passé où ? Ca fait deux jours qu’on te cherche, j’étais morte d’inquiétude, et en plus avec le début de tempête on a eu plein de boulot, on avait énormément besoin de toi, y avait pas moyen de te joindre, on avait presque plus rien à manger, y a trois ampoules qui ont grillées, le frigo marchait plus, la machine à laver le linge est tombée en panne, et…

-Elika. Tu m’écrases.

La jeune fille se figea.

-Oups, désolé grand frère.

Le poids disparut de son estomac. Ehissian soupira, et passa une main sur son visage, pour achever de se réveiller. Il était vraiment mort de fatigue. Mais l’arrivée de sa sœur avait officiellement mis fin à sa grasse matinée. Aussi longtemps qu’elle serait dans les parages, il ne pourrait même pas envisager de fermer les yeux plus d’une seconde.

Une furie orange se leva d’un coup et commença à farfouiller dans sa grande armoire, sortant une pile de vêtements qu’elle balança sans regret derrière elle. Pendant ce temps là, son frère se mit en tête de se lever. S’asseyant sur son lit, mais gardant la couette au niveau de ses épaules, il se frotta énergiquement les cheveux, qui n’en avaient en fait pas vraiment besoin.

Vêtu en tout et pour tout d’un boxer et recouvert de sa couette, ses yeux bleu nuit se posèrent un instant sur la fenêtre, à travers laquelle on apercevait de gros flocons tomber sans interruption. Le chauffage était vraiment une invention merveilleuse, songea-t-il vaguement.

Un pull en laine lui atterrit soudain sur le visage.

-T’as un sourire stupide, remarqua sa sœur en le dévisageant d’une manière plus sérieuse, les sourcils froncés. Dit, comment tu t’es fait ce bleu, là ?

Le doigt d’Elika désigna un point bleuté, à la base du cou du jeune homme, la couette recouvrant tout le reste de son corps.

Elle était toute mignonne, avec cette expression d’incompréhension sur son visage boudeur. D’apparence, on ne lui donnait pas plus de quinze ou seize ans. Et pourtant, pour le plus grand soulagement de son frère aîné à ce moment précis, elle était encore aussi innocente qu’une enfant.

-… C’est rien. Un accident stupide, dit-il en enfilant rapidement le pull, profitant du fait qu’elle regardait de l’autre côté, camouflant la rougeur qui naissait sur ses joues ainsi que la marque responsable de cette dite rougeur.

-Ah.

Oui, dans le fond, ce n’était pas trop mentir que de dire ça à sa sœur.

Car c’était bien à la suite d’un accident stupide qu’il avait eu cette marque.

A vrai dire, il était imbécilement passé à travers une fenêtre. Et il était bêtement tombé dans les bras du propriétaire de cette même fenêtre.

-Tu devrais vite aller déjeuner, parce que tu vas avoir du travail. Kellnet t’attend depuis deux heures.

Ehissian bâilla, lança un regard épuisé à sa sœur, et fit mine de se recoucher.

Elika soupira devant l’incapacité de son frère à se réveiller le matin.

-Et dépêche toi, répéta-t-elle en soulevant la porte de l’appartement et la remettant adroitement sur ses gonds, par la force de l’habitude.

Le Phénix se demanda vaguement depuis quand sa sœur cadette avait autant d’autorité sur lui.

--

Le robinet d’eau chaude grinça quand le phénix le tourna. Aussitôt, un puissant jet d’eau brûlante se mit à couler, sous lequel il se réfugia avec plaisir. Ehissian sentit chaque goutte ruisseler sur son corps meurtri, chaque millimètre de sa peau se réveiller sous la chaleur.

Il était recouvert de cicatrices et de marques violettes, pour la plupart très récentes. Quelques unes de ces marques, les plus tendres et les plus légères, c’était un dragon, qui les lui avait faites, en voulant goûter à sa chair meurtrie.

Il sentait encore ses mains le parcourir, glisser sur sa peau, souligner chaque cicatrice, comme s’il voulait graver son corps dans sa mémoire…

Le phénix effleura distraitement un épais trait rouge, qui parcourait son abdomen. Il avait son frère jumeau dans le dos. C’était assez impressionnant, les premiers jours, mais il s’y faisait. Et en fait, ça disparaîtrait sans doute avant même qu’il ait eu le temps de s’y habituer. Il ne savait par quel miracle sa sœur ne les avait pas remarqués lorsqu’il avait enfilé le pull, quelques minutes plus tôt.

Ses yeux bleu nuit glissèrent sur son propre corps, faisant l’inventaire de chacune des marques.

La seule cicatrice qui risquait de s’éterniser, c’était la longue estafilade qui longeait sa main, faite par un débris de verre. C’était la plus récente, mais aussi la seule dont il voulait peut-être garder une trace, au moins encore quelques jours.

Un petit sourire se forma sur ses lèvres, lorsqu’il songea que sans elle, il serait probablement rentré chez lui beaucoup plus tôt.

Et soudain, l’eau cessa de couler, alors que la lumière de la salle de bain s’éteignait.

-Elika.

--

Il faisait froid, vraiment très froid.

Certainement pas un temps à mettre un phénix dehors.

C’était peut-être pour ça que c’était un démon qui était chargé de déblayer la neige.

Le corps à moitié caché sous un épais anorak, un catogan châtain s’échappant de son bonnet de laine, il soulevait joyeusement de grandes pelletées de neige, pour les reposer en tas de l’autre côté, là où elles ne gêneraient personne. Dans quelques heures, les enfants s’en donneraient à cœur joie, et se jetteraient la tête la première dans ces énormes tas blancs.

-No fear… Destination Darkness…

On l’avait vaguement averti que chanter par un froid pareil risquait d’abîmer sa voix pendant quelques jours. Mais il avait simplement répliqué que c’était lui, le médecin de l’immeuble. Et personne n’avait rien ajouté.

Le démon planta sa pelle dans la neige, s’arrêtant de chanter un moment, et frotta ses mains l’une contre l’autre pour les réchauffer, levant les yeux vers le ciel.

Les nuages gris se confondaient avec le toit de la vieille tour.

Il était bizarre, ce bâtiment. Il ressemblait à un vieux clocher, ou une ancienne cathédrale. Il était là depuis des siècles et avait traversé les âges, élevant aujourd’hui ses épais murs de pierre au milieu des grattes ciels de verre. Certains disaient que c’était un peu étrange, de voir cette vieille tour en plein centre ville, alors que les monuments anciens se faisaient de plus en plus rare. Et on était encore plus étonné quand on savait ce qui se tramait à l’intérieur de ces vieilles pierres.

En fait, on y faisait de tout.

Au rez-de-chaussée, il y avait l’accueil, une sorte d’office du tourisme et de syndicat d’initiative, qui s’occupait de tous les évènements, fêtes et musées de la ville. Mais aussi, et c’était le plus insolite, il y avait là l’entrée d’un night club, qui ouvrait ses portes dès la tombée de la nuit.

Les étages au dessus formaient une sorte de petit centre commercial. A chaque niveau, il y avait au moins deux boutiques, de disque, de vêtement, de livre, de cosmétique, d’instrument de musique, et même une épicerie. Toute sorte de magasins, de produits, de marques différentes. Et pas la moindre grande enseigne.

C’était une sorte de commerce de proximité à la verticale. Il n’y avait qu’un, deux, maximum trois vendeurs par boutiques. Les gens y venaient souvent, on les connaissait, on les saluait et discutait avec eux comme s’ils étaient les agriculteurs du coin que l’on croisait toutes les semaines au marché. C’était peut-être pour ça qu’il n’y avait aucun grand magasin à proximité. Quelques boutiques de vêtements, un peu plus loin dans l’avenue, mais pas la moindre trace de magasins ultra célèbre s’élevant sur plusieurs étages et centaines de mètres carrés.

Le démon sourit, et se remit à la tâche. Ce que les gens ne savaient pas, c’est que bien des étages au dessus des boutiques de cet immeuble, c’était toute une communauté qui s’était installée. Des phénix, uniquement des phénix. Plus une nymphe, et lui, un démon. Ils s’étaient rapidement intégrés au reste des habitants.

Officiellement, les derniers niveaux étaient condamnés, car trop vieux, ou reconvertis en débarras. Ils avaient en fait été transformés en appartement.

Un habille sort de camouflage recouvrait l’immeuble, depuis que les hommes étaient devenus moins crédules et plus scientifiques. Parfois, on ne réalisait pas que la grande porte vitrée s’ouvrait et laissait sortir un groupe d’enfants, ni que les lumières de certaines fenêtres restaient allumées jusqu’à très tard dans la nuit. Ou bien on le voyait, mais on l’oubliait tout de suite après.

Car les phénix se cachaient. Ils n’avaient rien à craindre des humains, si ce n’était les rumeurs. Et c’était justement pour cela qu’ils prenaient autant de précautions. Il suffisait que la mauvaise parole atteigne la mauvaise personne.

Une nouvelle pelletée de neige alla rejoindre les autres. Il faisait froid, mais en fait, ça ne dérangeait pas le démon. S’il s’était écouté, il y serait allé en chemise et en jean. Mais on lui avait fait remarquer que ce n’était pas la chose à faire quand on voulait rester discret, surtout entre deux tempêtes de neiges…

Simplement, les rues étaient désertes, et personne n’irait faire les magasins aujourd’hui.

La plupart des boutiques de ’immeuble resteraient officiellement fermés. Les –très rares- personnes qui passaient devant lui le remarquaient à peine, et semblaient l’oublier tout de suite après l’avoir vu. Personne ne l’avait vu sortir de la tour, une pelle sur l’épaule, chantonnant déjà.

-No fear…Destination darkness…

Et ce n’était pas plus mal.

Le chemin était à présent suffisamment dégagé. Un petit chemin déneigé reliait la porte à la rue, permettant largement le passage d’une personne adulte.

Cela suffirait.

Et de toute manière, il faudrait recommencer dans quelques heures…

Lorsque les portes vitrées de l’immeuble s’ouvrirent devant lui, et que les dernières paroles de la chanson s’échappèrent de ses lèvres, le démon eut une rapide pensée pour le bon chocolat chaud qui tournerait bientôt dans son micro-onde.

--

-Qu’est ce qu’il neige… bâilla presque Ehissian en jetant un coup d’œil par la fenêtre. Je crois que c’est pas la peine qu’on ouvre, aujourd’hui…

L’épicerie de l’immeuble était un lieu d’habitude assez fréquenté par les visiteurs de la tour, mais aussi par les habitants même de l’immeuble. Cependant, en hiver, ce dernier était très souvent dépeuplé, les phénix préférant passer la saison en des lieux plus chauds et ensoleillés…

Ne restait plus que les rares habitants du quartier et quelques rares touristes, qui, il le savait, préféreraient rester chez eux et vivre sur leurs réserves que d’affronter la tempête de neige.

Kellnet ne répondit pas, et continua de pianoter sur sa caisse enregistreuse.

Il était toujours comme ça, le matin. Il n’adressait la parole à personne avant au moins onze heures et demie, hormis deux individus, et encore, pas tous les jours. Les clients quotidiens avaient fini par s’y habituer, et se contentaient de lui sourire et de le saluer rapidement, avant de lui tendre leurs pièces de monnaies.

C’était une épicerie assez grande, qui emplissait la moitié d’un étage de l’immeuble. Avec ses murs de pierres taillées, son éclairage de néon et son carrelage sombre, elle avait un petit aspect ferme rustique modernisée, qui plaisait bien à tout le monde. Ils n’étaient que deux à y travailler, parfois trois les jours de grands arrivages, mais ils s’en sortaient très bien comme cela. Ehissian et Kellnet se relayaient derrière la caisse ou entre les rayonnages, dans l’arrière boutique à surveiller les stocks ou en bas de la rue à attendre les livreurs. Ils ne faisaient pas beaucoup d’aliments frais, plutôt du surgelé ou des boites de conserves, et beaucoup de paquet de céréales et de boites de gâteaux. Sans oublier les pâtes. C’était plus du dépannage d’urgence que le coin bio du quartier. Mais cela suffisait à tout le monde, et surtout à la boucherie et à la marchande de quatre saisons qui avaient ouvert boutique à quelques rues de là, pour ravitailler les salariés des tours de verres environnantes quand ceux-ci sortaient de leurs bureaux.

Ils avaient, quelques fois, une dizaine de fruit ou de légume, mais ce genre de livraison était difficile à effectuer en plein centre ville, et aucun des deux n’aimait se lever très tôt pour aider à décharger le fourgon. Ils faisaient aussi dans la droguerie, et ils tiraient régulièrement à la courte paille pour savoir qui des deux devrait gérer le rayon des produits féminins. C’était d’ailleurs souvent là qu’intervenait une troisième personne, très souvent du sexe opposé, pour les aider à surmonter cette dure épreuve.

-… Kellnet, je t’ai parlé.

Ehissian savait qu’il ne lui répondrait pas. Mais parfois, le mutisme de son camarade avait tendance à l’exaspérer. Sa sœur Elika se moquait souvent de lui en disant qu’il n’était pas du matin, mais elle, elle ne travaillait pas avec Kellnet tous les jours…

Avec ses cheveux courts et couleurs de brique, un bouc à la manière des jeunes rockeurs et une oreille percée, il avait tout du junkie ou du mauvais garçon, et bien souvent, les gens qui ne le connaissaient pas le trouvaient assez effrayant.

Surtout le matin.

C’était aussi ce qu’avait pensé Ehissian, quand il l’avait vu pour la première fois. Mais la seconde d’après, il avait vu ses yeux brique se poser sur sa femme et son fils. Il avait aussi vu la lueur qui s’était allumée dans son regard, et il avait même perçu l’ombre d’un sourire sur son visage inexpressif. Le plus grand trésor de Kellnet, c’était son petit bout d’oiseau, qui ne savait pas encore voler, et la belle oiselle qui avait su picorer son cœur.

Ca, c’était le matin.

Passé le déjeuner, le phénix devenait très irritable. Toujours aussi doux et protecteur envers sa famille, il n’hésitait cependant pas à hausser la voix sur son collègue excédé, et à martyriser les petits jeunes venus acheter un paquet de chewing-gum.

Ehissian faisait avec. Et il savait que malgré les apparences, Kellnet était un véritable ange de bonté.

-Kellnet, le sol appelle les nuages, tu voudrais bien te réveiller ?

Ce fut le claquement des doigts sur les touches qui lui répondit.

Le jeune homme bâilla encore, et se laissa tomber sur une chaise à roulette, qu’il venait de déplacer juste devant le comptoir pour pouvoir faire face à son ami.

Il croisa les bras sur son torse, en signe de lassitude, et préféra capituler en voyant son collègue délaisser sa caisse enregistreuse pour son cahier de compte.

Il avait l’habitude. C’était comme ça tous les matins, jusqu’à ce que les clients arrivent.

Mis à part que ce jour là, personne ne viendrait.

-Ca fait déjà trois fois que tu refais les comptes, tenta une dernière fois le phénix, à raison.

-On ne sait jamais, fini par grogner le roux après un très long moment de silence.

Ehissian regarda tour à tour Kellnet, qui n’avait toujours pas levé les yeux vers lui mais répondu quand même, et l’horloge accrochée au mur.

Onze heures trente-cinq. Kellnet venait officiellement de se réveiller.

Ehissian sourit.

-Je commençais à désespérer, souffla-t-il en se hissant hors de sa chaise.

Le phénix s’étira pour la quinzième fois en une heure, joignant ses deux mains au dessus de sa tête. Il aperçu vaguement le roux lever son regard vers lui.

-… Tu t’es blessé ? Demanda-t-il en désignant des yeux le bandage à la main droite.

Ehissian acheva de s’étirer, avant de ramener sa main devant son visage, et de contempler longuement le bandage qui enserrait sa main. Il avait été obligé de le refaire, après sa douche. Du sang s’était remis à couler.

-Ouais. J’ai essayé de peler des patates.

Ca, c’était la raison officielle pour laquelle ils ne vendaient que très rarement des légumes. Ils prétextaient que savoir que des gens risquaient de se faire mal en les épluchant leur donnait mauvaise conscience.

-….Ah.

A nouveau, le silence s’installa, uniquement troublé par le grattement du stylo bille sur le papier. Ehissian marcha jusqu’à la fenêtre, collant son front sur les vieux carreaux, séparés par des petits losanges de fer.

Il aimait beaucoup ce style de fenêtre, il trouvait que cela augmentait l’effet médiéval du vieux bâtiment. Les enfants aussi, adoraient ça. Surtout le fils de Kellnet. Parfois, il se disait que ces enfants auraient adoré vivre dans leur véritable monde, plutôt que sur cette terre étrangère et devenue trop moderne.

Le regard bleu nuit du phénix se promena en bas de la rue.

Il n’y avait personne, et de toute manière, le bitume recommençait à se recouvrir d’au moins cinq bons centimètres de neige. Un vague coup d’œil l’avertit que rien n’était ouvert, ni les immeubles, ni les volets des appartements. Il remarqua aussi que quelqu’un avait déblayé l’entrée, devant leur tour, mais que cela commençait déjà à ne plus se voir.

-Ca fait longtemps que c’est comme ça ? demanda-t-il en fixant un moment un flocon qui venait de s’écraser sur le rebord de la fenêtre.

-Deux jours. Mais ça a empiré hier soir.

Kellnet balança son cahier sous le comptoir, et s’étira en bâillant. Son camarade fut très tenté de faire de même, encore une fois. S’il avait su, il n’aurait pas écouté sa sœur, et serait resté dans son lit…

-Au fait, tu étais où ces derniers jours ?

Ehissian se retourna vivement, une certaine surprise dans le regard. Le phénix roux était bien la première personne à lui poser cette question. Il arrivait fréquemment que quelqu’un disparaisse pendant quelques temps, sans raison particulière. Généralement, personne n’était au courant, pas même les amis proches ou la famille. On se levait un matin, et on réalisait qu’un tel n’était plus là. Cela pouvait durer aussi bien deux jours, que plusieurs mois. Le démon de l’immeuble, par exemple, s’était récemment absenté pendant plus de trois ans.

Et lorsque cette personne revenait, c’était comme si elle n’était jamais partie, ou presque. Quelques anecdotes, quelques petites histoires qu’il ou elle avait manqué, rien de plus. C’était une sorte de lien tacite entre eux tous.

Même sa sœur ne lui avait pas demandé où il était allé.

-… Pourquoi tu dis ça ?

Kellnet haussa les épaules.

-Pour savoir. La moitié du pays ne parle plus que de cette tempête, je trouvais bizarre que tu ne sois pas au courrant.

Un trousseau de clef atterrit dans les mains du jeune homme. Le temps que celui ci cligne des yeux, et le roux avait déjà quitté l’épicerie.

--

Si Ehissian n’avait pas entendu parler de la tempête de neige, c’était parce que là où il était, il n’était pas question de voir le moindre flocon avant plusieurs mois. Et encore.

C’est en chemise courte et en pantalon de toile que Fallnir sorti dans la rue.

Marchant d’une manière fluide et rapide, assez reptilienne en fait, sa silhouette androgyne se faufilait avec facilité au milieu des groupes de passant qui se pressaient en cet après midi d’été. Le soleil était éclatant, les rues encombrées de monde et de voiture, les terrasses des cafés assaillies par les touristes.

Le dragon se fondait dans la masse. Ni autochtone, ni visiteur de passage, c’était à peine si on le remarquait. Quelques rares têtes se retournaient parfois sur son passage, le jaugeant d’un regard parfois appréciateur, parfois déçu. S’il n’avait pas été d’une aussi grande taille et avait eu les cheveux un peu plus longs et les épaules un peu moins larges, certains auraient pu aisément le prendre pour une femme.

Fallnir s’arrêta à un croisement, attendant patiemment que le feu daigne virer au rouge pour qu’il puisse traverser. Ce qui l’avait toujours dérangé, dans les grandes villes, c’était ce besoin qu’avaient les gens de toujours aller très vite. Sur ce point là, il ne comprenait vraiment pas les humains.

Il se disait parfois que c’était ça, la conséquence d’être un mortel. De savoir que votre corps allait grandir, vieillir, puis mourir. Les gens d’Isalyis n’arrivaient pas à concevoir cela.

Chez eux, les humains aussi mourraient, peut-être un peu plus tard que ceux de ce monde-ci. Mais tous les autres peuples ne connaissaient pas l’angoisse de vieillir. Bien sûr, eux aussi grandissaient, à des rythmes différents selon les peuples. Eux aussi pouvaient mourir. Mais pas de vieillesse.

Sitôt qu’ils atteignaient l’âge adulte, ils bloquaient leur horloge corporelle. Et la modifiait ensuite à volonté. A tout instant, ils pouvaient paraître plus vieux ou plus âgés, posséder la couleur de leurs yeux d’enfant sur leur visage de vieillard, arrêter la croissance de leur pilosité.

Pas sur tous les mondes, bien évidemment. Surtout ici. La magie était tellement infime sur cette terre, que Fallnir ne pouvait même pas prendre sa véritable forme. Aucun Isalyan ne le pouvait. Les dragons n’étaient que des lézards ailés de quelques dizaines de centimètre de haut, les phénix n’étaient plus que des oiseaux vaguement humanoïdes, et les démons rétrécissaient de plusieurs dizaines de centimètre et perdaient cet accent qui leur était propre.

C’était sans doute pour cette raison que les gens de leur monde ne voyageaient pas souvent.

Rares étaient ceux qui quittaient définitivement leur terre pour une autre, le changement était trop grand. Il ne comprenait d’ailleurs pas comment faisaient les phénix pour vivre aussi longtemps loin de chez eux.

Fallnir traversa enfin la rue, disparaissant au milieu d’un flot de passant qui se croisaient sans même se voir. Il rejoignit le trottoir opposé, et tourna dans une artère secondaire.

La rue était plus calme, moins surchargée de voiture, mais tout aussi peuplée.

Une dizaine de cafés se faisaient face ou se côtoyaient. Les tables en terrasse étaient, pour la plupart, toutes occupées depuis bien longtemps.

Le dragon trouva facilement la personne qu’il cherchait. Avec sa taille si grande et ses cheveux si blonds, il aurait été difficile de le manquer, même assis au milieu des tables et des touristes assoiffés. Lui aussi, du coin de l’œil, il l’aperçut. Il leva la tête de son journal, et lui sourit.

Fallnir lui sourit en retour et le rejoignit en quelques enjambées, se faufilant entre les chaises et les tables resserrées à l’extrême. C’est avec un certain soulagement qu’il tira un siège en osier coloré, et s’assit à son tour.

-Salut. Ca faisait longtemps, Shézac.

L’autre planta son regard bleu marine dans le sien, souriant de plus belle.

Ca au moins, quelque soit le monde, ça ne changeait pas. L’éclat des yeux des démons. Leur taille aussi, qui bien que moindre, restait toujours aussi conséquente.

-Au moins quelques dizaines d’années. C’est fou ce que t’as pas changé d’ailleurs, répliqua le blond en s’accoudant à la table.

Le dragon résista à l’envie, très forte, de lui tirer la langue. Mais le démon avait raison. En plus de trente ans, ils étaient toujours les mêmes. Shézac était toujours aussi grand, élancé, et séduisant. Ses longs cheveux dorés étaient, comme à leur habitude, lâchement noués dans son dos. Il souriait aussi toujours de la même manière, si spontanée, si vive et lumineuse. Quand on voyait Shézac, on était aussitôt contaminé par sa bonne humeur. Impossible de pleurer ou de faire la tête en sa présence. Et de toute manière, il vous remontait le moral en moins de deux, s’il voyait que ça n’allait pas.

Le démon, lui, sembla remarquer une infime différence, chez son compagnon. Sa voix était bien la même, toujours aussi enrouée, ses cheveux auburn étaient peut-être un peu plus courts, et ses traits légèrement plus jeunes que la dernière fois où il l’avait vu. Mais ce qui lui sauta aux yeux, après quelques minutes d’observation, ce fut ses yeux, ainsi que ses mains.

D’habitude, Fallnir gardait ses pupilles rivées sur celui qui lui faisait face, et ses doigts ne cessaient de parcourir, de toucher, d’effleurer les surfaces alentours, presque nerveusement. Là, depuis le début, ses mains restaient sagement posées sur ses jambes, alors que ses yeux ne cessaient de bouger, de regarder à droite et à gauche, comme ceux d’un enfant qui visitait un lieu inconnu. C’était étrange. Mais il garda la remarque pour lui.

-Bon, dit moi, qu’est ce qui t’a poussé à fouiller dans tes vieux carnets pour en extirper le numéro de mon téléphone ?

Le dragon reposa aussitôt ses prunelles sur son vis à vis, mais ce dernier vit bien qu’elles ne demandaient qu’à repartir se gorger d’image.

-A vrai dire, je cherche quelqu’un, répondit à brûle pourpoint le roux, ses yeux se plissant à peine.

-Quelqu’un ? Répéta le démon avec un sourire suspicieux.

Le dragon ne dit rien, mais tira un objet de sa poche qu’il posa sur la table, devant Shézac.

Ce dernier regarda d’un œil intrigué le dit objet, avant de le prendre et de le faire tourner entre ses doigts, à la hauteur de son visage. C’était une plume, longue, effilée, à la belle teinte bleu nuit. Une très légère nuance de coloris différenciait ses yeux bleu marine de la couleur de cette plume. Il l’examina longuement, sous toutes les coutures.

-Une plume de phénix, conclut-il après quelques minutes en la reposant sur la table. Tu t’es fais cambriolé par un piaf et tu cherches à te venger ?

Fallnir sourit, mystérieusement, et secoua doucement la tête.

-Presque. Sais-tu où j’ai le plus de chance de trouver un phénix, sur ce monde ?

Le démon croisa ses doigts, et appuya son menton au dessus, réfléchissant.

-Beaucoup de phénix ont immigré ici lors de la dernière guerre… Qu’est ce que tu lui veux, à cet oiseau ?

-Je ne sais pas trop, répondit Fallnir, d’une voix plus basse. J’aimerais… Le revoir, tout simplement…

Shézac le dévisagea un instant, ayant un peu de mal à croire à ce qu’il venait d’entendre. Puis il secoua la tête, sans faire de commentaire.

-Mouais… Oui, je crois savoir où est-ce qu’il y a des phénix sur cette planète. Attend moi deux minutes.

Il se leva et s’éloigna un peu du café, sous le regard curieux du dragon.

Shézac sortit son téléphone portable de sa poche. Pendant un petit moment, il fit défiler les noms de son répertoire, avant de trouver celui qu’il cherchait.

En trois ans, le numéro devait certainement être toujours le même.

Fallnir observa un moment son compagnon. Le démon, une main tenant son téléphone, l’autre occupée à entortiller ses mèches d’or autour de ses doigts, semblait en grande conversation avec un ami visiblement très proche. Il souriait souvent, et le rire clair du blond, qui lui rappelait inlassablement une cascade, lui parvenait à travers le tumulte de la rue.

Le dragon se désintéressa complètement de lui.

Au lieu de cela, ses yeux s’attardèrent sur les gens qui les entouraient, ses oreilles captant des bribes de conversation, ses pupilles se gorgeant de visage et de couleur. Lui même ne semblait pas s’en rendre compte. Il était trop occupé à mémoriser chaque teinte, chaque reflet, chaque jeu d’ombre qu’il lui était possible. Un peu comme un enfant qui avait soif d’apprendre. C’était à des kilomètres du comportement du dragon toujours immobile et impassible que Shézac avait connu quelques années plus tôt. D’ailleurs, plongé dans ses observations, le roux ne réalisa même pas que le démon avait raccroché.

Ce dernier s’assit de nouveau face à Fallnir, plus souriant que jamais. Le dragon ne put s’empêcher d’éprouver une certaine inquiétude. Il savait très bien que les soudains excès de joie du blond étaient parfois dévastateurs.

-Alors ?

-Tu vas le revoir, ton oiseau. Mais pense à mettre des pulls dans ta valise. On part demain.

Le dragon resta surpris quelque seconde, avant de comprendre les mots du démon.

-On ? Je suis assez grand pour voyager seul, tu sais…

-Et me faire rater l’occasion de passer un peu de temps avec toi, après toutes ces années ? J’ai des dizaines de chose à te raconter, mon petit Fallnir, rétorqua Shézac avec un clignement d’œil. Et puis moi aussi, je voudrais revoir quelqu’un…

L’auburn ne chercha pas à le contredire, sachant de toute manière que cela serait impossible. Après tout, cela lui ferait certainement du bien, d’avoir un peu de compagnie…

A suivre…

ooo

Voilà, merci beaucoup d’avoir lu jusqu’à la fin. :3

J'aimerais énormément connaitre votre ressenti à propos de ce premier chapitre, savoir ce que vous en avez pensé, ce qui ne vous a pas plus, ce genre de chose... Je compte beaucoup sur vos avis pour toujours tenter de m'améliorer, aussi, si la moindre chose venait à vous passer par la tête à propos de cette histoire, n'hésitez pas à me contacter pour m'en faire part.

 
 
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