Ca commençait à sentir la poussière, plus d'une année sans mise à jour.
Y'a une époque, j'allais beaucoup au Louvre. Rer B et métro 1.
Juin / novembre 2014.
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Le RER est bondé, heure de pointe un matin de septembre, donc forcément les gens râlent. Il râle aussi, André, mais c'est pas pour se plaindre, non, lui c'est contre les gens qui se plaignent, qu'il râle, André.
Parce que c'est simple de ne pas subir le RER bondé, il suffit de prendre le train de six heures, il n'est pas bondé celui-là. Il en sait quelque chose, André, c'est celui qu'il prend tous les matins, et il se plaint pas de prendre le RER à six heures, André, alors peut-être qu'il ne faut pas non plus se plaindre, que c'est désagréable de prendre ce RER de neuf heures, plein de gens tassés. Il est vide, le RER de six heures, et que les gens le prennent donc, avec André, le RER de six heures.
Alors bien sûr, certes non - mesdames et messieurs - il n'est pas dans le train de six heures, ce matin, André, on le voit bien, mais c'est exceptionnel, ça pour sûr, c'est exceptionnel. Il le sait d'ailleurs son patron que c'est exceptionnel, André il a été là à l'heure depuis toujours, c'est juste ce matin. C'est ce qu'il lui a dit au téléphone - parce qu'il a prévenu, hein, il s'est excusé - à son patron, André, et son patron il a dit que c'était vrai, qu'André il avait toujours été là à l'heure, et que tant pis pour ce matin, c'était pas grave.
Il insiste, André.
Il se répète, même. De nouveaux voyageurs viennent se tasser encore un peu plus, il faut les mettres au courant, eux aussi, qu'ils n'ont pas le droit de râler.
Il fait mine de parler pour lui-même, de répondre à l'exclamation exaspérée de cette jeune femme, coincée entre une valise et un strapontin, mais on sent bien qu'il veut une audience, André, et que c'est pas mal d'avoir un public à qui dire qu'il est seul, lui, le matin, André, dans son RER de six heures.
On ne peut pas dire qu'il soit conquis, pourtant, le public d'André, il est même franchement exaspéré. Ca se voit, on le regarde mal, André, et les gens râlent, ça les fait râler, qu'on viennent ainsi tenter de les en empêcher, et ça les dérange sans doute que ce soit un type mal rasé, mal habillé, mal peigné, qui vienne leur faire la morale, à ces gens du train de neuf heures.
Il ne se démonte pas pour autant, André. Peut-être qu'il s'en fout vraiment, qu'on l'écoute. Ou peut-être qu'il sait qu'il y a une chance pour que certains ne puissent pas l'oublier.
Moi il me fait sourire, André. Et puis il me marque. Trois ans après je pense toujours à lui, et il ne s'appelle sans doute pas comme ça, André.
Parfois je pense à lui.
Des fois je me dis qu'ils n'existaient pas, ce patron, cette destination, et tous ces RER de six heures du matin, et qu'il se faisait une vie, ce matin-là, André.
D'autres fois je me demande s'il engueule encore les gens.
Et puis à quoi ça ressemble, le RER seul, à six heures du matin. |