Traînant ma valise derrière moi, je sortis du campus, comme une centaine d'autres étudiants qui profitaient du début de leur week-end. Rapidement, j'aperçus la voiture d'Aalona, qui était souriante comme à son habitude. Je calais ma valise dans le coffre et montais.
"Bonjour Gaby ! Comment tu va ? J'ai une petite course à faire, mais on sera bientôt rentré. Alors ces deux jours, tout s'est bien passé ?"
Elle démarra en trombe et se rendit devant la boutique d'une couturière sans que j'ai le temps de lui expliquer quoi que ce soit. Elle revint quelques minutes plus tard avec une robe sur un cintre. Elle reprit sa place de conducteur et démarra de nouveau. Quand elle ouvrit la bouche pour me parler, son portable sonna. Elle répondit, sans lâcher un soupir d'exaspération.
"Oui ? Ha Seth, qu'est qu… Quoi ? … Un étudiant de première année ? … Je n'irais pas à ta place, et puis de toute façon, il n'est pas désagréable si ? Il ne fait que te parler. … D'accord. Mais apprends à faire connaissance, tu dois lui faire peur. A bientôt."
Quelle coïncidence, les mêmes faits, avec le même prénom… Aalona me regarda avec un grand sourire.
"C'était qui qui t'a appelé ?"
"Ho, lui, c'était Seth, mon petit ami. Il me demandait si je pouvais faire quelque chose pour son problème de chambre. Il s'est retrouvé avec un étudiant de première année. D'habitude, il n'aime pas du tout les gens, mais celui la, il l'a trouvé différent et il l'apprécie presque. Mais malgré tout, il veut que je fasse en sorte qu'il se retrouve seul dans une chambre, parce qu'il ne sait pas comment réagir avec les gens, et qu'il ne veut pas faire de mal à ce première année, il semble l'avoir adopté. Ce qui m'étonne bien d'ailleurs."
Je restais bouche bée. Si ce Seth n'était pas le même que celui que je connaissais, je me jurais de me raser les cheveux. Pour en être sur, je questionnais ma sœur.
"Et ce Seth, il est comment ? Et il est étudiant où ?"
Avec un sourire qu'elle avait l'habitude de porter sur son beau visage, elle m'expliqua.
"Il étudie dans le même établissement que toi, à Greenleaf. Et pour te le décrire en quelques mots, je te dirais tout d'abord qu'il est très gentil, mais véritablement glacial. Il est grand, avec des cheveux noirs assez longs, les yeux bleus… Enfin, c'est quelqu'un de très bien. Tu crois le connaître petit frère ?"
C'était sûr cette fois, c'était bien le Seth de ma chambre. Je réagis aussitôt. Aalona avait bien dit que Seth était son petit ami ? Mais comment pouvaient ils bien être compatibles ? Ma sœur est tellement douce et chaleureuse, Seth ne lui correspondait pas du tout.
"En vérité, c'est mon compagnon de chambre, et donc, je suppose que c'est moi le première année dont il parlait tout à l'heure."
Aalona me regarda, étonnée. Nous arrivâmes rapidement devant chez nous, et elle m'aida à sortir ma valise en me demandant des détails sur ce qui c'était passé avec lui. Je lui expliquais tout, et elle ne pu s'empêcher de rire.
"Va vider ton sac et installe-toi, je prépare à manger. Je t'expliquerais à table."
Je lui obéis et entrais dans ma chambre. Je me sentis tout de suite mieux, avec mon vieux synthétiseur, mon lit mal fait et ma grande fenêtre. Je m'assis sur mon lit en poussant un soupir de contentement. J'étais enfin bien.
Je ne savais pas pourquoi, mais le fait que Seth soit avec ma sœur me serrait le cœur. Je voulais qu'Aalona soit heureuse, mais avec Seth, c'était différent. D'en bas, j'entendis la voix d'Aalona qui me demandait de mettre la robe qu'elle avait ramenée dans sa chambre. Je l'écoutais et me rendis dans la pièce, avec la robe sur le bras.
Je la posais sur son lit quand j'aperçus sur le bureau une photo encadrée d'elle et de Seth. Sur l'image, elle était souriante, une de ses mains sur l'épaule de Seth, sa tête appuyée contre son torse. Quant à lui, il n'avait aucune expression, toujours le froid dans les yeux. Son bras enserrait la taille d'Aalona, mais rien n'indiquait qu'ils pouvaient être ensemble, la position aurait très bien pu être adoptée par deux amis. J'avais de quoi la plaindre, une telle froideur devait être insupportable.
Je n'avais plus qu'à attendre qu'elle m'appelle, que j'en apprenne plus sur cette étrange relation. Admirant le plafond blanc, je me rappelais la pile de devoirs qui m'attendait, écrits eux aussi sur une page immaculée.
Je me mis au travail à contre cœur, écœuré de tout ce que j'avais à faire. L'esprit complètement perdu entre les équations, les commentaires de texte et les traductions, je ne vis pas le temps passer, et quand Aalona m'appela d'en bas, plus d'une heure et demie s'était écoulée.
Dans la cuisine, ma sœur avait préparé un dîner pour 5 personnes au moins. Je m'installais à table, mon estomac réagissant bruyamment à la vue de la nourriture.
"Ca fait plusieurs fois que je t'appelle, tu devais être très occupé, d'habitude tu entends."
Sans me faire prier, j'entamais mon plat avec un appétit non dissimulé.
"Alors, sœurette, explique-moi un peu cette relation que tu as avec Seth, ça me paraît un peu ambigu."
"Oui, si tu veux. En vérité, Seth n'est pas réellement mon petit ami. C'est ce que je dis à tout le monde pour faciliter les explications quand j'en parle, mais nous ne nous aimons pas comme un couple. Il agit avec moi comme un protecteur, ou un grand frère. Quand on nous demande, à l'un ou à l'autre, si nous sommes en couple, nous répondons que oui, comme ça nous n'avons pas de problèmes. Pourtant, nous ne nous sommes jamais embrassés, et il est rare que nous nous touchions. La photo dans ma chambre est une exception, ce jour là, je m'étais fait très mal à la cheville et il me soutenait par la taille pour que je puisse marcher. C'est la seule fois où nous avons véritablement été en contact. Pourtant, il est adorable, et malgré sa froideur apparente, il est très gentil. Il faut juste briser la glace"
Ses explications m'apaisèrent. Ainsi, Seth n'était qu'un de ses proches amis. Sans vraiment savoir pourquoi, j'étais rassuré de savoir qu'il soit toujours seul. La question que je me posais désormais était, comment Aalona avait elle réussi à faire fondre cette enveloppe de glace qui l'entourait ?
Tout en réfléchissant, je dévorais le contenu de mon assiette. J'avais toujours beaucoup aimé la cuisine de ma sœur, mais si en plus je la comparais à celle du campus, il n'y avait pas photo. Entre deux bouchées, j'arrivais quand même à m'exprimer convenablement.
"Tu sais, il ne m'a parlé que deux fois, et à chaque fois avec une froideur vraiment terrible. S'il t'a dis qu'il m'appréciait ne serait ce qu'un peu, je n'imagine pas ce que se serait s'il ne m'aimait pas. Comment tu as fait pour qu'il soit un tant soit peu amical ? Il ne regarde que la fenêtre, il écrit en permanence, et je le trouve tout bonnement glacial. Alors éclaire-moi un peu, je ne vais pas faire l'année dans ces conditions."
Elle sourit et le vert de ses yeux s'illumina.
"En vérité, je n'ai pas vraiment fait quelque chose de spécial pour établir un contact, mais dès que je le voyais, je lui parlais, de tout et de rien, du temps, de l'actualité, enfin ce qui me passait par la tête. Il ne me répondait jamais évidemment, mais malgré tout, à force, il m'a parlé de sa propre initiative. Je l'ai aidé un soir à trouver une tenue, et par la suite, quand il a vu que je n'étais pas méchante je suppose, il à commencer à me parler de lui-même. Je ne te garantis rien mais tente quand même, on ne sait jamais."
Elle me fit un clin d'œil en souriant.
"En parlant de soirée petit frère, dans deux semaines, il y une sorte de bal costumé, organisé tous les ans pour nouer des liens entre les nouveaux et les plus anciens. C'est à chaque fois une très belle fête, et cette année à mon avis, tu pourras même jouer avec l'orchestre. Réfléchis à une tenue pour toi, en ce qui me concerne, j'ai déjà fait faire la mienne !"
C'était donc ça, la grande robe blanche qu'elle était allée chercher. Comment allais-je trouver le temps de faire un costume, entre les cours insoutenables, les piles de devoirs qu'on nous donnait et mes tentatives de contact avec Seth ?
Malgré le programme chargé qui m'attendait, je ne pu m'empêcher de sourire. Peu être allais-je enfin mieux connaître Seth.
Durant le repas, je parlais à ma sœur de tout ce qui s'était passé durant les deux jours et elle me rassura sur le rythme des cours, que tout allait bien se passer.
Le dessert englouti, je sentais la fatigue qui me tournait la tête. Aalona m'ébouriffa les cheveux et me conseilla d'aller dormir, qu'elle s'occuperait de quelque chose pour moi. Ne me faisant pas prier, je montais les escaliers, mes yeux se fermant tout seuls. Une fois dans ma chambre, je me débarrassais de mes vêtements, et me glissais dans mes draps, complètement épuisé. Avant de sombrer dans le sommeil, je me demandais de quoi ma sœur allait s'occuper.
Le lendemain matin, je me tournais dans mon lit, à peine réveillé. Aussi, je m'étonnais de ne pas voir Seth en face de moi. Je me souvins que j'étais chez moi, et que dans ma chambre, Seth n'était jamais venu. Je jetais un coup d'œil à mon réveil, et je me levais d'un bon quand je vis 11 : 26 inscrit sur le cadran. Comment avais-je fais pour autant dormir ?
Je sortis de ma chambre, la main dans les cheveux.
"Aalona ?"
Pas de réponses. J'étais bien réveillé désormais, et une fois dans la cuisine, je vis tout de suite le petit mot manuscrit posé sur la table.
"Gabriel, je suis parti m'occuper d'une petite bricole pour toi. Je serais de retour vers midi, alors je compte sur toi pour un brin de ménage et un déjeuner correct. A tout à l'heure.
Aalona"
Je me dépêchais de m'habiller et je me mettais aux fourneaux. L'avantage avec Aalona était qu'elle n'est pas du tout difficile, je pouvais donc préparer ce que je voulais. Après une improvisation d'œufs au bacon, je me mis au ménage. Ma sœur faisait déjà beaucoup pour la maison, lui donner un coup de main quand je le pouvais me paraissait plus que normal.
L'histoire du bal costumé me revint en mémoire. En quoi allais-je bien pouvoir me déguiser ? Il était rare que j'en trouve un qui me plaise, et encore plus rare que j'en trouve un qu'il m'aille. Le seul que j'avais une fois trouvé à mon goût, dans un vieux théâtre était celui d'un noble du 18èmesiècle, que j'avais perdu dans notre récent déménagement.
La porte d'entrée s'ouvrit et je me dépêchais d'accueillir Aalona. Souriante comme toujours, elle portait les fiches de l'hôpital dans lequel elle étudiait.
"J'ai beaucoup de travail à faire, ma petite course pour toi à été plus longue que prévue. Tu peux me faire chauffer un truc à manger ? Je ne t'embêterais plus après ça promis !"
Elle monta dans sa chambre, m'ébouriffant les cheveux au passage. Je m'empressais de lui amener une assiette et la laissait travailler. Sans envie, je décidais de l'imiter, histoire de ne rien avoir à faire le dimanche.
Je finis ma dernière ligne deux heures après avoir commencé mes propres devoirs. Enfin débarrassé, je m'affalais sur mon lit en poussant un soupir de satisfaction. Je m'apprêtais à jouer quelques morceaux au piano quand en bas, on frappa à la porte.
"On attend quelqu'un Aalona ?"
"Pas que je sache. Va ouvrir et fait le monter si c'est pour moi."
Je descendais ouvrir, me demandant qui pouvait bien passer chez nous, d'habitude, personne ne venait nous rendre visite. J'ouvrais la porte, prêt à tout et n'importe quoi.
Tout, sauf Seth.
Son regard glacé croisa le mien à la première seconde. Il était la dernière personne à qui je m'attendais.
"S… S… Seth ? Qu'est ce que tu viens faire chez moi ?"
Pendant une fraction de seconde, je crus apercevoir de la surprise sur son visage. Son air hautain reprit le dessus. Sans dire un mot, il entra et grimpa vers la chambre d'Aalona.
"Seth, tu n'es pas chez toi, ne te permet pas tout !"
Il entra dans la chambre sans frapper et s'assit sur le bord du bureau où travaillait ma sœur. Je m'empressait de le suivre, étonné qu'il fasse comme chez lui sans aucune retenue. Il me désigna d'un geste de la tête.
"Aalona, qu'est ce qu'il fait chez toi ?"
Ma sœur afficha un de ses beaux sourires et lui répondit calmement.
"Mais enfin Seth, tu ne te souviens pas ? C'est Gabriel, mon frère. Je t'en ai parlé plus d'une fois. Si j'ai bien compris ce que tu m'a expliqué hier, vous êtes donc tous les deux dans la même chambre. Je suis désolée mon cher ami, mais je ne ferais rien pour toi. Gabriel est quelqu'un de très gentil et social, tu as toi aussi un tas de qualités, vous allez devoir vous entendre. Si tu as un problème avec lui, parle en avec lui, pas avec moi, vos histoires ne me regardent pas. Tu avais besoin de quelque chose à part ça ?"
Le visage parfait de Seth prit un air étonné. Aalona avait véritablement réussi à tenir tête à ce bloc de glace ? Plus je l'observais plus j'arrivais à une triste conclusion. Il était aussi beau qu'inflexible, et personne ne pourrait faire fondre cette glace.
J'avais envie de le connaître ne serait-ce qu'un peu mieux, juste pour savoir qui il était vraiment. En vérité, j'avais le désir d'être quelqu'un dans sa vie. Etait-il déjà trop tard pour nouer quelque lien que ce soit avec lui ? Il avait sûrement déjà son univers, ses amis, et je n'étais pas du tout du genre à m'immiscer dans la vie de quelqu'un comme ça. Mais pourtant, la tentation était vraiment forte, son seul être est un mystère magnétique.
Ils parlèrent pendant quelques minutes, les yeux dans les yeux, avec des paroles froides comme à l'habitude de Seth, et il sortit de la chambre, légèrement exaspéré. Pour une fois, sur son impassible visage était apparue une émotion, et je m'étonnais à le fixer.
"Je suppose que je te verrais lundi."
Il descendit l'escalier, de sa démarche princière.
"Ca m'a fait plaisir de te voir !"
Je me frappais la tête quand je me rendis compte de ce que j'avais dis. Pourquoi m'efforçais je de lui parler ? J'étais persuadé que ma personne ne lui inspirait que de l'indifférence, et ça me faisait mal, même si je m'étais fais à l'idée que jamais je ne serais quelqu'un pour lui.
Etonnamment il se retourna vers moi à la suite de mes paroles. Ses iris bleus me fixèrent pendant trois secondes et il reprit sa marche.
"Moi aussi."
Il était impossible qu'il ai dit ça… Non, je me faisais sûrement des idées… Quand la porte se ferma dans l'entrée, un sourire niais éclaircit mon visage. Seth m'avait enfin parlé une seule fois sans être agressif.
Aalona vint se poster derrière moi et posa une main sur mon épaule.
"Tu vois ? Il ne mord pas !"
Elle souriait presque autant que moi. Etait-elle l'origine de ces paroles ? Je n'avais plus qu'une envie, être lundi soir, pour pouvoir lui parler un peu plus, même tout simplement de le voir. Qu'avait il de si particulier pour me donner tant envie d'être avec lui ? |