Chapitre 2 Elvire gémit et rabattit sa main devant ses yeux tandis que sa sœur la secouait énergiquement. « Alors, demanda-t-elle d’un ton surexcité ? C’était comment ? Ta fête ? - Margaux, laisse-moi dormir .. Il est quelle heure ? - 7 heures mais tu ferais mieux de te doucher avant que les vieux se réveillent, tu pues la clope. Bon, raconte ! - Y’a rien à raconter. - Décris-moi tout sinon je dis à Maman à quelle heure t’es rentrée, et avec qui tu as dansé ! - Tu ne sais même pas ! - J’ai beaucoup d’imagination. Elvire soupira et se leva en baillant. - Okay, capitula-t-elle, je te raconterais mais laisse-moi d’abord me préparer, d’accord ? - Ca marche. Elle retrouva Katie et ses copines devant les sanitaires féminins. Elles discutèrent en attendant que les douches se libèrent et se donnèrent rendez-vous deux heures plus tard à la piscine. En revenant à la tente, elle s’efforça de retranscrire à la petite peste une version déformée de la soirée de la veille, inventant la présence d’un quelconque chanteur local et supprimant tous les détails dont elle ne souhaitait pas lui faire part. A sa mère, elle se contenta d’affirmer que oui, ça s’était bien passé, qu’elle avait rencontré des jeunes de son âge. Ouf ! disaient ses yeux, ma fille se socialise. Ouf, se dit la fille, elle va enfin me lâcher. Quand elle arriva à la piscine, tout le monde la salua et l’accueillit comme une des leurs. Ceux qui étaient à la soirée la racontèrent aux autres et cela lui permit de faire connaissance avec tous les membres du groupe. Elle leur décrivit l’ambiance de la fête en omettant de préciser avec qui elle était venue. De temps en temps, son nom apparaissait dans la conversation mais ce n’était jamais lui qui était concerné. C’était « la voiture à Drew », « la montre à Drew » et même « le frère à Drew » pour désigner Mail. Son simple nom semblait susciter un mélange de crainte et d’admiration et elle comprit que le fait de s’être affichée avec lui la veille constituait un privilège convoité. En parlant avec les autres filles, elle apprit au détour de la conversation que l’aventure de Katie était assez fréquente et fut contente d’y avoir échappée. Elle s’efforça de ne plus penser à lui car elle commençait à trembler de rage en songeant à la manière dont il l’avait abandonnée. Il avait dû surestimer son âge et chercher à la séduire, puis renoncer en constatant qu’elle était trop jeune. Après le repas de midi, Mail vient la chercher en moto et ils rejoignirent les autres à la plage. Il lui paya une glace avant de rejoindre un groupe qui jouait au beach volley. Regroupées sur le sable, les filles pratiquaient leur activité favorite : la médisance. Elle les salua en souriant tandis que Léa lui faisait de la place sur sa serviette. « C’est quand même con, reprit Justine d’un air pincé. Le seul beau mec des environs ne pense qu’à ça. Il n’a aucune considération pour nous. - T’abuses un peu ,intervint Léa, son frère n’est pas mal non plus. Et en plus, il est super sympa. - Oui, Mail est adorable, convint Katie, mais oublions ! T’as vu comme il regarde Elvire ? Celle-ci rougit tandis que toutes les têtes se tournaient vers elle, mais ne démentit pas. Elle avait remarqué qu’il lui accordait une attention particulière et s’était sentie flattée. Ca arrivait si peu souvent ! Elle était dans l’ombre perpétuelle de sa meilleure amie. « Après-demain soir il y a Sons et Lumière au camping, reprit Katie. Je suis sûre qu’il va en profiter pour se rapprocher de toi… Et plus si affinités. Mais ne t’inquiètes pas, continua-t-elle en riant, il n’est pas aussi direct que son frère ! » « Oui, pensa Elvire, mais c’est son frère qui me plait. » Elle fit semblant de partager l’enthousiasme des filles et fut contente lorsque la conversation dérapa sur le Sons et Lumières qui avait lieu toutes les deux semaines. A en croire Léa et Katie qui étaient là depuis un mois, c’était grandiose. * * * Mail l’attrapa par le bras et la fit se retourner tout contre lui. Il lui fit signe de le suivre car la musique était trop forte pour entendre quoi que ce soit. Ils se faufilèrent le long des rangées de spectateurs qui poussaient des « oh ! » et des « ah ! » émerveillés. Il la tenait par la main pour la forcer à avancer plus vite, courant presque, penché en avant, raflant toute la poussière des graviers. Ils débouchèrent enfin hors des gradins et s’arrêtèrent un peu pour souffler. « Ca fait une heure que je te cherche, déclara-t-il en s’époussetant. Tu m’évites ? - Peut-être répondit-elle, mystérieuse. - C’est vrai ça ? » Il lui sourit avec tendresse et elle se sentit fondre. Sa beauté n’était pas aussi évidente que celle de son frère mais il avait beaucoup de charme, et d’incroyables yeux verts qui venaient d’on ne sait où – toute sa famille les avait bleu sombre. Idem pour ses cheveux châtain clair dissimulant son front, qu’il dégageait constamment d’un geste élégant. Elle lui reprit la main et l’entraîna dans le camping obscur, loin de l’agitation à laquelle ils venaient d’échapper. « Tu me montres ton mobil home? » Il acquiesça d’un signe de tête puis la conduisit jusqu’au petit chalet de bois. La décapotable sommeillait juste à côté et la lumière qui filtrait des fenêtres trahissait la présence de son propriétaire. Mail poussa la porte et l’entraîna à l’intérieur. Drew était allongé sur le dos, dans le grand canapé en cuir bleu, et fumait d’un air désinvolte. Il ne bougea pas lorsqu’ils passèrent à côté de lui pour s’enfermer dans la petite chambre. Il y avait deux lits doubles, une grande armoire, une chaîne stéréo, une petite télé, et beaucoup de bordel. Ils s’assirent sur l’un des deux lits. Elle accepta la cigarette qu’il lui proposait, en vue de combler d’éventuels blancs. L’excitation qu’elle avait ressentie en se laissant entraîner par Mail s’était troublée avec la présence de Drew. Le savoir dans la pièce d’à côté la troublait plus que de raison. L'incertitude des premiers jours avait disparu. A présent, elle était sûre d’éprouver des sentiments pour Mail. Pourquoi un simple entraperçu venait ainsi chambouler ses pensées ? Mail l’attrapa par la taille et la serra tendrement contre lui. « Tu es très belle ce soir, murmura-t-il dans ses cheveux. Elle fit un effort pour se concentrer sur l’instant présent. - Merci. Toi aussi, bredouilla-t-elle. » Ils rirent tous les deux. Il se pencha pour l’embrasser et elle le laissa faire. Elle sentit sa main glisser sous son débardeur et frissonna en fermant les yeux. Ses lèvres qui survolaient son cou lui brûlaient la peau. Elle agrippa ses cheveux. La minuterie automatique s’éteignit au moment où ils s’enlaçaient. D’une main ferme et rassurante, il la fit s’allonger sur les draps. La main d’Elvire, qui parcourait sa nuque trembla légèrement et il suspendit son geste. Allongé sur elle, il murmura « On continue ? ». Contre toute attente, l’appréhension qui brillait dans ses yeux la rassura. Elle hocha la tête, la gorge nouée. Ils continuèrent à s’embrasser pendant quelques minutes. Il ne semblait pas vouloir précipiter les choses et elle lui en fut reconnaissante. Il se redressa légèrement, faisant passer son tee-shirt par-dessus sa tête avec maladresse. Son corps qu’elle croyait connaître pour l’avoir contemplé à la plage lui parut différent. Elle fit courir ses doigts le long de son torse bien dessiné. Il la regarda faire avant de saisir sa main qu’il déposa sur ses lèvres. Ses yeux clairs ne la quittaient pas. Elle parcourut ses paupières de sa paume et enfouit son visage dans ses cheveux. Ils conservaient l’odeur du sel marin ; cela lui plut. Mail se déshabilla entièrement, en marquant une pause entre chaque étape pour lui laisser le temps de se raviser si elle le souhaitait. A vrai dire, elle ne réalisait pas entièrement ce qu’il lui arrivait. Elle l’observait avec curiosité et quand il eut fini, elle enleva successivement son débardeur, son jean, et enfin, ses sous-vêtements. A présent qu’ils étaient à égalité, les gestes de Mail se firent plus adroits et plus empressés. Alors qu’il se penchait à nouveau sur elle, Elvire prit brusquement conscience de la situation. Elle serra ses bras autour de sa poitrine et le repoussa légèrement. Sans insister, il s’allongea à ses côtés, l’observant à travers la pénombre. « C’est ta première fois ? - Oui, bredouilla-t-elle, gênée. - On est pas obligés de le faire, dit-il en passant un bras autour de ses épaules, apaisant. Tu peux partir, si tu veux. - Non … Je préfère qu’on arrête mais j’aimerais rester un peu … Ca te dérange pas ? » - Il lui sourit avec tendresse et l’attira contre lui. Elle posa sa tête dans le creux de son épaule. Allongée contre son corps à l’embrun d’océan, elle tenta de se calmer. Sa main contre son dos exécutait de petits va-et-vients et elle se sentit bien. Ils restèrent de longues minutes immobiles ; son geste protecteur devint plus régulier avant de s’arrêter complètement. Sa tête glissa contre son oreiller tandis que ses paupières se fermaient et elle s’endormit, confiante et rassérénée. Un craquement brusque la tira de sa torpeur. Un coup d’œil sur le cadran du réveil lui apprit qu’elle était là depuis plus de deux heures. Elle sentit le corps immobile de Mail qui dormait à ses côtés et un second craquement lui fit relever la tête. Ses yeux distinguait mal la pénombre mais elle perçut distinctement une présence. Son sang se glaça et elle se recroquevilla sous la couette. La porte s’entrouvrit ; dans la lueur orangée provenant de la pièce d’à côté, elle reconnut Andrew. Juste avant de quitter la pièce, il se retourna et leurs regards se croisèrent l’espace d’une seconde qui sembla se prolonger, puis il tourna les talons et tourna la poignée. Le claquement de la porte qui se refermait la fit frémir. Elle entendit ses pas dans la pièce d’a côté, il coupa le son de la télé puis elle distingua le son d’un moteur qui s’éloignait. Elle se retourna vers Mail pour chercher un peu de réconfort mais son visage endormi était figé dans une expression qui lui rappela celles de son frère et elle prit soudainement peur. Elle chercha ses vêtements à tâtons en prenant garde de ne pas le réveiller, puis se rhabilla précipitamment et sortit en courant du mobil home. Elle détala comme une voleuse, ne s’arrêtant que lorsqu’elle se retrouva devant sa tente. L’odeur familière de son sac de couchage l’apaisa et elle se rendormit, fiévreuse. * * * - Ta sœur est là ? - Oui, répondit Margaux avec curiosité. Elle est au téléphone. Tu veux que je l’appelle ? - Non merci, je repasser... - La porte de la caravane s’ouvrit sur Elvire, en bikini et portable à l’oreille. Elle sourit à Mail, murmura « Je te rappelle » et raccrocha avant de venir les rejoindre. « Salut » dit-elle sans savoir quelle attitude adopter. Il devina son trouble et passa ses bras autour de sa taille pour l’embrasser. Elle parut agréablement surprise, se laissant aller contre lui. Il murmura dans son oreille « Tu m’en veux » et elle lui rendit son baiser en guise de réponse. En arrivant aux abords de la piscine, elle sentit son cœur s’affoler et serra un peu plus fort les doigts de Mail entre les siens. Il était là. Entièrement habillé au milieu de tous ces ados en maillots, légèrement en retrait, superbe et indifférent. Son regard voilé était fixé sur la surface transparente .Il fumait lentement, consciencieusement, tirant quelques bouffées de sa cigarette longue et fine qu’il faisait négligemment tourner entre ses doigts. Il paraissait décalé dans ce milieu et ses vêtements sombres tranchaient violemment avec le décor coloré des serviettes de bains et des plantes verdoyantes. Tout à coup, il releva la tête et leurs regards se croisèrent pour la deuxième fois en deux jours. Ses yeux sombres la transpercèrent, sans qu’elle réussisse à y déchiffrer quoi que ce soit. Il fit glisser son regard le long de sa silhouette et elle eut l’impression désagréable qu’il la déshabillait mentalement. Elle en éprouva un certain malaise, d’autant plus qu’elle s’était trouvée nue et invulnérable dans la même pièce que lui quelques heures auparavant. Les yeux fixés sur son corps immobile et si net, si net parmi tout ce paysage flou, elle sentit sa gorge se serrer et lâcha brusquement la main de Mail. Drew sembla percevoir son mouvement ; l’espace d’un instant, ses lèvres s’étirèrent en un petit sourire mystérieux, un petit sourire triste qui la troubla plus encore que tout le reste. Puis, tout aussi soudainement qu’il l’avait dévisagée, elle sembla perdre intérêt à ses yeux et il reporta son attention sur la surface claire de la piscine. Soulagée, elle se détendit, tentant d’analyser ce qu’elle ressentait. C’était comme si elle s’était trouvée sous les feux d’un projecteur un instant auparavant et se retrouvait brusquement dans le noir, vague silhouette qui se fond dans la masse, l’inspiration libératrice après l’apnée, et, étrangement, une douloureuse sensation de vide. Elle frémit puis se reprit en s’apercevant que Mail la fixait avec inquiétude. Elle s’aperçut qu’elle était restée figée ainsi au moins 10 secondes et se maudit d’avoir laissé transparaître ses sentiments de cette façon. Lui offrant un sourire crispé, elle se promit de faire davantage attention, à l’avenir. Tandis qu’ils disaient bonjour à tout le monde, elle décida de garder sous silence l’intrusion de Drew dans leur chambre, la veille au soir. Elle ignorait précisément pour quelle raison mais cela lui parut être la meilleure solution. * * * Le soleil, le sable, le rire de Mail, une glace qui fond, les bavardages de Margaux qui les soûlait de son sujet préféré – Louise - , les peaux offertes aux soleils, les baisers à la saveur du sel, le temps qui s’écoule au ralenti ; un après-midi aux couleurs du bonheur. La petite se mit à raconter comment son idole avait séduit le guichetier du cinéma de leur quartier afin de lui arracher un abonnement gratuit d’un an, puis l’avait jeté comme un rat. Elle avait malgré tout beaucoup d’allure et de prestance, mais au lieu d’en être fière, Elvire commençait à regretter sérieusement de l’avoir amenée. En la voyant se nourrir des expressions tantôt offusquées tantôt hilares de Mail, elle ressentit un pincement de jalousie. Celui-ci s’évanouit lorsqu’il se tourna vers elle pour s’exclamer : « Cette Louise m’a l’air d’une sacrée pétasse ! » Curieusement, cette remarque lui fit plaisir. Son amie arrivait le lendemain mais elle n’en éprouvait aucune joie – juste un certain agacement qui la faisait culpabiliser. Dans un élan de loyauté, elle se défendit. « Elle est rousse, déclara-t-elle sur un ton d’excuse. - Ca ne l’autorise pas à traiter les autres comme ça ! Vivement qu’elle arrive, que je lui expose ma façon de penser. - Tu ne l’as pas encore vue, sourit-elle , sur le même ton qu’elle aurait dit « Je ne suis pas encore cocue ». - De toute façon, je n’aime que les blondes, » acheva-t-il en caressant ses longs cheveux ondulés. - Elle l’embrassa avec tendresse, espérant qu’il ne changerait pas d’avis. A suivre ! |