Disclaimer : Tout à moi ! Chapitre un C’est la fin de l’après-midi au Camping Tournesol. Sous les allées ombragées s’activent les derniers venus, pressés de monter leurs tentes avant la tombée de la nuit. La brise printanière disperse partout l’effluve des pins parasols qui longent les emplacements et la lueur du jour décroît lentement tandis que les campeurs rentrent de la plage, serviettes en mains et sandales aux pieds. Dans les cuisines de la cafétéria, on s’empresse de préparer le dîner, les couvercles des casseroles s’entrechoquent dans un joyeux tapage. Sur la terrasse, quelques endormis sommeillent sur des transats ; la piscine se vide peu à peu. Allongée sur le ventre, les yeux mi-clos, les jambes légèrement repliées, elle profite des derniers rayons de soleil, écoutant l’agitation qui règne autour d’elle, observant un groupe de jeunes amassé au bord du bassin. Vaguement envieuse, elle hésite à les rejoindre puis se ravise. Sa mère lézarde à ses côtés, surveillant sans en avoir l’air, ne perdant pas une miette des conversations qui fusent alentours, notant discrètement les « infréquentables » susceptibles d’intéresser sa fille, qui de toute manière s’enfonce dans son rôle de solitaire désabusée, immobile sur sa serviette écarlate. Un coup d’œil lui suffit pour s’assurer que non, ce n’est pas aujourd’hui qu’Elvire se fera des amis. Elle relâche sa surveillance et laisse échapper un soupir de bien-être. Elvire se félicite intérieurement, soulagée d’échapper au regard calculateur de sa génitrice. Il ne faudrait pas qu’elle s’imagine qu’elle ait pu changer d’avis, alors qu’elle s’évertue à lui répéter qu’elle refuse la compagnie des autres. Les autres qui, comme lui a fait remarquer sa sœur, acceptent dans leurs troupeaux même les plus paumés, ne visons personne. « Je ne suis pas les autres » a-t-elle rétorqué. Margaux avait haussé les épaules et tourné les talons pour rejoindre sa « bande ». Facile quand on a 12 ans ragea Elvire. Les seuls ados de son âge formaient un groupe compact, qui ne se morcelait jamais. Trop nombreux, trop riches, trop beaux, et trop superficiels. Elle tourne la tête vers la droite et aperçoit le cercle infranchissable qu’ils ont constitué près de l’eau, lorgnant avec envie leurs rires et leur évidente complicité, ressentant cruellement la solitude qu’elle s’inflige. Pire que sa mère et son orgueil, sa timidité maladive la ronge intérieurement. Elle ferme les paupières pour chasser le spectacle de son propre isolement. Plus qu’une semaine songe-t-elle avec soulagement. Elle se réjouit de la venue de sa meilleure amie, de sa gaieté contagieuse. Louise est si populaire ! A ses côtés, elle osera enfin s’approcher du groupe convoité, et sa mère relâchera la pression qu’elle exerce sur elle depuis leur arrivée ; Cette dernière se lève soudainement, attrapant ses affaires. « Tu viens choupette ? » Elvire, les poings crispés, ferme les yeux à s’en fendre les paupières. A croire qu’elle le fait exprès. « Vas-y déjà, je reste un peu » murmure-t-elle sans bouger, priant pour que les autres n’aient rien remarqué. Heureusement, ils ne regardent pas dans sa direction. Evidemment soupire-t-elle. Le vent qui refroidit la fait frissonner et elle rabat les pans de sa serviette sur ses jambes. « C’est libre ? » Tournant la tête, elle aperçoit un jeune homme qui désigne le transat à côté d’elle. Elle acquiesce en plissant les yeux. Il est à contre-jour et elle ne distingue pas son visage. Il s’assied de manière à lui faire face, lui sourit. Plus vieux qu’elle, il semble de toute évidence appartenir à la catégorie des inabordables. Elle lui rend un sourire tremblant, s’efforçant d’être naturelle. Dieu ce qu’il est beau. « Mon nom c’est Andrew , déclare-t-il. - Elvire. » Elle sent son cœur battre un peu plus fort. « Mon nom c’est Andrew ». Il a une carrure de mannequin, un sourire de star indulgente, une assurance manifeste. « C’est joli, Elvire. - Te sens pas obligé, ricane-t-elle. - T’aimes pas ton prénom ? » - Elle réfléchit. Elle ne s’est jamais posé la question. On lui fait rarement des compliments et les « Elle vire débile » de sa sœur ne la font plus rire depuis longtemps, mais son nom ne la dérange pas. « Je sais pas. Je m’en fous en fait. - Ah bon, s’étonne-t-il. Mon frère ne supporte pas le sien. En vrai, c’est Constant mais tout le monde l’appelle Mail. - Mail ? répète-t-elle en pensant « je m’en fous de ton frère, parle moi de toi, de toi, de toi !» - Oui, comme l’email. C’est plutôt con , non ? Et toi, ça fait longtemps que t’es ici ? T’es venue en famille ? - Oui, je suis là depuis une semaine. Mais ma meilleure amie arrive dans quelques jours. » - Elle se maudit intérieurement. Il faut toujours qu’elle parle de Louise. Même lorsqu’on s’adresse à elle en premier lieu, les gens finissent par lui préférer son amie. Elle se rassure. Il ne connaît pas Louise, il n’en à rien à foutre de Louise, c’est à toi qu’il parle. Drew a un sourire poli. - Ah oui , murmure-t-il. Mais .. pourquoi tu restes toujours toute seule ? » Oh Pitié ! Il l’a vue traîner au bord de l’eau chaque après-midi, parfois accompagnée de sa mère, à lire ou à bronzer en solitaire. Elle rougit violemment.. A présent, il va sûrement partir, la laissant avec ses remords. En effet, il cesse un moment de parler, l’air un peu gêné, avant de reprendre d’une voix incertaine. « Il y a une fête sur la plage ce soir. Tout le monde sera là. Tu peux venir si tu veux, je pourrais te présenter aux autres. » Son cœur fait un bond dans sa poitrine. Une fête ? Il l’invite à se joindre à eux ! Mais aussitôt, elle sent une bouffée d’angoisse l’envahir. Elle n’est pas douée pour engager la conversation. Sans Louise, elle se sent diminuée, sans intérêt. Ils vont tous la prendre pour une idiote ! Drew la fixe en silence, ses mèches sombres virevoltant sur son visage parfait. Elle tourne la tête vers lui et se résout. Aie un peu de courage se dit-elle, il faut que tu apprennes à te décider seule ! Elle avale sa salive, dégage une mèche de cheveux qui lui barre les yeux pour se donner une contenance. « Okay. Je … C’est à quelle heure ? - Je passerais te chercher vers 9 heures . » Il parait grave tout à coup, et elle a l’impression qu’il regrette sa proposition. Il semble pressé de partir. « Bon, tu m’excuse, je dois y aller. » I Il se lève et s’éloigne d’une démarche tranquille. A 5 mètres, il se retourne avec un petit signe de la main, avant de disparaître dans le camping. Elvire reste un moment allongée, reprenant doucement ses esprits, puis retourne à la caravane où le reste de la famille l’attend pour dîner. Sa sœur lui décoche un sourire indulgent, façon « alors ma pauvre sœur, pas trop dur, le tête à tête avec toi-même ? » et elle s’assoit sans la regarder. « Maman, demande-t-elle, je peux sortir ce soir ? - Sortir ? Et tu veux aller où ? - Il y a une fête sur la plage. S’il te plait. » - Sa mère fait une moue sceptique. « Et comment tu y vas ? Je ne t’emmène pas, je vais au Karaoké avec Margaux. - On viendra me chercher, assure Elvire sans préciser qui désigne le « on ». - Tu t’es enfin fait des potes ? s’enquit sa sœur, levant les yeux au ciel. On peut dire que t’y a mis le temps ! - Margaux, ne sois pas méchante avec ta sœur, intervint sa mère qui pense la même chose. C’est bon ma chérie, tu peux y aller, mais ne rentre pas trop tard. - Merci, murmure –t-elle, un sourire confus flottant au bord des lèvres. » * * * Elvire dénoua l’élastique qui retenait son chignon. C’était la sixième fois qu’elle changeait de coiffure. Elle observa ses longs cheveux flottant sur ses épaules, et décida de les laisser comme ça. Tant pis s’ils s’emmêlaient, ils dissimulaient une partie de son visage et cachaient un peu son décolleté. Elle entendit un bruit de moteur ; dehors, sa mère salua quelqu’un. Elle respira un grand coup, sortit de la caravane et marqua un temps d’arrêt. Une luxueuse décapotable rouge ronronnait devant la petite tente. Drew, son propriétaire, ouvrit la portière du côté passager pour la laisser passer. Elle monta avec précaution et il démarra en trombe sous les yeux éberlués de sa mère et de sa petite sœur. Il roulait assez vite, tenant le volant d’un seule main, conservant son attitude dégagée. Elle remarqua qu’il s’était changé et le trouva encore plus beau, si c’était possible. « Dis-moi, tu as la permission de quelle heure, dit-il avec un petit air moqueur. - Quand je veux, rétorqua –t-elle, vexée. - Tant mieux, répondit-il, parce que je suis pas sûr de pouvoir te ramener. » En l’observant à la dérobée, elle s’interrogea, perplexe. Tout la séparait de son chauffeur ; la classe, l’âge, l’aplomb,. Et le fric songea-t-elle en détaillant le véhicule rutilant. Que faisait-elle ici ? « Elle est à toi, demanda-t-elle en caressant le cuir beige de son siège. - Oui. Elle te plait ? - Oui .. Enfin … Je me sens toute petite là-dedans. » - Il eut un sourire satisfait. « C’est l’effet voulu avoua-t-il. Même moi, il me semble parfois que c’est trop. » Elle se mordit les lèvres. Trop pour lui ? Sûrement pas ! Il semblait qu’il ne faisait qu’un avec la voiture, et leurs élégances s’accordaient parfaitement. A le voir, il était difficile de le concevoir ailleurs qu’à la place qu’il occupait en cet instant. Le voile sombre qui flottait dans ses yeux avait disparu ; il paraissait véritablement heureux. Ils défilaient le long des avenues bordées de palmiers d’un côté, de néons clignotants de l’autre, accélérant la vitesse à chaque seconde. Elvire s’accouda sur le rebord de la portière, offrant son visage au vent qui lui cinglait la peau. Elle frissonnait, de froid et de peur, et adora cette sensation. En arrivant aux abords de la plage, il ralentit car la circulation devenait plus dense. Elle aperçut des groupes entiers de jeunes qui arrivaient et se regroupaient près des sonos et des projecteurs colorés. Une immense pancarte annonçait « Beach Party » ; au-dessous, en rouge lumineux – Interdit au moins de 18 ans. Elle sentit son cœur se serrer et éprouva un début de panique. « Je ne suis pas majeure, avoua-t-elle tandis qu’il se garait en double file. - Ne t’inquiètes pas, tu peux très bien faire illusion, la rassura-t-il. » Une bannière flottante, retenue par deux poteaux, marquait l’entrée de la fête. Il la saisit par la taille tandis qu’ils la franchissaient sous le regard las des vigiles. Elvire perçut les murmures discrets qu’ils déclenchaient sur leurs passage ; la plupart des filles lancèrent vers Drew des regards visiblement appréciateurs. Ils se frayèrent un chemin parmi la foule, puis se dirigèrent vers le buffet. Un grand blond lui offrit un verre. Elvire sourit imperceptiblement. Elle s’incrustait dans une soirée interdit aux mineurs en compagnie du mec le plus sexy de toute la plage, et on la regardait comme une fille normale. La soirée promettait d’être divertissante. Drew l’entraîna ensuite vers un groupe amoncelé au bord de l’eau. Elle reconnut certains d’entre eux pour les avoir épiées au bord de la piscine. Chaleureusement,, ils engagèrent la conversation avec la nouvelle venue. Le dénommé Mail entreprit de lui faire l’inventaire des invités– qui il aimait, qui il n’aimait pas, qui il fallait faire semblant d’aimer, qui il valait mieux éviter, et surtout, qui était qui. Drew avait rapidement disparu, mais elle ne s’en formalisa pas. Elle riait avec les autres, parlait d’elle, dansait, elle ne se reconnaissait plus et s’amusait beaucoup. Son sentiment d’être déplacée s’était rapidement évaporé. Vers le milieu de la soirée, Drew refit son apparition pour lui donner rendez-vous à la voiture vers 2 heures. Il avait repris son masque ténébreux et son sourire sonnait faux. Il paraissait complètement défoncé, mais avant qu’elle ait pu lui poser des questions, il s’était à nouveau éloigné. Une fille nommée Katie s’approcha d’elle. « T’es venue avec Drew? - Oui. - T’attends pas à ce qu’il revienne. Il s’en fout de toi, fais-moi confiance. » Elvire observa la jeune fille et s’aperçut non sans effroi qu’elle paraissait sincère. Katie lui offrit un verre et un sourire consolateur. - Moi aussi il m’a fait le coup, poursuivit-t-elle. Il m’avait amenée à une fête du genre, il y a quinze jours. - Elle marqua une pause, puis décida d’aller jusqu’au bout. - Il m’a baisée et le lendemain, je n’existais plus. - C’est vrai ??? - Katie hocha la tête avec tristesse tout en avalant une gorgée de coca. Elvire cacha sa déception du mieux qu’elle pût. Elle n’avait aucune intention de coucher avec Drew, aussi beau fut-il. - J’ai besoin de lui pour rentrer au camping , dit-elle d’un ton ennuyé. - Demande à Mail de te ramener, c’est un mec bien. Hé, t’as quel âge ? - Presque 17 et toi ? - 19 … Et lui 22. Ca m’étonne qu’il prenne le risque de se taper une mineure, il est plutôt du genre à fuir les gros ennuis. - Tu le connais bien ? - Non pas tellement, mais on en apprend vite sur lui ici. Il n’est jamais là, de temps en temps il ramène une fille mais c’est jamais deux fois la même. Et puis il prend pas mal de trucs. Elle reposa son verre et l’entraîna vers le centre de la piste de danse. « Le mieux, c’est que tu l’oublies, conclut-elle. » Elvire acquiesça d’un signe de tête, refoulant sa colère. Quel salaud ! Mais grâce à lui, elle passait une soirée mémorable. Elle se laissa emporter par Katie et se remit à danser au milieu des autres. A deux heures, elle retourna près de la décapotable rouge. Elle patienta un peu, en vain. Elle était seule sur le trottoir. Une demi-heure plus tard, Drew n’était toujours pas là. - Laisse tomber, lui lança Mail. Je te ramène ? Elle s’assit donc à l’arrière de sa moto bleu turquoise. Elle ne s’y connaissait pas du tout mais l’engin était impressionnant et super équipé. Apparemment, on nourrit une passion pour les véhicules de luxe, dans la famille, songea-t-elle en s’accrochant à lui de toutes ses forces – la vitesse était également une affection commune. Il la déposa à l’entrée du camping puis repartit. Elle marcha le long des rangées de campeurs silencieux en priant pour ne pas se prendre les pieds dans une tente. Arrivée devant la sienne, elle s’agenouilla, faisant coulisser l’ouverture en veillant à ne pas réveiller sa sœur qui dormait à poings fermés. Elle se mit rapidement en pyjama et s’enfouit dans son sac de couchage. Son esprit était embrumé, et la confusion régnait dans ses pensées. Elle se promit de remettre à demain ses questions. A suivre ! Merci de me faire part de vos remarques, et à bientôt ! |