Il tourna encore une fois dans ses draps. Incapable de dormir, il tentait en vain de trouver le sommeil. Excédé d’attendre sans rien faire, il se leva. Il descendit au ré de chaussé pied nu. Alors qu’il atteignait les dernières marches, il s’arrêta. En face de lui, de l’autre côté de la pièce d’entrée, une femme se tenait à la porte d’entrée. Droite et impassible, seul son sourire indiquait à Frederik qu’il s’agissait plus que d’une simple statue. Son apparence était comment dire … crispante. Sa longue robe bleu nuit lui donnait la chair de poule. Sa peau blanche qui ressortissait lui donnait un air mortuaire. Ses mains, fines jusqu’à y voir clairement les veines bleutées, tenaient un sceptre d’un métal sombre. Simple et sans ornement, ce grand bout de ferraille aurait tout simplement pu passer pour une canne, mais l’attitude calme et mystérieuse de cette inconnue montrait visiblement qu’elle était magicienne. Frederik n’en avait pas vu en vrai – et il n’aurait pas pu puisqu’il s’agissait seulement d’une légende -, mais il en avait lu des descriptions dans les livres. Rien ne semblait le paraître, mais Frederik le savait. Elle était une magicienne, peut être une simple sorcière de bas étage, mais il savait qu’elle manipulait la magie. Il le savait tout aussi bien qu’il était convaincu que cette personne mystérieuse n’était pas là pour son bien. Tout chez elle connotait la mort : ses cheveux ébènes, ses yeux gris, sa peau blanche. Seule sa robe bleu sombre amenait une touche de couleur. Frederik tourna la tête vers sa gauche. Dans une autre pièce vivement éclairée se tenait sa mère allongeait sur son lit. A ses côtés, l’herboriste, son père et Artémis qui s’était révélée l’assistante du soigneur. Ils s’affairaient chacun à leur tâche sans jeter un regard au jeune homme qui venait de descendre. De même, la magicienne semblait passer inaperçue. Détail aussi surprenant qu’anormal, ils ne distinguaient pas ce que ses parents et les herboristes se disaient. Ils voyaient leurs lèvres bougées, mais aucun son ne lui parvenait. Pourtant la distance qui les séparés ne dépassait pas une dizaine de pas. Ce n’était pas normal. Il se retourna vers la sorcière pour essayer de comprendre. Celle-ci souriait de plus belle. Elle en était la cause, c’est sûr. Elle n’avait encore rien fait de réprimandable, mais déjà le fait qu’elle se serve de Frederik , de sa famille et des personnes en qui il avait confiance, lui suffit pour qu’il sert les poings. Une nouvelle vérité s’imposait à lui. Elle était magicienne, avait de mauvaises intentions et était détesté par le jeune homme à présent. Il ne fit rien. Frederik resta tout simplement figé au bord de l’escalier, à fermer les poings et à attiser une haine qui devenait croissante. Cela devenait intenable. Il fallait qu’il agisse. Dans un coin de sa tête il se dit que sa réaction était exagérée. Pourtant, sans savoir pourquoi, il avait envie de sauter au cou de cette femme. C’était presque incompréhensible, mais il le fallait. Soudain, n’y tenant plus, il se jeta. Il eut à peine le temps de parcourir le quart de la pièce que déjà son corps s’engourdissait. A la moitié, il était ralentit. Enfin, il était presque arrivé à son but quand son corps s’immobilisa complètement. Seule sa tête était libre de mouvement et cela se voyait. Frederik fulminait comme un enragé. Pestant et crachant une colère rouge, il criait à la sorcière. Celle-ci souriait de plus en plus. Elle était satisfaite. Elle le contrôlait comme elle le voulait. Attiser sa haine était un jeu d’enfant, l’immobiliser était encore plus simple. C’était à son tour de passer à l’action. D’un pas lent et mesuré, elle traversa le peu de distance qui la séparait du garçon. Il était pitoyable avec ses yeux enragés. D’une main confiante, elle tint le menton du jeune homme. Pour se défendre, celui-ci tenta de la mordre. En échange, il reçut une gifle qui dans l’état actuel des choses, il ne put éviter. Reprenant ses esprits, Frederik perdit de sa colère. Ce fut la peur qui la remplaça. Pourquoi s’était-il jeté sur elle ? Cela n’avait aucun sens. Il aurait mieux fait de se réfugier avec ces parents. Au lieu de cela, il avait pris une décision imprudente, mais surtout idiote. La sorcière le sentit. Il était brisé. Plus une seule révolte ne serait à attendre de lui. Il était prêt à l’écouter. D’un mouvement lent, elle rapprocha sa bouche de son oreille. Frederik, dans une dernière tentative de fuite, tira son cou pour éviter tout contact physique. La magicienne s’en amusa, mais elle lui susurra rapidement : « Frederik, cher Frederik. Est-ce des manières d’agir ? S’attaquer à une vieille dame… voyons. Tu n’aurais pas du. Certes je t’y ai poussé, mais tu aurais du résister. Que tu es faible ! Si faible … Aucun caractère. Aucune force morale, ni charisme. Tu sais ce qu’il arrivera si tu continues de t’emporter comme cela. Tu risques de perdre ta famille. Tes amis. Tout ce qui t’est cher. Pourquoi s’animer, s’agiter, tout ça pour être malheureux. Ne devrais-tu pas écouter ta mère ? Rester chez ton oncle en attendant qu’elle guérisse. Partir à l’aventure ne t’apportera rien. Rien d’autre que le malheur et la désolation. Regarde par là. »Du bout des doigts, elle tourna le visage de Frederik vers la gauche lui offrant la vue de la chambre sa mère éclairée. D’un claquement de doigt, la sorcière fit s’écrouler le vieil herboriste. Les autres protagonistes qui jouaient une scène muette continuèrent leurs occupations sans se soucier de leur camarade mort. D’un second claquement, ce fut le tour d’Artémis. Puis vint le troisième claquement de doigts. Son père tituba. Il serrait sa poitrine, il souffrait. Cela se voyait. Il fit quelques pas puis tomba. La magicienne ricana. Son hilarité n’était pas contagieuse. Au contraire, Frederik en eut froid dans le dos. Puis en prenant tout son temps, elle plaça ses doigts devant les yeux du jeune homme, puis les claqua. Le jeune homme ferma instinctivement les yeux. Il n’avait pas envie de voir cela, mais rien ne l’empêcha d’entendre les cris de souffrance de sa mère. Jamais il n’avait entendu ça. Il ne pouvait pas boucher ses oreilles. Il était figé, tant par le sort que par sa peur. Il ne pouvait pas… non il ne pouvait plus. C’était trop dur. Alors que sa mère se dirigeait vers une mort lente et tortueuse, la sorcière glissa à l’oreille de Frederik : « N’oublie pas. L’agitation n’apporte rien de bon. Rester calme a toujours été mère de sûreté. Fais-toi discret chez ton oncle et tout se passera bien. »Puis elle disparut, mais les cris eux continuaient. Ils ne cessèrent jamais. Même quand il se réveilla en sursaut, trempé par la sueur, il lui sembla que les hurlements étaient encore là. Peu à peu, reprenant conscience d’où il était, le cauchemar finit par disparaître complètement. Ne voulant plus sombrer dans le sommeil, il se redressa. Autour de lui, des caisses et des boîtes étaient entassées de manière désordonnée. A ses côtés, son père dormait à poing fermé et ce n’était pas les soubresauts de la carriole qui les transportait qui allaient faire taire ses ronflements. Il s’en était habitué. Voilà plusieurs jours qu’ils se côtoyaient. Seuls, ils avaient décidés de traverser rapidement la forêt et les montagnes pour atteindre la plaine. Les chemins étroits ou escarpés ne permettaient pas un chemin facile pour les chevaux et leurs marchandises. Maintenant qu’ils étaient au-delà des montagnes de Menh, la plaine leur avait permis de trouver un vieux transporteur qui leur avait autorisé à dormir pendant un bout du trajet. Ils arriveraient dans un jour ou deux à la capitale, Mnémé. Dans un jour ou deux, Frederik habiterait chez son oncle, et cette idée ne lui plaisait guère. |