Lies
J'ai l'impression de me disloquer, de m'éviscérer, et ne perçois que faiblement le bruit de ces pas sur la terre humide. Ces chuchotements ne font que rendre cet air encore plus lourd, encore plus dense. Immobile, les yeux clos, je redessine ton visage fatigué. Je redécouvre par la pensée le sillage de ta peau vermeille...
Tu fredonnes cette chanson, m'envoutes, ça t'amuse. Tu t'approches de ta démarche féline et délicate. Que j'aime lorsque ton visage prend cette couleur fauve, et que tes yeux s'assombrissent de ce désir inavoué... Cette longue chevelure noire coule le long de tes maigres épaules et m'ensorcelle. Lentement, j'y glisse mes doigts, me rapprochant inexorablement. Je sens tes phalanges instables courir le long de me côtes, et ne sais d'où me vient cette fascination morbide vouée à ton égard. Tes prunelles claires me transpercent et m'examinent, me dévoilent. Ma main caresse, touche langoureusement ces formes occultes, insatiable. Tu malmènes et dévores mes lèvres d'une telle passion...
La rage semble s'emparer de ce corps éperdu qui paraît être mien. Je la sens s'écarteler le long de mes membres, s'étendre à l'intérieur de mes veines. L'impression que jamais elle ne me quittera s'ancre encore un peu plus profondément dans mon esprit, il est si faible, plie, courbe... Nos bouches s'entremêlent et s'autodétruisent, telle une danse au ballet macabre, dont la fin sera nécessairement tragique.
Les souvenirs m'assaillent, épris d'une violence vengeresse que je ne leur connaissais pas. Les paupières toujours closes, mes lèvres tremblent et se souviennent encore. Une mélodie sinistre s'élève, mélancolique. Je ne sais si elle est réelle, ou si elle ne provient que de mon imagination dérangée. Paresseusement, je l'écoute, m'en imprègne.
Je m'imprègne de ton odeur à m'en étouffer, jusqu'à imploser. Je dérive, baise ta joue recouverte de pourpre. Sombre, si sombre ! Quelques mots s'échappent de mes lèvres pour venir se briser au creux de tes tympans. Quelques mensonges que tu t'empresses d'occulter. Quelques vanités dévoilées que tu aspires, empoisonnes...
Tes doigts se resserrent contre ma nuque, nos bassins s'effleurent, impudiques. Ma langue s'en va ensuite découvrir la chair dorée de ton cou, dérangeante par sa perfection. Je laisse à mon corps la liberté de venir se frotter au tien, suant. Quelques soupirs semblables à des gémissements glissent de ta gorge effrontée, je la dévore, affamée. Tes cheveux ébènes me frôlent les joues et m'arrachent une plainte. Mes lèvres rougies inventent à nouveau la pâleur de ta peau, redécouvrent encore ta poitrine qu'elles s'empressent d'embrasser, elle se soulève...
Et voilà enfin le fruit défendu...
Une poignée de sanglots hypocrites humidifient l'air, jurent avec le soleil rougeoyant et fier. Me voilà prise au piège dans ce tourbillon agrémenté de fausses apparences... Je ne parviens à soutenir mon regard sur cette pierre impersonnelle. Leurs paupières défoncées respirent le mépris, et ils croient encore qu'ils ont eu raison de nous. Jamais ces langues froides et hautaines n'auraient pu détruire la puissance de cette passion. Ce myocarde malhabile et désormais irrégulier hurle sa haine vouée à leur égard, caché au fond de ma poitrine. Je le sens tenter de frapper ma peau écorchée, agiter mes veines frémissantes pour me l'arracher.
Je découvre cet organe dissimulé entre tes cuisses, l'observe et l'expérimente. Il regorge de cavités obscures, qui te font gémir lorsque j'y passe un doigt ou encore le bout d'une langue curieuse. Je lève les yeux et ne me lasse pas de regarder tes joues rougies par la gêne et le désir, ta bouche entre-ouverte. Je m'y engouffre et marque tes lèvres alors miennes. Le froissement de ces draps maltraités accompagne le concert de nos plaintes, à l'unisson. Chante, chante... Que ta voix m'envoûte, qu'elle enveloppe mon être refroidi !
J'imagine alors la douceur de tes traits se crisper, tandis que mes doigts avides se faufilent entre tes cuisses chaudes et désireuses, j'imagine ton visage se pencher vers l'arrière, en proie à une passion aussi dévorante que destructrice.
Je décide de passer outre leur ignorance, de n'accorder aucune attention à leurs regards autant inquisiteurs qu'accusateurs. Je n'ai cure de leur attitude méprisable... J'emmêle mes doigts, tentant encore vainement de retenir ces perles salées à l'intérieur de mes paupières blessées, mais ma faible volonté cède si facilement face à cette fontaine glacée... Je ne peux alors que me résoudre à attendre et écouter le faible cliquetis de la trotteuse qui occulte à peine les éternelles litanies proférées par ce vieux prêtre. Peu à peu, la foule mielleuse s'éclaircit, et nous nous retrouvons seules. Toi, moi, et la violence de mes souvenirs.
Je marche comme pieds nus sur les braises, sans ta main pour me soutenir, et m'enfonce dans ces sables dans ton regard pour me rassurer... Ton épaule me paraît si loin, je ne peux avancer que le dos courbé par le poids des remords. Peut-être la culpabilité doit-elle s'ajouter à la liste de mes fautes...
La lune, éternelle lune... Les rayons réchauffent nos cœurs et esprits, se faufilent entre nos membres emmêlés. Elle nous couve, si haute dans cette immensité qui me fait trembler. Je m'excuse alors de ne pas l'admirer ce soir, mais l'étoile qui se meut devant mes pupilles attire irrémédiablement mon attention, et éveille mes sens embrumés. L'âme éthérée, je la suis dans cette danse sulfureuse, ce tango enflammé. La lune doute et se demande qui sont ces deux jeunes femmes.
L'une a les cheveux de la nuit, en proviendrait-elle ? Ses mouvements sont si fluides, si lents... Hypnotiques.
L'autre est chaotique, à la fois incertaine et déterminée, effroyablement... exquise.
Ce marbre encore immaculé semble vouloir m'étudier, me mettre au défi de tout leur dire, pour que tout cela ne soit pas vain.
- Pardonne-moi de ne savoir faire les bons choix, Evanna...
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