Crédits : Le jeu Final Fantasy 7 et affiliés sont la propriété de Square-Enix. Avertissements : Spoilers du jeu et du film Advent Children, Yaoi. *** Chapitre 1
Reno trouva la lettre un beau matin en sortant de son appartement. Elle était soigneusement mise dans une enveloppe cachetée, sans adresse et sans indice sur sa provenance. Curieux, il la tourna dans tous les sens, la soupesa, en renifla les rebords. Rien. Sa montre sonna huit heures. Il était en retard à son travail ; Tseng allait le tuer s’il ne se dépêchait pas. Il empocha la lettre et n’y pensa plus de la journée. Lorsqu’il put enfin la lire, à presque vingt heures du soir, il le regretta aussitôt. Et il se dit qu’il était grand temps de s’offrir cette cuite dont il rêvait depuis des mois.* Beaucoup d’amateurs s’accordaient à dire que la bière du Septième Ciel était la meilleure de tout Edge. Tifa Lockheart, la patronne, était une beauté de vingt-trois ans au physique de rêve et au caractère bien trempé quoiqu’un peu soupe-au-lait sur les bords. Elle menait d’une poigne de fer son commerce et semblait increvable ; elle avait aussi la sordide réputation de mettre au tapis quiconque osait se montrer un peu trop cavalier envers elle et la magnifique paire de mamelles qui constituait au moins la moitié de l’attraction du bar. Fort de ces connaissances, Reno réfréna son envie de la complimenter sur sa superbe poitrine sitôt la porte passée et se contenta de commander une bière, blonde et servie dans une chope en verre, merci. Il ignora royalement les regards inquiets et quelque peu suspicieux qu’elle lui lança, fit mine de fixer un mur nu totalement inintéressant durant l’attente de ladite bière, et en règle générale fit comme si sa présence en ces lieux était aussi anodine que le premier péquenot de Gongaga venu visiter la ville. Parfait début pour attirer l’attention de la jeune femme. — Voilà ta blonde, dit tout haut Tifa en lui plaçant le verre sous le nez. Reno détourna son attention du mur et la remercia distraitement, les yeux cette fois baissés vers sa boisson. Sa chevelure rouge contrastait de manière cocasse avec le comptoir gris ; Tifa eut l’impression de voir un arbuste en feu. Elle poussa un gloussement lorsqu’il s’étouffa dès la première gorgée et la recracha. — C’est pas de la bière, ça, yo ! s’indigna-t-il, les yeux ronds. — Non, c’est le jus spécial de Yuffie. Une recette familiale de Wutai, paraît-il. — C’est dégueulasse, yo ! — Je veux bien te croire. Je n’ai goûté ce truc qu’une fois et j’ai bien cru en mourir. Le Turk fit la grimace. — Pourquoi tu me sers un truc pareil, yo ? — Pour voir si tu étais distrait au point de boire cette horreur sans sourciller. Apparemment pas. Le sourire narquois de la jeune femme irrita Reno. Pourtant, à la grande surprise de Tifa, il ne releva pas l’insulte et se contenta de délaisser la boisson. À peine avala-t-il une poignée de cacahuètes en libre-service pour faire passer le goût. — Quelque chose ne va pas ? demanda-t-elle. — Tout est impec, yo. — C’est ça. Et moi, je suis un mec, ajouta-t-elle en bombant le torse. Il grogna en signe d’amusement. — En quoi ça te regarde, yo ? — Reno, c’est mon bar. Si je vois un Turk rentrer dans un état bizarre et me dire que tout va bien alors que ce n’est visiblement pas le cas, j’ai le droit de penser que ça me regarde. Reno ne répondit pas et observa les environs. La soirée n’était pas bien avancée ; il n’y avait qu’une dizaine de clients tout au plus, tous des habitués qui lui lançaient des coups d’oeil hostiles. Il fallait dire que sa réputation l’avait précédée : tout le monde à Edge connaissait Reno des Turks et savait qu’il avait eu sa part de responsabilité dans la destruction du secteur 7. Les rancunes avaient la vie dure, même en ces temps de désoeuvrement (ou peut-être accentuaient-ils leur souvenir ?). On ne lui reprochait pas ouvertement son appartenance aux Turks du fait de sa force et du rôle qu’il avait joué lors de la crise avec le gang de Kadaj, mais s’il en croyait les éclats de haine qu’il devinait dans les yeux des quelques hommes présents, sa présence n’était pas bien vue. Le fait que Tifa soit une ancienne ennemie et membre d’AVALANCHE ne jouait pas vraiment en sa faveur. — D’ailleurs, continua la jeune femme, Rude n’est pas avec toi ? Vous êtes inséparables, d’habitude ! — Il a eu un empêchement, yo. — Et ça explique pourquoi tu as décidé de venir chez moi ? — C’est quoi, ces questions ? J’ai pas le droit de boire une bière tranquille, yo ? La barmaid soupira. — Si, bien sûr, mais... Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase. La porte à battants de l’entrée se mit en mouvement. Un homme blond entra, ses bottes en cuir raclant le sol de manière insistante. Un silence de mort se fit. Reno ricana. Cloud Strife était rentré de livraison. * Cloud venait de passer une journée absolument horripilante. En premier lieu, Fenrir avait refusé de démarrer ; comme cela arrivait rarement, il fut assez embarrassé. Après une heure de manipulations diverses et de jurons échangés avec sa machine, le jeune homme découvrit qu’il ne s’agissait que d’une pièce usée qui avait eu la malheureuse idée de le lâcher pile le jour où il avait trois livraisons urgentes à faire. Et bien entendu, la remplacer demanda encore une heure de retard sur son emploi du temps initial. La première livraison se passa plutôt bien, mais le retour se fit sous la pluie. Qu’à cela ne tienne. Cloud avait bravé les éléments avec le flegme d’un voyageur habitué aux pires conditions climatiques ; sa traversée du monde à la poursuite de Sephiroth lui avait fait subir bien pire. Une fois ces sages pensées en tête, la pluie se changea en grêle en l’espace d’une minute à peine. Cloud fut obligé de faire halte sous un pan rocheux quand les grêlons atteignirent la taille de son poing. Cela dura bien encore deux heures ; le temps de finir sa deuxième livraison, et il était trop tard pour penser à s’occuper de la troisième. Cela lui aurait demandé soit de camper dehors, soit de rouler toute la nuit. Aucune des deux solutions ne l’attirant spécialement, il décida de laisser cette tâche pour le lendemain et alla passer sa frustration au Septième Ciel. Avec un peu de chance, le fait de voir les enfants et Tifa le calmerait un peu. Il eut la surprise de trouver Reno des Turks accoudé au comptoir, une grimace solidement ancrée sur le visage. Cloud haussa un sourcil interrogateur en direction de Tifa. Sa vieille amie fit un sourire d’excuse. — Mais c’est Cloud ! s’écria le Turk en levant son verre en le voyant. Ça fait un bail, yo ! — Reno. Comme s’il avait la patience pour supporter les sautes d’humeur de ce type ! Depuis qu'ils s'étaient plus ou moins associés pour contrer la menace de Kadaj et ses frères, le Turk avait pris la fâcheuse habitude de le tourmenter en public, en se montrant un peu trop cavalier envers Tifa et lui par exemple. Il n'ignorait pas les préférences plus... éclectiques de Reno ; comment l'aurait-il pu, d'ailleurs, quand celui-ci s'évertuait à lui faire des avances à chacune de leurs rencontres ? Cloud ne savait jamais s'il en était agacé ou flatté. Sans doute un mélange des deux ; il n'était pas vraiment sûr. Ses années passées dans l'armée avait considérablement élargi ses considérations sur la sexualité de tout un chacun, mais comment savoir s'il s'agissait effectivement de son point de vue ou de celui de Zack ? — Un problème ? continua-t-il. Rufus a un service à me demander ? Reno secoua la tête, un sourire malicieux sur le visage. — J'ai pas le droit de venir voir mon blondinet favori ? Cloud leva les yeux au ciel. — Reno, je ne suis pas intéressé, combien de fois faudra-t-il que je te le dise ? J'aime les femmes. — C'est ça, et ton attirance pour Sephiroth, c'est juste de l'admiration juvénile, hein ? ricana le Turk. À d'autres. J'ai l'oeil pour ce genre de choses. Cloud n'insista pas. Il était inutile d'essayer de faire entendre raison à Reno quand il avait une idée en tête ; il avait déjà tenté le coup et s'était heurté à un mur. Ses yeux tombèrent alors sur le verre que l'autre homme tenait à la main. — Tiens c’est drôle, on dirait le remède miracle de Yuffie contre le mal de l’air, dit-il en désignant la boisson jaunâtre. — Ça l’est, intervint une Tifa rendue hilare par l'échange auquel ils venaient de se livrer. Version deux : deux minutes pour le faire, deux secondes pour l'avaler, deux jours pour s'en remettre. — Je me disais bien que l’odeur était familière. Je ne savais qu’il y avait d’autres personnes à part elle qui pouvaient en supporter le goût. — C’est de la pisse de chocobo, yo ! cria joyeusement Reno. Tifa secoua la tête et lui lança un regard en coin. S’était-il passé quelque chose en son absence ? Cloud soupira et se planta devant le Turk. — Trêve de plaisanteries, fit-il d'une voix sombre. Pourquoi es-tu là, Reno ? Généralement, ce n’était pas bon signe quand Reno était seul. Il préférait humilier Cloud et ses amis accompagné des autres Turks ; sa présence en ces lieux, seul et sans arme, en était la preuve suffisante. Les anciens membres d'AVALANCHE et les Turks avaient beau être courtois (et dans le cas de Reno, aguicheur) les uns envers les autres, ils n'étaient pas des amis pour autant. — C’est ça ton problème, tête de chocobo. Aucune confiance en tes semblables, yo. — J’ai assez de confiance là où il faut. Juste pas pour toi et les gens de ton espèce. — Pfuu. Élitiste. — Crache le morceau, Reno. Pris entre deux feux, un verre de liquide écoeurant à la main et aucun allié pour le soutenir. Cloud espérait bien que Reno abandonne d’ici peu. Il était trop fatigué pour faire preuve de tolérance. Ses vêtements avaient besoin d’être lavés et il n’était pas contre un bon bain lui-même, de préférence avant un repas chaud et consistant. Il n’avait rien avalé depuis le petit-déjeuner. Reno lui fit alors un clin d’oeil et tira la langue de manière obscène. Cloud se demanda un bref instant s’il aurait des problèmes avec Rufus s’il explosait la tête d’un de ses employés à coups d’Omnislash. Probablement que non. Reno devait agacer assez de gens pour le mériter, y compris Rufus. — Tu ne veux pas boire avec moi, Cloudy ? Je t’invite. Tournée de pisse de chocobo, yo ! Valait-il mieux le jeter dehors tout de suite ou attendre que Tifa s’en charge ? — Reno, t’es lourd, dit justement la barmaid. Ou tu nous dit ce que tu fais ici, ou tu te barres. Je n’aime pas qu’on foute le bordel dans mon bar. — Je ne fous pas le bordel, yo ! protesta-t-il avec véhémence. — Non, mais si tu continues à brailler comme ça, tu vas te recevoir quelques coups et ça, c’est pas bon pour moi. Le Turk ricana. — Pas drôle, yo. Ok, je m’en vais. Et avant que Tifa ou Cloud puisse comprendre quoi que ce fût, Reno déposa une dizaine de gils sur le comptoir et s’esquiva aussi rapidement qu’il était venu. — Pour la pisse de chocobo, yo ! dit-il. Et lâche-toi un peu, Cloud, t’as l’air d’un zombie ! La salle reprit son rythme habituel à son départ. Tifa haussa les épaules et alla jeter le jus de Yuffie dans l’évier, l’incident déjà mis de côté. Ce n’était pas le cas de son ami. Cloud fronça les sourcils et contempla longuement la porte. Il s’était passé quoi, exactement ? * La première fois que Reno avait embrassé un garçon, il était saoul et à peine plus âgé que le gamin que Cloud avait pris sous sa tutelle. Neuf ans. C’était bien peu pour une première expérience sexuelle. Pour sa défense, il n’était pas entièrement fautif. Son oncle avait profité de la situation et avait abusé de son statut d’adulte. Fort heureusement pour le petit Reno, il lui avait immédiatement vomi dessus, coupant court à toutes les pensées lubriques qu’il aurait pu avoir. L’enfant qu’il était s’en était sorti avec une gueule de bois et la promesse de ne plus boire d’alcool de toute sa vie. Trois ans plus tard, il rompait déjà ce premier serment d’honneur. — À quoi tu penses ? fit Éléna en remarquant son visage sombre. — À ma première cuite. Un cauchemar, yo. — J’imagine. Le rire d’Éléna était aussi clair que le ciel de Costa Del Sol. Reno envia son optimisme, sa joie de vivre, la relation discrète mais réelle qu’elle partageait avec Tseng. Toutes les cinq minutes, les yeux de la jeune femme se perdaient dans la contemplation de la silhouette de leur illustre chef. Tseng était concentré sur sa conduite, à l’avant de la jeep qu’ils avaient réussi à obtenir d’un mécanicien bedonnant à l’haleine de chacal. Rude était assis à côté de lui et regardait le paysage. Éléna ne se rendait même pas compte que Reno l’observait. — Combien de temps avant d’arriver, yo ? demanda-t-il pour la sixième fois depuis le début de leur voyage. On ne prit même pas la peine de lui répondre. Reno se désintéressa de la question et fixa la route, la tête emplie de doutes. * Martha Belfast était une très belle femme bien qu’ayant les bras un peu forts. Tous ceux qui la connaissaient étaient pourtant d’accord sur un même point : elle avait les plus belles jambes de Corel. Longues, fines, parfaitement ciselées. Une oeuvre d’art pour tout homme normalement constitué. Martha s’occupait de la vente des billets de téléphérique en partance vers le Gold Saucer ; ses jambes magnifiques étaient de ce fait constamment cachées derrière le comptoir en bois sombre, au grand dam des hommes qui venaient régulièrement lui rendre visite. Elle chassait les prétendants indésirables en leur signalant qu’elle ne parlait pas aux gens qui n’achetaient pas de billet. Du reste, elle savait se battre et n’hésitait pas à employer des méthodes plus musclées pour contrer ceux qui se montraient un peu trop insistants. Le bruit courait qu’elle avait fait partie des Turks quelques années auparavant ; comme tout le monde dans le coin aimait Martha, personne ne le croyait. La ville de Corel avait un peu prospéré depuis les événements d’avant la destruction de Shinra : au lieu des tentes plus ou moins vivables et des camps sommaires, quelques baraques plus solides, en bois ou en pierre, ornaient à présent le paysage. Le confort était plus accessible du fait des efforts de tous ; certaines familles avaient même l’eau courante et le chauffage au charbon, ce qui était le comble du luxe dans la région. L’industrie s’était considérablement étendue ; Barret Wallace, le chef de l’équipe s’occupant de l’exploitation des matières premières utilisées en ersatz à l’énergie Mako, veillait à ce que l’ordre soit respecté et à ce que tout le monde puisse participer à cette nouvelle avancée. Les choses allaient pour le mieux. Barret avait rencontré Martha le premier jour de son retour à Corel, alors qu’il essayait tant bien que mal de renouer avec les gens rudes de la région. Ce jour-là, la jeune femme avait eu du fil à retordre avec une bande d’anciens militaires de la Shinra devenus mercenaires suite à la perte de leur emploi. Ils avaient absolument voulu se rendre à Gold Saucer pour prendre du bon temps mais ne possédaient aucun argent ; Martha leur avait gentiment conseillé de revenir plus tard, lorsqu’ils auraient de quoi payer leur billet de passage. Cela ne leur avait pas plu et ils s’étaient attaqués à elle. Ils avaient été une dizaine contre une seule jeune femme ; aucun des habitants présents n’avait eu le courage d’aller l’aider. Seul Barret s’était interposé et à eux deux, ils avaient assommé les voyous et les avaient chassés hors de la ville. Les deux compères étaient devenus rapidement amis et leur relation avait grandement contribué à la réhabilitation de Barret auprès des autres. À présent, ils étaient tous deux des figures importantes de Corel. On disait que Barret était intéressé par Martha et en aurait bien fait son épouse et la mère de la fille qu’il avait laissée à Midgar. Barret réagissait à ces rumeurs en rougissant violemment et en bégayant absurdité sur absurdité. Martha ne faisait qu’en rire. Cela faisait partie des habitudes du coin, de discuter sur les affaires privées des gens. Tout le monde se connaissait et on vivait encore les uns sur les autres : rien d’étonnant à ce que le moindre geste soit immédiatement connu et amplifié. C’est pourquoi l’arrivée d’un quatuor de Turks fit aussitôt sensation. La jeep pénétra dans l’enceinte de la ville à onze heures du matin, alors que les hommes valides étaient déjà partis travailler. Plusieurs curieux délaissèrent leur activité première pour les suivre, inquiets et non moins hostiles. Trois hommes, un brun, un roux et un chauve, une femme blonde plutôt menue. Ils n’avaient pas l’air dangereux, mais il ne fallait pas se fier aux apparences avec un Turk. Leurs costumes noirs étaient impeccables, leurs mines sombres ne présageaient rien de bon (l’homme roux était un peu plus négligé et nonchalant mais personne ne fit vraiment attention aux détails). Leur véhicule s’arrêta devant le stand de Martha, ils descendirent sans un mot, le rouquin salua la foule en ricanant. L’homme brun fit un signe de tête à Martha qui lui répondit de même. La minute suivante, elle fermait boutique et s’en allait en direction du Mont Corel, les quatre Turks sur les talons. Les appels des habitants restèrent sans réponse, elle ignora leurs questions et les regards suppliants qu’ils lui lançaient. Les cinq compères disparurent au détour du chemin qui menait au sommet. Un message urgent fut envoyé sans tarder à Barret. * Cloud arriva à la mine de Corel Nord à la pause déjeuner, alors que tous les ouvriers étaient en train de discuter bruyamment autour de l’entrée en avalant sandwiches et bières. Il parqua Fenrir non loin du groupe et se dirigea sans hâte vers eux, un paquet sous le bras. Barret l’aperçut et lui fit de grands signes de sa main mécanique. Les autres hommes l’observèrent, curieux. Ils n’avaient vu Cloud qu’une fois ou deux depuis l’installation de Barret et s’étaient toujours demandés si ce que leur avait raconté leur patron à son sujet était vrai. Pour eux, Cloud et les autres étaient les héros qui avaient sauvé la planète ; de ce fait, ils avaient un peu de mal à le traiter normalement comme le leur avait demandé Barret. — Cloud ! Qu’est-ce que tu fais là, mon pote ? — Livraison, lui répondit son ami. Un paquet pour toi de la part de Reeve. — Ah, ça doit être la pièce pour mon bras que je lui ai demandé ! Cloud hocha la tête et lui tendit le colis, ses yeux bleus parcourant le décor. La mine avait l’air de se porter bien ; il savait qu’au plus profond de la montagne, les hommes de Barret avaient trouvé un filon de pétrole assez conséquent et l’exploitaient au maximum. L’expansion récente de Corel était due à cette découverte inespérée et à la hargne des habitants, qui cherchaient à survivre coûte que coûte dans une région aussi hostile. Barret y était aussi pour beaucoup : d’abord en convertissant une partie des fabriques encore debout en distilleries d’alcool exportable, puis en forçant plusieurs hommes forts à le suivre pour trouver des solutions d’énergie alternatives au Mako. Bien lui en prit. Corel n’était pas loin de sortir du marasme économique dans lequel il était plongé depuis des années pour devenir une force industrielle du continent. — Tout va bien, ici ? demanda-t-il pour la forme. — On ne peut mieux ! s'écria Barret en lui faisant un clin d’oeil. Tout le monde a la pêche, c’est génial ! L’exploitation avance bien, les gars sont motivés. Avec un peu de bol, je pourrai passer quelques jours avec Marlène d'ici la fin du mois. — Tant mieux. — Y’a intérêt ! On a bossé comme des malades ! Son rire sincère faisait plaisir à entendre. Cloud sourit à son ami et sortit de sa poche une petite figurine en tissu représentant une petite fille tenant une fleur. — C’est pour toi, dit-il. Marlène a passé deux jours à la faire. Barret ouvrit des yeux ronds ; une larme lui coula du coin de l’oeil. Il saisit la poupée de sa main valide et la regarda de près. — Sérieux ? — Ouais. Tifa m’a tout raconté. La poupée n’était pas très réussie ; un des bras était plus court que l’autre et les éléments de son visage étaient un peu de travers. Néanmoins, Barret brandit fièrement son cadeau devant ses hommes comme s’il s'agissait d’un trésor inestimable. — Eh les gars, regardez ce que ma petite princesse m’a fait ! cria-t-il en étouffant un sanglot. Cloud se mit à rire de bon coeur avec les autres. Un mineur lui proposa une chope de bière locale. Il n’hésita qu’un court instant : il avait juré à Tifa de tout faire pour être plus sociable et c’était justement une bonne occasion de la prendre au mot. La bière était fraîche et bonne, pas exceptionnelle mais elle tenait assez au corps pour qu’il en redemande une autre. Le trajet avait été long depuis Edge et il lui faudrait bientôt reprendre le chemin inverse. — Bois tant que tu veux, Cloud, c’est ma tournée ! s’écria un Barret au comble de la joie. Bon Dieu, c’est quand même bon d’être en vie ! Mais alors qu’il s’apprêtait à croquer dans un épais sandwich brun, un homme surgit, le souffle haletant. Barret le connaissait bien. Le vieux Harvey évitait autant que possible de se fatiguer à cause d’une vieille blessure au genou qui n’avait jamais voulu guérir. Le voir dans un tel état ne présageait rien de bon. Harvey leva ses yeux affolés vers lui et se mit à parler. * La montée était difficile du fait des irrégularités de la route. Plusieurs fois, les pieds de Reno buttèrent sur des pierres ou des racines. La lettre chiffonnée se trouvait dans la poche de sa veste et il lui arrivait d’y plonger sa main pour la manipuler du bout des doigts. Le papier était sale et froissé de partout ; il avait perdu l’enveloppe, jetée depuis longtemps aux quatre vents. À ses côtés, Rude ne faisait pas attention à lui mais avait les yeux fixés sur leur guide. Les longs cheveux bruns de Martha étaient constamment soulevés par la bise. — Alors, c’est pas trop dur, la vie ici ? demanda Reno tout à trac. — On s’y fait, répondit Martha. Les gens sont gentils et ils ont envie d’accomplir de grandes choses pour leur ville. — Ah, c’est cool alors. — Oui. Rude hochait la tête et essayait de ne pas voir qu’elle ne lui avait pas lancé le moindre regard depuis leur arrivée. Reno soupira. Ce n’était pas demain la veille que ces deux-là se réconcilieraient. — Reno ? chuchota Éléna en l’entraînant à l’arrière de leur file. Tu connais cette femme ? — Martha ? Ouais, elle a fait partie des nôtres pendant quatre ans. Elle a pris sa retraite un peu avant ton arrivée, yo. — Oh. Et Rude ? Il la connaissait aussi ? Sacrée Éléna. Faites-lui confiance pour voir que quelque chose n’allait pas dans le groupe. Reno attribuait cette compétence à son statut de seule femme des Turks à l’heure actuelle. Comme si elle avait acquis tous les pouvoirs féminins qui pouvaient être impartis à leur unité. C’était un raisonnement complètement stupide, bien entendu, mais il avait le mérite d’occuper son esprit du vrai problème qui le dérangeait. Et cela faisait passer le temps dans cette montée fastidieuse. — Ouais. Ils étaient plus ou moins ensemble, yo. Éléna ne posa plus de questions du reste du voyage mais Reno put voir qu’elle réfléchissait intensément. Était-elle inquiète au sujet de Rude ? Ou en voulait-elle à Martha d’être partie ? Son regard partait souvent de l’un à l’autre, pour finir sur Tseng. C'était donc ça. — Tseng aussi la connaissait, mais seulement professionnellement, yo. Reno espérait que cela suffirait à calmer ses incertitudes. Éléna n'était pas spécialement le type de la femme jalouse mais cela ne voulait pas dire qu'il pouvait la laisser se torturer l'esprit, n'est-ce pas ? Il savait qu'elle était préoccupée par son statut de benjamine des Turks. Elle était la plus jeune et la seule femme d'entre les quatre membres restants et de ce fait, elle se sentait obligée d'en faire trop et de veiller sur tout le monde. Résultat, elle était bien la plus consciencieuse de leur quatuor après Tseng, mais aussi la plus possessive : gare à quiconque osait toucher à sa petite famille ! Malgré ces bonnes paroles, Éléna secoua la tête, profondément troublée. — J’espère que tout ira bien, chuchota-t-elle. J'ai un mauvais pressentiment. Reno se mit à rire. — Un truc de fille ? — Appelle ça comme tu veux, mais je n'ai pas l'esprit tranquille. J'ai l'impression que quelque chose de terrible va arriver. Cette remarque fit taire Reno. Il détourna les yeux ; la culpabilité lui rongeait le coeur. La lettre était toujours dans sa poche. L’espace d’un instant, son toucher lui inspira du dégoût. * La piste était encore fraîche et menait au sommet de la montagne, là où la Shinra avait autrefois construit un réacteur Mako. L’endroit était maintenant à l’abandon et l’accès était plus ou moins interdit au public ; même les ouvriers ne s’y aventuraient plus. Trop de mauvais souvenirs. Trop de problèmes passés. — Je ne comprend pas ce qui a pris à Martha, bougonna Barret. Et ces Turks ! Qu’est-ce qu’ils fichent ici, j’vous jure ! — C’est bizarre, en effet, admit Cloud. En parlant de ça, Reno est venu au Septième Ciel il y a une semaine. Il est reparti très vite, mais il était... bizarre. Je ne vois pas d’autre mot. — Bizarre comment ? — Il n’était pas aussi casse-pieds que d’habitude. Barret fit la grimace. — Ah ouais ? — Il n'a même pas essayé de peloter Tifa ou de me draguer... correctement. Il a juste payé son verre et est parti, comme ça. — Sans déc' ? s'étonna son ami. Tu crois que c’est lié ? Cloud repensa au comportement de Reno, ses airs fuyants, la manière étrange avec laquelle il avait détourné le regard. Avec le recul, il se rendait compte que cela ne ressemblait pas au personnage. Il était plus du genre à foncer dans le tas qu’à prendre des gants, et tant pis s’il commettait une gaffe monumentale. Qu'il ait abandonné en cours de route, laissant Cloud sans même essayer de lui proposer un rendez-vous galant, était... nouveau. Et un peu déroutant. — Je l’ignore. Et ça m'inquiète, à vrai dire. Qu'en est-il de ton amie ? Elle a quelque chose à voir avec les Turks ? D'après ce Harvey, elle n'a eu aucun mal à les conduire ici. Barret parut gêné. — Ben, y’a plus ou moins une rumeur qui dit qu’elle a été une ancienne Turk, mais je croyais que c’était du baratin. Et puis bon, les Turks, on leur a plutôt pardonné, et c’est pas comme si c’était le premier truc que tu pouvais te dire en la voyant... Cloud soupira. — Tu n’as pas à t’excuser, dit-il. Tu ne pouvais pas savoir. — N’empêche, protesta Barret, c’est vraiment une femme bien. Je crois pas qu’elle ferait quelque chose de nuisible pour la planète ou pour les gens de Corel. Elle aime vraiment cet endroit. — Si tu le dis... Le reste de l'ascension se fit sans plus de commentaire. Cloud remarqua avec curiosité que le paysage n’avait pas vraiment changé depuis leur dernière visite : des rochers, quelques arbres, une montée abrupte. Il se demanda si le réacteur était aussi identique à son souvenir. — Personne n’est allé là-haut depuis notre dernière visite ? — Pas trop à ma connaissance, dit Barret. J’ai fait en sorte de boucler le coin. Je pensais pas qu’on aurait des problèmes si tôt. — Tu t’y attendais, alors ? — De la part de touristes morbides ou de groupes de mercenaires, ouais. Mais les Turks, j’voulais pas en entendre parler. Quand je mettrai la main dessus, ils comprendront pas leur douleur. Et ce disant, il brandit son bras droit en direction du chemin et fit bouger la mitraillette qui y était greffée. Cloud tâta son épée pour se donner de la contenance. * Le réacteur était aussi vide qu’on pouvait l’espérer de la part d'une telle installation datant d'avant le jour du Météore. Les alentours étaient truffés de barrières, de panneaux d’avertissement et d’interdiction, de détritus immondes sans doute jetés par des détracteurs. L’un dans l’autre, il semblait peu probable que quelqu’un puisse y travailler, et encore moins y vivre. — T’es sûr que l’info de Rufus est viable, Tseng ? demanda Reno en faisant rouler du bout du pied une canette rouillée. Ça m’a l’air vide, yo. — Certain, affirma Tseng. Allons voir à l’intérieur, on trouvera peut-être quelque chose. — Et si on trouve rien ? — Alors il s’agira d’une fausse alerte, et je ne crois pas que quiconque en sera vraiment fâché, n’est-ce pas ? fit Tseng en lui jetant un regard appuyé. Reno haussa les épaules. — Ouais, c’est vrai que l’idée de rencontrer un Hojo Deux... Yuck. — Nous sommes donc d’accord. Rude, passe devant avec Martha. Éléna et Reno, restez ici pour surveiller et fouiller le coin. Je ne veux aucun intrus. Nous gardons le contact radio. Tous acquiescèrent et se mirent en route. Reno se sentit grandement soulagé ; il n’avait pas à y aller ni à voir ce qui se trouvait à l’intérieur. Restait à trouver le moyen de rentrer au plus vite... — Eh, Reno, à quoi tu penses ? fit la voix d’Éléna. — À rien. — Je ne te crois pas. T’es vraiment étrange depuis quelques temps. — Ah oui ? Étrange comment ? — Tu ne traînes plus autant avec nous, t’as l’air dans les nuages une fois sur deux, tu oublies souvent de placer ton sempiternel "yo" à la fin de chaque phrase. D’autres exemples ? — Ah. T’as peut-être raison. Et il laissa les choses là. Éléna fronça les sourcils, visiblement frustrée, mais elle n’osa pas poser davantage de questions. Un Reno introspectif était suffisamment inhabituel pour qu’elle ne sache plus à quel saint se vouer ; elle préférait sans doute attendre d’avoir plus d’informations ou que son ami vienne lui parler de lui-même. C’était toujours comme ça : quand Reno avait un problème, aussi mineur fût-il, il prenait un malin plaisir à le dire autour de lui, quitte à agacer son entourage sur la longueur. Pourtant, quelque chose était différent cette fois. Il ne pouvait pas se permettre de mêler ses amis à ce qui allait sans doute arriver. Trahir les Turks était hors de question, mais s’il n’avait pas d’autre choix... S’il n’y avait que sa vie qui en dépendait... Un cri de la part d’Éléna le tira de sa torpeur. Surgissant du chemin qu’ils venaient d’emprunter, deux silhouettes connues, visages courroucés et poses de combat, couraient vers eux en brandissant leurs armes respectives. * Barret menait la marche et fut naturellement le premier à les voir. Il accéléra l’allure tout en rechargeant son arme ; Cloud sortit son épée de son fourreau. Le réacteur était dans un état navrant de délabrement, avec les signes habituels qui caractérisaient une usine désaffectée. Devant le portail en ruine se trouvaient Éléna et Reno des Turks. Ils les avaient aperçus et les attendaient de pied ferme. Cloud pouvait voir des étincelles s’échapper du bâton électrique de Reno ; elles paraissaient irréelles dans ce lieu désert et sale. — On peut savoir ce que vous faites là ? commença Éléna en pointant son pistolet automatique dans leur direction. — On pourrait vous demander la même chose ! rugit Barret. Cet endroit est fermé et interdit au public ! — Les Turks ne sont pas le public, dit la jeune femme avec fierté. — Me dites pas que vous comptez remettre le réacteur à flot ? Parce que si c’est le cas, je me ferais un plaisir de vous botter les fesses ! Non, je vous botterai quand même les fesses, réacteur ou pas ! Reno ricana. — Ah ouais ? J’aimerais bien voir ça, « Ballet ». — Ferme-la, tête d'abruti. — Ta gueule. Cloud soupira. Comme si c'était le moment de s'échanger des insultes dignes d'une gamine du Village Fusée ! Il dépassa rapidement les deux hommes pris dans leur joute verbale et oculaire avec la ferme intention de rentrer dans le bâtiment. Un pistolet lui fut mis sous le nez. Il se mit en garde. — On ne passe pas, dit calmement Éléna. — Pourquoi êtes-vous là ? Je croyais que Rufus était de notre côté. — Je ne peux rien vous dire pour l'instant. Tout ce que je sais, c'est que Tseng m'a dit de ne laisser entrer personne. Cloud fit glisser sa lame sur le canon du pistolet et le détourna de la direction de sa tête, sans que cela ait l'air de déranger Éléna. Derrière lui, Reno et Barret pointaient leurs armes chargées l'un sur l'autre, attendant le moindre signe d'attaque de l'adversaire. — Si c'est la guerre que la Shinra veut... Une détonation se fit entendre de l'intérieur du réacteur, attirant l'attention de tous. Vif comme l'éclair, Reno sortit de sous sa veste un appareil radio et activa la communication. Cloud rejoignit Barret. — Qu'est-ce que vous foutez, yo ? Grésillement. Le Turk jura et se précipita vers l'origine de l'explosion, Éléna le suivant de près. Barret et Cloud s'échangèrent un regard anxieux et leur emboîtèrent le pas, s'attendant au pire. * Que faire lorsque la vie de vos amis les plus proches est potentiellement en danger et qu'on n'a peut-être pas le droit d'intervenir directement ? Reno examina la question sous tous les angles sans trouver de réponse sûre. Il ne savait même pas si la personne qu'ils recherchaient se trouvait effectivement dans le réacteur ou si ce n'était qu'un subterfuge de sa part pour les éloigner de sa véritable base d'opérations. Après tout, Carson Nevada avait bien réussi à convaincre la Shinra de sa mort durant dix longues années. Même Reno l'avait fermement cru jusqu'à ce qu'il reçoive cette lettre une semaine auparavant. Le chemin lui parut long, trop long. À ses côtés, Éléna avait pâli et montrait son visage des jours d'adversité ; signe qu'elle se préparait à affronter le pire. Reno repensa au pressentiment dont elle lui avait parlé et pria pour qu'elle se fût trompée. — Par là ! cria la jeune femme en empruntant un couloir à leur droite. Je peux entendre du bruit ! Elle avait toujours eu l'oreille étonnamment fine ; Reno suivit ses indications. À cet instant, des pas lourds résonnèrent derrière eux. Il se retourna et vit que les deux anciens membres d'AVALANCHE les avaient suivis. — Qu'est-ce que c'est, bordel ? tonna Barret. Éléna était tellement angoissée qu'elle répondit de bonne grâce. Reno ne s'en offusqua pas. Après toutes ces années en sa compagnie, ils avaient appris qu'il était plus facile de laisser la jeune femme dans le noir que de lui indiquer les détails d'une mission. Elle était si prompte à révéler des informations capitales dans un moment de panique ! — Aucune idée, mais Tseng et les autres sont là-dedans ! C'est sûrement eux et le gars qu'on recherche ! — Quel gars ? demanda à son tour Cloud en arrivant à hauteur de Reno. — C'est... — Personne ! la coupa Reno. Ça ne te regarde pas, Strife ! Cloud lui jeta un regard noir. Quelle était la dernière fois où il l'avait appelé par son nom de famille plutôt que par son prénom ? Reno ne s'en souvenait même plus. Ces derniers temps, il était plutôt facile d'oublier qu'ils avaient été un jour des étrangers, voire des ennemis. Ils cheminèrent ainsi ensemble durant plusieurs minutes, entre les cris furieux de Barret, les regards suspicieux de Cloud et l'attitude crispée d'Éléna. Reno avait hâte que tout se termine très vite. Il commençait à se sentir claustrophobe. Le long couloir d'acier dans lequel ils couraient se termina enfin et ils purent émerger dans une salle immense, située au coeur du réacteur. Leurs trois amis s'y trouvaient, mais ils n'étaient pas seuls. Un monstre gigantesque aux tentacules acérés leur faisait face. Il poussait des hurlements déchirants ; son corps spongieux bloquait l'accès à une porte triangulaire étrange. Le gardien de ces lieux, peut-être ? — C'est quoi ce truc ? hurla-t-il à Tseng. Celui-ci était occupé à parer à grands coups d'éventails les attaques de l'ennemi. Il jeta à peine une regard à son subordonné et fit signe à ses deux compagnons de le rejoindre. Martha et Rude, qui battaient les flancs de la bête à coups de poings et de pieds, lui obéirent sans sourciller. C'était moins une : un liquide verdâtre jaillit de l'endroit qu'ils avaient attaqué et gicla sur le sol et les murs. — Bon sang ! clama Barret. Ce truc est plein à craquer de Mako, ma parole ! Comment c'est possible ? Tseng lança un coup d'oeil à Barret et Cloud et parut adresser un reproche muet à Reno tout en continuant à lutter contre les tentacules. Pas étonnant qu'il soit le chef, se dit avec fierté Reno. — Nous l'ignorons, répondit Tseng. Nous l'avons trouvé il y a moins d'un quart d'heure. Il semblait veiller sur cette entrée derrière lui. — Il ressemble à aucun monstre connu, intervint Cloud. Est-ce une expérience de Hojo ? Tseng donna l'impression de réfléchir sur sa réponse. Puis : — En quelque sorte. Cela parut suffire. Barret et Cloud échangèrent à peine un regard et foncèrent sur la bête, armes en avant. * Cloud se lança à corps perdu dans la bataille, quelque peu rassuré de ne plus avoir à se poser de question pour le moment. La montée d'adrénaline qu'il recevait lors d'un combat était toujours aussi grisante ; il ne l'aurait abandonnée pour rien au monde. Il était un guerrier avant tout et le resterait probablement jusqu'à sa mort, même s'il s'était un peu assagi et ne parcourait plus les plaines autour de Midgar en quête du prochain adversaire. Il était bon de se rappeler de temps à autre qu'il avait le niveau pour s'opposer à n'importe quel monstre. La créature avait l'apparence d'un poulpe géant ; ses longs tentacules agiles étaient sertis de lames brillantes et sans nul doute létales. Rude et la jeune femme qui l'accompagnait avaient réussi à l'entailler sur les côtés, faisant jaillir une double fontaine de Mako qui semblait constituer le « sang » du monstre. En tant que tel, l'existence d'un tel être était une aberration en soi. Était-ce une réminiscence du passage de Hojo en ces lieux ? Raison de plus pour s'en débarrasser au plus tôt. Esquive, parade du plat de l'épée, coupe d'un tentacule. Cloud put enfin atteindre une distance raisonnable pour lancer une attaque. Des flaques d'énergie Mako sur le sol. Il les ignora et assembla correctement son épée pour un Coup Tranchant, pile au sommet de ce qui servait sommairement de tête à la créature, tandis que Barret lui envoyait une salve de Furamax. Le monstre trembla sous les coups, puis il s'affaissa sur lui-même. Une dernière botte, et il fut vivement envoyé en arrière en faisant gicler un torrent de Mako. Les deux amis se poussèrent suffisamment pour ne pas être touchés. Cloud espérait que les Turks en aient fait de même. En particulier Reno. Sitôt qu'il eut cette pensée, il se retourna. Reno allait bien. Apparemment, il s'était jeté sur le côté avec Éléna et avait un mal fou à la faire tenir sur ses jambes. Les trois autres s'étaient retirés en les voyant se ruer sur l'ennemi. L'odeur acide du Mako était partout. — Tout le monde va bien ? hurla Tseng en examinant ses hommes. Éléna ? — Ou... oui, bégaya la jeune femme. Merci, Reno. — De rien, ma belle. Il paraissait calme et maître de lui. Cloud ne pouvait détacher les yeux du sourire chaleureux qu'il adressait à Éléna. L'avait-il jamais vu sourire de cette manière ? Et par tous les Cetras, pourquoi cette idée l'embarrassait-elle autant ? C'était à n'y plus rien comprendre. L'odeur du Mako. L'expression de Reno. Cette sensation étrange dans son corps. Quelque chose n'allait pas. Reno se tourna vers lui et l'espace d'une seconde, Cloud crut voir un éclat vert traverser ses yeux. Il sursauta. La vision avait disparue. Reno se désintéressa de lui et rejoignit Rude qui discutait avec la deuxième femme du groupe. — Eh, Martha, t'es ok ? demanda Barret en se dirigeant vers eux. La dénommée Martha fit un sourire crispé. — Oui, merci Barret. — Ok. Maintenant tu peux me dire ce que vous préparez, vous les Turks ? Et pourquoi tu n'as jamais jugé utile de me dire que tu étais avec eux ? Il avait pris sa grosse voix de père de famille fâché. Cloud l'avait déjà entendue : généralement, cela précédait une engueulade en règle à la Barret. Il eut un peu pitié de cette pauvre femme. — Martha ne fait plus partie des Turks, intervint Tseng. Elle nous rendait simplement un service. En souvenir du bon vieux temps. — Foutaises ! Son hurlement résonna dans la salle. Martha se ratatina visiblement. — Je suis désolée, Barret. Je ne voulais pas t'inquiéter. — En disparaissant d'un coup avec des Turks ? Et puis vous foutez quoi, d'abord ? Vous débarquez ici, et comme par hasard, on découvre une espèce de monstre bourré de Mako ! On ne veut pas de vos saletés de manipulations à Corel ! brailla Barret. Un silence embarrassé se fit. — Pour une fois, nous n'y sommes pour rien, dit alors Rude, au grand étonnement de tous. — Et mon cul c'est du chocobo ? — C'est vrai, dit à son tour Éléna. On est de votre côté ! — Prouvez-le, souffla Cloud. Dites-nous tout. Les regards se tournèrent vers Tseng. Celui-ci hocha la tête et montra du menton l'entrée rectangulaire que gardait le monstre. — Allons-y, fit-il. Je vous raconterai en marchant. * Le laboratoire était toujours sombre, quelle que soit l'heure à laquelle il venait. Reno détestait cette atmosphère : moite, pesante, malsaine. Carson n'avait que faire de ces remarques ; c'était son lieu de travail, il avait le droit d'en faire ce qu'il voulait. L'enfant tremblait toujours à l'idée de se retrouver sans le vouloir devant un monstre échappé d'un container, qu'il n'aurait pas vu parce qu'il s'était caché dans l'ombre. Les visites se déroulaient invariablement le mercredi, jour de repos supposé de Carson. Reno détestait ce jour plus que les autres. Il était obligé de s'excuser auprès de sa famille d'adoption pour emprunter le chemin de la Compagnie Shinra ; un garde mis au fait le laissait prendre l'ascenseur de verre qui menait au quinzième étage, section Rouge. Reno détestait le rouge. Le nom de l'endroit était rouge, les fleurs qui ornaient l'entrée étaient rouges, même la brassière du garde était rouge. Le sang des cobayes était rouge, comme le sien. Son oncle l'accueillait un sourire aux lèvres. — Comment vas-tu depuis la dernière fois, Reno ? demandait-il toujours. Les yeux de Carson étaient injectés de rouge. L'enfant s'asseyait alors en face de lui et lui racontait sa semaine, point par point, et son oncle prenait des notes ou l'interrompait parfois pour lui poser des questions précises qui semblaient anodines sur le moment, mais qui devaient avoir leur importance. En échange, Carson lui parlait de Rufus. L'un dans l'autre, c'était un bon marché. * — Il s'appelle Carson Nevada, commença Tseng. C'était un associé de Hojo, quoique pas aussi brillant, si vous voulez mon avis. Il travaillait avec lui sur le projet Jenova mais s'est vite détaché pour continuer ses propres expériences. Selon la rumeur, il avait en charge un projet secret pour l'ancien président Shinra. — Et personne ne l'a arrêté ? s'enquit Cloud d'une voix brusque. — Nous pensions qu'il n'y en avait nul besoin. Vois-tu, il était censé être mort depuis dix ans dans un incendie. — Tu en es sûr ? — J'ai moi-même retrouvé son corps. Cloud haussa un sourcil dubitatif. — Alors comment ? — Nous l'ignorons. C'est pourquoi nous sommes ici. — Explique-toi. Le groupe continuait son avancée. La porte triangulaire n'était que le début d'un autre long couloir sombre éclairé seulement par quelques lampes çà et là. Le fait qu'elles marchent encore prouvaient un passage humain récent, ce qui encouragea les deux factions à travailler de concert. Tseng et Cloud menaient la marche, Barret et Martha la clôturaient. Ces deux-là semblaient très occupés de leur côté ; Cloud avait assez à faire avec les Turks pour prêter attention à leur conversation. Il pourrait toujours demander à Barret un peu plus tard (sauf si c'était trop personnel, bien entendu). — Rufus a reçu de la part d'un de ses informateurs un bulletin étrange signalant une activité inhabituelle ici-même, dans le réacteur Mako de Corel. Cela fait déjà quelques temps que nous surveillons de près les anciens réacteurs Mako de la Shinra. En cas de... « présence suspecte », notre travail est de venir enquêter et d'éradiquer la menace si besoin est. — Pourquoi ? — Rufus veut se racheter. C'est normal. — Je vois. — Quoi qu'il en soit, une photographie était jointe au rapport. L'image était floue, mais Rufus a très bien reconnu Carson Nevada, qui travaillait avec son père sur un projet connu de lui seul. Quand Nevada est mort, toute trace a été effacée et on croit que Shinra père a abandonné le projet pour s'intéresser davantage aux travaux de Hojo. Du moins, c'est ce que nous croyons. — Et ce Nevada est en vie. — Peut-être que oui. Peut-être que non. Après tout, je l'ai bien vu mort. Et il y a autre chose... — Quoi ? — Sur cette photographie de Nevada... Il était enveloppé d'une grande cape noire. Nous n'avons pas pu voir s'il avait un numéro tatoué sur le corps, mais... Le sang de Cloud se glaça dans ses veines. Une cape noire. Un mort qui se balade. C'étaient là des notions un peu trop familières. Barret eut le mot exact pour qualifier la situation. — Et merde. ***
Notes : - J'ai tenté de recréer la façon de parler de Reno mais j'ai bien peur que cela ne soit pas très réussi. Tant pis, j'aurais essayé. La perte progressive de cet accent est tout à fait normale et n'est pas le résultat d'une quelconque maladresse ou d'un oubli regrettable. - Si vous avez eu l'occasion de jouer à Before Crisis ou de voir des artworks, Martha est la jeune femme aux longs cheveux bruns/gris foncés qui utilise les arts martiaux pour se battre. Je réutiliserai sans doute les personnages que le joueur peut choisir dans le jeu et si c'est le cas, je le mentionnerai en fin de chapitre pour que vous puissiez avoir un référent graphique. Toutefois, ne connaissant que le minimum sur leur histoire personnelle (c'est-à-dire presque rien), je serai amenée à créer des données sur eux selon mes besoins. Merci de ne pas m'en tenir rigueur. - Reno est le nom d'une ville de l'état du Nevada, États-Unis. Carson aussi. C'est une méthode un peu facile pour trouver un nom mais bon... |